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1648. L'action publique est de droit pénal, l'action civile est de droit privé; et cependant elle se lie intimement au droit pénal, beaucoup plus même qu'il n'est d'usage de le dire : Premièrement, par l'importance qu'il est pour la sécurité et pour le bien-être social, non-seulement que la société inflige une peine publique au coupable, mais encore qu'elle contraigne ce coupable à réparer le préjudice qu'il .a causé par son délit. L'obligation de la société à cet égard n'est peut-être pas encore suffisamment aperçue (ci-dess., n° 1476).-En second lieu, parce que les deux points sont étroitement liés, le délit ne pouvant être constaté et apprécié au point de vue de la peine méritée sans l'être en même temps au point de vue du préjudice occasionné (ci-dess., n° 958 et suiv.); de telle sorte que nul jamais ne sera mieux à même de statuer sur la réparation que le juge qui statuera sur la répression.

1649. Il est des cas dans lesquels, quoique le principe de l'action publique soit en germe dans le délit même, l'existence ou l'exercice en est subordonné à l'accomplissement de certaine condition Par exemple, à celle d'une arrestation en France on d'une extradition, comme dans le cas de l'article 6 du Code d'instruction criminelle (ci-dess., n° 912); - Ou à celle d'une autorisation du conseil d'Etat, à l'égard des fonctionnaires qui jouissent de ce qu'on appelle la garantie constitutionnelle (1); Ou à celle d'un jugement définitif préalable sur une question de droit civil préjudicielle (C. Nap., art. 327); — Ou à celle d'une initia tive prise par la partie lésée, comme en cas d'adultère (C. pén., art. 336 et 339); de rapt, dans les termes de l'article 357 du Code pénal; d'offenses, diffamations, injures contre certaines personnes publiques ou privées (loi du 26 mai 1817 et autres sur la presse); de fraude par des fournisseurs des armées de terre ou de mer (C. pěn., art. 433); de crimes commis en pays étranger par un Français contre un Français (C. i. c., art. 7); de délit de chasse sur le terrain d'autrui sans le consentement du propriétaire, dans les termes de l'article 26 de la loi du 3 mai 1844.

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1650. Bien qu'il soit permis à la partie lésée, lorsqu'il ne s'agit que de délit de police correctionnelle ou de contravention de simple police, de porter directement son action civile devant la juridiction répressive, ainsi que nous aurons à l'expliquer plus tard, et de saisir par là cette juridiction de l'affaire pénale, nous ne disons

(1) Constitution du 22 frimaire an VIII. Art. 75. Les agents du gouvernement autres que les ministres ne peuvent être poursuivis, pour des faits relatifs à leurs fonc tions, qu'en vertu d'une décision du conseil d'Etat..

Décret portant règlement intérieur du conseil d'État, du 30 janvier 1852. Art. 8. En outre des affaires qui lui sont déférées, la section de législation, de justice et des affaires étrangères est chargée de l'examen des affaires relatives: 1o à l'autorisation des poursuites intentées contre les agents du gouvernement; 2o aux prises maritimes..

pas, même en ce cas, que cette partie exerce l'action' publique, laquelle reste toujours déléguée au ministère public.

1651. La décision du juge sur le procès pénal, du moment qu'elle est devenue irrévocable, ou pour mieux dire exécutoire, donne naissance à de nouveaux droits.

Nous distinguons dans le procès pénal trois solutions ou issues différentes: 1° l'acquittement, qui a lieu lorsque la personne poursuivie n'est pas reconnue coupable; -2° l'absolution, qui a lieu lorsque, la personne poursuivie étant reconnue coupable, le juge décide, en droit, qu'il n'y a pas dans la loi de peine applicable au fait ainsi mis à sa charge: bien que notre Code d'instruction criminelle n'ait établi cette première distinction, soit dans le nom différent donné à chacune de ces solutions, soit dans la forme, soit dans les conséquences, qu'en ce qui concerne les procès-criminels (comparer, à ce sujet, entre eux, les articles 191, 358 et 364 du Code d'instruction criminelle), au fond la nuance existe, en abstraction, dans tous les cas; -3° enfin la condamnation.

1652. Nous n'admettons pas le non liquet (N. L.) des Romains, ni le plus amplement informé, indéfini (usque quo) ou à temps limité, de notre ancienne jurisprudence criminelle. La règle établie depuis la Constituante, c'est que le procès pénal doit avoir une issue définitive; il ne peut pas laisser l'action publique incertaine et suspendue, ni pour un temps indéfini, ni pour un certain temps fixé, sur la tête de la personne poursuivie; si les preuves fournies sont insuffisantes, si le juge, quelque doute, quelque soupçon qu'il puisse conserver sur la culpabilité, n'en est pas convaincu, il acquittera. D'où il suit qu'un acquittement ne signifie pas chez nous que l'acquitté ne soit pas coupable; mais seulement qu'il n'a pas été reconnu tel.

1653. Or, si la solution du procès pénal est une condamnation, dès que cette solution est irrévocable, il s'ouvre pour la société un nouveau droit, le droit d'exécution. Ce droit, comme celui de l'action publique, appartient à la société; mais l'exercice en est délégué par elle à des fonctionnaires ou agents chargés de l'exercer en

son nom.

Et réciproquement, quelle que soit la solution du procès pénal, acquittement, absolution ou condamnation, dès que la solution est irrévocable, il en résulte pour la personne poursuivie le droit de ne plus être recherchée pénalement à raison du même fait. Cette règle n'a pas été formulée d'une manière générale dans nos codes : nous ne la trouvons que dans l'article 360 du Code d'instruction criminelle, à l'occasion des procès en cour d'assises, et seulement pour le cas d'acquittement (1). Mais elle doit être géné

(1) Code d'instruction criminelle. Art. 360. Toute personne acquittée légalement ⚫ ne pourra plus être reprise nì accusée à raison du même fait, .

ralisée. Le principe s'en exprime communément par ce brocard: «Non bis in idem. » Ce n'est rien autre, d'ailleurs, de la chose jugée, plus fortement accentuée au pénal qu'au civil. que l'autorité -La procédure dont nous usons pour les questions soumises au juge a fait naître, dans l'application de cette règle aux arrêts de cour d'assises, des difficultés dont nous aurons à parler en traitant de cette procédure.

1654. Des résultats analogues se produisent quant au procès sur la demande de la partie lésée en réparation civile: s'il y a sur ce chef condamnation, il en résulte pour la partie au profit de laquelle est prononcée cette condamnation, un droit d'exécution civile qui lui appartient, et dont elle peut disposer comme de ses autres droits.

CHAPITRE II.

DE LA SUSPENSION, DE L'ÉPUISEMENT ET DE L'EXTINCTION
DES DROITS D'ACTION OU D'EXÉCUTION.

1655. Il ne faut pas confondre ces trois effets distincts qui peuvent se produire quant aux droits d'action ou d'exécution. Ces droits sont suspendus lorsque quelque obstacle temporaire en arrête momentanément l'exercice, qui pourra être repris dès que l'obstacle aura cessé. Ils sont épuisés, lorsque l'exercice en a été accompli de manière à produire tous ses effets. Ils sont éteints, lorsqu'avant que l'exercice en ait été accompli et qu'ils aient produit tous leurs effets, quelque cause particulière vient mettre fin à ces droits.

§ 1. Suspension ou épuisement des droits d'action ou d'exécution. 1656. L'exercice de l'action publique est suspendu mence de la personne poursuivie, à quelque moment de la procépar la dédure que cette démence survienne, tant qu'il n'y a pas de décision irrévocable, sauf à être repris quand la démence aura cessé (ci-dess., n° 328). La règle ne s'en trouve formulée nulle part dans nos lois; mais elle est consacrée par notre jurisprudence pratique, comme découlant des conditions substantielles du droit de défense. -Nous donnerons un autre exemple de suspension de l'action publique dans ce qui concerne les poursuites ou arrestations en matière criminelle contre un membre du Corps législatif (cidess., n° 507) pendant la durée de la session (1).

(1) Décret organique pour l'élection des députés au Corps législatif, du 2 février 1852. Art. 11. Auçua membre du Corps législatif ne peut, pendant la durée de la

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La démence survenue après la condamnation irrévocable exerce aussi, quant aux peines corporelles, une suspension dans l'exercice du droit d'exécution pénale; mais non quant aux peines qui frappent le condamné dans ses droits ou dans ses biens. - L'article 27 du Code pénal nous offre, dans la grossesse de la femme condamnée à mort, une autre cause de suspension de l'exercice du droit d'exécution (1).

1657. La règle « Non bis in idem, » avec les difficultés qu'elle présente chez nous quant aux décisions par voie de jurés, répond au cas d'épuisement du droit d'action publique; et l'empire en doit être étendu bien certainement au cas d'épuisement du droit d'exécution. Le Code d'instruction criminelle, suivant en cela les errements du Code de brumaire an IV (ci-dess., no 1163), a vu encore une cause d'épuisement de l'action publique dans certaine hypothèse qui peut résulter de la défense de cumuler les peines en cas de cumul de délits, et qui se trouve régie a contrario par l'article 379 de ce Code (2).

§ 2. Extinction des droits d'action ou d'exécution.

1658. Il y a trois événements dont l'influence est à considérer au sujet de cette extinction: la mort du prévenu ou du condamné, le laps de temps écoulé, la remise ou l'abandon du droit. Ces événements n'agissent pas de la même manière sur le droit d'action publique et sur celui d'action civile d'une part; sur le droit d'exécution pénale et sur celui d'exécution civile de l'autre. Nous les examinerons donc séparément par rapport à chacune de ces deux hypothèses.

Extinction des droits d'action publique ou d'action civile:

prescription, amnistie.

mort du prévenu,

1659. La mort du coupable, en général, et en particulier la mort de la personne poursuivie, quant à cette personne, à quelque

session, être poursuivi ni arrêté en matière criminelle, sauf le cas de flagrant délit, qu'après que le Corps législatif a autorisé la poursuite.

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(1) Code pénal. Art. 27. Si une femme condamnée à mort se déclare et s'il est • vérifié qu'elle est enceinte, elle ne subira la peine qu'après sa délivrance. Voir une autre cas de sursis dans l'article 379 du Code d'instruction criminelle, cité au numéro suivant.

(2) Code d'instruction criminelle. • Art. 379. Lorsque, pendant les débats qui auront précédé l'arrêt de condamnation, l'accusé aura été inculpé, soit par des pièces, soit par les dépositions des témoins, sur d'autres crimes que ceux dont il était accusé; si ces crimes nouvellement manifestés méritent une peine plus grave que les premiers,

» ou si l'accusé a des complices en état d'arrestation, la cour ordonnera qu'il soit pour» suivi à raison de ces nouveaux faits, suivant les formes prescrites par le présent Code. - Dans ces deux cas, le procureur général sursoira à l'exécution de l'arrêt qui a pro

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» noncé la première condamnation, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur le second procès. ■ (D'où il suit a contrario que, si la peine ne peut plus être augmentée, et s'il n'y a pas de complices en arrestation, l'action publique est considérée comme épuisée et la poursuite ne peut plus avoir lieu. )

moment de la procédure qu'elle intervienne, tant qu'il n'y avait pas encore décision irrévocable, éteint l'action publique : nous ne connaissons plus de procès au cadavre, ou à la mémoire, comme dans l'ancienne jurisprudence criminelle. Mais il n'en est pas de même de l'action civile, moyen sanctionnateur d'une obligation qui affecte le patrimoine et qui passe aux héritiers (1).

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1660. Le laps de temps écoulé peut, dans de certaines conditions, devenir, pour l'action publique et pour l'action civile, une cause particulière d'extinction qu'on appelle prescription. Bien que notre loi ait établi une liaison fort étroite entre les deux actions quant à cette cause d'extinction, comme au fond et suivant la raison du droit, les principes en sont tout différents, nous exposerons d'abord ce qui concerne la prescription de l'action publique.

1661. On distingue, en droit civil privé, deux sortes de prescriptions: la prescription à fin d'acquérir et la prescription à fin de se libérer; mais en droit pénal les prescriptions ne sont que liberatoires, extinctives de droits. Les droits qu'il s'agit d'éteindre sont ou les droits d'action ou les droits d'exécution.

1662. Comment justifier, en raison, qu'au bout d'un certain temps écoulé depuis le moment où un crime, un délit ou bien une contravention ont été commis, l'action publique pour faire punir la personne coupable de ces actes se trouve éteinte? - Nous repousserons la raison puérile et routinière, donnée en phrase de réthorique, sur les remords, les inquiétudes, les tourments éprouvés jusque-là par le coupable, lesquels formeraient pour ce coupable une suffisante expiation. Je demande quels remords cuisants, quelles inquiétudes amères a éprouvés celui qui en arrosant des fleurs, posées sur sa fenêtre en contravention aux règlements de police, a fait tomber de l'eau sur le trottoir, ou celui qui a eu le tort de faire une partie de chasse sans permis de chasse ou en temps prohibé? Il faut cependant, pour arriver à un résultat aussi grave que celui de l'extinction du droit de punir qu'a la société, des motifs non hypothétiques et qui soient concluants. On en a donné un plus sérieux: la perte des éléments de preuve de la culpabilité ou surtout de la non-culpabilité. Il y a du vrai, pour l'ordinaire, dans cette considération; mais le motif est insuffisant: car les preuves eussent-elles été parfaitement conservées, s'agit-il, par exemple, de délits ou de contraventions constatés par des procès-verbaux que la loi elle-même investit d'une foi probante la prescription n'en serait pas moins acquise. Le seul véritable motif tient aux bases mêmes du droit de punir : le temps,

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(1) Code d'instruction criminelle. Art. 2. L'action publique pour l'application de la ⚫ peine s'éteint par la mort du prévenu. L'action civile, pour la réparation du dom⚫mage, peut être exercée contre le prévenu et contre ses représentants.

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L'une et

l'autre actions s'éteignent par la prescription, ainsi qu'il est réglé au liv. 2, tit. 7, chap. 5, De la prescription. »

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