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ce grand changeur, ne transforme-t-il pas, ne détruit-il pas, n'efface-t-il pas toute chose? Après un certain temps écoulé, le souvenir du fait coupable s'en est allé, le besoin de l'exemple a disparu, une des bases essentielles du droit de punir, l'utilité sociale, manque : le droit de punir n'existe donc plus (ci-dess., no 186 et suiv.).

1663. Le motif véritable une fois donné, les règles générales de la prescription en découlent d'elles-mêmes. Ainsi :

1o La prescription de l'action publique s'applique à toute infraction à la loi pénale; car, dans toutes, le temps produit toujours ses effets. A la différence de ce qui avait lieu dans l'ancienne jurisprudence criminelle, et de ce qui a lieu encore dans certaines législations étrangères, nous n'avons plus de crime, quelque grave et de quelque nature qu'il soit, qui s'en trouve exceptè.

2° Comme le souvenir et le besoin de l'exemple se conservent plus longtemps à l'égard des grands crimes qu'à l'égard des délits inférieurs, le temps de la prescription sera plus ou moins long, suivant le plus ou moins de gravité des délits. Chez nous, où les délits sont rangés en trois classes, par ordre de gravité, ce temps est de dix ans pour les crimes, de trois ans pour les délits de police correctionnelle, et d'un an pour les contraventions de simple police (C. i. c., art. 637, 638, 640). — Ce qui n'empêche pas l'existence de délais beaucoup plus courts, de six mois, de trois mois, d'un mois ou autres semblables, prescrits à l'égard de certains délits ou de certaines contraventions particulières, par les lois spéciales qui les régissent dispositions spéciales dont le Code d'instruction lui-même a fait la réserve (art. 643).

3o La prescription commence à courir du jour même que l'acte a été commis; car c'est à dater de ce jour que le temps commence son œuvre. C'est la règle de notre droit positif, sauf les exceptions faites par des lois spéciales. Nous citerons comme exemple d'une telle exception, celle de l'article 185 du Code forestier.

4° A la différence de la prescription en matière civile, qui n'est interrompue que par une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui même qu'on veut empêcher de prescrire (C. Nap., art. 2244 et 2245), la prescription de l'action publique est interrompue, non-seulement par tout acte de poursuite, c'est-à-dire par tout acte tendant à déférer à la justice la personne que l'on croit coupable, mais encore par tout acte d'instruction, c'est-à-dire par tout acte qui tend à instruire, à éclairer l'autorité judiciaire, en recherchant et réunissant les éléments de preuve, comme un transport sur les lieux, une exhumation, une perquisition, une saisie des objets, un interrogatoire de témoins ; non-seulement les actes dirigés contre le véritable auteur du délit, mais même ceux dirigés contre l'innocent, contre qui que ce soit, mème contre l'inconnu, comme le sont fort souvent les actes d'instruction; et le motif, c'est que tous ces actes conservent judi

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ciairement le souvenir du délit, et par conséquent le besoin de l'exemple (C. i. c., art. 637 et 638). Notre Code, en fait de contraventions de simple police, est même allé plus loin; car, vu le pen de gravité du fait et le souvenir qui en est sitôt perdu, il a voulu que le jugement fût rendu dans l'année, sinon la prescription est acquise (art. 640).

5° Enfin, la prescription pénale est de droit public; le juge est tenu d'office d'en observer la règle; à quelque point de la procédure que l'existence en soit reconnue, fût-ce au dernier point, fütce en cour de cassation seulement, elle doit produire son effet. Puisque la société n'a plus le droit de punir, il n'y a plus de peine à prononcer (1).

1664. Notre Code d'instruction criminelle, suivant en cela les errements du Code de brumaire an IV, a associé, quant à la prescription, le sort de l'action civile à celui de l'action publique : la prescription pour l'une et pour l'autre de ces actions est la même. Cette disposition, contraire aux décisions des jurisconsultes romains et à celle des anciens criminalistes européens, est une tradition de la doctrine qui avait prévalu en dernier lieu dans la pratique du parlement de Paris. Le seul motif digne de considé ration qu'on en puisse donner, c'est qu'une fois que l'action pu blique est prescrite, permettre à la partie civile de soulever encore le procès en réparation, ce serait permettre ce contraste d'un crime, d'un délit ou d'une contravention dont le souvenir serait réveillé et l'existence judiciairement constatée, tandis que la société demeurerait impuissante pour le punir. Cependant cette assimilation entre deux droits si distincts et deux prescriptions

(1) Code d'instruction criminelle. Art. 637. L'action publique et l'action civile résultant d'un crime de nature à entraîner la peine de mort ou des peines afflictives perpétuelles, ou de tout autre crime emportant peine afflictive ou infamante, se prescriront après dix années révolues, à compter du jour où le crime aura été commis, si dans cet intervalle il n'a été fait aucun acte d'instruction ni de poursuite. — S'il a été fait, dans cet intervalle, des actes d'instruction ou de poursuite non suivis de jugement, l'action publique et l'action civile ne se prescriront qu'après dix années révolues, à compter du dernier acte, à l'égard même des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d'instruction ou de poursuite.

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Art. 638. Dans les deux cas exprimés en l'article précédent, et suivant les distinctions d'époques qui y sont établies, la durée de la prescription sera réduite à trois années révolues, s'il s'agit d'un délit de nature à être puni correctionnel

⚫lement.

Art. 640. L'action publique et l'action civile pour une contravention de police ⚫ seront prescrites après une année révolue, à compter du jour où elle aura été com. mise, même lorsqu'il y aura eu procès-verbal, saisie, instruction ou poursuite, si dans cet intervalle il n'est point intervenu de condamnation; s'il y a eu jugement définitif de première instance, de nature à être attaqué par la voie de l'appel, l'aclion publique et l'action civile se prescriront après une année révolue, à compter de ⚫ la notification de l'appel qui en aura été interjeté.

Art. 643. Les dispositions du présent chapitre ne dérogent point aux lois parti⚫ culières relatives à la prescription des actions résultant de certains délits ou de certaines contraventions.

fondées sur des motifs si divers, amène de singulières conséquences. Qu'un homme, par sa faute, en dehors des prévisions de la loi pénale, donne lieu à un incendie qui brûle ma maison, j'ai trente ans pour l'actionner en réparation du préjudice; qu'il ait mis le feu à cette maison criminellement, je n'ai que dix ans; qu'il l'ait mis par une faute tombant sous le coup des peines correctionnelles de l'article 458 du Code pénal, je n'ai plus que trois ans. Le texte des articles 637 et 640 est trop formel pour qu'on puisse en mettre la signification en doute; mais l'application, qui n'en doit pas être étendue au delà des termes auxquels il est impossible de se soustraire, présente de nombreuses difficultés pratiques.

1665. Enfin, relativement à la troisième idée à examiner, celle de la remise ou abandon du droit, rien n'empêche la partie lésée, propriétaire de son droit d'action en réparation, d'en faire la remise, soit gratuitement, soit par transaction, comme elle ferait de tout autre droit à elle appartenant. Il va sans dire que, sauf les exceptions qui peuvent se présenter dans les cas particuliers où l'action publique est subordonnée à l'initiative de la partie lésée (ci-dess., no 1647), cette remise, cette transaction sur les intérêts privés, n'affecte en rien l'existence du droit de punir, l'existence de l'action publique qui appartient à la société (1). Pour cette action, quelle sera la règle?

1666. Accorder à une personne déterminée, coupable ou soupçonnée de quelque méfait, la remise ou l'abandon du droit d'action publique, ce ne serait autre chose qu'arrêter, pour cette personne, le fonctionnement même de la justice; ajouter au mauvais exemple du méfait l'exemple plus mauvais encore d'un échec à la loi par concession individuelle; introduire la faveur et l'inégalité jusque dans le droit de constater les délits, d'en rechercher les auteurs et de déclarer la culpabilité de ceux qui en sont chargés. Rien ne saurait justifier en la raison du droit pénal une telle concession. La société ne doit déléguer à qui que ce soit le pouvoir de la faire en son nom ni à la loi, car ce serait une loi privée (privata lex, privilegium), ni au chef de l'Etat, ni à aucun fonctionnaire.

C'est ainsi que nous en usons aujourd'hui en notre droit positif. Nous ne connaissons plus les lettres d'abolition particulière de l'ancienne monarchie. Quand nous disons du ministère public, qu'il a abandonné l'accusation, nous voulons dire qu'il a conclu à l'acquittement ou à l'absolution; mais chargé d'exercer l'action publique, il n'est pas chargé d'y renoncer; quelles que soient ses conclusions, il faut que le jugement soit rendu, et ce pourrait encore être un jugement de condamnation. Cependant une ex

(1) Code d'instruction criminelle. « Art. 4. La renonciation à l'action civile ne peut arrêter ni suspendre l'exercice de l'action publique.

ception est faite pour deux administrations, à l'égard de faits qui ne sont érigés en actes punissables qu'en vue des intérêts fiscaux de l'Etat, et qui ne sont punis qu'afin d'assurer la perception des droits dus au trésor. Cette exception, qui n'est formulée par aucun texte précis de la loi, qui ne se trouve énoncée que dans des arrê tés ou ordonnances (1), mais que la pratique administrative et la jurisprudence ont consacrée, reconnaît à l'administration des contributions indirectes et à celle des douanes le droit de transiger, même quant à l'action publique, sur les délits ou contraventions concernant les intérêts fiscaux dont la gestion leur est confiée. On s'accorde à limiter ce pouvoir de transiger, en ce qui concerne l'administration des contributions indirectes, aux cas de peines pécuniaires, confiscations ou amendes; mais à l'égard de l'administration des douanes, le texte de l'arrêté a fait naître la prétention de l'étendre même aux cas d'emprisonnement ou autres peines corporelles.

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1667. Mais l'abandon de l'action publique, qui ne peut être accordé comme faveur faite à la personne, il est possible que térêt social le conseille ou le commande par rapport à certains faits, quelles que soient et en quelque nombre que soient les persounes qui pourraient être compromises dans ces faits. La mesure ne s'adresse plus alors aux individus, elle s'adresse aux faits euxmêmes; les jurisconsultes diront qu'elle n'a plus un caractère personnel, mais qu'elle a un caractère réel; et la légitimité s'en déduit, en principe de raison, des fondements même de la pénalité sociale. En effet, si les circonstances et les événements sont tels que, loin de demander la répression de ces faits, quels qu'en soient les auteurs, l'utilité publique demande qu'ils soient mis en oubli et qu'aucune suite judiciaire n'y soit donnée, une des deux causes fondamentales du droit de punir de la société non-seulement manque, mais elle vient agir même en sens contraire : ce droit de punir s'évanouit. Il en sera ainsi fréquemment en fait de crimes où de délits politiques dans les révolutions, dans les revirements de fortune, conciliations ou apaisement des partis. La même opportunité pourra se présenter aussi, suivant les circonstances, quoique en des proportions moins élevées, par rapport à ces délits ou contraventions qui ne tiennent qu'à des intérêts fiscaux, qu'à des injonctions ou prohibitions de police générale ou locale, ou qu'à la discipline de certains corps, notamment des corps militaires.

1668. Les Grecs nous ont légué, avec leur exemple, un mot

(1) Contributions indirectes Arrêté du 5 germinal an XII, concernant l'organisation de la régie des droits réunis, art. 23, et ordonnance du 3 janvier 1821, portant reglement pour la régie des contributions indirectes, art. 10. Administration des douanes arrêté des consuls, du 14 fructidor an X, et ordonnance du 27 novembre 1816, non insérés au Bulletin des lois; ordonnance du 30 janvier 1822, concernant la réorganisation des douanes, art. 10.

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qui rend bien l'idée, celui d'amnistie (mise en oubli), Les Romains en avaient un autre moins bien fait et appliqué à beaucoup d'autres cas, celui d'abolitio : c'est de ce dernier qu'à usé notre ancienne monarchie, dans ses lettres d'abolition générale. L'amnistie commande à toutes les autorités, quant à toutes les suites pénales qu'ils auraient pu avoir, la mise en oubli des faits amnisties. Il n'est pas exact de dire qu'elle abolit, qu'elle anéantit ces faits; qui donc en aurait la puissance? Elle ne commande pas même à la mémoire des hommes, car là expire son efficacité. Elle n'est, pour les particuliers, qu'une invitation à imiter l'acte de la société, à oublier les hostilités, les ressentiments, les irritations ou animations qui ont pu naître de ces faits ou y donner occasion; mais elle laisse subsister les actions civiles en réparation du préjudice et tous les droits privés qui en sont résultės.

1669. A qui la société déléguera-t-elle le pouvoir de décréter, en son nom, des amnisties? La solution peut être différente suivant les institutions politiques de chaque pays. Chez nous, aujourd'hui, le droit en est conféré textuellement à l'empereur (1).

1670. En somme, sauf en ce qui touche la prescription, l'action publique et l'action civile sont indépendantes l'une de l'autre quant à leur existence; l'une peut être éteinte tandis que l'autre continue de subsister, et réciproquement.

Extinction des droits d'exécution pénale ou d'exécution cirile.
prescription, amnistie, grâce, réhabilitation.

Mort du condamné,

1671. Les mêmes événements, la mort, le laps de temps, la remise ou abandon du droit, dont nous avons exposé les effets quant aux droits d'action, sont à examiner quant aux droits résultant des condamnations. Et d'abord nous ferons ici une distinction qui doit dominer cette étude en ce qui concerne les condamnations pénales.

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1672. Parmi les peines prononcées par ces condamnations, ou qui y sont attachées, il en est qui ont besoin d'une exécution matérielle, qui ne produisent leur effet afflictif sur le condamné qu'an moyen de cette exécution: c'est à celles-là seulement que s'applique le droit d'exécution. Il en est d'autres, au contraire, dont l'effet est tout métaphysique, qui ne comportent aucun acte matériel d'exécution, se produisant par la puissance de la loi dés que la condamnation est devenue irrévocable telles sont les déchéances ou privations de droits qui affectent l'état et la capacité de la personne (ci-dess, n° 1625). Pour celles-ci, il n'est pas question du droit d'exécution. Mais l'influence de nos trois événements, la mort, le laps de temps, la remise ou abandon du

(1) Sénatus-consulte du 25 décembre 1852. Art. 1. L'empereur a le droit de faire grâce et d'accorder des amnisties. »

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