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DROIT PÉNAL PROPREMENT DIT, OU PÉNALITÉ.

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE.

DIVISION.

161. La société, dans la pénalité, procède par la menace et par l'application d'un mal; on la voit user de ses forces collectives pour frapper douloureusement un homme: «De quel droit en agit-elle ainsi, et dans quel but?» Voilà ce qu'on est porté, au premier abord, à se demander. Cette question, qu'on pourrait se poser pour toute branche quelconque de la législation, est de règle en fait de droit pénal, précisément à cause du mal employé ici comme instrument; elle ouvre tous les traités ayant quelque prétention scientifique sur cette matière. La solution des problèmes qu'elle renferme donne lieu à une partie préliminaire que nous nommerons la théorie fondamentale du droit pénal.

162. Arrivant à la pénalité proprement dite, on conçoit qu'elle offre certaines règles communes sur les faits punissables et sur les châtiments, sur le caractère, les degrés divers et la corrélation nécessaire des uns et des autres, ainsi que sur la nature, l'existence et l'extinction des droits qui s'y réfèrent le tout considéré d'une manière générale, et sans entrer encore dans le détail des cas particuliers. C'est là une seconde partie que nous nommerons la partie générale du droit pénal.

:

163. Enfin, après ces règles générales, il faut en venir à passer en revue et à déterminer, dans un ordre méthodique quelconque, chaque fait punissable en particulier, avec les caractères qui le distinguent et le châtiment qui doit y être appliqué: troisième et dernière partie, qui prendra le nom de partie spéciale du droit

pénal.

164. La science n'est pas complète sans ces trois parties; quant à la législation positive, elle ne formule que les deux dernières : rale et passent ensuite à la partie spéciale. Tel est notre Code pénal français. (Partie générale, art. 1 à 74. - Partie spéciale,

art. 75 et suiv.)

165. Avant d'entrer en matière, signalons quelques expressions reçues dans la science, dont nous aurons plus tard à apprécier la valeur, mais qu'il nous faudra employer dès l'abord. Nous nommerons: délit, en général, le fait punissable; ·

-agent du délit (de

agere, actor), l'auteur du fait; - patient du délit, la personne qui en est lésée, quoique ce mot ne soit pas consacré techniquement dans la science; - peine, le mal infligé à titre de châtiment au coupable; enfin réparation, la prestation de l'indemnité due à la personne lésée pour le préjudice qu'elle a éprouvé.

PREMIÈRE PARTIE.

THEORIE FONDAMENTALE DU DROIT PÉNAL.

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE.

DIVISION.

166. En fait, dans les diverses sociétés, des peines existent et sont appliquées. Comment ce fait s'est-il produit? comment la société a-t-elle été conduite à s'attribuer et à exercer cette puissance de punir? C'est là un premier problème, mais un problème purement historique.

167. Ce fait n'est-il qu'un abus de la force, une tyrannie du plus grand nombre contre un seul, du plus puissant contre le plus faible? N'est-il qu'une usurpation des sociétés humaines sur une justice plus élevée, supérieure aux puissances terrestres? Ou bien est-il basé sur un droit; en d'autres termes, la société a-t-elle véritablement le droit de punir? C'est là un second problème, problème philosophique, dans lequel il s'agit de rechercher et de mettre à jour une vérité rationnelle,

168. Enfin, ces peines infligées en fait et en droit, dans quel but doivent-elles l'être? Quel effet doit-on se proposer d'en obtenir? Troisième et dernier problème celui-ci est un problème d'utilité.

169. Je prie qu'on distingue bien ces trois questions différentes; toute la théorie fondamentale du droit pénal est dans la solution; c'est pour les avoir confondues généralement et tour à tour les unes avec les autres qu'on a jeté tant d'obscurité et d'inexactitude dans cette théorie. Les trois problèmes peuvent être formulės en ces termes Quelle a été l'origine historique de la pénalité? Quel est le fondement légitime du droit de punir? Quel doit être le but du droit pénal et des peines?

170. Mais à quoi bon se préoccuper de pareilles recherches? Ne sont-ce pas là de vagues et infertiles spéculations, dépourvues d'utilité pratique, et qui méritent le dédain jeté sur elles par les

praticiens? On verra qu'il en est bien autrement. Toute vérité rationnelle démontrée doit conduire à un enseignement positif pour l'application la théorie fondamentale serait incomplète si elle ne nous donnait pas cet enseignement. Nous devrons le lui demander,

:

CHAPITRE PREMIER.

ORIGINE HISTORIQUE DE LA PÉNALITÉ.

171. A ne considérer que ce qui a été, et non ce qui devrait être, trouvera-t-on l'origine historique de la pénalité dans la nature spirituelle et perfectionnée de l'homme, ou dans sa nature matérielle et brutale? D'après la loi du développement humain, les commencements des civilisations sont informes et grossiers, les instincts corporels y dominent; la raison n'épure, ne dirige et ne réprime ces instincts que graduellement, à mesure des progrès que nous fait faire la loi de notre perfectibilité. C'est dans l'instinct matériel et brutal que la pénalité prend sa source historiquement. 172. Une action nous blesse, un instinct subit et involontaire nous pousse à une réaction. Si la raison ne vient pas maîtriser cet instinct, nous nous en prenons, instantanément, même à la canse involontaire, même à la cause inanimée du mal qui nous a été fait; à plus forte raison, si l'offense ou la lésion a été volontaire et à mauvais dessein, ou du moins si nous le croyons. Le désir, le besoin de rendre avec usure à l'offenseur le mal que nous en avons reçu nous travaille, nous fait souffrir: la vengeance est une passion, passion active, qui ne s'apaise dans le cœur de celui qu'elle possède que lorsqu'elle a été satisfaite.

173. C'est cette passion que l'on rencontre comme précédant la pénalité et y donnant naissance. Les hommes, aux époques de barbarie, l'érigent en un droit, droit héréditaire, qui se transmet anx måles de la famille, droit susceptible d'être payé et éteint à prix d'argent, par une rançon. Ce n'est pas seulement à l'origine des nations actuelles de l'Europe, dans les chants des vieux Germains et dans les lois désignées sous le nom de lois des Barbares, que l'on trouve ce droit héréditaire de vengeance et cet usage des rançons ou compositions; les livres de Moïse, les antiques poésies de la Grèce, les récits des voyageurs en Afrique, en Asie et dans Nouveau-Monde, nous en montrent partout la trace. Homère en met le témoignage dans la bouche d'Ajax et nous en montre la représentation jusque dans les ciselures du bouclier d'Achille (1). 174. De la vengeance privée et des réactions individuelles qui

le

(1) Deuteronome, ch. 19, §§ 4, 6, 12.

Iliade, liv. 8 et 9. Voir un exemple

tout récent, dans un arrêt du tribunal criminel d'Oran, du 8 avril 1853, rapporté dans

le Droit du 17.

en résultent, la civilisation, nous l'avons déjà fait voir, passe à la vengeance publique et aux peines assises sur cette vengeance: vengeance du roi, vengeance du seigneur, vengeance de la société ou de celui qui en résume les pouvoirs; c'est toujours une passion, mais elle devient moins individuelle et moins désordonnée. L'élément social se fait entrevoir; la peine publique, qui n'existait pas dans le premier système, prend ici naissance; elle est exagérée, cruelle, souvent atroce comme la vengeance, jusqu'à ce que cet élément de la barbarie disparaisse devant la raison.

175. Tel est le fait, mais le fait n'est pas le droit. Le premier problème est résolu; le second ne l'est pas.

CHAPITRE II

FONDEMENT LÉGITIME DU DROIT DE PUNIR.

176. Il s'est produit, pour démontrer la légitimité du droit de punir exercé par la société, tant de systèmes, qu'il est difficile de s'y reconnaître, et qu'on s'explique presque comment le législateur et les jurisconsultes pratiques ont été conduits à laisser dédaigneusement de côté des idées premières sur lesquelles les théoriciens s'accordaient si peu. Toutefois, si multipliés que soient ces systèmes, en les analysant, en cherchant à travers les variantes ce qui est véritablement un fonds commun, il est possible de les ramener tous à se classer, par divers groupes, sous quelques mots.

177. La vengeance, nous l'avons vu, est un instinct naturel : on en a conclu que cet instinct est légitime; qu'il entre comme moyen dans les vues de la Providence, pour nous forcer à nous respecter les uns les autres; que la société, quand elle punit, ne fait que diriger cet instinct contre le vrai coupable et le régulariser; que par conséquent son action est légitime, c'est-à-dire qu'elle a le droit de punir. Voilà une première théorie de la vengeance (1). - D'autres, au contraire, reconnaissent que la vengeance est une mauvaise passion; que les sentiments qu'elle excite, les actes auxquels elle pousse sont condamnables, de nature à troubler et à déchirer la société : or la peine appliquée publiquement a pour effet d'apaiser ces sentiments de vengeance privée, de les satisfaire en quelque sorte et de ramener le calme entre les particuliers; donc cette peine est légitime: voilà une seconde théorie de la vengeance, celle de la vengeance épurée ou ennoblie (2). « Cela fut ainsi originairement et par instinct, donc c'est juste, »> tel est le raisonnement de la première de ces théories; « Cela produit un

(1) Théorie de H. HOME ou lord KAIMES.

(2) Théorie de LUDEN.

effet utile, donc c'est juste, » tel est le raisonnement de la seconde. L'une a confondu le fait historique avec le droit, c'est-à-dire le premier problème avec le second; l'autre, le résultat utile avec le droit, c'est-à-dire le troisième problème avec le second.

178. La convention, c'est-à-dire l'accord de volonté entre plusieurs, est un fait qui peut créer des droits une multitude d'écrivains ont essayé d'asseoir sur cette base conventionnelle le droit qu'a la société de punir. De là les mille théories du contrat social. Elles ont desservi tout le dix-huitième siècle et les commencements du dix-neuvième. En les regardant de près, on y distingue trois variantes bien marquées (1). Toutes sont fausses parce que toutes reposent sur une chimère, sur un prétendu contrat qui n'a jamais existé. Les hommes ne sont pas à l'état de société parce qu'ils en seraient convenus, ils ne sont pas maîtres d'y être ou de n'y être pas; ils y sont forcément, par la loi même de leur création, et si, dans cet état, le droit de punir existe pour la société, il existe indépendamment de tout contrat. D'ailleurs les conventions humaines ne peuvent pas créer ou détruire des droits indistinctement et sans limite, elles ne le peuvent que pour les objets ou pour les actes dont les hommes sont maîtres de disposer à leur gré (2).

179. Le fait d'avoir occasionné par sa faute, contrairement au droit, un préjudice à quelqu'un est aussi une cause d'obligation. Ce fait nous oblige à réparer le préjudice par nous causé. Nouvelle theorie, qui essaie d'asseoir sur cette idée le droit de punir. Le délit porte un préjudice à la personne qui en est victime, mais il en porte un aussi à la société; l'un et l'autre de ces préjudices doivent être réparés par le coupable; la peine n'est autre chose que cette réparation sociale donc la société a le droit de l'infliger. C'est la théorie de la réparation (3). Elle a quelque chose de vrai ; une certaine réparation sociale est contenue sans contredit dans la peine, et souvent même le langage dont nous nous servons vulgairement se réfère, sans que nous nous en doutions, au principe de cette théorie. Mais si l'on se met à analyser quels sont ces préjudices sociaux dont la peine devrait être une réparation, on verra que plusieurs, tels que celui de l'alarme publique et de l'entraine

:

(1) Première variante: théories de MONTESQUIEU, PUFFENDORF, J.-J. ROUSSEAU, BECCARIA, FILANGIERI, BRISSOT DE WARVILLE, etc.- Deuxième variante: théories de VATTEL, de BERLAMAQUI, de PASTORET, etc. Troisième variante, ingénieuse et bien séparée des autres, mais d'une extrême subtilité, théorie de FICHTE.

(2) Quelques peines peuvent être véritablement fondées par convention, pourvu que les deux conditions suivantes soient remplies: 1o que la société elle-même soit établie par convention, comme, par exemple, une société de sciences, de lettres, de beaux-arts ou de métier, entre certaines personnes; 2° que les associés aient le pouvoir de disposer de ce qui fait l'objet de la peine, comme, par exemple, de certaines sommes pécuniaires, à titre d'amende; mais il en serait autrement s'il s'agissait de coups, de mutilations, d'emprisonnement, toutes choses sur lesquelles les hommes ne sont pas maîtres de disposer par convention.

(3) Théories de KLEIN, SCHNEIDER, WELCKER.

G

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