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ment du mauvais exemple, ne proviennent pas directement et immédiatement du coupable; que la réparation n'en pourrait donc pas être mise avec justice sur son compte si l'on ne s'en tenait qu'à ce principe, et qu'en réalité cette théorie confond deux idées bien distinctes: punition et réparation.

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180. Tout être vivant a naturellement un instinct puissant de conservation. Pour l'homme, dans ses rapports avec ses semblables, cet instinct est sanctionné par un droit. Ce droit existe pour les êtres collectifs dont l'existence est légitime, par exemple pour une société, aussi bien que pour les êtres individuels. La société, a-t-on dit, lorsqu'elle punit ne fait qu'exercer ce droit de conservation donc punir est pour elle-même un droit. Telles sont les théories du droit de conservation ou de légitime défense sociale (1). Nous ferons remarquer qu'il est pour chacun deux manières de pourvoir à sa conservation en se défendant contre d'injustes agressions, en cherchant de soi-même ce qui est nécessaire à son existence ou à son bien-être. Dans le premier cas, nous avons le droit de faire à l'agresseur tout le mal indispensable pour écarter le danger imminent dont il nous menace; dans le second cas, notre droit de conservation rencontre pour limite le droit d'autrui, qu'il ne nous est pas permis de léser. Or la société lorsqu'elle punit ne se trouve pas dans le premier cas; tous les efforts, toutes les subtilités de la dialectique ne montreront pas qu'elle soit en état de défense légitime contre le délinquant: le délit est commis, le mal est fait, il ne s'agit plus de se défendre contre le danger de ce mal. Avant la consommation du délit, il y avait défense; après il ne peut plus y avoir que vengeance ou justice. Que si vous dites: « Mais elle a besoin de se défendre contre le danger futur des délits à venir, » alors ce serait contre les agresseurs futurs qu'elle aurait à exercer sa défense et non contre le délinquant actuel. Le fait est que la société lorsqu'elle punit se trouve dans le second et non dans le premier cas; elle frappe le délinquant dans l'intérêt de la conservation sociale il est vrai, mais il faut démontrer qu'en le frappant elle ne lèse pas les droits de ce délinquant; qu'elle ne cherche pas à se conserver au détriment du droit d'autrui, à satisfaire les intérêts du plus grand nombre au détriment du droit d'un seul : le problème reste entier.

181. A quoi hon y mettre tant de façon? disent d'autres publicistes il n'y a de bien que ce qui est utile, il n'y a de mal que ce qui est nuisible; tout problème de droit n'est qu'un problème d'utilité; la peine est éminemment utile; ou pour mieux dire nécessaire, donc elle est juste:

Mes jours sont en tes mains, tranche-les: ta justice

C'est ton utilité!

(1) Théories de RofIAGNOSI, de SCHULZE, de MARTIN, de CARMIGNANI, etc,

discours de la couleuvre au laboureur ; il n'y a pas d'autre raison à chercher, Tel est, dans tout son cynisme, la théorie de l'utilité (1).

Et de cette théorie principale, où l'utilité est considérée en bloc, sortent une multitude de théories dérivées, où l'utilité est considérée en détail, qui ont pris chacune pour fondement un point spécial de l'utilité des peines, et que j'appellerai la petite monnaie de la théorie utilitaire, Telles sont celles de la prévention, de l'intimidation, de l'avertissement, sorte de prévention anodine; de la vengeance épurée ou apaisée, dont nous avons déjà parlé, de la correction ou de l'amendement (2). Toutes ont confondu le troisième problème, celui du but des peines, avec le second, celui de leur légitimité; toutes consistent à dire : « Il est utile ou il est nécessaire de prévenir les délits futurs, d'intimider ou d'avertir les délinquants futurs, d'apaiser les sentiments de vengeance privée, de corriger ou d'amender le coupable; la peine est nécessaire pour produire ces effets: donc la peine est juste. 12- Raisonnement dans lequel la nature humaine est mutilée. L'idée de l'utile se rencontre pour tous les êtres vivants, raisonnables ou dépourvus de raison; même pour les végétaux: voyez une plante que l'ardeur du soleil a desséchée, versez à son pied de l'eau; elle se relève, elle se ranime, elle reprend ses couleurs: vous avez l'idée de l'utile. C'est à cela que les théories utilitaires veulent nous réduire (3).

182. Au contraire, abandonnons la terre et la nature humaine. qui y est attachée, élevons-nous à l'idée immatérielle, à l'idée abstraite et métaphysique. Le bien doit être rémunéré par le bien, et le mal par le mal; ainsi le veut la justice infinie, la justice absolue, rapport éternel, qu'il est donné à notre raison de concevoir. Qu'il y ait à punir utilité ou non, nécessité ou non, peu importe, c'est pour satisfaire à cette justice que la société doit punir; elle en a non-seulement le droit, mais le devoir. Telle est la théorie de la justice absolue ou de la rémunération (4). Les deux précédentes théories disaient : « Nemo prudens punit quia peccatum

(1) Théories de HOBBES, de BENTHAM.

(2) Cette théorie de l'amendement a été poussée à sa dernière limite par M. PINHEIROFERREIRA. Plus de Code pénal, plus de jugement décrétant ou appliquant à chaque fait une peine déterminée à l'avance. Ne rirait-on pas d'un système qui, pour guérir les malades, consisterait à rédiger un code médical dont les prescriptions seraient inflexiblement appliquées à tout sujet dans tout cas prévu? Les maisons où sont détenus et traités les coupables ne doivent être qu'une sorte d'hôpital moral où des visites fréquentes doivent être faites par le jury médical de correction, afin d'appliquer de jour en jour à chacun un traitement variable et proportionné aux progrès quotidiens de la maladie ou de la guérison morale,

(3) Les Allemands donnent à toutes ces théories la qualification de théories relatives, parce qu'elles se réfèrent toutes à un certain but à atteindre; par opposition aux théories absolues on absmaites, qui essayent de donner la démonstration du droit de punir en lui-même et indépendamment de tout but d'utilité.

(4) Théories platoniciennes, théorie de KANT,

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est, sed ne peccetur; » celle-ci renverse la phrase: La société doit punir par cela seul qu'il y a eu délit, et non pour éviter les délits futurs.«Si, après le premier délit, écrit Romagnosi, il y avait certitude qu'il n'en surviendra aucun autre, la société n'aurait aucun droit de punir. « Si la société civile était sur le point de se dissoudre, dit Kaut, le dernier meurtrier détenu dans une prison devrait être mis à mort au moment de cette dissolution, afin que tout coupable portât la peine de son crime et que l'homicide ne retombât point sur le peuple qui aurait négligé de le punir. »> Cette théorie de la justice absolue, en dégageant la société de tous ses éléments matériels, l'élève au-dessus de sa nature, la porte dans une sphère qui n'est pas la sienne. Poussée jusqu'à l'exagération, elle aboutit à la théorie mystique de l'expiation, dans laquelle la peine n'est plus un châtiment, mais devient un besoin, un droit pour le coupable.

183. Ainsi toutes ces théories si nombreuses, qui prétendent chacune démontrer que la société a le droit de punir, viennent, lorsqu'on les réduit à leur plus simple expression, se grouper autour de l'une ou de l'autre des six idées que voici vengeance, contrat social, réparation, droit de conservation ou de défense sociale, utilité, justice absolue.

184. Toutes ont quelque chose qui méconnaît, qui fausse ou qui mutile par quelque point notre nature. Celles de la vengeance érigent en droit un instinct, une passion; celles du contrat social méconnaissent notre caractère essentiellement et forcément sociable; celles de la réparation annihilent l'idée de punition, sous prétexte de la justifier; celles du droit de conservation ou de défense sociale voient une défense là où il n'y en a pas, et, restant à mi-chemin de leur démonstration, ne paraissent plus être que des théories utilitaires; celles de l'utilité font abstraction de la partie morale de notre nature et nient même la notion du juste; enfin celles de la justice absolue font abstraction de la partie corporelle de notre nature et ne tiennent nul compte de l'utile.

185. Rentrons dans les conditions véritables de notre nature. L'homme est essentiellement sociable; l'état de société, abstraction faite des formes variables de cet état, est pour lui non-seulement légitime, il est forcé. L'homme, et par conséquent la société qui n'est qu'une agrégation d'hommes, sont à la fois matière et esprit; et dans les règles de leur conduite ils ont ces deux principes à satisfaire le juste et l'utile. Si nous ne voulons pas nous égarer, nous devons tenir compte de ces divers éléments. Toutes les théories qui précèdent, isolées sont fausses; combinées ensemble il n'est pas dit que quelques-unes ne puissent donner la vérité. Celui qui dirait: L'air que nous respirons est de l'oxygène; celui qui objecterait: Mais non, c'est de l'azote, seraient dans le faux tous les deux; le chimiste qui vient dire: Cet air est un composé d'oxygène et d'azote mélangés ensemble dans telle proportion,

où se rencontrent en outre, ordinairement, telles et telles autres substances en petite quantité, celui-là est seul dans le vrai. Ce n'est point là de l'éclectisme de conciliation, croyant faire un tout en prenant un peu à chacun, c'est tout uniment le système complet de la vérité.

186. Que le bien mérite d'être rémunéré par le bien, et le mal par le mal, c'est un rapport conçu par la raison humaine en tout temps et en tout pays; il y a plus: c'est pour nous un sentiment; nous éprouvons une jouissance morale si ce rapport est observé, nous souffrons moralement s'il ne l'est pas; et tel est l'empire de celte conception et de ce sentiment, que, voyant ce rapport si souvent renversé ici-bas, tous les peuples, dans leurs croyances même les plus grossières, s'élancent en pensée vers une autre vie, où la balance devra se faire et où chacun sera exactement jugé et traité suivant ses œuvres. Ce concept, ce sentiment est celui qu'invoque la théorie de la justice absolue. Il démontre incontestablement que le coupable de toute faute mérite un châtiment proportionné à cette faute.

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187. Mais la société est-elle chargée de mesurer et d'infliger ce châtiment? Voilà ce que ne démontre point cette théorie. Je suppose, entre le coupable et le pouvoir social qui le punit, le dialogue suivant : Pourquoi me frappes-tu? >> « Tu le mérites.De quoi te mêles-tu? qui t'a fait juge et exécuteur? » Que répliquera le pouvoir social? Si le cas est tel que la société puisse répondre: «Il y va de ma conservation,» son droit de punir est établi. « Tu le mérites, et il y va de ma conserva» tion; ces deux propositions répondent à tout. «Il y va de ma conservation, c'est-à-dire, j'ai le droit de m'en mêler, j'ai le droit d'agir, pourvu que ce ne soit pas au préjudice du droit d'autrui. Tu le mérites, » c'est-à-dire, tu ne peux pas te plaindre que ton droit soit lésé, que je cherche à me conserver au préjudice de ce qui t'est dù. Que manque-t-il à la démonstration?

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188. La théorie de la justice absolue établit que le coupable mérite le châtiment; celle du droit de conservation en venant s'y joindre établit que la société a le droit d'infliger ce châtiment. L'une contient l'idée du juste, l'autre celle de l'utile; l'une répond à l'ordre purement spirituel, l'autre aux nécessités de l'ordre physique : la réunion de toutes les deux est indispensable pour fonder le droit social de punir. Déduit d'une nature complexe, ce droit ne peut avoir qu'une base complexe.

189. Cette théorie composée ne repose point sur des éléments nouveaux; au fond, et sans raisonner, nous en avons tous la notion confuse. Que la justice absolue et l'intérêt de conservation sociale, c'est-à-dire que le juste et l'utile, doivent jouer chacun un rôle dans la pénalité humaine, cela se sent de soi-même; c'est, en quelque sorte, la doctrine du sens commun, la doctrine généralement répandue aujourd'hui; les deux éléments sont bien con

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nus. Si nous avons fait quelque chose pour cette théorie, c'est de déterminer d'une manière précise le rôle de chacun des éléments qui la constituent; c'est, pour continuer une comparaison déjà employée par nous, d'avoir montré exactement dans quelle proportion et de quelle manière ces deux éléments se combinent pour former ce produit composé que l'on nomme le droit social de punir.

CHAPITRE III.

BUT DU DROIT PÉNAL ET DES PEINES.

190. Puisque ce n'est qu'à cause et dans la limite de son droit de conservation et de bien-être que la société est autorisée à s'immiscer dans la punition des actes injustes, il est clair qu'elle ne doit punir qu'afin de pourvoir à cette conservation et à ce bienêtre c'est-à-dire que le but du droit pénal, dans son expression la plus générale, n'est autre chose que la conservation et le bienêtre social.

Mais toutes les institutions sociales, celles relatives à l'agriculture, aux manufactures, aux travaux publics, à la marine, aux finances, à l'armée, toutes, en un mot, ont ce même but, et nous n'avons dit qu'une généralité. Le droit pénal, puisqu'il ne peut être dirigé que contre les actes qui sont en eux-mêmes une violation du droit, a pour but plus particulier de concourir à la conservation et au bien-être social en tendant à procurer l'observation du droit dans la société.

Mais il y a bien d'autres institutions qui doivent contribuer à procurer l'observation du droit dans la société : l'instruction et l'éducation morales, la diffusion des moyens de travail et d'existence honnêtes, les mesures de bon ordre et de surveillance, la justice civile concourent toutes à ce but; de quelle manière distinctive le droit pénal est-il appelé à y contribuer? Par l'application d'un mal, dans certains cas, contre celui qui a violé le droit. Concourir à la conservation et au bien-être social, en contribuant à procurer l'observation du droit dans la société, au moyen de l'application d'un mal infligé dans certains cas à celui qui a violé le droit tel est donc le but du droit pénal dans toute spécialité. La pénalité intervient quand la violation du droit a eu lieu. C'est un dernier et malheureux remède. C'est un mal à la suite d'un mal, mais dans la vue d'un bien à produire.

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191. Avoir ainsi marqué avec exactitude le but distinct du droit pénal, c'est quelque chose, et toutefois si nous nous en tenions là nous resterions encore dans une généralité presque improductive. Pour arriver à la précision désirable, à des conséquences de dé

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