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ractère, la mesure et la limite des délits pour la pénalité humaine sont renfermés dans ces deux conditions.

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Deuxième conséquence. « Quel doit être le caractère de la peine?» Il s'est trouvé quelques esprits, j'allais écrire quelques rêveurs, suivant lesquels la peine ne devrait être qu'une mesure bienfaisante, dépouillée de toute affliction contre le coupable. La théorie de la pénalité humaine, avec sa double base du juste et de l'utile, répond que le pouvoir social ne peut pas être employé ainsi à renverser lui-même la règle morale, à faire que le mal soit rémunéré par le bien et que le moyen d'attirer à soi l'intérêt de la société soit de commettre des délits. D'accord avec la théorie de la justice absolue, elle nous dit que la peine doit être avant tout et toujours un mal, une affliction contre le coupable; mais elle ajoute, un mal, une affliction appropriés à la fois à la justice, et le mieux possible aux nécessités de la conservation et du bien-être social.

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Troisième conséquence. « Enfin, quelle doit être la mesure ou la limite de la peine?» Tandis que la théorie de la justice absolue n'en admet qu'une, la mesure exacte et rigoureuse du juste, ni plus ni moins, équation qu'il est hors du pouvoir humain de réaliser; tandis que la théorie de la conservation n'en donne qu'une aussi, mais différente, celle de l'intérêt social, ne prenant pour limite que cet intérêt: la théorie véritable de la pénalité humaine repousse l'une et l'autre de ces solutions. Le pouvoir social ne peut jamais punir un délit plus que ne le comporte la justice: vainement une quantité plus forte de peine semblerait-elle nécessaire pour la conservation sociale, la société n'a pas le droit de chercher à se conserver au préjudice du droit d'autrui. Le pouvoir social ne peut pas non plus punir un délit plus que ne l'exigent les nécessités de la conservation ou du bien-être social. Vainement la justice absolue demanderait-elle une peine plus forte, la société n'a plus le droit de se mêler du châtiment du moment que son intérêt de conservation ou de bien-être cesse d'y être engagé. Ainsi la pénalité humaine a, quant à la mesure des peines, deux limites: celle du juste et celle de l'utile; elle ne peut dépasser ni l'une ni l'autre jamais plus qu'il n'est juste et jamais plus qu'il n'est utile; à la moins élevée de ces deux limites le droit de punir pour la société s'arrête.

Combien d'obscurités ultérieures qui disparaîtront à la clarté de ces principes!

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206. Il est cependant une objection finale et portant sur tout ce qui précède cette notion et cette limite du juste, cette notion et cette limite de l'utile, nécessaires toutes les deux pour déterminer dans la pénalité humaine les actes punissables et la mesure de la peine, où les prendre, où les mesurer elles-mêmes? Ne sont-ce pas des idées vagues, susceptibles d'arbitraire au gré de chacun, de telle sorte qu'en paraissant donner une solution, on n'en donne pas vé

ritablement de précise? J'avoue qu'il n'y a pas d'instrument physique pour reconnaître et pour mesurer le juste non plus que l'utile, comme on mesure la longueur ou la pesanteur d'un corps. Abstractions métaphysiques déduites de rapports divers et de lois ou nécessités différentes dans la création, c'est à la raison humaine à les concevoir et à les apprécier, et la raison le fait avec plus ou moins d'exactitude suivant qu'elle est plus ou moins puissante, plus ou moins éclairée. Mais ce que je puis affirmer, c'est que la notion et la mesure du juste, quoi qu'il y paraisse, sont bien plus faciles à avoir et à arrêter que la notion et la mesure de l'utile. Faites discuter une grande assemblée sur l'utile, ils ne s'entendront pas; faites-la discuter sur le juste, la plupart du temps et comme d'instinct ils seront d'accord.

207. Enfin, en apprenant dans le troisième problème à déterminer le but des peines, c'est-à-dire les divers résultats utiles qu'il faut chercher à produire par la punition, on apprend à pouvoir faire en connaissance de cause le choix des peines bonnes à employer. Comment choisir la voie si l'on ne sait pas à quel but il faut arriver? comment choisir le moyen si l'on ne sait pas quel effet il importe de produire? Il y a bien des douleurs, bien des maux par lesquels il serait possible d'affliger l'homme; l'homme. est vulnérable par mille points: le législateur doit choisir pour les ériger en peines publiques des genres d'affliction qui, tout en se maintenant dans la limite du juste, soient susceptibles de produire à la fois, autant qu'il est permis de l'espérer, la correction morale toutes les fois qu'elle est nécessaire et possible, et l'exemple. Il doit organiser le mal qui constitue la peine dans un ensemble de mesures telles qu'elles conduisent à ces deux résultats. 208. En somme, la détermination de l'origine historique des peines montre le développement graduel des mœurs et des institutions humaines sur ce point, et donne la leçon de l'histoire. Celle des bases sur lesquelles repose légitimement le droit pour la société de punir, sert à fixer la nature et la limite des actes punissables; la nature, et la limite ou en d'autres termes la quantité de la peine. Celle du but sert à fixer la qualité, ou, en d'autres termes, à faire le choix des peines bonnes à employer.

Je pose en fait que c'est faute de solutions nettes et fermes sur ces trois problèmes que les divers systèmes, les divers codes de pénalité ont été si imparfaits jusqu'à ce jour, et si loin de donner les résultats nécessaires à la société.

CHAPITRE V.

THÉORIES SUIVIES PAR LES LÉGISLATIONS POSITIVES.

209. Les législations positives, jusqu'à ce jour, se sont préoccupées fort peu de la théorie fondamentale. Si l'on en consulte les préambules, si l'on en confronte les textes, on n'y découvre aucun système arrêté à cet égard, les dispositions paraissant se rattacher, au hasard, dans le même code, tantôt à l'une et tantôt à l'autre des théories les plus opposées.

Toutefois, généralement et par instinct, ces législations positives, dans la plupart des cas, sont utilitaires. Le législateur ne met pas en question le droit social de punir; il n'en recherche par conséquent ni les conditions ni les limites: il voit le danger ou le préjudice public, et il frappe, par le motif principal que cela lui parait nécessaire ou utile.

210. Le but lui-même du droit pénal et des peines, qui cependant se rattache au principe de l'utilité, n'a jamais été déterminé exactement dans l'esprit du législateur; aucun code de pénalité ne présente un régime de peines organisées de manière à pouvoir produire les effets qu'elles devraient produire. On peut dire, quoiqu'il puisse paraître au premier abord y avoir en cela quelque exagération, que, dans les institutions pénales positives, le but a été manqué parce qu'il n'a pas même été aperçu. Le seul point qu'on y ait eu réellement en vue est celui pour lequel il ne faut aucune science et qu'il est si facile d'atteindre par tant de voies, l'intimidation. Il a semblé que, du moment qu'il y avait un mal, une affliction plus ou moins considérable dans la peine, cela suffisait. Sans doute le mot de correction est depuis longtemps usité; sans doute depuis longtemps, aux siècles passés comme au siècle actuel, on a assigné à la peine divers desseins, au nombre desquels on a placé celui de corriger le coupable. « Pona constituitur in emendationem hominum, " a dit un fragment de Paul an Digeste (1), et cette proposition, placée ainsi dans les textes du droit romain, est devenue un adage que les criminalistes pratiques de notre ancienne jurisprudence ne manquent pas eux-mêmes de répéter. Mais tout cela n'a été que nominal et sans résultat effectif dans les institutions. On a même dénaturé le sens de ces mots, corriger, correction, auxquels aucune portée morale n'a été attribuée, ou qui en sont arrivés à désigner uniquement les cas de peines légères (2), sans jamais susciter dans l'esprit du législateur

(1) DIG., liv. 48, tit. 19, De pænis, 20, Fr. Paul.

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(2) La troisième (vue), qui ne convient qu'aux trois premières sortes de peines (autres que la mort), est celle de la correction des criminels: car encore que quelques

l'idée d'organiser la pénalité de manière à travailler effectivement et avec suite à l'amélioration morale du condamné. On a placé uniquement la correction dans l'application du mal qui constitue la peine; c'est-à-dire qu'on a confondu cet effet de correction dans celui même de répression, et, qu'employant deux mots distincts, on n'a eu véritablement qu'une idée.

211. Il nous serait facile de justifier ces assertions en parcourant les diverses législations pénales, depuis celles qui ont précédé notre révolution de 89 ou qui l'ont suivie; jusqu'aux codes de pénalité les plus récents, décrétés dans les divers Etats de l'Europe. 212. Notre Code pénal de 1810 n'a pas eu plus que les autres de principe déterminé, d'idée mère sur laquelle il ait été assis. Bien que, sans aucun doute, le sentiment du juste et celui de l'utile s'y rencontrent l'un et l'autre, le législateur ne s'y est pas rendu compte avec netteté de la manière dont ces deux principes doivent s'allier et se combiner dans la loi positive. Le Code vacille entre les instincts tantôt de l'utilité matérielle, tantôt de la justice purement spiritualiste d'où résultent plus d'une fois, entre ses dispositions, des disparates qu'un œil exercé reconnaît, des contradictions qui font souffrir les esprits logiques. Quelques vestiges de pénalités appartenant à l'ancien système de la vengeance publique y sont restés. Quant au but des peines, celui qui concerne la correction morale n'y est pas même entrevu, et jusqu'à l'expression de peine correctionnelle s'y trouve faussée.

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213. La révision de 1832, en faisant disparaître dans les détails. plusieurs défectuosités de ce code, n'y a pas apporté de système plus exact et plus entier. Ce n'est pas un système que de dire Il faut abaisser!» comme on le disait lors de la révision de 1832; non plus que de dire: «Il faut relever la rigueur des peines ! comme on l'a dit lors de la confection du Code de 1810, par comparaison avec les lois pénales de la Constituante : c'est passer du haut au bas, et réciproquement,

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214. Cependant il serait injuste de méconnaître qu'en ce qui concerne la détermination des délits et la mesure de la punition, la science a vulgarisé des idées plus saines que celles qui avaient cours autrefois; que plusieurs de ces idées ont passé en dispositions effectives dans les législations positives, et que sur un grand nombre de points les principes rationnels se trouvent satisfaits. Mais ce ne sont là que des progrès partiels, et, sous le rapport

unes de ces peines aient une sévérité qui passe les bornes de la correction, elles ren-
ferment toutes l'effet d'une correction qui oblige les accusez à s'attendre à de plus grandes
peines s'ils tombent dans de nouveaux crimes, (DOMAT, Le Droit public, continué par
D'HÉRICOURT, liv. ni.)
Le premier objet des lois, en établissant ces peines, et qui
regarde tous les criminels en général, à la réserve de ceux qui sont condamnés au
dernier supplice, est de corriger les coupables que l'on punit, afin qu'ils s'attendent
à de nouvelles peines s'ils retombent dans de nouveaux crimes, » (Joussé, Traité de la
justice criminelle, préface, page 11.)

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dont nous traitons en ce moment, celui de la théorie fondamentale des lois répressives, il reste vrai de dire qu'aucun code n'a encore été construit dans tout son ensemble avec unité, avec fermeté, sur la donnée fixe et précise du droit social de punir, des conditions d'existence et des limites véritables de ce droit.

215. Il serait pareillement injuste de méconnaître qu'en ce qui concerne le but des peines, la correction morale a été signalée en notre temps (elle l'a été même aux dépens de la répression par les esprits qui ne savent voir qu'un côté des choses et qui sont toujours prêts à se laisser emporter à l'exagération); qu'elle est entrée en vogue; que les gouvernements s'en sont préoccupés, qu'ils en ont fait l'objet d'études et d'essais continus; que certains codes modernes, celui de Sardaigne, par exemple, sont déclarés l'avoir prise pour but (1), et qu'en réalité de grandes améliorations pratiques se sont produites, surtout dans l'exécution des peines privatives de liberté et dans l'établissement de diverses institutions accessoires qui s'y ratiachent. Et néanmoins, examinez les divers codes de pénalité dans le choix et dans l'ordonnancement des peines qui s'y trouvent décrétées, nous nous croyons toujours en droit de dire qu'aucun d'eux n'a encore été construit non plus sur la donnée fixe et précise des divers buts vers lesquels la peine doit être dirigée, et du véritable degré d'importance qu'il faut attacher à chacun de ces buts.

216. Il est facile à la théorie, en supposant la vérité, la loi rationnelle découverte par elle et indubitablement démontrée, d'en déduire le précepte et de signaler ce qu'il y a à faire; mais, quant à la pratique, les difficultés de l'exécution et les mille conditions nécessaires pour parvenir à cette exécution se présentent il y faut du temps, des ressources et des essais qui ne réussissent pas du premier coup. D'un autre côté, on est facilement enclin dans la théorie à proposer de jeter à bas pour reconstruire sur un nouveau plan, parce que l'esprit y souffre des incohérences et du défaut d'harmonie résultant des pièces de rapport; mais, dans la pratique, on recule devant l'embarras des ruines, et plus volontiers l'on procède par améliorations ou par additions partielles. C'est un peu l'histoire du redressement et de l'élargissement d'une vieille rue: est-il possible de procéder par expropriation, par démolition et par reconstruction générales, d'où l'on verra sortir tout d'un coup la voie nouvelle avec ses nouveaux édifices, l'esprit est pleinement satisfait; mais combien de fois ne faudra-t-il pas se résigner à marquer pour l'avenir l'alignement, et à attendre que les maisons tombent ou soient rebâties pour les faire rentrer une à une dans cet alignement? Ainsi, en fait de droit pénal positif, la science pousse à la rénovation; mais la rénovation n'est pas encore opérée.

(1) Nous nous sommes aussi attachés... à rendre la punition non-seulement exemplaire, mais propre à opérer l'amendement des coupables. » (Préambule du Code pénal de Sardaigne, de 1839.)

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