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Mais leurs mœurs et leurs lois, et mille autres hasards,
Rendaient leur siècle heureux plus propice aux beaux-arts.
Eh bien! l'âme est partout, la pensée a des ailes :
Volons, volons chez eux retrouver leurs modèles;
Voyageons dans leur âge, où libre, sans détour,
Chaque homme ose être un homme, et penser au grand jour.
Au tribunal de Mars, sur la pourpre romaine,

Là du grand Cicéron la vertueuse haine
Écrase Céthégus, Catilina, Verrès;

Là tonne Démosthène; ici, de Périclès

La voix, l'ardente voix, de tous les cœurs maîtresse,
Frappe, foudroie, agite, épouvante la Grèce.
Allons voir la grandeur et l'éclat de leurs jeux.
Ciel! la mer appelée en un bassin pompeux!
Deux flottes parcourant cette enceinte profonde,
Combattant sous les yeux des conquérans du monde !

1. L'auteur fait allusion ici à la célèbre naumachie qui eut lieu à Rome le jour du second triomphe de César. « Navali prælio, in mi«nore Codettâ defosso lacu, biremes ac triremes quadriremes que « Tyriæ et Ægyptiæ classes, magno pugnatorum numero, conflixe« runt.» Suéton. Julii Cæsaris vitá. Laharpe, dans sa traduction de cet historien romain, avance que tous les commentateurs se sont tourmentés en vain pour trouver la petite Codette, (in minore Codettâ ) et qu'ils n'ont jamais pu découvrir ce que c'était : nous pensons, nous, que ce lac, nommé par les Romains du tems Euripus, n'a pu être creusé que dans les environs d'Ostie, campagne de Rome, et bâtie par Ancus Martius à l'embouchure du Tibre, l'an 627 avant J.-C. Suétone rapporte plus loin que César voulait élever à Mars un temple plus vaste qu'aucun temple du monde, en comblant le lac où il avait donné ce spectacle naval. (Note de l'Éditeur.)

O terre de Pélops! avec le monde entier
Allons voir d'Épidaure un agile coursier
Couronné dans les champs de Némée et d'Élide 1!
Allons voir au théâtre, aux accens d'Euripide,
D'une sainte folie un peuple furieux

Chanter: Amour, tyran des hommes et des dieux!
Puis, ivres des transports qui nous viennent surprendre,
Parmi nous, dans nos vers, revenons les répandre;
Changeons en notre miel leurs plus antiques fleurs;
Pour peindre notre idée, empruntons leurs couleurs;
Allumons nos flambeaux à leurs feux poétiques;
Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques!

Direz-vous qu'un objet né sur leur Hélicon
A seul de nous charmer pu recevoir le don?
Que leurs fables, leurs dieux, ces mensonges futiles,
Des Muses noble ouvrage, aux Muses sont utiles?
Que nos travaux savans, nos calculs studieux,
Qui subjuguent l'esprit et répugnent aux yeux,
Que l'on croit malgré soi, sont pénibles, austères,
Et moins grands, moins pompeux que leurs belles chimères?
Voilà ce que traités, préfaces, longs discours,
Prose, rime, partout nous disent tous les jours.
Mais enfin, dites-moi, si d'une œuvre immortelle

1. Voyez, dans le tome III du Voyage du jeune Anacharsis, chap. xxxvIII, la description des jeux olympiques en Élide. Les jeux célébrés à Némée sont absolument les mêmes. (Note de l'Éd.)

La Nature est en nous la source et le modèle,
Pouvez-vous le penser que tout cet univers,
Et cet ordre éternel, ces mouvemens divers,
L'immense vérité, la Nature elle-même,

Soit moins grande en effet que ce brillant systême
Qu'ils nommaient la Nature, et dont d'heureux efforts
Disposaient avec art les fragiles ressorts?
Mais quoi! ces vérités sont au loin reculées,
Dans un langage obscur saintement recélées;
Le peuple les ignore. O Muses, ô Phébus!
C'est là, c'est là sans doute un aiguillon de plus.
L'auguste Poésie, éclatante interprète,

Se couvrira de gloire en forçant leur retraite.
Cette reine des cœurs, à la touchante voix,

A le droit, en tous lieux, de nous dicter son choix,
Sûre de voir partout, introduite par elle,
Applaudir à grands cris une beauté nouvelle,
Et les objets nouveaux que sa voix a tentés
Partout de bouche en bouche après elle chantés.
Elle porte, à travers leurs nuages plus sombres,
Des rayons lumineux qui dissipent leurs ombres;
Et rit quand, dans son vide, un auteur oppressé
Se plaint qu'on a tout dit et que tout est pensé.
Seule, et la lyre en main, et de fleurs couronnée,
De doux ravissemens partout accompagnée,
Aux lieux les plus déserts, ses pas, ses jeunes pas
Trouvent mille trésors qu'on ne soupçonnait pas.
Sur l'aride buisson que son regard se pose:

Le buisson à ses yeux rit, et jette une rose.
Elle sait ne point voir, dans son juste dédain,
Les fleurs qui trop souvent, courant de main en main,
Ont perdu tout l'éclat de leurs fraîcheurs vermeilles;
Elle sait même encore, ô charmantes merveilles!
Sous ses doigts délicats réparer et cueillir
Celles qu'une autre main n'avait su que flétrir.
Elle seule connaît ces extases choisies,

D'un esprit tout de feu mobiles fantaisies,
Ces rêves d'un moment, belles illusions,
D'un monde imaginaire aimables visions,
Qui ne frappent jamais, trop subtile lumière,
Des terrestres esprits l'œil épais et vulgaire;
Seule, de mots heureux, faciles, transparens,
Elle sait revêtir ces fantômes errans.

Ainsi des hauts sapins de la Finlande humide,
De l'ambre, enfant du ciel, distille l'or fluide;

1. L'auteur veut parler ici de l'ambre jaune, nommé indistinctement succin ou karabé. Rigoureusement parlant, on peut dire que, malgré les recherches nombreuses que les naturalistes ont faites sur la véritable origine de cette substance, on ne s'est encore rien procuré de positif. On sait seulement qu'elle abonde sur les rives de la mer Baltique. Toutefois, la plupart de nos savans modernes s'accordent à la placer dans la classe des minéraux.

« Le succin était très-estimé des anciens. Il n'est même pas de production dans la nature sur laquelle l'imagination des poètes se soit autant exercée pour illustrer son origine. Sophocle avait dit qu'il était formé dans l'Inde par les larmes des sœurs de Méléagre, changées en oiseaux, et pleurant la mort de leur frère. Pline n'a pas

Et sa chute souvent rencontre dans les airs

Quelque insecte volant, qu'il porte au fond des mers.
De la Baltique enfin les vagues orageuses
Roulent et vont jeter ces larmes précieuses
Où la fière Vistule, en de nobles coteaux,
Et le froid Niémen expirent dans ses eaux.
Là les arts vont cueillir cette merveille utile,
Tombe odorante, où vit l'insecte volatile;

dédaigné de rapporter toutes ces fables, et de les mêler à des traditions qui, pour être moins merveilleuses, ne lui paraissent pas à la vérité plus dignes de foi. Ce célèbre naturaliste regardait comme très-certain que le succin ou karabé coule d'un arbre de la famille des pins, comme la gomme coule des cerisiers; qu'il se durcit pendant l'automne, et qu'après avoir été emporté par le vent dans les eaux de l'Océan il est ensuite repoussé sur le rivage.

(Encyclopédie. Chimie, t. I, p. 69 et suiv.)

On voit clairement que cette théorie, admissible à quelques égards, est précisément celle qu'André Chénier a cru devoir adopter dans son poëme; et nous ne répondrions pas que Martial luimême n'ait pas contribué beaucoup à le décider par les diverses descriptions qu'il a données du succin dans son recueil de Poésies. Nous nous contenterons de citer l'épigramme suivante, où il est question du phénomène qu'André Chénier a rendu dans ses vers d'une manière si poétique et si gracieuse.

DE FORMICA ELECTRO INCLUSA.

Dùm phaetonteâ formica vagatur in umbrâ,
Implicuit tenuem succina gutta feram.
Sic modo quæ fuerat vitâ contempta manente
Funeribus facta est nunc pretiosa suis.

Epigram. XV, lib. VI.
(Note de l'Éditeur.)

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