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L'aiguillonne et le tue; et qu'il expire enfin.

« Si, comme je le crois, belle dès ton enfance, « C'est le Dieu de ces eaux qui t'a donné naissance, << Nymphe, souvent les vœux des malheureux humains « Ouvrent des Immortels les bienfaisantes mains;

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« Ou si c'est quelque front porteur d'une couronne
Qui te nomme sa fille, et te destine au trône,
<< Souviens-toi, jeune enfant, que le Ciel quelquefois
Venge les opprimés sur la tête des rois.

« Belle Vierge, sans doute enfant d'une Déesse,
<«< Crains de laisser périr l'étranger en détresse:
L'étranger qui supplie est envoyé des Dieux. »
Elle reste. A le voir elle enhardit ses yeux;
et, d'une voix encore

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Tremblante: «< Ami, le Ciel écoute qui l'implore. « Ce soir, lorsque la nuit couvrira l'horizon, << Passe le pont mobile, entre dans la maison: « J'aurai soin qu'on te laisse entrer sans méfiance. « Pour la dixième fois célébrant ma naissance, « Mon père doit donner une fête aujourd'hui ; << Il m'aime : il n'a que moi. Viens t'adresser à lui: « C'est le riche Lycus. Viens ce soir; il est tendre, <<< Il est humain : il pleure aux pleurs qu'il voit répandre.»> Elle dit, et s'arrête, et, le cœur palpitant, S'enfuit; car l'Étranger, sur elle, en l'écoutant,'' Fixait de ses yeux creux l'attention avide. Elle rentre, cherchant dans le palais splendide L'esclave près de qui toujours ses jeunes ans

Trouvent un doux accueil et des soins complaisans.

Cette sage Affranchie avait nourri sa mère; Maintenant, sous des lois de vigilance austère, Elle et son vieil époux au devoir rigoureux Rangent des serviteurs le cortége nombreux. L'Enfant la voit de loin dans le fond du portique, Court, et, posant ses mains sur ce visage antique : << Indulgente Nourrice, écoute: il faut de toi

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Que j'obtienne un grand bien. Ma mère, écoute-moi: <«< Un pauvre, un étranger, dans la misère extrême, << Gémit sur l'autre bord, mourant, affamé, blême. « Ne me décèle point : de mon père aujourd'hui « J'ai promis qu'il pourrait solliciter l'appui.

« Fais qu'il entre; et surtout, ô mère de ma mère, « Garde nul mortel n'insulte à sa misère.

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que

Oui, ma fille : chacun fera ce que tu veux, Dit l'esclave, en baisant son front et ses cheveux; « Oui; qu'à ton protégé ta fête soit ouverte. <«< Ta mère, mon élève, (irréparable perte!) <«< Aimait à soulager les faibles abattus : « Tu lui ressembleras autant par tes vertus Que par tes yeux si doux, et tes graces naïves. >>

Mais cependant la nuit assemble les convives:
En habits somptueux d'essences parfumés,
Ils entrent. Aux lambris, d'ivoire et d'or semés,,
Pend le lin d'Ionie en brillantes courtines;

OEuvres posthumes.

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Le toit s'égaie, et rit de mille odeurs divines.
La table au loin circule, et d'apprêts savoureux
Se charge; l'encens vole en longs flots vaporeux.
Sur leurs bases d'argent, des formes animées
Élèvent dans leurs mains des torches enflammées;
Les figures, l'onyx, le cristal, les métaux,
En vases hérissés d'hommes ou d'animaux,
Partout sur les buffets, sur la table étincèlent;
Plus d'une lyre est prête; et partout s'amoncèlent
Et les rameaux de myrte et les bouquets de fleurs.
On s'étend sur les lits, teints de mille couleurs.
Près de Lycus, sa fille, idole de la fête,

Est admise. La rose a couronné sa tête;

Mais, pour que la décence impose un juste frein,
Lui-même est par eux tous élu Roi du festin;

Et déja vins, chansons, joie, entretiens sans nombre,
Lorsque, la double porte ouverte, un spectre sombre
Entre, cherchant des l'autel hospitalier.
yeux

La jeune enfant rougit. Il court vers le foyer,
Il embrasse l'autel, s'assied parmi la cendre;
Et tous, l'œil étonné, se taisent pour l'entendre.

« Lycus, fils d'Événon, que les Dieux et le Tems << N'osent jamais troubler tes destins éclatans! « Ta pourpre, tes trésors, ton front noble et tranquille << Semblent d'un roi puissant, l'idole de sa ville. <«< A ton riche banquet un peuple convié

<< T'honore comme un dieu de l'Olympe envoyé.

«Regarde un étranger qui meurt dans la poussière, <«< Si tu ne tends vers lui ta main hospitalière.

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« Inconnu, j'ai franchi le seuil de ton palais :

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Trop de pudeur peut nuire à qui vit de bienfaits.

Lycus, par Jupiter, par ta fille innocente,

Qui m'a seule indiqué ta porte bienfaisante!

« Je fus riche autrefois : mon banquet opulent «N'a jamais repoussé l'étranger suppliant;

«Et pourtant aujourd'hui la faim est mon partage: <«<La faim qui flétrit l'âme autant que le visage, <«< Par qui l'homme souvent, importun, odieux, << Est contraint de rougir et de baisser les yeux.

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- Étranger, tu dis vrai: le hasard téméraire «Des bons ou des méchans fait le destin prospère; <«< Mais sois mon hôte: ici l'on hait plus que l'enfer << Le public ennemi, le riche au cœur de fer, «Enfant de Némésis, dont le dédain barbare « Aux besoins des mortels ferme son cœur áváre. «Je rends grâce à l'enfant qui t'a conduit ici. «Ma fille, c'est bien fait; poursuis toujours ainsi :

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Respecter l'indigence est un devoir suprême.

<< Souvent les Immortels (et Jupiter lui-même)

<<< Sous des haillons poudreux, de seuil en seuil traînés, <<< Viennent tenter le cœur des humains fortunés. >>

D'accueil et de faveur un murmure s'élève.
Lycus court au vieillard, tend la main, le relève :

«< Salut, père étranger! et que puissent tes vœux <«< Trouver le Ciel propice à tout ce que tu veux! << Mon hôte, lève-toi. Tu parais noble et sage; <«< Mais cesse avec ta main de cacher ton visage: << Souvent marchent ensemble Indigence et Vertu; <«< Souvent d'un vil manteau le sage revêtu,

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Seul, vit avec les Dieux et brave un sort inique. « Couvert de chauds tissus, à l'ombre du portique, << Sur de molles toisons, en un calme sommeil, « Tu peux ici, dans l'ombre, attendre le soleil. « Je te ferai revoir tes foyers, ta patrie,

<< Tes parens, si les Dieux ont épargné leur vie: << Car tout mortel errant nourrit un long amour « D'aller revoir le sol qui lui donna le jour. « Mon hôte, tu franchis le seuil de ma famille «< A l'heure qui jadis a vu naître ma fille:

<< Salut! Vois: l'on t'apporte et la table et le pain; « Sieds-toi. Tu vas d'abord rassasier ta faim; <«< Puis, si nulle raison ne te force au mystère, « Tu nous diras ton nom, ta patrie et ton père. >>

Il retourne à sa place; et bientôt l'indigent
S'est assis. Sur ses mains, dans l'aiguière d'argent,
Par une jeune esclave une eau pure est versée.
Une table de cèdre, où l'éponge est passée,
S'approche, et vient offrir à son avide main,
Et les fumantes chairs sur les disques d'airain,
Et l'amphore vineuse, et la coupe aux deux anses.

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