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elle n'avait point réussi à modifier l'avis des savants russes. Tout ce que le monde scientifique russe accepta de faire, en réponse aux sollicitations serbes, ce fut de soumettre la question à un nouvel examen.

En 1898 une mission scientifique russe comprenant, entre autres, M. Ouspenski, directeur de l'Institut archéologique russe à Constantinople, M. Milioukoff, l'historien connu, M. Kondakoff, archéologue, fut envoyée en Macédoine.

L'objectif qui nous fut fixé, dit M. Kondakoff, dans un livre où il a consigné ses observations (Kondakoff, La Macédoine, voyage archéologique (en russe). St. Pétersbourg, 1909, p. 292 etc.), était de tâcher d'établir des bases scientifiques, historiques, archéologiques et philologiques susceptibles d'être mises à profit à l'avenir pour la solution de l'importante question politique, soulevée par l'état actuel de la Macédoine dans l'empire ottoman et par la position prise à l'égard de sa constitution ethnique par les pays voisins et les nationalités de la presqu'ile balkanique“. Le résultat de l'enquête entreprise par cette commission de savants russes fut, du premier chef, la constatation que la Macédoine est un pays bulgare.

„Sur tout le territoire. visité par nous, écrit M. Kondakoff, d'Ochrida a Skopié et à Koumanovo, vit un peuple qui dès le IX-e siècle se disait bulgare, que les Grecs appelaient du même nom durant le XI-e siècle et qui s'appelait lui-même ainsi devant les premiers voyageurs européens ayant visité le pays, ainsi que devant notre Grigorovitch".

Le savant russe relevait tous les efforts déployés par les propagandes étrangères pour embrouiller les idées de l'Europe sur la Macédoine. Tout écrivain qui veut écrire sur la Macédoine est assailli par des émissaires qui veulent le tromper. On a fait de la question la plus claire un imbroglio ethnographique. Mais, dit-il, „un simple voyage dans le pays donne la conviction très nette que dans la personne des Slaves macédoniens nous avons un groupe ethnique défini qui adhère nettement et clairement à la nationalité habitant la Bulgarie proprement dite“.

68. En même temps qu'avec la Serbie le gouvernement bulgare avait entamé des pourparlers avec la Grèce. Commencés au mois d'octobre 1911 ces pourparlers aboutirent le 16/29 mai 1912 à la signature d'une convention gréco-bulgare.

L'établissement d'une entente entre la Grèce et la Bulgarie ne fut pas non plus exempt de difficultés. Le grand écueil, c'était, comme avec les Serbes, l'autonomie de la Macédoine: plutôt que d'y consentir, la Grèce menaçait de rompre les négociations. Après de longues discussions entre le président du conseil de Bulgarie M. Guéchoff, et le ministre de Grèce à Sofia, M. Panas, le mot d'autonomie fut écarté; il fut remplacé par une phrase jugée équivalente quant au sens et par laquelle les deux Etats contractants s'engageaient à défendre au profit des populations chrétiennes de la Turquie, „les droits découlant des traités". Dans la pensée du gouvernement bulgare ce texte visait tout spécialement le traité de Berlin, ce traité ayant, dans son article XXIII, promis à la Macédoine un statut organique. (An. 110).

69. L'opposition décidée de la Grèce à l'idée d'une Macédoine autonome ne s'expliquait que trop bien par la faiblesse de l'hellénisme dans cette province.

Depuis le milieu du XIX-e siècle l'hellénisme macédonien n'avait fait que reculer sous la poussée du réveil bulgare. En 1912 il ne se

maintenait que sur le littoral de la mer Egée et dans certains points à l'intérieur où les Grecs constituent, selon l'expession d'Elisée Reclus, des ilôts ethnographiques.

A vrai dire, l'hellénisme n'avait jamais eu en Macédoine une plus vaste étendue. Jusqu'à une date très récente les meilleurs auteurs grecs reconnaissaient que l'intérieur de la Macédoine est habité dans sa majeure partie par une population slave, bulgare de langue et de nom. Ainsi dans un livre sur l'Epire et les régions avoisinantes, publié à Athènes en 1856 57, le savant grec P. Aravantiños (Xpovoypapla tis 'Hreipov tov te ὁμόρων ἑλληνικῶν καὶ Ἰλλυρικῶν χωρῶν, εἰς τόμους δύο, συντεταγμένη б II. A. II. 'Ev A07vaig, 1856-1857.) pour ne citer qu'un exemple entre tant d'autres dit expressément que Stroumitza, Prilep, Monastir, la région de Kavadartzi et même Négouch (Niaousta), qui est située tout près de Salonique, sont peuplées de Bulgares. Si l'hellénisme continuait néanmoins à revendiquer la Macédoine, c'est que, n'attachant aucune portée aux origines et à la langue, il considérait comme Grees tous les Bulgares soumis à la juridiction du Patriarcat grec de Constantinople. Or, depuis que s'était constituée, sous le nom d'Exarchat. une église bulgare séparée, le nombre de ces soi-disant Grecs bulgarophones ou, pour employer un autre terme, Bulgares patriarchistes, diminuait sans cesse. Selon les dernières statistiques du régime ottoman la Macédoine comptait 897,160 Bulgares reconnaissant l'Exarchat: 269,641 Bulgares patriarchistes; le nombre des Grecs n'était que de 190,047.

A la lumière de ces chiffres on voit combien était réduit en 1912 l'hellénisme macédonien. Sous un régime de liberté, les ambitions helléniques ne pouvaient que plus sûrement péricliter. Il est donc inutile d'insister davantage sur les raisons de l'aversion professée par la Grèce contre l'idée d'une autonomie macédonienne. (Voir fac-similé No 5).

70. L'alliance entre la Bulgarie et la Serbie d'une part, la Bulgarie et la Grèce d'autre part la Grèce et la Serbie n'avaient point de traité entre elles avait en vue une guerre contre la Turquie: guerre défensive en principe, mais qui, dans le fait, pouvait surgir également de l'initiative des alliés. A la suite des événements, cette éventualité apparut, vers le milieu de l'été de 1912. comme très prochaine. Aussi le gouvernement bulgare s'empressa-t-il de compléter les accords politiques conclus par des conventions militaires avec la Serbie et la Grèce. Entre temps le gouvernement bulgare établit, toujours aux mêmes fins, un accord verbal avec le Monténegro. (An. 111, 112).

71. Au milieu de septembre 1912 on avait déjà le sentiment d'être à la veille d'une guerre imminente. Le moment était venu pour les alliés balkaniques de se confondre dans une solidarité sacrée. C'est précisément ce moment-là que la Serbie choisit pour porter à l'alliance la première atteinte morale.

Nous fumes profondément surpris, écrit dans son livre sur l'Alliance Balkanique M. Guéchoff, alors président du Conseil de Bulgarie, de recevoir copie d'une dépêche circulaire de M. Pachitch portant le No 5669 et la date de 15/28 septembre. par laquelle, cinq mois et demi après la signature du traité serbo-bulgare, la Serbie donnait à ses représentants à l'étranger des renseignements radicalement erronés sur l'entente intervenue entre les Serbes et nous au sujet du sort de la Macédoine. Parlant de la proposition de décentralisation en Turquie d'Europe faite par le comte Berchtold, M. Pachitch recommandait aux diplomates et consuls

serbes à l'étranger de travailler à l'introduction de réformes en Vieille Serbie et à la délimitation de cette contrée dont il indiquait les confins:

„La frontière géographique de ce territoire doit être la suivante: elle commence à Pateritza, sur la frontière turco-bulgare, descend au sud vers la ligne de partage des eaux du Vardar et va de là vers Babouna, en suivant une ligne qui laisse en Vieille Serbie les villes de Prilep, Kitchévo et Ochrida avec leurs environs".

„Ainsi donc, s'écrie M. Guéchoff, le 29 février (13 mars) 1912 M. Milovanovitch conclut avec nous un traité aux termes duquel Prilep et Ochrida sont compris dans la zone reconnue incontestablement bulgare et, le 15/28 septembre, M. Pachitch incorpore ces deux villes et leurs environs dans les limites de la Vieille Serbie! Cette manière d'agir produisit sur nous une impression de stupéfaction et nous adressâmes immédiatement, à Belgrade, une protestation énergique".

72. L'impression fàcheuse produite par cette première incorrection de le Serbie se perdit aussitôt dans l'émotion des événements survenus aussitôt après.

En effet, les choses prirent brusquement un cours précipité. Le 17/30 septembre 1912, à la suite des nouvelles alarmantes sur une concentration turque à Andrinople, la Bulgarie mobilisait toutes ses forces. La Serbie et la Grèce décrétaient de leur côté aussi la mobilisation générale. Le 26 septembre (9 octobre) le Monténégro commençait les hostilités contre la Turquie. Le 4/17 octobre, en réponse à une note identique transmise par les gouvernements alliés, la Porte leur déclarait la guerre.

73. On connait la rapidité foudroyante avec laquelle les opérations se déroulèrent en Thrace. Le 22 octobre, dans le premier grand choc de Séliolou, l'armée bulgare mit en déroute une partie des troupes turques. Le même jour tombait la forteresse de Kirk-Klissé. Le 29 octobre la forteresse d'Andrinople était, avec l'aide de deux divisions serbes, complètement investie. Le 3 novembre les forces principales turques étaient défaites dans la bataille de Lulé-Bourgas. Le 15 novembre l'armée bulgare était devant les lignes de Tchataldja, ultime défense de Constantinople.

Pendant que le gros de l'armée bulgare opérait en Thrace, deux divisions bulgares se dirigeaient vers le sud, la 2-e et la 7-e. Le 30 octobre la 2-e division s'emparait de Bouk, sur la ligne Dédé-Agatch-Salonique. De son côté, la 7-e division, après avoir remporté une victoire à Kotchani, poursuivit les Turcs dans leur retraite et arriva le 6 novembre devant Salonique.

74. Les armées serbes et grecques avaient, de leur côté, poursuivi très brillamment leur objectif stratégique.

Le 24 octobre les Serbes obtenaient un succès éclatant à Koumanovo. Le 17 novembre, après une poursuite énergique, ils défaisaient de nouveau les Turcs devant Monastir.

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La tâche de l'armée grecque était comparativement plus facile: celle-ci avait en face d'elle des forces peu considérables. Les effectifs turcs, en face de la frontière thessalienne, ne sont pas exactement connues, écrivait un auteur militaire français, M. le lieutenant-colonel Boucabeille. (La Guerre turco-balkanique, 4-e édition, Paris. 1913). Cependant on peut accepter qu'il y a en Epire de dix à quinze mille hommes et, dans la région de Koziani, de quinze à vingt mille hommes seulement, opposés aux divisions grecques".

Les forces turques n'essayèrent d'opposer à l'avance hellénique quelque résistance que devant Yenidjé-Vardar, 1-2 novembre. Elles s'y firent

battre complètement. Sur ces entrefaites, la 7-e division bulgare etait, en combattant, arrivée devant Salonique; mais, quoique les Grecs fussent encore à une journée de marche de cette ville, c'est à eux que Tahsin pacha la livra par une capitulation signée avec le diadoque.

75. Le 3 décembre un armistice fut conclu à Tchataldja entre la Turquie et les alliés balkaniques à l'exception de la Grèce dont la Hotte continua à surveiller l'Archipel. Le 3/16 décembre 1912 furent engagées à Londres des négociations en vue d'une paix préliminaire. Ces négociations étaient à la veille d'aboutir, lorsque un coup d'Etat, survenu à Constantinople et qui eut pour conséquence de remplacer le grand-vizir Kiami pacha par un cabinet du comité jeune-turc, remit tout en question. Le 3 février les hostilités furent reprises.

76. Les opérations recommencèrent dans les conditions qui n'étaient pas les mêmes pour tous les alliés. Si on excepte le siège de Janina où une faible garnison turque s'était enfermée, et le siège d'Andrinople auquel continuaient à prendre part les deux divisions serbes mentionnées, pour la Grèce et la Serbie la guerre était de fait terminée. En vertu du plan d'opérations dicté par la situation géographique respective des alliés, les troupes grecques et serbes avaient opéré principalement en Macédoine: c'est là qu'elles fixèrent leurs quartiers d'hiver. Elles y menèrent une vie de garnison agréable, logées dans les villes et pourvues de tout.

Tout autre était la situation de l'armée bulgare. Au cours des batailles sanglantes livrées en Thrace, elle avait subi des pertes très élevées. A Tchataldja, ce fut le choléra. Puis, la vie morne et douloureuse dans des tranchées pleines de boue, sous la neige et la pluie. Les grandes distances rendaient difficile le ravitaillement. Le manque de médecins laissait sévir les maladies.

A ces soldats, que soutenaient seuls le patriotisme et la discipline. une très lourde tâche était échue; ils devaient contenir, sans aucun secours des alliés, le flot de l'armée turque, réorganisée durant l'armistice et sans cesse accrue par les réserves, amenées en hate de la Turquie d'Asie.

77. C'est avec un élan, malgré tout non affaibli, que l'armée bulgare reprit les opérations. Le 26 janvier (8 février) elle battit à Boulair (aux Dardanelles) une armée turque de plus de 60.000 hommes. Dans le même temps, sur la ligne de Tchataldja, de violents combats se produisirent, tous terminés au désavantage des Turcs.

C'est au corps des volontaires bulgares de la Macédoine qu'incomba, durant cette seconde période de la guerre contre la Turquie, le rôle le plus brillant.

L'émigration macédonienne en Bulgarie avait fourni à l'armée régulière bulgare un grand nombre de soldats et d'officiers. En dehors de cela elle avait formé un corps de volontaires qui compta d'abord douze, ensuite quinze bataillons.

Les volontaires bulgares de la Macédoine avaient été, au début de la guerre, dirigés sur la Thrace occidentale où était signalée la présence d'un corps d'armée turc commandé par Yaver pacha. Dans deux combats heureux le 17 novembre à Mortanli, le 21 novembre à BalkanToressi ils défirent Yaver pacha; le 23 novembre, ils touchaient à la mer Egée. Cinq jours plus tard, le 28 novembre, ils acculaient le corps d'armée turc à la Maritza, devenue infranchissable à la suite d'une crue extraordinaire, et forçaient Yaver pacha à capituler entre leurs mains avec 16,000 soldats et 346 officiers.

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Après l'armistice les volontaires bulgares de Macédoine furent concentrés sur le littoral de la mer de Marmara, entre Rodosto et Ganos. A la reprise des hostilités ils infligèrent de nouvelles défaites aux Turcs à Merefté et à Char-Keuy.

C'est le 5 février que les volontaires macédoniens entrèrent à CharKeuy. Trois jours plus tard, le 8 février, les Turcs réapparaissaient brusquement devant cette ville avec 40 transports et six bateaux de guerre à la tête d'un corps d'armée d'élite. Khourschid pacha, ayant pour chef d'état-major Enver bey, venait faire un débarquement sur la côte dans le but d'apparaitre sur l'arrière des troupes bulgares qui, le même jour, étaient engagées dans une bataille décisive devant Boulaïr. Lors du débarquement des Tures Char-Keuy était gardée par deux bataillons de volontaires bulgares de Macédoine, le 2-e bataillon de Skopié et le 3-e bataillon de Monastir. Le combat, engagé dès les premières heures du matin, dura jusqu'à la tombée de la nuit. Enfin, sous la protection des grosses pièces de la flotte, les troupes de Kourschid pacha prirent pied dans la ville.

Le débarquement à Char-Keuy avait, à cause des suites stratégiques qu'il pouvait entrainer, produit une vive émotion en Bulgarie. Vers ce point du littoral de la mer de Marmara étaient, à ce moment là, tournés les yeux de toute la nation. Les volontaires macédoniens réalisaient pleinement l'espoir que la Bulgarie avait mis en eux. Le 7 février ils attaquèrent furieusement les Turcs et, après leur avoir infligé des pertes énormes, les forcèrent à se rembarquer.

Cette brillante victoire des volontaires macédoniens eut dans les pays bulgares un retentissement extraordinaire et ajouta un nouvel anneau a la chaîne qui, à travers tant de siècles, lie la Macédoine à la Bulgarie. Malgré l'échec de son offensive, le gouvernement ture continuait à observer, au sujet de la paix, une attitude intransigeante. Il fallait, pour háter le dénouement. diplomatique, lui porter un coup plus sensible: c'est alors que fut décidée l'attaque de la forteresse d'Andrinople. Laissant aux deux divisions serbes sur le secteur de l'ouest un rôle de démonstration, qui fut brillamment rempli, le haut commandement bulgare fit attaquer par ses divisions les forts de l'est. Après une mêlée extrêmement acharnée, Andrinople tomba le matin du 26 mars. La garnison turque y fut faite prisonnière avec 80.000 soldats et plus de 650 canons.

Un officier supérieur du génie français, le colonel Piarron de Mondésir (promu depuis général), envoyé pour étudier au point de vue technique les circonstances du siège d'Andrinople, arrivait dans cette ville trois semaines après la chute de la place et y restait vingt jours. Il publia ses observations dans un ouvrage remarquable comme documentation et impartialité.

La chute de la place y est ainsi présentée au lecteur: Le 26 mars 1913, dit l'auteur dans la préface de son livre, au lever du soleil, le drapeau bulgare flottait sur les principaux forts de l'Est d'Andrinople. Les Bulgares avaient rompu de haute lutte la ceinture fortifiée dont s'enorgueillissait la plus vieille ville de l'Islam en Europe, tandis que leurs alliés les Serbes, retenaient devant eux une partie de la forte garnison de la place" (Géneral Piarron de Mondésir, Siège et prise d'Andrianople, Chapelot, Paris, 1914.

Entre temps Janina avait capitulé (12 février). Un mois plus tard (le 23 avril), c'est Skutari qui tombait.

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