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et ne voient pas que je ne puis rien, même pour mes parents. On ne m'accordera point le régiment que je demande depuis quinze jours: on ne m'écoute que quand on n'a personne à écouter. J'ai parlé trois fois à M. Colbert:1 je lui ai représenté la justice de ce. que vous prétendez. Il a fait mille difficultés, et m'a dit que le Roi seul pouvait les résoudre. J'intéresserai Mme de Montespan: mais il faut un moment favorable; et qui sait s'il se présentera? S'il ne s'offre point, je chargerai notre ami de votre affaire, et il parlera au Roi. Je compte beaucoup sur lui.

III. A MADAME D'AUBIGNÉ, BELLE-SŒUR DE MADAME DE MAINTENON.

Le 5 janvier 1681.

Je demande tous les jours à Dieu, ma très chère enfant, qu'il vous conduise dans ses saintes voies. On ne fait pas ces vœux-là dans le monde: je les fais au milieu de la cour, où il ne faut qu'être pour haïr le monde et ses plaisirs. J'y éprouve bien que Dieu seul peut remplir le vide du cœur de l'homme. Croyez, ma fille, que toutes les choses que vous vous figurez si délicieuses, et que vous m'enviez peutêtre, ne sont que vanité et affliction d'esprit. La cour est comme ces perspectives qui veulent être vues dans l'éloignement; je ne puis vous y placer; et quand je le pourrais, je ne le ferais pas. Aimez votre mari, et vous serez heureuse. Vous êtes indolente et malsaine: tournez ces inconvénients au profit de votre salut. J'approuve fort que vous ne vous exposiez pas aux visites; si le monde ne vous gâtait pas, il Vous ennuierait. Vous savez combien je vous aime; faites que je vous aime davantage: ne faites pas de nouvelles liaisons; connaissez avant que d'aimer. Je suis votre sœur, votre mère, votre amie.

IV. A MADAME DE MAISON-FORT.

Il ne vous est pas mauvais de vous trouver dans des troubles d'esprit; vous en serez plus humble, et vous sentirez par votre expérience que nous ne trouvons nulle ressource en nous, quelque esprit que nous ayons. Vous ne serez jamais contente, ma chère fille, que lorsque vous aimerez Dieu de tout votre cœur. Salomon vous a dit, il y a longtemps, qu'après avoir cherché, trouvé et goûté de tous les plaisirs, il confessait que tout n'est que vanité et affliction d'esprit, hors aimer Dieu et le servir. Que ne puis-je vous donner toute mon expérience! que ne puis-je vous faire voir l'ennui qui dévore les grands, et la peine qu'ils ont à remplir leurs journées! ne voyezvous pas que je meurs de tristesse dans une fortune qu'on aurait eu peine à imaginer, et qu'il n'y a que le secours de Dieu qui m'empêche d'y succomber? J'ai été jeune et jolie, j'ai goûté des plaisirs, j'ai été aimée partout; dans un âge un peu avancé, j'ai passé des années dans le commerce de l'esprit,2 je suis venue3 à la faveur: et je vous proteste, ma chère fille, que tous les états laissent un vide affreux,

1 Colbert (1619-1683), ministre et secrétaire d'État, contrôleurgénéral des finances.

2 Dans des relations qui avaient pour principal objet la culture et les jouissances de l'esprit.

On dirait aujourd'hui: parvenue.

une inquiétude, une lassitude, une envie de connaître autre chose, parce qu'en tout cela rien ne satisfait entièrement. On n'est en repos que lorsque l'on s'est donné à Dieu, mais avec cette volonté déterminée dont je vous parle quelquefois; alors on sent qu'il n'y a plus rien à chercher, qu'on est arrivé à ce qui seul est bon sur la terre; on a des chagrins, mais on a aussi une solide consolation, et la paix au fond du cœur au milieu des plus grandes peines.

V. A LA PRINCESSE DES URSINS.1

Versailles, le 26 mars 1714.

J'ai reçu deux de vos lettres, madame; l'une apparemment par un courrier que j'ignore, et l'autre, par l'ordinaire. La première n'est remplie que des louanges du roi d'Espagne; et je vous assure, madame, que vous ne devez pas être malcontente2 de l'idée qu'on a de lui en ce pays-ci. L'autre lettre est remplie des désirs que vous auriez d'une grande intelligence entre nos deux rois et les deux nations. Je ne pense pas que le Roi doute jamais de l'amitié du roi catholique, et je suis bien assurée qu'il en aura toujours une véritable pour le roi son petit-fils; mais, madame, ils sont bien éloignés pour s'entendre parfaitement, et il y a bien des gens entre eux, dont les uns sont intéressés, mal intentionnés ou peu capables; ainsi vos projets ne sont guère praticables, et marquent seulement votre grand cœur et votre véritable attachement pour les deux rois. Votre lettre est triste, et plus triste encore que les premières: je le comprends bien, madame; et quand les douleurs sont aussi grandes et aussi raisonnables que les vôtres, les réflexions sont aussi affligeantes que les premiers moments.

VI. A LA PRINCESSE DES URSINS.

Marly, le 11 septembre 1715.

Vous avez bien de la bonté, madame, d'avoir pensé à moi dans le grand événement qui vient de se passer;3 il n'y a qu'à baisser la tête sous la main qui nous a frappés.

Je voudrais de tout mon cœur, madame, que votre état fût aussi heureux que le mien. J'ai vu mourir le Roi comme un saint et comme un héros. J'ai quitté le monde, que je n'aimais pas; je suis dans la plus aimable retraite que je puisse désirer, et partout, madame, je serai, toute ma vie, avec le respect et l'attachement que je vous dois, votre très humble et très obéissante servante.

1 La princesse des Ursins (1643-1722) joua, par ses intrigues, un grand rôle à la cour de Madrid jusqu'en 1714, année où Élisabeth Farnèse, seconde femme de Philippe V, la fit conduire hors des frontières d'Espagne.

2 Malcontent a vieilli et est aujourd'hui remplacé par mécontent; mais il se trouve encore très souvent dans les écrivains du 17e siècle. Le renard. . . . . malcontent de son stratagème. LA FONTAINE, Elle est contente et malcontente dix fois par semaine. Mme DE SÉVIGNÉ. 3 La mort de Louis XIV, le 1er septembre 1715.

BOSSUET.

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.1

JACQUES BÉNIGNE BOSSUET naquit à Dijon, en 1627, d'une famille de magistrats. Après avoir fait ses premières études dans un collège dirigé par les jésuites, il vint à Paris pour étudier la théologie à la Sorbonne. Il s'y distingua tellement que les beaux esprits de l'hôtel de Rambouillet2 voulurent l'entendre. Sur un texte donné à l'improviste, le jeune Bossuet débita, après une courte préparation, un sermon qui émerveilla ses auditeurs. Il était onze heures du soir, et l'orateur avait à peine seize ans; ce qui fit dire à Voiture,3 qui ne manquait jamais l'occasion de placer un bon mot, qu'il n'avait encore entendu prêcher ni si tôt ni si tard.

Après avoir subi des épreuves publiques qui attirèrent sur lui l'attention générale et lui concilièrent l'amitié du grand Condé, Bossuet fut reçu docteur en théologie. Il quitta Paris pour Metz, où son père était conseiller au parlement, et, pendant plusieurs années, son zèle fit prospérer la mission établie dans cette ville pour la conversion des protestants. Ce fut Bossuet qui convertit Turenne au catholicisme. Il reparut à Paris, âgé de 32 ans, et, pendant dix années, il prêcha dans les églises de la capitale et à la cour. Bossuet ne regarda point comme des œuvres littéraires ses sermons souvent improvisés. On imprima, après sa mort, ce qu'on en trouva écrit parmi ses papiers. Ce ne sont souvent que des esquisses et cependant, même sous cette forme imparfaite, ces sermons portent l'empreinte d'une solide et mâle éloquence.

En 1669, Bossuet fut nommé évêque de Condom et prononça les oraisons funèbres d'Henriette de France, reine d'Angleterre, et d'Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans. Il ne put prendre possession de son évêché; car en 1670 il fut nommé précepteur du Dauphin. Dans cette nouvelle charge, Bossuet ne négligea rien, sinon de s'abaisser au niveau de l'intelligence de son royal élève, dont les talents étaient très médiocres et qui n'avait guère de goût pour l'étude. C'est pour ce jeune prince qu'il composa, entre autres ouvrages, le Discours *ur l'histoire universelle. En 1671, Bossuet entra à l'Académie, et, quand l'éducation du Dauphin fut terminée, en 1681, il fut nommé à l'évêché de Meaux. Il se livra tout entier aux soins de l'épiscopat, fit de fréquentes prédications et rédigea un catéchisme connu sous le nom de catéchisme de Meaux. En 1682, il joua un rôle marquant dans la célèbre assemblée du clergé qui détermina les rapports du saint-siège et de la royauté. Ce fut Bossuet qui rédigea les quatre articles de la déclaration qui fixa les limites longtemps indécises du pouvoir spirituel des papes et du pouvoir temporel des rois. Dans les années suivantes, il prononça les oraisons funèbres de la reine Marie-Thérèse, épouse de Louis XIV (1683), de la princesse palatine (1685), du chancelier Michel Le Tellier (1686), et enfin du prince de Condé (1686). Il composa aussi plusieurs écrits théologiques.

1 D'après Geruzez, Études. 2 V. p. 63. 3 V. Introduction, p. XLVIII. • Meaux, ville située sur la Marne, au nord-est de Paris.

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Dans les dernières années de sa vie, Bossuet combattit certaines doctrines mystiques connues sous le nom de quiétisme, et il se trouva par là engagé dans une lutte fâcheuse avec Fénelon, qui défendait ces doctrines. Il conserva jusqu'à la fin toute la vigueur de son esprit, et mourut en 1704.

I. DISCOURS SUR L'HISTOIRE UNIVERSELLE.

Le Discours de Bossuet sur l'histoire universelle n'est pas un ouvrage historique proprement dit et, malgré son titre, n'embrasse pas l'histoire universelle. C'est une philosophie de l'histoire, écrite au point de vue catholique, dans le plus noble langage et avec une élévation d'idées qui doit être reconnue même de ceux qui ne partagent pas la manière de voir de l'auteur. L'ouvrage embrasse trois parties distinctes:

1o. La suite des Temps, dans laquelle Bossuet marque le nombre et l'enchaînement des époques historiques de la création jusqu'à Charlemagne, époques qu'il groupe autour de l'histoire biblique et de celle de l'Église.

2o. La suite de la Religion, dans laquelle il démontre la continuité du commerce, soit direct, soit indirect de Dieu avec la terre.

3o. La suite des Empires, où il passe en revue les mouvements des différents peuples et montre successivement l'Égypte, les empires d'Orient. la Grèce et Rome, avec leur génie particulier, paraissant au temps marqué, pour remplir leur rôle dans le drame providentiel qui aboutit à la naissance du Christ et au triomphe de la religion.

C'est à cette troisième partie que nous empruntons le morceau suivant.

PARALLÈLE DES RÉPUBLIQUES D'ATHÈNES ET DE LACÉDÉMONE.

Parmi toutes les républiques dont la Grèce était composée, Athènes et Lacédémone étaient sans comparaison les principales. On ne peut avoir plus d'esprit qu'on en avait à Athènes, ni plus de force1 qu'on en avait à Lacédémone. Athènes voulait le plaisir: la vie de Lacédémone était dure et laborieuse. L'une et l'autre aimait la gloire et la liberté; mais à Athènes la liberté tendait naturellement à la licence: et contrainte par des lois sévères à Lacédémone, plus elle était réprimée au dedans, plus elle cherchait à s'étendre en dominant au dehors. Athènes voulait aussi dominer, mais par un autre principe. L'intérêt se mêlait à la gloire. Ses citoyens excellaient dans l'art de naviguer; et la mer, où elle régnait, l'avait enrichie. Pour demeurer seule maîtresse de tout le commerce, il n'y avait rien qu'elle ne voulût assujettir, et ses richesses, qui lui inspiraient ce désir, lui fournissaient. le moyen de le satisfaire. Au contraire, à Lacédémone, l'argent était méprisé. Comme toutes ses lois tendaient à en faire une république guerrière, la gloire des armes était le seul charme dont les esprits de ses citoyens fussent possédés. Dès là,2 elle voulait naturellement domineret plus elle était au-dessus de l'intérêt, plus elle s'abandonnait à l'ambition.

Lacédémone, par sa vie réglée, était ferme dans ses maximes et dans ses desseins. Athènes était plus vive, et le peuple y était trop maître. La philosophie et les lois faisaient à la vérité de beaux effets dans des naturels si exquis; mais la raison toute seule n'était pas capable de les retenir. Un sage Athénien, et quis connaissait par

1 C'est-à-dire: force d'âme, énergie.

2 Cette expression a vieilli; on dirait aujourd'hui: c'est pourquoi.
3 On dit ordinairement: des naturels si heureux. 4 Platon.
5 On dirait aujourd'hui: Un sage Athénien qui connaissait, etc.

faitement le naturel de son pays, nous apprend que la crainte était nécessaire à ces esprits trop vifs et trop libres, et qu'il n'y eut plus moyen de les gouverner, quand la victoire de Salamine les eut rassurés contre les Perses.

Alors deux choses les perdirent: la gloire de leurs belles actions, et la sûreté où ils croyaient être. Les magistrats n'étaient plus écoutés; et comme la Perse était affligée par une excessive sujétion, Athènes, dit Platon, ressentit les maux d'une liberté excessive.

Ces deux grandes républiques, si contraires dans leurs mœurs et dans leur conduite, s'embarrassaient l'une l'autre dans le dessein qu'elles avaient d'assujettir toute la Grèce; de sorte qu'elles étaient toujours ennemies, plus encore par la contrariété de leurs intérêts, que par l'incompatibilité de leurs humeurs.

Les villes grecques ne voulaient la domination ni de l'une ni de l'autre; car outre que chacun souhaitait pouvoir conserver sa liberté, elles trouvaient l'empire de ces deux républiques trop fâcheux. Celui de Lacédémone était dur. On remarquait dans son peuple je ne sais quoi de farouche. Un gouvernement trop rigide et une vie trop laborieuse y rendait les esprits trop fiers, trop austères et trop impérieux; joint' qu'il fallait se résoudre à n'être jamais en paix sous l'empire d'une ville qui, étant formée pour la guerre, ne pouvait se conserver qu'en la continuant sans relâche. Ainsi, les Lacédémoniens voulaient commander, et tout le monde craignait qu'ils ne commandassent. Les Athéniens étaient naturellement plus doux et plus agréables.2 Il n'y avait rien de plus délicieux à voir que leur ville, où les fêtes et les jeux étaient perpétuels; où l'esprit, où la liberté et les passions donnaient tous les jours de nouveaux spectacles. Mais leur conduite inégale déplaisait à leurs alliés, et était encore plus insupportable à leurs sujets. Il fallait essuyer les bizarreries d'un peuple flatté, c'est-à-dire, selon Platon, quelque chose de plus dangereux que celles d'un prince gâté par la flatterie.

Ces deux villes ne permettaient point à la Grèce de demeurer en repos. Vous avez vu la guerre du Péloponnèse et les autres toujours causées ou entretenues par les jalousies de Lacédémone et d'Athènes. Mais ces mêmes jalousies, qui troublaient la Grèce, la soutenaient en quelque façon, et l'empêchaient de tomber dans la dépendance de l'une ou de l'autre de ces républiques.

II. ORAISON FUNÈBRE DE LOUIS DE BOURBON, PRINCE DE CONDÉ

(1686.)

Le prince de Condé, dit le grand Condé, connu d'abord sous le nom de duc d'Enghien,3 naquit à Paris en 1621, et mourut en 1686. Il montra dans la carrière militaire un génie précoce. Nommé général en chef à l'âge de 22 ans (1643), il défit entièrement à Rocroi (près des frontières du Luxembourg) les Espagnols, bien supérieurs en nombre et redoutables alors par leur infanterie. L'année suivante, il battit l'armée impériale à Fribourg (en Brisgau); en 1645, il gagna, avec les Hessois, la bataille de Nördlingen (en Bavière). Il fut moins heureux en Catalogne et ne put prendre la ville de Lérida; mais il remporta bientôt après sur l'archiduc

1 Joint que est un archaïsme. On dit aujourd'hui: outre que. 2 C'est-à-dire et de mœurs plus agréables. 3 Prononcez: an-gän.

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