Images de page
PDF
ePub

Qu'un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort,
Moi, je pleure et j'espère: au noir souffle du nord,
Je plie et relève ma tête.

S'il est des jours amers, il en est de si doux!
Hélas! quel miel jamais n'a laissé de dégoûts:
Quelle mer n'a point de tempête?

L'illusion féconde habite dans mon sein;
D'une prison sur moi les murs pèsent en vain:
J'ai les ailes de l'espérance.
Échappée aux réseaux de l'oiseleur cruel,
Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel,
Philomèle chante et s'élance.

Est-ce à moi de mourir? Tranquille je m'endors,
Et tranquille je veille; et ma veille aux remords
Ni mon sommeil ne sont en proie.

Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux,
Sur des fronts abattus mon aspect dans ces lieux
Ranime presque de la joie.

Mon beau voyage encore est si loin de sa fin!
Je pars, et des ormeaux qui bordent le chemin
J'ai passé les premiers à peine.

Au banquet de la vie à peine commencé
Un instant seulement mes lèvres ont pressé
La coupe en mes mains encore pleine.

Je ne suis qu'au printemps, je veux voir la moisson
Et, comme le soleil, de saison en saison,
Je veux achever mon année.

Brillante sur ma tige et l'honneur du jardin,
Je n'ai vu luire encor que les feux du matin;
Je veux achever ma journée.

O Mort! tu peux attendre; éloigne, éloigne-toi;
Va consoler les cœurs que la honte, l'effroi,
Le pâle désespoir dévore.

Pour moi Palès1 encore a des asiles verts;
Les amours, des baisers; les Muses, des concerts:
Je ne veux pas mourir encore.

Ainsi, triste et captif, ma lyre, toutefois,
S'éveillait; écoutant ces plaintes, cette voix,
Ces vœux d'une jeune captive,

Et, secouant le joug de mes jours languissants,
Aux douces lois des vers je pliais les accents
De sa bouche aimable et naïve.

1 Déesse de l'ancienne Italie, qui présidait aux troupeaux et aux bergers. Sa fête, appelée les Palilies, était célébrée le 21 avril, jour qui, d'après la légende, était celui de la fondation de Rome.

Ces chants, de ma prison témoins harmonieux,
Feront à quelque amant des loisirs studieux
Chercher quelle fut cette belle:

La grâce décorait son front et ses discours,
Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours
Ceux qui les passeront près d'elle.

LA CALOMNIE, PAR JOSEPH CHÉNIER.

Ceux que la France a vus ivres de tyrannie,
Ceux-là mêmes, dans l'ombre armant la calomnie,
Me reprochent le sort d'un frère infortuné
Qu'avec la calomnie ils ont assassiné!
L'injustice agrandit une âme libre et fière.
Ces reptiles en vain, sifflant dans la poussière,
En vain sèment le trouble entre son ombre et moi!
Scélérats, contre vous elle invoque la loi!

Hélas! pour arracher la victime aux supplices,
De mes pleurs chaque jour fatiguant mes complices,
J'ai courbé devant eux mon front humilié;

Mais ils vous ressemblaient, ils étaient sans pitié.
Si, le jour où tomba leur puissance arbitraire,
Des fers et de la mort je n'ai sauvé qu'un frère,1
Qu'au fond des noirs cachots Dumont2 avait plongé,
Et qui, deux jours plus tard, périssait égorgé,
Auprès d'André Chénier avant que de descendre
J'élèverai la tombe où manquera sa cendre,
Mais où vivront du moins et son doux souvenir
Et sa gloire, et ses vers dictés pour l'avenir!
Là, quand de thermidor la neuvième journée3
Sous les feux du lion ramènera l'année,
O mon frère, je veux, relisant tes écrits,
Chanter l'hymne funèbre à tes mânes proscrits;

Là souvent tu verras, près de ton mausolée,

Tes frères gémissants, ta mère désolée,

Quelques amis des arts, un peu d'ombre et des fleurs,
Et ton jeune laurier grandira sous mes pleurs!

1 Un troisième frère, qui fut mis en liberté après la mort de Robespierre.

2 André Dumont, commissaire de la Convention dans le département de la Somme.

3 Le neuf thermidor (27 juillet) 1794 est la date de la chute de Robespierre.

MME DE STAËL.

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.1

ANNE-LOUISE-GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËLHOLSTEIN, naquit à Paris en 1766. Son père était le célèbre banquier Necker, qui fut deux fois ministre sous Louis XVI, mais qui était alors bien loin de la haute position qu'il occupa depuis. De bonne heure la jeune Necker, douée de facultés intellectuelles précoces, se distingua par la vivacité de son esprit dans le cercle des gens de lettres dont la maison de son père était le rendez-vous. Elle avait vingt ans, lorsqu'elle épousa le baron de Staël-Holstein, ambassadeur de Suède à Paris, qui résida dans cette capitale jusqu'en 1799 et y mourut en 1802. L'exécution du roi et le régime exécrable qui suivit cette catastrophe, frappèrent Mme de Staël d'horreur et d'épouvante. Elle eut cependant le noble courage d'adresser au gouvernement révolutionnaire une défense écrite de la malheureuse reine

Marie-Antoinette.

Après avoir, pendant quelque temps, cherché un refuge en Angleterre, Mme de Staël s'attacha, après la chute de Robespierre, au parti modéré. Sous le Directoire (1795-1799), la fille de Necker exerça, par ses salons, une grande influence. Après le coup d'État du 18 brumaire, elle devint en quelque sorte le centre d'une opposition rationnelle qui s'éleva avec force contre les tendances de jour en jour plus despotiques du gouvernement consulaire. Victime de l'arbitraire, elle fut exilée à quarante lieues de Paris (1802). Cet exil la décida à faire son premier voyage en Allemagne. Elle alla à Weimar, où elle étudia la langue et la littérature allemandes et se lia avec Goethe, Schiller et Wieland.

De retour au château de Coppet, près de Genève, qui appartenait à sa famille, elle se consacra à ses travaux littéraires et au commerce de ses amis. Sa retraite de Coppet fut alors le rendez-vous des beaux esprits et des hommes de lettres les plus distingués. Elle publia ses deux célèbres romans, d'abord Delphine, et, après un voyage en Italie, Corinne (1807), qui excitèrent alors en Europe un enthousiasme universel. Les héroïnes de ces deux romans sont deux femmes supérieures qui ne peuvent s'astreindre à suivre les voies régulières tracées à leur sexe par l'opinion, et qui souffrent de cruels malheurs pour s'en être écartées. Le roman de Corinne contient une brillante peinture de l'Italie.

Ces deux ouvrages sont écrits avec une élévation d'esprit et une érudition bien rares, unies à une extrême finesse et à une grande connaissance du monde; mais on y trouve des longueurs ennuyeuses; le style de l'auteur, souvent brillant, est quelquefois fatigant et guindé.

Après un second voyage en Allemagne, Mme de Staël eut la permission de vivre en France. Mais en 1810, la publication de son ouvrage De l'Allemagne devint, pour la police impériale, le prétexte de nouvelles persécutions. Toute l'édition fut saisie et mise au pilon,' et il fut enjoint à l'auteur ou de s'embarquer pour l'Amérique ou de ne plus quitter sa terre de Coppet. L'ouvrage qui lui valut cette persécution était pourtant purement littéraire. Malgré de nombreuses

1 D'après la Biographie universelle. 2 Mettre au pilon einftampfen.

erreurs de détail, il a le grand mérite d'avoir répandu en France la première connaissance de la littérature allemande et d'avoir ouvert une route nouvelle à la littérature française. Le livre De l'Allemagne peut être regardé comme un des précurseurs du romantisme.1

Retirée à Coppet, Mme de Staël eut à subir, sur le territoire de la république helvétique tant de vexations de la part de la toutepuissante police française, qu'elle finit par prendre la résolution de s'évader. Elle l'exécuta en 1812, et, pour aller de Genève en Angleterre, elle dut traverser le Tyrol, l'Autriche, la Hongrie, la Pologne et la Russie, et s'embarquer à Saint-Pétersbourg. Ce voyage est la preuve la plus éloquente de la domination presque européenne du conquérant français. Elle en a fait elle-même la description attrayante dans l'ouvrage Dix années d'exil, publié après sa mort. Ce fut en Angleterre qu'elle publia enfin son ouvrage De l'Allemagne, dont la police impériale avait essayé en vain de saisir le manuscrit.

Après la chute de Napoléon Ier, Mme de Staël revint à Paris. Elle obtint de Louis XVIII deux millions de francs à titre de restitution des sommes dues à son père. De retour d'un voyage en Italie, elle mourut à Paris, en 1817.

I. CORINNE, OU L'ITALIE.

(1807.)

LA FIN DU CARNAVAL A ROME.

La course des chevaux se préparait. Lord Nelvil s'attendait à voir une course semblable à celles d'Angleterre; mais il fut étonné d'apprendre que de petits chevaux barbes devaient courir tout seuls, sans cavaliers, les uns contre les autres. Ce spectacle attire singulièrement l'attention des Romains. Au moment où il va commencer, toute la foule se range des deux côtés de la rue. La place du Peuple, qui était couverte de monde, est vide en un moment. Chacun monte sur les amphithéâtres qui entourent les obélisques, et des multitudes innombrables de têtes et d'yeux noirs sont tournées vers la barrière d'où les chevaux doivent s'élancer.

Ils arrivent sans bride et sans selle, seulement le dos couvert d'une étoffe brillante, et conduits par des palefreniers très bien vêtus, qui mettent à leurs succès un intérêt passionné. On place les chevaux derrière la barrière, et leur ardeur pour la franchir est excessive. A chaque instant on les retient: ils se cabrent, ils hennissent, ils trépignent, comme s'ils étaient impatients d'une gloire qu'ils vont obtenir à eux seuls, sans que l'homme les dirige. Cette impatience des chevaux, ces cris des palefreniers font, du moment où la barrière tombe, un vrai coup de théâtre. Les chevaux partent, les palefreniers crient place, place, avec un transport inexprimable. Ils accompagnent leurs chevaux du geste et de la voix, aussi longtemps qu'ils peuvent les apercevoir. Les chevaux sont jaloux l'un de l'autre comme des hommes. Le pavé étincelle sous leurs pas, leur crinière vole, et leur désir de gagner le prix, ainsi abandonnés à eux-mêmes, est tel, qu'il en est qui, en arrivant, sont morts de la rapidité de leur course. On s'étonne de voir ces chevaux libres ainsi animés par des passions personnelles; cela fait peur, comme si c'était de la pensée sous cette forme d'ani

1 Voyez 591 et 592. 2 Chevaux de la côte d'Afrique appelée Barbarie.

mal. La foule rompt ses rangs quand les chevaux sont passés, et les suit en tumulte. Ils arrivent au palais de Venise, où est le but; et il faut entendre les exclamations des palefreniers dont les chevaux sont vainqueurs! Celui qui avait gagné le premier prix se jeta à genoux devant son cheval, le remercia, et le recommanda à saint Antoine, patron des animaux, avec un enthousiasme aussi sérieux en lui que comique pour les spectateurs.

C'est à la fin du jour, ordinairement, que les courses finissent. Alors commence un autre genre d'amusement beaucoup moins pittoresque, mais aussi très bruyant. Les fenêtres sont illuminées. Les gardes abandonnent leur poste, pour se mêler eux-mêmes à la joie générale. Chacun prend alors un petit flambeau appelé moccolo, et l'on cherche mutuellement à se l'éteindre, en répétant le mot ammaz, zare (tuer), avec une vivacité redoutable. CHE LA BELLA PRINCIPESSA SIA AMMAZZATA! CHE IL SIGNORE ABBATE SIA AMMAZZATO! (Que la belle princesse soit tuée, que le seigneur abbé soit tue!) crie-t-on d'un bout de la rue à l'autre. La foule rassurée, parce qu'à cette heure on interdit les chevaux et les voitures, se précipite de tous les côtés; enfin, il n'y a plus d'autre plaisir que le tumulte et l'étourdissement. Cependant la nuit s'avance; le bruit cesse par degrés, le plus profond silence lui succède; et il ne reste plus de cette soirée que l'idée d'un songe confus, qui, changeant l'existence de chacun en un rêve, a fait oublier pour un moment au peuple ses travaux, aux savants leurs études, aux grands seigneurs leur oisiveté.

II. DE L'ALLEMAGNE.

(1811.)

OBSERVATIONS GÉNÉRALES.

Les nations germaniques ont presque toujours résisté au joug des Romains; elles ont été civilisées plus tard que les peuples de race latine,1 et seulement par le christianisme; elles ont passé immédiatement d'une sorte de barbarie à la société chrétienne: les temps de la chevalerie, l'esprit du moyen âge sont leurs souvenirs les plus vifs; et quoique les savants de ce pays aient étudié les auteurs grecs et latins, plus même que ne l'ont fait les nations latines, le génie naturel aux écrivains allemands est d'une couleur ancienne plutôt qu'antique; leur imagination se plaît dans les vieilles tours, dans les créneaux, au milieu des guerriers, des sorcières et des revenants; et les mystères d'une nature rêveuse et solitaire forment le principal charme de leurs poésies.

L'analogie qui existe entre les nations teutoniques ne saurait être méconnue. La dignité sociale que les Anglais doivent à leur constitution leur assure, il est vrai, parmi ces nations, une supériorité décidée; néanmoins les mêmes traits de caractère se retrouvent constamment parmi les divers peuples d'origine germanique. L'indépendance et la loyauté signalèrent de tout temps ces peuples; ils ont été toujours bons et fidèles, et c'est à cause de cela même peut-être que leurs écrits portent une empreinte de mélancolie; car il arrive souvent aux nations, comme aux individus, de souffrir pour leurs vertus.

1 Cette désignation collective des peuples dont l'idiome dérive du latin (Français, Espagnols, Italiens, etc.) et qui sont de races parfaitement distinctes est généralement reçue en France.

« PrécédentContinuer »