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Vient ton aïeul en cheveux blancs;
Et la foule, bruyante et fière,

Se presse à ce Louvre, où naguère,
Muette, elle entrait à pas lents.

Guerriers, peuple, chantez; Bordeaux, lève ta tête,
Cité qui, la première, aux jours de la conquête,
Rendue aux fleurs de lys, as proclamé ta foi.
Et toi, que le mártyr aux combats eût guidée,
Sors de ta douleur, ô Vendée!

Un roi naît pour la France, un soldat naît pour toi.

Dors-tu?

2. LA GRAND' MÈRE.

réveille-toi, mère de notre mère!
D'ordinaire en dormant ta bouche remuait;
Car ton sommeil souvent ressemble à ta prière.
Mais, ce soir, on dirait la madone de pierre;
Ta lèvre est immobile et ton souffle est muet.

„Pourquoi courber ton front plus bas que de coutume? Quel mal avons-nous fait, pour ne plus nous chérir? Vois, la lampe pålit, l'âtre scintille et fume;

Si tu ne parles pas, le feu qui se consume,

Et la lampe, et nous deux, nous allons tous mourir!

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Tu nous trouveras morts près de la lampe éteinte;
Alors que diras-tu quand tu t'éveilleras?

Tes enfants à leur tour seront sourds à ta plainte.
Pour nous rendre la vie, en invoquant ta sainte,
Il faudrait bien longtemps nous serrer dans tes bras.

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Donne-nous donc tes mains dans nos mains réchauffées. Chante-nous quelque chant de pauvre troubadour.

Dis-nous ces chevaliers qui, servis par les fées,

Pour bouquets à leur dame apportaient des trophées, Et dont le cri de guerre était un nom d'amour.

„Dis-nous quel divin signe est funeste aux fantômes!
Quel ermite dans l'air vit Lucifer volant;

Quel rubis étincelle au front du roi des gnomes;
Et si le noir démon craint plus, dans ses royaumes,
Les psaumes de Turpin que le fer de Roland.1
„Ou montre-nous ta Bible, et les belles images,
Le ciel d'or, les saints bleus, les saintes à genoux,
L'enfant-Jésus, la crèche, et le bœuf, et les mages;
Fais-nous lire du doigt, dans le milieu des pages,
Un peu de ce latin, qui parle à Dieu de nous.

Mère!.... Hélas! par degrés s'affaisse la lumière.
L'ombre joyeuse danse autour du noir foyer,
Les esprits vont peut-être entrer dans la chaumière
Oh! sors de ton sommeil, interromps ta prière:
Toi qui nous rassurais, veux-tu nous effrayer?

1 Voyez l'Introduction, page XXI.

„Dieu! que tes bras sont froids! rouvre les yeux... Naguère Tu nous parlais d'un monde où nous mènent nos pas,

Et de ciel, et de tombe, et de vie éphémère,

Tu parlais de la mort;

dis-nous, ô notre mère,

Qu'est-ce donc que la mort? . . . Tu ne nous réponds pas!"

Leur gémissante voix longtemps se plaignit seule.
La jeune aube parut sans réveiller l'aïeule,
La cloche frappa l'air de ses funèbres coups;
Et, le soir, un passant, par la porte entr'ouverte,
Vit, devant le saint livre et la couche déserte,
Les deux petits enfants qui priaient à genoux.

II. FRAGMENT DE LA PRÉFACE DE CROMWELL.

(1827.)

LES UNITÉS. (Comparez page 166.)

On voit combien l'arbitraire distinction des genres croule vite devant la raison et le goût. On ne ruinerait pas moins aisément la prétendue règle des deux unités. Nous disons deux et non trois unités, l'unité d'action ou d'ensemble, la seule vraie et fondée, étant depuis longtemps hors de cause.

Des contemporains distingués, étrangers et nationaux, ont déjà attaqué, et par la pratique et par la théorie, cette loi fondamentale du code pseudo-aristotélique. Au reste, le combat ne devait pas être long. A la première secousse elle a craqué, tant elle était vermoulue, cette solive de la vieille masure scolastique.

Ce qu'il y a d'étrange, c'est que les routiniers prétendent appuyer leur règle des deux unités sur la vraisemblance, tandis que c'est précisément le réel qui la tue. Quoi de plus invraisemblable et de plus absurde en effet que ce vestibule, ce péristyle, cette antichambre, lieu banal où nos tragédies ont la complaisance de venir se dérouler, où arrivent, on ne sait comment, les conspirateurs pour déclamer contre le tyran, le tyran pour déclamer contre les conspirateurs, chacun à leur tour, comme s'ils s'étaient dit bucoliquement: Alternis cantemus: amant alterna Camente.1

Où a-t-on vu vestibule ou péristyle de cette sorte? Quoi de plus contraire, nous ne dirons pas à la vérité, les scolastiques en font bon marché, mais à la vraisemblance! Il résulte de là que tout ce qui est trop caractéristique, trop intime, trop local, pour se passer dans l'antichambre ou dans le carrefour, c'est-à-dire tout le drame, se passe dans la coulisse. Nous ne voyons en quelque sorte sur le théâtre que les coudes de l'action: ses mains sont ailleurs. Au lieu

1 Cette citation, dont Victor Hugo a modifié le texte pour l'adapter à sa plaisanterie, est tirée de la troisième églogue de Virgile:

Incipe, Damota: tu deinde sequere, Menalca.

Alternis dicetis: amant alterna Camena (III, 58.).

Toi, Damète, commence; toi, Ménalque, tu suivras. Vous chanterez tour à tour: les Muses aiment ces chants alternés.

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de scènes, nous avons des récits; au lieu de tableaux, des descriptions. De graves personnages, placés, comme le chœur antique, entre le drame et nous, viennent nous raconter ce qui se fait dans le temple, dans le palais, dans la place publique, de façon que, souventes fois,1 nous sommes tentés de leur crier: „Vraiment! mais conduisez-nous donc là-bas. On s'y doit bien amuser, cela doit être beau à voir!" A quoi ils répondraient sans doute: „Il serait possible que cela vous amusât ou vous intéressât, mais ce n'est point là la question; nous sommes les gardiens de la dignité de la Melpomène française." Voilà!? "Mais, dira-t-on, cette règle que vous répudiez est empruntée du théâtre grec." En quoi le théâtre et le drame grecs ressemblentils à notre drame et à notre théâtre? D'ailleurs nous avons déjà fait voir que la prodigieuse étendue de la scène antique lui permettait d'embrasser une localité tout entière, de sorte que le poète pouvait, selon les besoins de l'action, la transporter à son gré d'un point du théâtre à un autre, ce qui équivaut bien à peu près aux changements de décorations. Bizarre contradiction! le théâtre grec, tout asservi qu'il était à un but national et religieux, est bien autrement libre que le nôtre, dont le seul objet cependant est le plaisir, et, si l'on veut, l'enseignement du spectateur. C'est que l'un n'obéit qu'aux lois qui lui sont propres, tandis que l'autre s'applique des conditions d'être parfaitement étrangères à son essence. L'un est artiste, l'autre est artificiel.

On commence à comprendre de nos jours que la localité exacte est un des premiers éléments de la réalité. Les personnages parlants ou agissants ne sont pas les seuls qui gravent dans l'esprit du spectateur la fidèle empreinte des faits. Le lieu où telle catastrophe s'est passée en devient un témoin terrible et inséparable, et l'absence de cette sorte de personnage muet décompléterait dans le drame les plus grandes scènes de l'histoire. Le poète oserait-il assassiner Rizzio ailleurs que dans la chambre de Marie Stuart ?3 poignarder Henri IV ailleurs que dans cette rue de la Féronnerie, tout obstruée de haquets et de voitures? brûler Jeanne d'Arc3 autre part que dans le Vieux-Marché? dépêcher le duc de Guise autre part que dans ce château de Blois où son ambition fait fermenter une assemblée populaire ?6 décapiter Charles Ier et Louis XVI ailleurs

1 Souventes fois ou bien en un seul mot souventefois, pour souvent, fréquemment, est un archaïsme. C'est une des particularités du style romantique d'aller à la recherche de vieux mots, de tours rares et peu usités, ou bien d'introduire dans le langage soutenu des expressions du langage familier. Dans le cas présent, l'auteur jette ironiquement ce mot à la face de ses adversaires.

2 Voilà (so ist's), placé à la fin d'un raisonnement, pour résumer en quelque sorte ce qu'on vient d'expliquer, appartient au style familier et populaire.

Rizzio, secrétaire et favori de Marie Stuart, natif de Turin. Henri Darnley, second mari de la reine, jaloux de lui, le fit égorger dans l'appartement même et sous les yeux de sa femme (1566).

4 Henri IV, assassiné par Ravaillac, en 1610.

5 Jeanne d'Arc, voyez page 522, note 1.

• Henri de Guise, dit le Balafré, assassiné en 1588, à Blois, par l'ordre de Henri III. Le nom d'assemblée populaire donné par Victor Hugo aux états de Blois est étrange. Dépêcher pour assassiner est très familier.

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que dans ces places sinistres d'où l'on peut voir White-Hall et les Tuileries, comme si leur échafaud servait de pendant à leur palais?1

L'unité de temps n'est pas plus solide que l'unité de lieu. L'action, encadrée de force dans les vingt-quatre heures, est aussi ridicule qu'encadrée dans le vestibule. Toute action a sa durée propre comme son lieu particulier. Verser la même dose de temps à tous les événements! appliquer la même mesure sur tout! On rirait d'un cordonnier qui voudrait mettre le même soulier à tous les pieds. Croiser l'unité de temps à l'unité de lieu comme les barreaux d'une cage et y faire pédantesquement entrer, de par Aristote, tous ces faits, tous ces peuples, toutes ces figures que la Providence déroule à si grandes masses dans la réalité! c'est mutiler hommes et choses; c'est faire grimacer l'histoire. Disons mieux: tout cela mourra dans l'opération, et c'est ainsi que les mutilateurs dogmatiques arrivent à leur résultat ordinaire: ce qui était vivant dans la chronique est mort dans la tragédie. Voilà pourquoi, bien souvent, la cage des unités ne renferme qu'un squelette.

Et puis, si vingt-quatre heures peuvent être compris dans deux, il sera logique que quatre heures puissent en contenir quarante-huit. L'unité de Shakespeare ne sera donc pas l'unité de Corneille. Pitié!

Ce sont là pourtant les pauvres chicanes que depuis deux siècles la médiocrité, l'envie et la routine font au génie! C'est ainsi qu'on a borné l'essor de nos plus grands poètes. C'est avec les ciseaux des unités qu'on leur a coupé l'aile. Et que nous a-t-on donné en échange de ces plumes d'aigle retranchées à Corneille et à Racine? Campistron.2

Nous concevons qu'on pourrait dire: Il y a dans des changements trop fréquents de décorations quelque chose qui embrouille et fatigue le spectateur, et qui produit sur son attention l'effet de l'éblouissement; il peut aussi se faire que des translations multipliées d'un lieu à un autre lieu, d'un temps à un autre temps, exigent des contre-expositions qui le refroidissent; il faut craindre encore de laisser, dans le milieu d'une action, des lacunes qui empêchent les parties du drame d'adhérer étroitement entre elles, et qui en outre déconcertent le spectateur parce qu'il ne se rend pas compte de ce qu'il peut y avoir dans ces vides . . Mais ce sont là précisément les difficultés de l'art. Ce sont là de ces obstacles propres à tels ou tels sujets, et sur lesquels on ne saurait statuer une fois pour toutes. C'est au génie à les résoudre, non

aux poétiques à les éluder.

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Il suffirait enfin, pour démontrer l'absurdité de la règle des deux unités, d'une dernière raison, prise dans les entrailles de l'art. C'est l'existence de la troisième unité, l'unité d'action, la seule admise de tous, parce qu'elle résulte d'un fait: l'œil ni l'esprit humain ne sauraient saisir plus d'un ensemble à la fois. Celle-là est aussi nécessaire que les deux autres sont inutiles. C'est elle qui marque

1 Charles Ier fut décapité le 30 janvier 1649, devant le palais de Whitehall (c'est ainsi que les Anglais écrivent ce nom); Louis XVI, le 21 janvier 1793, sur la place de la Révolution, à présent place de la Concorde.

2 Campistron (1656–1723), poète dramatique, disciple et assez malheureux imitateur de Racine, auteur d'un grand nombre de tragédies dont les plus connues sont Virginie, Arminius, Andronic, Alcibiade.

le point de vue du drame; or, par cela même, elle exclut les deux autres. Il ne peut pas plus y avoir trois unités dans le drame que trois horizons dans un tableau. Du reste, gardons-nous de confondre l'unité avec la simplicité d'action. L'unité d'ensemble ne répudie en aucune façon les actions secondaires sur lesquelles doit s'appuyer l'action principale. Il faut seulement que ces parties, savamment subordonnées au tout, gravitent sans cesse vers l'action centrale et se groupent autour d'elle aux différents étages ou plutôt sur les divers plans du drame. L'unité d'ensemble est la loi de perspective du théâtre.

Mais, s'écrieront les douaniers de la pensée, de grands génies les ont pourtant subies, ces règles que vous rejetez! Eh oui, malheureusement! Qu'auraient-ils donc fait, ces admirables hommes, si on les eût laissés faire?

LES ORIENTALES.
(1828.)

ENTHOUSIASME.

En Grèce! en Grèce! adieu, vous tous! il faut partir!
Qu'enfin, après le sang de ce peuple martyr,

Le sang vil des bourreaux ruisselle!
En Grèce, o mes amis! vengeance! liberté!
Ce turban sur mon front! ce sabre à mon côté!
Allons! ce cheval, qu'on le selle!

Quand partons-nous? ce soir! demain serait trop long.
Des armes! des chevaux! un navire à Toulon!
Un navire ou plutôt des ailes!

Menons quelques débris de nos vieux régiments,
Et nous verrons soudain ces tigres ottomans
Fuir avec des pieds de gazelles!

Commande-nous, Fabvier, comme un prince invoqué!
Toi qui seul fus au poste où les rois ont manqué,
Chef des hordes disciplinées,

Parmi les Grecs nouveaux ombre d'un vieux Romain,
Simple et brave soldat, qui dans ta rude main
D'un peuple as pris les destinées!

De votre long sommeil éveillez-vous là-bas,
Fusils français! et vous, musique des combats,
Bombes, canons, grêles cymbales!
Éveillez-vous, chevaux au pied retentissant,
Sabres, auxquels il manque une trempe de sang,
Longs pistolets gorgés de balles!

1 Fabvier (1782-1855), colonel sous l'Empire, alla en Grèce en 1823, et y combattit contre les Turcs jusqu'en 1827.

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