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Mon Dieu, mes chères1! nous vous demandons pardon. Ces messieurs ont eu fantaisie de nous donner les âmes des pieds; et nous vous avons envoyé

Que tout ce qu'il dit est naturel! Il tourne les cho- querir pour remplir les vides de notre assemblée. ses le plus agréablement du monde.

CATHOS.

Il est vrai qu'il fait une furieuse dépense en esprit.

MASCARILLE.

LUCILE.

Vous nous avez obligées, sans doute.

MASCARILLE.

Ce n'est ici qu'un bal à la hâte; mais l'un de ces Pour vous montrer que je suis véritable, je veux jours, nous vous en donnerons un dans les formes. faire un impromptu là-dessus. Les violons sont-ils venus?

CATHOS.

(Il médite.)

Eh! je vous en conjure de toute la dévotion de mon cœur, que nous oyions quelque chose qu'on ait fait pour nous.

JODELET.

J'aurais envie d'en faire autant, mais je me trouve un peu incommodé de la veine poétique, pour la quantité de saignées que j'y ai faites ces jours passés.

MASCARILLE.

Que diable est-ce là? Je fais toujours bien le premier vers; mais j'ai peine à faire les autres. Ma foi! ceci est un peu trop pressé; je vous ferai un impromptu à loisir, que vous trouverez le plus beau du monde.

JODELET.

Il a de l'esprit comme un démon.

MADELON.

Et du galant, et du bien tourné.

MASCARILLE.

Vicomte, dis-moi un peu, y a-t-il longtemps que tu n'as vu la comtesse?

JODELET.

Il y a plus de trois semaines que je ne lui ai rendu visite.

MASCARILLE.

ALMANZOR.

Oui, monsieur; ils sont ici.

CATHOS.

Allons donc, mes chères, prenez place. MASCARILLE, dansant lui seul comme par prélude. La, la, la, la, la, la, la, la.

MADELON.

Il a tout à fait la taille élégante.

CATHOS.

Et a la mine de danser proprement 2.

MASCARILLE, ayant pris Madelon pour danser. Ma franchise va danser la courante aussi bien que mes pieds. En cadence, violons, en cadence. Oh! quels ignorants! Il n'y a pas moyen de danser avec

1 On disait alors une chère comme on aurait dit une précieuse. Ces deux mots avaient le même sens, et étaient également à la mode; mais chère exprimait surtout l'intimité. Ce mot est resté. 2 Danser proprement, pour bien danser. Expression recherchée, qui est restée dans notre langue, où même elle est devenue d'un usage vulgaire. C'est ainsi que dans cette multitude de locutions bizarres ou ridicules dont Molière s'est moqué avec tant de gaieté, il en est un grand nombre que nous employons tous les jours sans nous douter qu'elles sont un présent des précieuses. Qui croirait, par exemple, que nous leur devons les phrases suivantes : Tenir bureau d'esprit; Avoir les cheveux d'un blond hardi; Craindre de s'encanailler; Avoir l'humeur communicative; Être pénétré des sentiments d'une personne; Avoir la compréhension dure; Revétir ses pensées d'expressions vigoureuses; Avoir le front chargé d'un sombre nuage; N'a

Sais-tu bien que le duc m'est venu voir ce matin, voir que le masque de la générosité, etc.? Toutes ces expres

Le mot braie a vieilli, et ne se trouve plus dans nos dictionnaires que comme terme d'imprimerie et de marine. Du temps de Molière, il signifiait le linge de corps. (B.)

sions, qui n'ont rien d'extraordinaire aujourd'hui, sont citées par Saumaise comme faisant partie du nouveau dictionnaire des Précieuses; et l'on peut en conclure que cette affectation de langage, dont Molière a fait justice, n'a cependant pas été tout à fait inutile à la langue.

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Demandez à monsieur le marquis.

SCÈNE XVIII.

GORGIBUS, MADELON, CATHOS, JODELET,

MASCARILLE, VIOLONS.

GORGIBUS.

Ah! coquines que vous êtes, vous nous mettez dans de beaux draps blancs, à ce que je vois; et je viens d'apprendre de belles affaires, vraiment, de ces messieurs et de ces dames qui sortent!

MADELON.

MADELON.

Ah! je jure que nous en serons vengées, ou que je mourrai en la peine. Et vous, marauds, osez-vous vous tenir ici après votre insolence?

MASCARILLE.

Traiter comme cela un marquis! Voilà ce que c'est que du monde, la moindre disgrâce nous fait mépriser de ceux qui nous chérissaient. Allons, camarade, allons chercher fortune autre part; je vois bien qu'on n'aime ici que la vaine apparence, et qu'on n'y considère point la vertu toute nue.

SCÈNE XIX.

GORGIBUS, MADELON, CATHOS, VIOLONS.

UN DES VIOLONS.

Monsieur! nous entendons que vous nous contentiez, à leur défaut, pour ce que nous avons joué ici. GORGIBUS, les battant.

Oui, oui, je vous vais contenter, et voici la monnaie dont je vous veux payer. Et vous, pendardes, je ne sais qui me tient que je ne vous en fasse autant; nous allons servir de fable et de risée à tout le monde, et voilà ce que vous vous êtes attiré par vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines; allez vous cacher pour jamais. ( Seul. ) Et vous, qui êtes cause de leur folie, sottes billevesées, pernicieux amusements des esprits oisifs, romans, vers, chan

Ah! mon père, c'est une pièce sanglante qu'ils sons, sonnets et sonnettes, puissiez-vous être à tous

nous ont faite!

GORGIBUS.

les diables!

1 Billevesées, ou plutôt billevezées, ainsi que l'écrit Rabelais. Balle remplie de vent, et, par allusion, discours vains, trompeurs. Mot composé de bille, balle, et de vezer, souffler, ou de veze, musette. De là billevesée, comme l'explique fort

Oui, c'est une pièce sanglante, mais qui est un effet de votre impertinence, infàmes! Ils se sont ressentis du traitement que vous leur avez fait, et cependant, malheureux que je suis! il faut que je boive bien Furetière, pour balle soufflée, pleine de vent. C'est préci

l'affront.

sément le nuga canoræ des Latins.

PIN DES PRECIEUSES RIDICULES,

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SCÈNE PREMIÈRE.

GORGIBUS, CÉLIE, LA SUIVANTE DE CÉLIE. CÉLIE, sortant toute éplorée, et son père la suivant. Ah! n'espérez jamais que mon cœur y consente.

GORGIBUS.

Que marmottez-vous là, petite impertinente?
Vous prétendez choquer ce que j'ai résolu?
Je n'aurai pas sur vous un pouvoir absolu?
Et, par sottes raisons, votre jeune cervelle
Voudrait régler ici la raison paternelle?
Qui de nous deux à l'autre a droit de faire loi?
A votre avis, qui mieux, ou de vous, ou de moi,
O sotte! peut juger ce qui vous est utile?
Par la corbleu! gardez d'échauffer trop ma bile;
Vous pourriez éprouver, sans beaucoup de longueur,
Si mon bras peut encor montrer quelque vigueur.
Votre plus court sera, madame la mutine,
D'accepter sans façon l'époux qu'on vous destine.
J'ignore, dites-vous, de quelle humeur il est,

1 Ce personnage comique est une création de Molière, et le nom de SCANARELLE est resté au caractère qu'il représente: on disait les Sganarelles, comme on avait dit les Jodelets, les GrosRenés, etc.

Et dois auparavant consulter s'il vous plaît :
Informé du grand bien qui lui tombe en partage,
Dois-je prendre le soin d'en savoir davantage?
Et cet époux ayant vingt mille bons ducats,
Pour être aimé de vous doit-il manquer d'appas?
Allez, tel qu'il puisse être, avecque cette somme
Je vous suis caution qu'il est très-honnête homme.
CÉLIE.

Hélas!!

GORGIBUS.

Eh bien, hélas! Que veut dire ceci? Voyez le bel hélas qu'elle nous donne ici! Eh! que si la colère une fois me transporte, Je vous ferai chanter hélas de bonne sorte! Voilà, voilà le fruit de ces empressements Qu'on vous voit nuit et jour à lire vos romans; De quolibets d'amour votre tête est remplie, Et vous parlez de Dieu bien moins que de Clélie 1. Jetez-moi dans le feu tous ces méchants écrits Qui gâtent tous les jours tant de jeunes esprits; Lisez-moi, comme il faut, au lieu de ces sornettes, Les Quatrains de Pibrac, et les doctes Tablettes ' Du conseiller Matthieu; l'ouvrage est de valeur, Et plein de beaux dictons à réciter par cœur. La Guide des pécheurs 3 est encore un bon livre; C'est là qu'en peu de temps on apprend à bien vivre; Et si vous n'aviez lu que ces moralités, Vous sauriez un peu mieux suivre mes volontés. CÉLIE. Quoi! vous prétendez donc, mon père, que j'oublie

Clélie, roman de mademoiselle Scudéry.

2 Ces deux ouvrages tenaient autrefois dans l'éducation de la jeunesse la même place que les fables de la Fontaine y tiennent aujourd'hui.

Livre de dévotion, par Louis de Grenade, dominicain espa gnol, mort en 1588. (B.)

La constante amitié que je dois à Lélie?
J'aurais tort si, sans vous, je disposais de moi,
Mais vous-même à ses vœux engageâtes ma foi.

GORGIBUS.

Lui fût-elle engagée encore davantage,

Un autre est survenu, dont le bien l'en dégage.
Lélie est fort bien fait; mais apprends qu'il n'est rien
Qui ne doive céder au soin d'avoir du bien;

Que l'or donne aux plus laids certain charme pour
Et que sans lui le reste est une triste affaire. [plaire,
Valère, je crois bien, n'est pas de toi chéri;
Mais s'il ne l'est amant, il le sera mari.
Plus que l'on ne le croit, ce nom d'époux engage,
Et l'amour est souvent un fruit du mariage.
Mais suis-je pas bien fat de vouloir raisonner
Où de droit absolu j'ai pouvoir d'ordonner?
Trêve donc, je vous prie, à vos impertinences.
Que je n'entende plus vos sottes doléances.
Ce gendre doit venir vous visiter ce soir;
Manquez un peu, manquez à le bien recevoir :
Si je ne vous lui vois faire fort bon visage,
Je vous... Je ne veux pas en dire davantage.

SCÈNE II.

CÉLIE, LA SUIVANTE de célie.

LA SUIVANTE.

Quoi! refuser, madame, avec cette rigueur, [cœur!
Ce que tant d'autres gens voudraient de tout leur
A des offres d'hymen répondre par des larmes,
Et tarder tant à dire un oui si plein de charmes!
Hélas! que ne veut-on aussi me marier!
Ce ne serait pas moi qui se ferait prier :

Et loin qu'un pareil oui me donnât de la peine,
Croyez que j'en dirais bien vite une douzaine.
Le précepteur qui fait répéter la leçon
A votre jeune frère a fort bonne raison
Lorsque, nous discourant des choses de la terre,
Il dit que la femelle est ainsi que le lierre,

Qui croît beau tant qu'à l'arbre il se tient bien serré,
Et ne profite point s'il en est séparé.

Il n'est rien de plus vrai, ma très-chère maîtresse,
Et je l'éprouve en moi, chétive pécheresse.
Le bon Dieu fasse paix à mon pauvre Martin!
Mais j'avais, lui vivant, le teint d'un chérubin,
L'embonpoint merveilleux, l'œil gai, l'âme contente;
Et je suis maintenant ma commère dolente.
Pendant cet heureux temps, passé comme un éclair,
Je me couchais sans feu dans le fort de l'hiver;
Sécher même les draps me semblait ridicule,
Et je tremble à présent dedans la canicule.
Enfin il n'est rien tel, madame, croyez-moi,
Que d'avoir un mari la nuit auprès de soi,

Ne fût-ce que pour l'heur d'avoir qui vous salue D'un, Dieu vous soit en aide, alors qu'on éternue. CÉLIE.

Peux-tu me conseiller de commettre un forfait, D'abandonner Lélie, et prendre ce mal fait?

LA SUIVANTE.

Votre Lélie aussi n'est, ma foi, qu'une bête,
Puisque si hors de temps son voyage l'arrête;
Et la grande longueur de son éloignement
Me le fait soupçonner de quelque changement.

CELIE, lui montrant le portrait de Lélie.
Ah! ne m'accable point par ce triste présage.
Vois attentivement les traits de ce visage,
Ils jurent à mon cœur d'éternelles ardeurs ;
Je veux croire, après tout, qu'ils ne sont pas menteurs,
Et que, comme c'est lui que l'art y représente,

Il conserve à mes feux une amitié constante.
LA SUIVANTE.

Il est vrai que ces traits marquent un digne amant, que vous avez lieu de l'aimer tendrement.

Et

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