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Et l'on ne doit jamais souffrir, sans dire mot,
De semblables affronts, à moins qu'être un vrai sot.
Courons donc le chercher, ce pendard qui m'affronte:
Montrons notre courage à venger notre honte.
Vous apprendrez, maroufle, à rire à nos dépens,
Et, sans aucun respect, faire cocus les gens.

(Il revient après avoir fait quelques pas.)
Doucement, s'il vous plaît; cet homme a bien la mine
D'avoir le sang bouillant et l'âme un peu mutine;
Il pourrait bien, mettant affront dessus affront,
Charger de bois mon dos, comme il a fait mon front.
Je hais de tout mon cœur les esprits colériques,
Et porte grand amour aux hommes pacifiques;
Je ne suis point battant, de peur d'être battu,
Et l'humeur débonnaire est ma grande vertu.
Mais mon honneur me dit que d'une telle offense
Il faut absolument que je prenne vengeance :
Ma foi! laissons-le dire autant qu'il lui plaira ;
Au diantre qui pourtant rien du tout en fera!
Quand j'aurai fait le brave, et qu'un fer, pour ma peine,
M'aura d'un vilain coup transpercé la bedaine,
Que par la ville ira le bruit de mon trépas,
Dites-moi, mon honneur, en serez-vous plus gras?
La bière est un séjour par trop mélancolique,
Et trop malsain pour ceux qui craignent la colique.
Et quant à moi, je trouve, ayant tout compassé,
Qu'il vaut mieux être encor cocu que trépassé.
Quel mal cela fait-il? la jambe en devient-elle
Plus tortue, après tout, et la taille moins belle?
Peste soit qui premier trouva l'invention
De s'affliger l'esprit de cette vision,

Et d'attacher l'honneur de l'homme le plus sage
Aux choses que peut faire une femme volage!
Puisqu'on tient, à bon droit, tout crime personnel,
Que fait là notre honneur pour être criminel?
Des actions d'autrui l'on nous donne le blâme :
Si nos femmes sans nous font un commerce infâme,
Il faut que tout le mal tombe sur notre dos :
Elles font la sottise, et nous sommes les sots.
C'est un vilain abus, et les gens de police
Nous devraient bien régler une telle injustice.
N'avons-nous pas assez des autres accidents
Qui nous viennent happer en dépit de nos dents?
Les querelles, procès, faim, soif et maladie,
Troublent-ils pas assez le repos de la vie,
Sans s'aller, de surcroît, aviser sottement
De se faire un chagrin qui n'a nul fondement ?
Moquons-nous de cela, méprisons les alarmes,
Et mettons sous nos pieds les soupirs et les larmes.
Si ma femme a failli, qu'elle pleure bien fort;
Mais pourquoi, moi, pleurer, puisque je n'ai point
En tous cas, ce qui peut m'ôter ma fâcherie, [tort?
C'est que je ne suis pas seul de ma confrérie.
Voir cajoler sa femme, et n'en témoigner rien,

Se pratique aujourd'hui par force gens de bien.
N'allons donc point chercher à faire une querelle
Pour un affront qui n'est que pure bagatelle.
L'on m'appellera sot, de ne me venger pas :
Mais je le serais fort, de courir au trépas.

(mettant la main sur sa poitrine.)
Je me sens là pourtant remuer une bile
Qui veut me conseiller quelque action virile :
Oui, le courroux me prend; c'est trop être poltron ;
Je veux résolument me venger du larron. [me,
Déjà, pour commencer, dans l'ardeur qui m'enflam
Je vais dire partout qu'il couche avec ma femme.
SCÈNE XVIII.

GORGIBUS, CÉLIE, LA SUIVANTE DE CÉLIE.

CELIE.

Oui, je veux bien subir une si juste loi :
Faites, quand vous voudrez, signer cet hyménée :
Mon père, disposez de mes vœux et de moi;
A suivre mon devoir je suis déterminée;
Je prétends gourmander mes propres sentiments,
Et me soumettre en tout à vos commandements.
GORGIBUS.

Ah! voilà qui me plaît, de parler de la sorte.
Parbleu, si grande joie à l'heure me transporte,
Que mes jambes sur l'heure en caprioleraient 1,
Si nous n'étions point vus de gens qui s'en riraient!
Approche-toi de moi; viens çà, que je t'embrasse.
Une telle action n'a pas mauvaise grâce;
Un père, quand il veut, peut sa fille baiser,
Sans que l'on ait sujet de s'en scandaliser.
Va, le contentement de te voir si bien née
Me fera rajeunir de dix fois une année..

SCÈNE XIX.

CÉLIE, LA SUIVANTE DE Célie.

LA SUIVANTE.

Ce changement m'étonne.

CÉLIE.

Et lorsque tu sauras Par quel motif j'agis, tu m'en estimeras.

LA SUIVANTE.

Cela pourrait bien être.

CÉLIE.

Apprends donc que Lélie A pu blesser mon cœur par une perfidie; Qu'il était en ces lieux sans...

Mot qui vient de l'italien cabriola. On disait autrefois caprioler; mais déjà, du temps de Richelet, le mot cabrioler étail plus usité.

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Guerre! guerre mortelle à ce larron d'honneur
Qui, sans miséricorde, a souillé notre honneur!
CÉLIE, à Lélie, lui montrant Sganarelle.
Tourne, tourne les yeux sans me faire répondre.
LÉLIE.
Ah! je vois...

CÉLIE.

Cet objet suffit pour te confondre.
LÉLIE.

Mais pour vous obliger bien plutôt à rougir.

SGANARELLE, à part.

Ma colère à présent est en état d'agir.

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CÉLIE.

Ah! cesse devant moi,
Traître, de ce discours l'insolence cruelle!
SGANARELLE, à part.

Sganarelle, tu vois qu'elle prend ta querelle!
Courage, mon enfant, sois un peu vigoureux.
Là, hardi ! tâche à faire un effort généreux,
En le tuant tandis qu'il tourne le derrière.
LÉLIE, faisant deux ou trois pas sans dessein, fait re-
tourner Sganarelle, qui s'approchait pour le tuer.
Puisqu'un pareil discours émeut votre colère,

Dessus ses grands chevaux est monté mon courage1; Je dois de votre cœur me montrer satisfait,

Et l'applaudir ici du beau choix qu'il a fait.

CÉLIE.

Il faut chercher l'origine de ce proverbe dans les usages de
l'ancienne chevalerie. Les chevaliers avaient deux espèces de
chevaux; ceux qu'ils montaient habituellement étaient connus
sous le nom de coursiers de palefroi : c'étaient des chevaux
d'une allure aisée et d'une force ordinaire. Mais, les jours de
bataille, on leur amenait des chevaux d'une vigueur et d'une Allez, vous faites bien de le vouloir défendre.

Oui, oui, mon choix est tel qu'on n'y peut rien repren-
LÉLIE.

taille remarquables, que des écuyers conduisaient à leur droite;
d'où leur est venu le nom de destriers. Ces destriers étaient
présentés aux chevaliers à l'heure même du combat : c'était ce
que l'on appelait alors monter sur ses grands chevaux. Depuis,
par allusion à cet usage, on a dit monter sur ses grands che-
vaux, pour, se mettre en colère, menacer, prendre un parti vi-
goureux, montrer de la fierté, de l'arrogance, du courage.

SGANARELLE.

[dre.

Sans doute, elle fait bien de défendre mes droits.
Cette action, monsieur, n'est point selon les lois :
J'ai raison de m'en plaindre, et si je n'étais sage,
On verrait arriver un étrange carnage.

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Suffit. Vous savez bien où le bât me fait mal;
Mais votre conscience et le soin de votre âme
Vous devraient mettre aux yeux que ma femme est ma
Et vouloir, à ma barbe, en faire votre bien, [femme,
Que ce n'est pas du tout agir en bon chrétien.
LÉLIE.

Un semblable soupçon est bas et ridicule.
Allez, dessus ce point n'ayez aucun scrupule :
Je sais qu'elle est à vous; et bien loin de brûler...
CÉLIE.

Ah! qu'ici tu sais bien, traître, dissimuler!

LÉLIE.

Quoi! me soupçonnez-vous d'avoir une pensée De qui son âme ait lieu de se croire offensée? De cette lâcheté voulez-vous me noircir?

CÉLIE.

Parle, parle à lui-même, il pourra t'éclaircir.
SGANARELLE, à Célie.

Vous me défendez mieux que je ne saurais faire,
Et du biais qu'il faut vous prenez cette affaire.

SCÈNE XXII.

CÉLIE, LÉLIE, SGANARELLE, LA FEMME DE SGANARELLE, LA SUIVANTE DE célie.

LA FEMME DE SGANARELLE.

Je ne suis point d'humeur à vouloir contre vous
Faire éclater, madame, un esprit trop jaloux;
Mais je ne suis point dupe, et vois ce qui se passe :
Il est de certains feux de fort mauvaise grâce;
Et votre âme devrait prendre un meilleur emploi,
Que de séduire un cœur qui doit n'être qu'à moi.

CELIE.

La déclaration est assez ingénue.

SGANARELLE, à sa femme.
L'on ne demandait pas, carogne, ta venue:
Tu la viens quereller lorsqu'elle me défend,
Et tu trembles de peur qu'on t'ôte ton galant.
CÉLIE.

Allez, ne croyez pas que l'on en ait envie.
(se tournant vers Lélie.)

Tu vois si c'est mensonge; et j'en suis fort ravie. LÉLIE.

Que me veut-on conter?

LA SUIVANTE.

Ma foi, je ne sais pas Quand on verra finir ce galimatias; Depuis assez long-temps je tâche à le comprendre,

Et si, plus je l'écoute, et moins je puis l'entendre. Je vois bien à la fin que je m'en dois mêler.

(Elle se met entre Lélie et sa maitresse.) Répondez-moi par ordre, et me laissez parler.

(à Lélie.)

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(montrant sa femme.) Sans doute. Et je l'avais de ses mains arraché; Et n'eusse pas sans lui découvert son péché.

LA FEMME DE SGANARELLE.

Que me viens-tu conter par ta plainte importune?
Je l'avais sous mes pieds rencontré par fortune:
Et même, quand, après ton injuste courroux,
(montrant Lélie.)

J'ai fait dans sa faiblesse entrer monsieur chez nous,
Je n'ai pas reconnu les traits de sa peinture.
CÉLIE.

C'est moi qui du portrait ai causé l'aventure;

1 Et si, plus je l'écoute. Nous avons déjà donné une explication de ce vieux mot, qui est employé ici pour néanmoins, pour

tant.

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LA FEMME DE SGANARELLE.

Ma crainte toutefois n'est pas trop dissipée,
Et, doux que soit le mal, je crains d'être trompée.
SGANARELLE, à sa femme.

Eh! mutuellement, croyons-nous gens de bien;
Je risque plus du mien que tu ne fais du tien.
Accepte sans façon le marché qu'on propose.

LA FEMME DE SGANARELLE.

Soit. Mais gare le bois si j'apprends quelque chose!
CÉLIE, à Lélie, après avoir parlé bas ensemble.
Ah! dieux, s'il est ainsi, qu'est-ce donc que j'ai fait ?
Je dois de mon courroux appréhender l'effet.
Oui, vous croyant sans foi, j'ai pris pour ma vengeance
Le malheureux secours de mon obéissance;
Et, depuis un moment, mon cœur vient d'accepter
Un hymen que toujours j'eus lieu de rebuter.
J'ai promis à mon père; et ce qui me désole...
Mais je le vois venir.

LÉLIE.

Il me tiendra parole.

SCÈNE XXIII.

GORGIBUS, CÉLIE, LÉLIE, SGANARELLE, LA FEMME De Sganarelle, LA SUIVANTE de célie.

LÉLIE.

Monsieur, vous me voyez en ces lieux de retour, Brûlant des mêmes feux; et mon ardent amour Verra, comme je crois, la promesse accomplie Qui me donna l'espoir de l'hymen de Célie.

GORGIBUS.

Monsieur, que je revois en ces lieux de retour, Brûlant des mêmes feux, et dont l'ardent amour Verra, que vous croyez, la promesse accomplie Qui vous donna l'espoir de l'hymen de Célie, Très-humble serviteur à votre seigneurie.

LÉLIE.

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Allons choisir le jour pour se donner la foi.
SGANARELLE, seul.

A-t-on mieux cru jamais être cocu que moi ?
Vous voyez qu'en ce fait la plus forte apparence
Peut jeter dans l'esprit une fausse créance.
De cet exemple-ci ressouvenez-vous bien;

Quoi! monsieur, est-ce ainsi qu'on trahit mon espoir? Et, quand vous verriez tout, ne croyez jamais rien.

FIN DU COCU IMAGINAIRE.

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DON ALVAR, confident de don Garcie, amant d'Elise.

DON LOPE, autre confident de don Garcie, amant d'Elise.

DON PEDRE, écuyer d'Ignès.

UN PAGE de done Elvire.

La scène est dans Astorgue, ville d'Espagne, dans le royaume de Léon.

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

DONE ELVIRE, ÉLISE.

DONE ELVIRE.

[amants, Non, ce n'est point un choix qui, pour ces deux Sut régler de mon cœur les secrets sentiments; Et le prince n'a point, dans tout ce qu'il peut être, Ce qui fit préférer l'amour qu'il fait paraître. Don Sylve, comme lui, fit briller à mes yeux Toutes les qualités d'un héros glorieux; Même éclat de vertus, joint à même naissance, Me parlait en tous deux pour cette préférence; Et je serais encore à nommer le vainqueur, Si le mérite seul prenait droit sur un cœur :

Mais ces chaînes du ciel qui tombent sur nos âmes

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Décidèrent en moi le destin de leurs flammes;
Et toute mon estime, égale entre les deux,
Laissa vers don Garcie entraîner tous mes vœux.
ÉLISE.

Cet amour que pour lui votre astre vous inspire
N'a sur vos actions pris que bien peu d'empire,
Puisque nos yeux, madame, ont pu longtemps douter
Qui de ces deux amants vous vouliez mieux traiter.

DONE ELVIRE.

De ces nobles rivaux l'amoureuse poursuite
A de fâcheux combats, Élise, m'a réduite.
Quand je regardais l'un, rien ne me reprochait
Le tendre mouvement où mon âme penchait;
Mais je me l'imputais à beaucoup d'injustice,
Quand de l'autre à mes yeux s'offrait le sacrifice :
Et don Sylve, après tout, dans ses soins amoureux,
Me semblait mériter un destin plus heureux.
Je m'opposais encor ce qu'au sang de Castille
Du feu roi de Léon semble devoir la fille;
Et la longue amitié qui, d'un étroit lien,
Joignit les intérêts de son père et du mien.
Ainsi, plus dans mon âme un autre prenait place,
Plus de tous ses respects je plaignais la disgrâce:
Ma pitié, complaisante à ses brûlants soupirs,
D'un dehors favorable amusait ses désirs,
Et voulait réparer, par ce faible avantage,
Ce qu'au fond de mon cœur je lui faisais d'outrage.
ÉLISE.

Mais son premier amour, que vous avez appris,
Doit de cette contrainte affranchir vos esprits;
Et puisque avant ces soins, où pour vous il s'engage,
Done Ignès de son cœur avait reçu l'hommage,
Et que, par des liens aussi fermes que doux,
L'amitié vous unit, cette comtesse et vous,
Son secret révélé vous est une matière
A donner à vos vœux liberté tout entière;
Et vous pouvez sans crainte, à cet amant confus,

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