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Près de souffrir sa vue, D'un trouble tout nouveau je me sens l'âme émue; Et la crainte, mêlée à mon ressentiment, Jette par tout mon corps un soudain tremblement. Prince, prends garde au moins qu'un aveugle caprice Ne te conduise ici dans quelque précipice, Et que de ton esprit les désordres puissants Ne donnent un peu trop au rapport de tes sens : Consulte ta raison, prends sa clarté pour guide; Vois si de tes soupçons l'apparence est solide : Ne démens pas leur voix, mais aussi garde bien Que, pour les croire trop, ils ne t'imposent rien, Qu'à tes premiers transports ils n'osent trop permetEt relis posément cette moitié de lettre. [tre,

Ah! qu'est-ce que mon cœur, trop digne de pitié, Ne voudrait pas donner pour son autre moitié! Mais, après tout, que dis-je? il suffit bien de l'une, Et n'en voilà que trop pour voir mon infortune.

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La voici. Ma raison, renferme mes transports,

Et rends-toi pour un temps maîtresse du dehors.

SCÈNE V.

DONE ELVIRE, DON GARCIE.

DONE ELVIRE.

Vous avez bien voulu que je vous fisse attendre? DON GARCIE, bas, à part.

Ah! qu'elle cache bien...

DONE ELVIRE.

On vient de nous apprendre

Que le roi votre père approuve vos projets,
Et veut bien que son fils nous rende nos sujets;
Et mon âme en a pris une allégresse extrême.

DON GARCIE.

Oui, madame, et mon cœur s'en réjouit de même ; Mais...

DONE ELVIRE.

er;

Le tyran sans doute aura peine à parer
Les foudres que partout il entend murmurer
Et j'ose me flatter que le même courage
Qui put bien me soustraire à sa brutale rage,
Et dans les murs d'Astorgue arrachée à ses mains,
Me faire un sûr asile à braver ses desseins,
Pourra, de tout Léon achevant la conquête,
Sous ses nobles efforts faire choir cette tête.
DON GARCIE.

Le succès en pourra parler dans quelques jours.
Mais, de grâce, passons à quelque autre discours.
Puis-je, sans trop oser, vous prier de me dire
A qui vous avez pris, madame, soin d'écrire,
Depuis que le destin nous a conduits ici ?

DONE ELVIRE.

Pourquoi cette demande, et d'où vient ce souci ?

DON GARCIE.

D'un désir curieux de pure fantaisie.

DONE ELVIRE.

La curiosité naît de la jalousie.

DON GARCIE.

Non, ce n'est rien du tout de ce que vous pensez; Vos ordres de ce mal me défendent assez.

DONE ELVIRE.

Sans chercher plus avant quel intérêt vous presse,
J'ai deux fois à Léon écrit à la comtesse,

Et deux fois au marquis don Louis, à Burgos.
Avec cette réponse êtes-vous en repos ?

DON GARCIE.

Vous n'avez point écrit à quelque autre personne, Madame ?

DONE ELVIRE.

Non, sans doute, et ce discours m'étonne.

DON GARCIE.

De grâce, songez bien, avant que d'assurer :

En manquant de mémoire, on peut se parjurer.

DONE ELVIRE.

Ma bouche, sur ce point, ne peut être parjure.

DON GARCIE.

Elle a dit toutefois une haute imposture.

DONE ELVIRE.

Prince!

DON GARCIE.

Madame!

DONE ELVIRE.

O ciel! quel est ce mouvement?

Avez-vous, dites-moi, perdu le jugement?

DON GARCIE.

Oui, oui, je l'ai perdu, lorsque dans votre vue
J'ai pris, pour mon malheur, le poison qui me tue,
Et que j'ai cru trouver quelque sincérité
Dans les traîtres appas dont je fus enchanté.

DONE ELVIRE.

De quelle trahison pouvez-vous donc vous plaindre?

DON GARCIE.

Ah! que ce cœur est double et sait bien l'art de feindre!
Mais tous moyens de fuir lui vont être soustraits.
Jetez ici les yeux, et connaissez vos traits :
Sans avoir vu le reste, il m'est assez facile
De découvrir pour qui vous employez ce style.

DONE ELVIRE.

Voilà donc le sujet qui vous trouble l'esprit ?

DON GARCIE.

Vous ne rougissez pas en voyant cet écrit?

DONE ELVIRE.

L'innocence à rougir n'est point accoutumée.

DON GARCIE.

Il est vrai qu'en ces lieux on la voit opprimée. Ce billet démenti pour n'avoir point de seing...

DONE ELVIRE.

Pourquoi le démentir, puisqu'il est de ma main?

DON GARCIE.

Encore est-ce beaucoup que,
de franchise pure,
Vous demeuriez d'accord que c'est votre écriture;
Mais ce sera, sans doute, et j'en serais garant,
Un billet qu'on envoie à quelque indifférent;
Ou du moins ce qu'il a de tendresse évidente
Sera pour une amie, ou pour quelque parente.

DONE ELVIRE.

Non, c'est pour un amant que ma main l'a formé : Et, j'ajoute de plus, pour un amant aimé.

DON GARCIE.

Et je puis, ô perfide...

DONE ELVIRE.

Arrêtez, prince indigne, De ce lâche transport l'égarement insigne. Bien que de vous mon cœur ne prenne point de loi, Et ne doive en ces lieux aucun compte qu'à soi, Je veux bien me purger, pour votre seul supplice,

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Madame, j'ai sujet de m'avouer coupable.
Je ne sais comme il est demeuré sur ma table;
Mais on vient de m'apprendre en ce même moment
Que don Lope venant dans mon appartement,
Par une liberté qu'on lui voit se permettre,
A fureté partout, et trouvé cette lettre.
Comme il la dépliait, Léonor a voulu

S'en saisir promptement, avant qu'il eût rien lu;
Et, se jetant sur lui, la lettre contestée

En deux justes moitiés dans leurs mains est restée;
Et don Lope aussitôt prenant un prompt essor,
A dérobé la sienne aux soins de Léonor.

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Ah! madame, excusez un amant misérable,
Qu'un sort prodigieux a fait vers vous coupable,
Et qui, bien qu'il vous cause un courroux si puissant,
Eût été plus blâmable à rester innocent.
Car enfin peut-il être une âme bien atteinte
Dont l'espoir le plus doux ne soit mêlé de crainte?
Et pourriez-vous penser que mon cœur eût aimé,
Si ce billet fatal ne l'eût point alarmé;

S'il n'avait point frémi des coups de cette foudre,
Dont je me figurais tout mon bonheur en poudre ?
Vous-même, dites-moi si cet événement

N'eût pas dans mon erreur jeté tout autre amant; Si d'une preuve, hélas ! qui me semblait si claire, Je pouvais démentir...

DONE ELVIRE.

Oui, vous le pouviez faire; Et dans mes sentiments, assez bien déclarés, Vos doutes rencontraient des garants assurés: Vous n'aviez rien à craindre; et d'autres, sur ce gage, Auraient du monde entier bravé le témoignage.

DON GARCIE.

Moins on mérite un bien qu'on nous fait espérer,
Plus notre âme a de peine à pouvoir s'assurer.
Un sort trop plein de gloire à nos yeux est fragile,

Et nous laisse aux soupçons une pente facile.
Pour moi, qui crois si peu mériter vos bontés,
J'ai douté du bonheur de mes témérités;

J'ai cru que dans ces lieux rangés sous ma puissance,
Votre âme se forçait à quelque complaisance;
Que, déguisant pour moi votre sévérité...

DONE ELVIRE.

Et je pourrais descendre à cette lâcheté ?
Moi, prendre le parti d'une honteuse feinte!
Agir par les motifs d'une servile crainte!
Trahir mes sentiments! et, pour être en vos mains,
D'un masque de faveur vous couvrir mes dédains?
La gloire sur mon cœur aurait si peu d'empire!
Vous pouvez le penser, et vous me l'osez dire!
Apprenez que ce cœur ne sait point s'abaisser;
Qu'il n'est rien sous les cieux qui puisse l'y forcer;
Et s'il vous a fait voir, par une erreur insigne,
Des marques de bonté dont vous n'étiez pas digne,
Qu'il saura bien montrer, malgré votre pouvoir,
La haine que pour vous il se résout d'avoir;
Braver votre furie, et vous faire connaître
Qu'il n'a point été lâche, et ne veut jamais l'être.

DON GARCIE.

Eh bien ! je suis coupable, et ne m'en défends pas.
Mais je demande grâce à vos divins appas;
Je la demande au nom de la plus vive flamme
Dont jamais deux beaux yeux aient fait brûler une
Que si votre courroux ne peut être apaisé, [âme.
Si mon crime est trop grand pour se voir excusé,
Si vous ne regardez ni l'amour qui le cause,
Ni le vif repentir que mon cœur vous expose,
Il faut qu'un coup heureux, en me faisant mourir,
M'arrache à des tourments que je ne puis souffrir.
Non, ne présumez pas qu'ayant su vous déplaire,
Je puisse vivre une heure avec votre colère.
Déjà de ce moment la barbare longueur
Sous ses cuisants remords fait succomber mon cœur
Et de mille vautours les blessures cruelles
N'ont rien de comparable à ses douleurs mortelles,
Madame, vous n'avez qu'à me le déclarer :
S'il n'est point de pardon que je doive espérer,
Cette épée aussitôt, par un coup favorable,
Va percer, à vos yeux, le cœur d'un misérable,
Ce cœur, ce traître cœur, dont les perplexités
Ont si fort outragé vos extrêmes bontés :
Trop heureux, en mourant, si ce coup légitime
Efface en votre esprit l'image de mon crime,
Et ne laisse aucuns traits de votre aversion
Au faible souvenir de mon affection!
C'est l'unique faveur que demande ma flamme

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ÉLISE.
Moi, je dis que d'un cœur que nous pouvons chérir,
Une injure sans doute est bien dure à souffrir;
Mais que s'il n'en est point qui davantage irrite,
Il n'en est point aussi qu'on pardonne si vite,
Et qu'un coupable aimé triomphe à nos genoux [roux,
De tous les prompts transports du plus bouillant cour-
D'autant plus aisément, madame, quand l'offense
Dans un excès d'amour peut trouver sa naissance.
Ainsi, quelque dépit que l'on vous ait causé,
Je ne m'étonne point de le voir apaisé;
Et je sais quel pouvoir, malgré votre menace,
A de pareils forfaits donnera toujours grâce.

C'est un scrupule enfin dont mon âme est blessée;
Et contre mes désirs, je sens je ne sais quoi
Me prédire un éclat entre le prince et moi,
Qui, malgré ce qu'on doit aux vertus dont il brille...
Mais, ô ciel! en ces lieux don Sylve de Castille!

DONE ELVIRE.

Ah! sache, quelque ardeur qui m'impose des lois,
Que mon front a rougi pour la dernière fois;
que si désormais on pousse ma colère,

Et

Il n'est point de retour qu'il faille qu'on espère.
Quand je pourrais reprendre un tendre sentiment,
C'est assez contre lui que l'éclat d'un serment:
Car enfin un esprit qu'un peu d'orgueil inspire
Trouve beaucoup de honte à se pouvoir dédire;
Et souvent, aux dépens d'un pénible combat,
Fait sur ses propres vœux un illustre attentat,
S'obstine par honneur, et n'a rien qu'il n'immole
A la noble fierté de tenir sa parole.

Ainsi, dans le pardon que l'on vient d'obtenir,
Ne prends point de clartés pour régler l'avenir;
Et quoi qu'à mes destins la fortune prépare,
Crois que je ne puis être au prince de Navarre,
Que de ces noirs accès qui troublent sa raison
Il n'ait fait éclater l'entière guérison;

Et réduit tout mon cœur, que ce mal persécute,
A n'en plus redouter l'affront d'une rechute.

ÉLISE.

SCÈNE II.

DONE ELVIRE, DON ALPHONSE, cru don
Sylve; ÉLISE.

DONE ELVIRE.

Ah! seigneur, par quel sort vous vois-je maintenant?

DON ALPHONse.

Je sais que mon abord, madame, est surprenant,
Et qu'être sans éclat entré dans cette ville,
Dont l'ordre d'un rival rend l'accès difficile;
Qu'avoir pu me soustraire aux yeux de ses soldats,
C'est un événement que vous n'attendiez pas.
Mais si j'ai dans ces lieux franchi quelques obstacles,
L'ardeur de vous revoir peut bien d'autres miracles;
Tout mon cœur a senti par de trop rudes coups
Le rigoureux destin d'être éloigné de vous,
Et je n'ai pu nier au tourment qui le tue,
Quelques moments secrets d'une si chère vue.
Je viens vous dire donc que je rends grâce aux cieux
De vous voir hors des mains d'un tyran odieux;
Mais parmi les douceurs d'une telle aventure,
Ce qui m'est un sujet d'éternelle torture,

C'est de voir qu'à mon bras les rigueurs de mon sort
Ont envié l'honneur de cet illustre effort,
Et fait à mon rival, avec trop d'injustice,
Offrir les doux périls d'un si fameux service.
Oui, madame, j'avais, pour rompre vos liens,
Des sentiments sans doute aussi beaux que les siens;
Et je pouvais pour vous gagner cette victoire,

Mais quel affront nous fait le transport d'un jaloux? Si le ciel n'eût voulu m'en dérober la gloire.

DONE ELVIRE.

En est-il un qui soit plus digne de courroux?
Et puisque notre cœur fait un effort extrême
Lorsqu'il se peut résoudre à confesser qu'il aime,
Puisque l'honneur du sexe, en tout temps rigoureux,
Oppose un fort obstacle à de pareils aveux,
L'amant qui voit pour lui franchir un tel obstacle
Doit-il impunément douter de cet oracle?

Et n'est-il pas coupable, alors qu'il ne croit pas
Ce qu'on ne dit jamais qu'après de grands combats?
ÉLISE.

Moi, je tiens que toujours un peu de défiance
En ces occasions n'a rien qui nous offense;
Et qu'il est dangereux qu'un cœur qu'on a charmé
Soit trop persuadé, madame, d'être aimé,
Si...

DONE ELVIRE.

N'en disputons plus. Chacun a sa pensée.

DONE ELVIRE.

Je sais, seigneur, je sais que vous avez un cœur
Qui des plus grands périls vous peut rendre vainqueur;
Et je ne doute point que ce généreux zèle,
Dont la chaleur vous pousse à venger ma querelle,
N'eût, contre les efforts d'un indigne projet,
Pu faire en ma faveur tout ce qu'un autre a fait.
Mais sans cette action dont vous étiez capable,
Mon sort à la Castille est assez redevable.
On sait ce qu'en ami plein d'ardeur et de foi,
Le comte votre père a fait pour le feu roi :
Après l'avoir aidé jusqu'à l'heure dernière,
Il donne en ses états un asile à mon frère;
Quatre lustres entiers il y cache son sort
Aux barbares fureurs de quelque lâche effort;
Et pour rendre à son front l'éclat d'une couronne,
Contre nos ravisseurs vous marchez en personne.
N'êtes-vous pas content? et ces soins généreux

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