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Le plus sûr est, ma foi, de se fier en nous;
Qui nous gêne se met en un péril extrême,

Et toujours notre honneur veut se garder lui-même.
C'est nous inspirer presque un désir de pécher,
Que montrer tant de soins de nous en empêcher;
Et si par un mari je me voyais contrainte,
J'aurais fort grande pente à confirmer sa crainte.
SGANARELLE, à Ariste.

Voilà, beau précepteur, votre éducation.
Et vous souffrez cela sans nulle émotion?
ARISTE.

Mon frère, son discours ne doit que faire rire;
Elle a quelque raison en ce qu'elle veut dire.
Leur sexe aime à jouir d'un peu de liberté;
On le retient fort mal par tant d'austérité;
Et les soins défiants, les verrous et les grilles,
Ne font pas la vertu des femmes ni des filles :
C'est l'honneur qui les doit tenir dans le devoir,
Non la sévérité que nous leur faisons voir.
C'est une étrange chose, à vous parler sans feinte,
Qu'une femme qui n'est sage que par contrainte.
En vain sur tous ses pas nous prétendons régner,
Je trouve que le cœur est ce qu'il faut gagner,
Et je ne tiendrais, moi, quelque soin qu'on se donne,
Mon honneur guère sûr aux mains d'une personne
A qui, dans les désirs qui pourraient l'assaillir,
Il ne manquerait rien qu'un moyen de faillir.

SGANARELLE.

Chansons que tout cela!

ARISTE.

Soit; mais je tiens sans cesse
Qu'il nous faut en riant instruire la jeunesse,
Reprendre ses défauts avec grande douceur,
Et du nom de vertu ne lui point faire peur.
Mes soins pour Léonor ont suivi ces maximes;
Des moindres libertés je n'ai point fait des crimes;
A ses jeunes désirs j'ai toujours consenti,
Et je ne m'en suis point, grâce au ciel, repenti.
J'ai souffert qu'elle ait vu les belles compagnies,
Les divertissements, les bals, les comédies;

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Et quoi donc ?

Ce sont choses, pour moi, que je tiens de tout temps Oui, vraiment.
Fort propres à former l'esprit des jeunes gens;
Et l'école du monde, en l'air dont il faut vivre,
Instruit mieux à mon gré que ne fait aucun livre.
Elle aime à dépenser en habits, linge, et nœuds;
Que voulez-vous? Je tâche à contenter ses vœux;
Et ce sont des plaisirs qu'on peut, dans nos familles,
Lorsque l'on a du bien, permettre aux jeunes filles.
Un ordre paternel l'oblige à m'épouser;
Mais mon dessein n'est pas de la tyranniser.
Je sais bien que nos ans ne se rapportent guère,
Et je laisse à son choix liberté tout entière.
Si quatre mille écus de rente bien venants,

D'accord.

SGANARELLE.

Et chez vous iront les damoiseaux ?

ARISTE.

SGANARELLE.

Qui joûront, et donneront cadeaux 1?

ARISTE.

SGANARELLE.

Et votre femme entendra les fleurettes ?

1 Donner un cadeau signifiait, du temps de Molière, donner un repas.

2 Il semble que les tendres discours des amants aient été nommés fleurettes, comme si c'étaient de petites fleurs de rhétori

Fort bien.

ARISTE.

SCÈNE IV.

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que qu'ils emploient pour mieux persuader. Mais, selon le Noble, le mot fleurette a une autre étymologie. Il y avait en France, sous Charles VI, une espèce de monnaie sur laquelle on avait gravé une multitude de petites fleurs; ces pièces de monnaie s'appelaient des fleurettes: de sorte que compter fleurette, c'était compter de la monnaie, ce qui, dans tous les temps, a été le moyen le plus persuasif. (MÉN. )

'Goguenard, du vieux mot gogue, plaisanterie, ou, comme on disait autrefois, joyeuseté. Goguettes est le diminutif de gogue. Ces trois mots viennent du bas-breton gog, qui signific satire.

SGANARELLE.

Oh! que les voilà bien tous formés l'un pour l'autre!
Quelle belle famille! Un vieillard insensé

Qui fait le dameret dans un corps tout cassé;
Une fille maîtresse et coquette suprême;
Des valets impudents: non, la Sagesse même
N'en viendrait pas à bout, perdrait sens et raison
A vouloir corriger une telle maison.
Isabelle pourrait perdre dans ces hantises
Les semences d'honneur qu'avec nous elle a prises;
Et pour l'en empêcher, dans peu nous prétendons
Lui faire aller revoir nos choux et nos dindons.

SCÈNE V.

VALÈRE, SGANARELLE, ERGASTE.

VALÈRE, dans le fond du théâtre.
Ergaste, le voilà cet argus que j'abhorre,
Le sévère tuteur de celle que j'adore.

SGANARELLE, se croyant seul.
N'est-ce pas quelque chose enfin de surprenant
Que la corruption des mœurs de maintenant ?
VALÈRE.
Je voudrais l'accoster, s'il est en ma puissance,
Et tâcher de lier avec lui connaissance.

SGANARELLE, se croyant seul.

Au lieu de voir régner cette sévérité
Qui composait si bien l'ancienne honnêteté,
La jeunesse en ces lieux, libertine, absolue,
Ne prend...

(Valère salue Sganarelle de loin. )
VALÈRE.

Il ne voit pas que c'est lui qu'on salue.

ERGASTE.

Son mauvais œil peut-être est de ce côté-ci.
Passons du côté droit.

SGANARELLE, se croyant seul.
Il faut sortir d'ici.
Le séjour de la ville en moi ne peut produire
Que des...

VALÈRE, en s'approchant peu à peu.
Il faut chez lui tâcher de m'introduire.
SG ANARELLE, entendant quelque bruit.
Hé! j'ai cru qu'on parlait.

(se croyant seul.)
Aux champs, grâces aux cieux,
Les sottises du temps ne blessent point mes yeux.
ERGASTE, à Valère.

Abordez-le.

SGANARELLE, entendant encore du bruit. Plaît-il?

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Que m'importe?

SGANARELLE.

VALÈRE.

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C'est ce qui fait pour vous; et sur ces conséquences
Votre amour doit fonder de grandes espérances.

Il est vrai ; mais pour les nouveautés Apprenez, pour avoir votre esprit raffermi,

On peut avoir parfois des curiosités.

Vous irez voir, monsieur, cette magnificence Que de notre dauphin prépare la naissance 2?

Si je veux.

SGANARELLE.

1 Godelureau, un jeune galant. Ce mot est du style familier: suivant Ménage, il vient du mot latin gaudere, se réjouir.

2 Il s'agit ici du dauphin, fils de Louis XIV, appelé Monseigneur, qui naquit à Fontainebleau le 1er novembre 1661, et mourut à Meudon le 14 avril 1711. Le dauphin étant né cinq mois après la première représentation de l'École des Maris, qui eut lieu au commencement de juin 1661, ces vers, où il est question des fêtes de sa naissance, furent ajoutés après coup par Molière. (A.)

Qu'une femme qu'on garde est gagnée à demi,.
Et que les noirs chagrins des maris ou des pères
Ont toujours du galant avancé les affaires.
Je coquette fort peu, c'est mon moindre talent,
Et de profession je ne suis point galant :
Mais j'en ai servi vingt de ces chercheurs de proie,
Qui disaient fort souvent que leur plus grande joie
Etait de rencontrer de ces maris fâcheux,

'On ne dit plus repart, mais repartie. Dans un autre mot de la même famille, le changement a été inverse: on disait anciennement départie; on dit aujourd'hui départ. (A.) — On voit un exemple du mot départie pour départ dans la chanson de Henri IV à la belle Gabrielle.

Qui jamais sans gronder ne reviennent chez eux;
De ces brutaux fieffés qui, sans raison ni suite,
De leurs femmes en tout contrôlent la conduite,
Et du nom de mari fièrement se parants,

Leur rompent en visière aux yeux des soupirants.
On en sait, disent-ils, prendre ses avantages;
Et l'aigreur de la dame à ces sortes d'outrages,
Dont la plaint doucement le complaisant témoin,
Est un champ à pousser les choses assez loin;
En un mot, ce vous est une attente assez belle
Que la sévérité du tuteur d'Isabelle.

VALÈRE.

Mais, depuis quatre mois que je l'aime ardemment, Je n'ai pour lui parler pu trouver un moment.

ERGASTE.

L'amour rend inventif; mais vous ne l'êtes guère : Et si j'avais été...

VALÈRE.

Mais qu'aurais-tu pu faire, Puisque sans ce brutal on ne la voit jamais; Et qu'il n'est là-dedans servantes ni valets Dont, par l'appât flatteur de quelque récompense, Te puisse pour mes feux ménager l'assistance?

ERGASTE.

Elle ne sait donc pas encor que vous l'aimez ?
VALÈRE.

C'est un point dont mes vœux ne sont pas informés.
Partout où ce farouche a conduit cette belle,
Elle m'a toujours vu comme une ombre après elle;
Et mes regards aux siens ont tâché chaque jour
De pouvoir expliquer l'excès de mon amour.
Mes yeux ont fort parlé; mais qui me peut apprendre
Si leur langage enfin a pu se faire entendre?

ERGASTE.

Ce langage, il est vrai, peut être obscur parfois, S'il n'a pour truchement l'écriture ou la voix.

VALÈRE.

Que faire pour sortir de cette peine extrême, Et savoir si la belle a connu que je l'aime ? Dis-m'en quelque moyen.

ERGASTE.

C'est ce qu'il faut trouver : Entrons un peu chez vous, afin d'y mieux rêver.

1 Rompre en visière, contredire avec violence. Voyez la note des Facheux, acte I, scène x.

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Vite, puisque monsieur à cela se résout,

Donnez un siége ici.

SGANARElle.

Je veux parler debout.
VALÈRE.

Vous souffrir de la sorte!...

SGANARELLE.

VALÈRE.

SGANARELLE.

Oui, vous. Mettons bas toute feinte.
VALÈRE.

Qui vous a dit que j'ai pour elle l'âme atteinte ?

SGANARELLE.

Des gens à qui l'on peut donner quelque crédit.
VALÈRE.

Mais encor?

SGANARELLE.

Elle-même.

VALÈRE.
Elle?
SGANARELLE.

Elle. Est-ce assez dit?

Comme une fille honnête, et qui m'aime d'enfance,
Elle vient de m'en faire entière confidence;
Et, de plus, m'a chargé de vous donner avis
Que, depuis que par vous tous ses pas sont suivis,
Son cœur, qu'avec excès votre poursuite outrage,
N'a que trop de vos yeux entendu le langage;
Que vos secrets désirs lui sont assez connus,

Ah! contrainte effroyable! Et que c'est vous donner des soucis superflus
VALÈRE.
De vouloir davantage expliquer une flamme
Qui choque l'amitié que me garde son âme.
VALÈRE.

Cette incivilité serait trop condamnable.

SGANARELLE.

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C'est elle, dites-vous, qui de sa part vous fait...

SGANARELLE.

Oui, vous venir donner cet avis franc et net;
Et qu'ayant vu l'ardeur dont votre âme est blessée,
Elle vous eût plus tôt fait savoir sa pensée,
Si son cœur avait eu, dans son émotion,
A qui pouvoir donner cette commission;

Mais qu'enfin les douleurs d'une contrainte extrême
L'ont réduite à vouloir se servir de moi-même,
Pour vous rendre averti, comme je vous ai dit,
Qu'à tout autre que moi son cœur est interdit,
Que vous avez assez joué de la prunelle,

Et que, si vous avez tant soit peu de cervelle,
Vous prendrez d'autres soins. Adieu, jusqu'au revoir.
Voilà ce que j'avais à vous faire savoir.

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