ALAIN. Et sans doute il faut bien qu'à ce becque cornu' Enfin, après cent tours, ayant de la manière Nous n'avons point voulu , de peur du personnage, Risquer à nous tenir ensemble davantage; C'était trop hasarder : mais je dois, cette nuit, Dans sa chambreun peu tard m'introduire sans bruit. En toussant par trois fois je me ferai connaître; Je veux, pour espion qui soit d'exacte vue, Et je dois au signal voir ouvrir la fenêtre, Dont, avec une échelle, et secondé d'Agnès, Comme à mon seul ami je veux bien vous l'apprendre. Vous prendrez part, je pense, à l'heur de més affaires. ચે SCÈNE VII. ARNOLPHE. Quoi ! l'astre qui s'obstine à me désespérer Coup sur coup je verrai , par leur intelligence, J'ai cherché les moyens, voulant prendreune femme, Pour ce noble dessein j'ai cru mettre en pratique Après vingt ans et plus de méditation Pour me conduire en tout avec précaution, De tant d'autres maris j'aurais quitté la trace, 1 Etre en accessoire, suivant Nicot, signifie etre en danger. Marot s'en est servi dans le sens de désordre : il dit en parlant des ennemis : 1 Becque cornu est une imitation du mot italien becco, qui Que la pique on manie, signifie bouc. (B.) – Les vieux conteurs emploient quelquefois Pour les choquer et mettre en accessoire. ces deux mots réunis dans le sens de cornard. (A.) 2 Mais, du latin magis, plus, davantage: vieux mot dont on Molière est le dernier de nos auteurs classiques qui ait employé se sert encore dans quelques provinces : je n'en puis mais, je ce mut. l'uime mais que toi. (MÉN.) HORACE. CHRYSALDE. Pour me trouver après dans la même disgrace! Mettez-vous dans l'esprit qu'on peut du cocuage Et pour se bien conduire en ces difficultés, Qui tirent vanité de ces sortes d'affaires, De leurs femmes toujours vont citant les galants, En font partout l'éloge, et prônent leurs talents, Témoignent avec eux d'étroites sympathies, Sont de tous leurs cadeaux, de toutes leurs parties', De voir leur hardiesse à montrer là leur nez. Mais l'autre extrémité n'est pas moins condamnable. Non. Je jeûne ce soir. Si je n'approuve pas ces amis des galants, Je ne suis pas aussi pour ces gens turbulents Dont l'imprudent chagrin, qui tempête et qui gronde, Attire au bruit qu'il fait les yeux de tout le monde, De grâce, excusez-moi, j'ai quelque autre embarras. Et qui, par cet éclat, semblent ne pas vouloir Qu'aucun puisse ignorer ce qu'ils peuvent avoir. Votre hymen résolu ne se fera-t-il pas ? Entre ces deux partis il en est un honnête, Où, dans l'occasion, l'homme prudent s'arrête ; C'est trop s'inquiéter des affaires des autres. Et quand on le sait prendre, on n'a point à rougir CHRYSALDE. Du pis dont une femme avec nous puisse agir. Oh, oh! si brusquement! Quels chagrins sont les vô- Quoi qu'on en puisse dire enfin, le cocuage Serait-il point, compère, à votre passion (tres ? Sous des traits moins affreux aisément s'envisage; Arrivé quelque peu de tribulation ? Et, comme je vous dis , toute l'habileté Ne va qu'à le savoir tourner du bon côté. ARNOLPHE. Doit un remerciment à votre seigneurie; Montrera de la joie à s'y voir enrôler. C'est un étrange fait, qu'avec tant de lumières CHRYSALDE. Vous vous effarouchiez toujours sur ces matières; Je ne dis pas cela; car c'est ce que je blâme; Qu'en cela vous mettiez le souverain bonheur, Mais comme c'est le sort qui nous donne une femme, Et ne conceviez point au monde d'autre honneur. Je dis que l'on doit faire ainsi qu'au jeu de dés, Être avare, brutal, fourbe, méchant et lâche, Où, s'il ne vous vient pas ce que vous demandez, N'est rien, à votre avis, auprès de cette tache; Il faut jouer d'adresse, et d'une âme réduite, Et de quelque façon qu'on puisse avoir vécu, Corriger le hasard par la bonne conduite. ARNOLPHE. Et se persuader que tout cela n'est rien. CHRYSALDE fdre. L'injustice d'un mal qu'on ne peut empêcher ? Vous pensez vous moquer; mais, à ne vous rien fein. Pourquoi voulez-vous, dis-je, en prenant une femme, Dans le monde je vois cent choses plus à craindre, Qu'on soit digne, à son choix, de louange ou de blâme, Et dont je me ferais un bien plus grand malheur Et qu'on s'aille former un monstre plein d'effroi Que de cet accident qui vous fait tant de peur. De l'affront que nous fait son manquement de foi ? I Cadeau signifiait autrefois file, repus. 7 ALAIN. SCÈNE I. Pensez-vous qu'à choisir de deux choses prescrites, Veut, comme je l'ai su, m'attraper cette nuit, Je n'aimasse pas mieux être ce que vous dites, Dans la chambre d'Agnès entrer par escalade; Que de me voir mari de ces femmes de bien, Mais il lui faut , nous trois, dresser une embuscade. Dont la mauvaise humeur fait un procès sur rien; Je veux que vous preniez chacun un bon bâton, Ces dragons de vertu, ces honnêtes diablesses, Et , quand il sera près du dernier échelon Se retranchant toujours sur leurs sages prouesses; (Car dans le temps qu'il faut j'ouvrirai la fenêtre), Qui, pour un petit tort qu'elles ne nous font pas, Que tous deux à l'envi vous me chargiez ce traître, Prennent droit de traiter les gens de haut en bas, Mais d'un air dont son dos garde le souvenir, Et veulent, sur le pied de nous être fidèles, Et qui lui puisse apprendre à n'y plus revenir; Que nous soyons tenus à tout endurer d'elles ? Sans me nommer pourtant en aucune manière, Encore un coup, compère, apprenez qu'en effet Ni faire aucun semblant que je serai derrière. Le cocuage n'est que ce que l'on le fait; Aurez-vous bien l'esprit de servir mon courroux ? Qu'on peut le souhaiter pour de certaines causes, Et qu'il a ses plaisirs comme les autres choses. S'il ne tient qu'à frapper, monsieur, tout est à nous : ARNOLPHE. Vous verrez, quand je bats, si j'y vais de main morte. Si vous êtes d'humeur à vous en contenter, GEORGETTE. N'en quitte pas sa part à le bien étriller. ARNOLPHE. ( seul.) Et l'on ne prendra pas votre avis là-dessus. Voilà pour le prochain une leçon utile; Et si tous les maris qui sont en cette ville De leurs femmes ainsi recevaient le galant, Le nombre des cocus ne serait pas si grand. ARNOLPHE. SCÈNE PREMIÈRE. CHRYSALDE. ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE. Nous en saurons la cause. Adieu. Souvenez-vous, ARNOLPHE. Quoi que sur ce sujet votre honneur vous inspire, Traîtres ! qu'avez-vous fait par cette violence ? Que c'est être à demi ce que l'on vient de dire, Que de vouloir jurer qu'on ne le sera pas. Nous vous avons rendu, monsieur, obéissance. ARNOLPHE. ARNOLPHE. Moi, je le jure encore, et je vais de ce pas De cette excuse en vain vous voulez vous armer, Contre cet accident trouver un bon remède. L'ordre était de le battre, et non de l'assommer; (Il court heurter à sa porte.) Et c'était sur le dos, et non pas sur la tête, SCÈNE IX. Que j'avais commandé qu'on fit choir la tempête. Ciel ! dans quel accident me jette ici le sort! ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE. Et que puis-je résoudre à voir cet homme mort ? ARNOLPHE. Rentrez dans la maison, et gardez de rien dire Mes amis, c'est ici que j'implope votre aide. De cet ordre innocent que j'ai pu vous prescrire. Je suis édifié de votre affection; (seul.) Mais il faut qu'elle éclate en cette occasion; Le jour s'en va paraître, et je vais consulter Et si vous m'y servez selon ma confiance, Comment dans ce malheur je me dois comporter. Vous êtes assurés de votre récompense. Hélas ! que deviendrai-je ? et que dira le père, L'homme que vous savez (n'en faites point de bruit) | Lorsque inopinément il saura cette affaire ? ACTE CINQUIÈME . ALAIN. SCÈNE II. Et, pendant tout ce trouble étant moins observée, Du logis aisément elle s'était sauvée; Mais me trouvant sans mal, elle a fait éclater Un transport difficile à bien représenter. Que vous dirai-je enfin? Cette aimable personne Il faut que j'aille un peu reconnaître qui c'est. A suivi les conseils que son amour lui donne, N'a plus voulu songer à retourner chez soi, Et de tout son destin s'est commise à ma foi. (Heurté par Horace, qu'il ne reconnait pas.) Considérez un peu , par ce trait d’innocence, Qui va là, s'il vous plaît ? Où l'expose d'un fou la haute impertinence, Et quels fåcheux périls elle pourrait courir Si j'étais maintenant homme à la moins chérir. Mais d'un trop pur amour mon âme est embrasée; J'aimerais mieux mourir que l'avoir abusée : C'est Horace. Je lui vois des appas dignes d'un autre sort, Et rien ne m'en saurait séparer que la mort. Je prévois là-dessus l'emportement d'un père; Mais nous prendrons le temps d'apaiser sa colère. A des charmes si doux je me laisse emporter; Est-ce un enchantement? est-ce une illusion ? Et dans la vie, enfin, il se faut contenter. HORACE. Ce que je veux de vous, sous un secret fidèle, J'étais, à dire vrai, dans une grande peine; C'est que je puisse mettre en vos mains cette belle; Et je bénis du ciel la bonté souveraine Que dans votre maison, en faveur de mes feux, Qui fait qu'à point nommé je vous rencontre ainsi. Vous lui donniez retraite au moins un jour ou deux, Je viens vous avertir que tout a réussi , Outre qu'aux yeux du monde il faut cacher sa fuite, Et même beaucoup plus que je n'eusse osé dire, Et qu'on en pourra faire une exacte poursuite, Et par un incident qui devait tout détruire. Vous savez qu'une fille aussi de sa façon Je ne sais point par où l'on a pu soupçonner Donne avec un jeune homme un étrange soupçon: Cette assignation qu'on m'avait su donner; Et comme c'est à vous, sûr de votre prudence, Mais, étant sur le point d'atteindre à la fenêtre, Que j'ai fait de mes feux entière confidence, J'ai, contre mon espoir, vu quelques gens paraître, C'est à vous seul aussi, comme ami généreux, Qui, sur moi brusquement levant chacun le bras, Que je puis confier ce dépôt amoureux. M'ont fait manquer le pied et tomber jusqu'en bas: ARNOLPHE. Et ma chute, aux dépens de quelque meurtrissure, Je suis , n'en doutez point, tout à votre service. HORACE. De vingt coups de bâton m'a sauvé l'aventure. Vous voulez bien me rendre un si charmant office? Ces gens-là, dont était, je pense, mon jaloux, ARNOLPHE. Ont imputé ma chute à l'effort de leurs coups : Très-volontiers, vous dis-je; et je me sens ravir Et comme la douleur, un assez long espace, De cette occasion que j'ai de vous servir. M'a fait sans remuer demeurer sur la place, Je rends grâces au ciel de ce qu'il me l'envoie, Ils ont cru tout de bon qu'ils m'avaient assommé, Et n'ai jamais rien fait avec si grande joie. HORACE. J'avais de votre part craint des difficultés : Vous savez excuser le feu de la jeunesse. ARNOLPHE, Mais comment ferons-nous ? car il fait un peu jour. Et comme je songeais à me retirer ,'moi, Si je la prends ici, l'on me verra peut-être; De cette feinte mort la jeune Agnès émue Et, s'il faut que chez moi vous veniez à paraître, Avec empressement est devers moi venue : Des valets causeront. Pour jouer au plus sûr, Car les discours qu'entre eux ces gens avaient tenus faut me l'ai ner dans un lieu plus obscur. Jusques a son oreille étaient d'abord venus. Mon allée est commode, et je l'y vais attendre. HORACE. HORACE. HORACE. Ce sont précautions qu'il est fort bon de prendre. Adieu , le jour me chasse. Pour moi, je ne ferai que vous la mettre en main, AGNÈS. Et chez moi, sans éclat, je retourne soudain. Quand vous verrai-je donc ? ARNOLPHE, seul. HORACE. Ah! fortune, ce trait d'aventure propice Bientôt assurément. Répare tous les maux que m'a fait ton caprice! AGNÈS. HORACE, en s'en allant. Grâce au ciel, mon bonheur n'est plus en concurrence; Et je puis maintenant dormir en assurance'. SCÈNE IV. ARNOLPHE, AGNÈS. ARNOLPHE, caché dans son manteau, et déguisant sa voir. Venez, ce n'est pas là que je vous logerai, Et votre gite ailleurs est par moi préparé. Je prétends en lieu sûr mettre votre personne. HORACE. (se faisant connaitre.) Me connaissez-vous ? AGNÈS. Hai ! ARNOLPHE. J'en suis assez pressé par ma flamme amoureuse. Mon visage, friponne, AGNÈS. Dans cette occasion rend vos sens effrayés, Quand je ne vous vois point, je ne suis point joyeuse. Et c'est à contre-cour qu'ici vous me voyez; HORACE. Je trouble en ses projets l'amour qui vous possède. Hors de votre présence, on me voit triste aussi. (Agnès regarde si elle ne verra point Horace.) AGNÈS. N'appelez point des yeux le galant à votre aide; Hélas ! s'il était vrai, vous resteriez ici. Il est trop éloigné pour vous donner secours. Ah! ah! si jeune encor, vous jouez de ces tours! Quoi! vous pourriez douter de mon amour extrême! Votre simplicité, qui semble sans pareille, Demande si l'on fait des enfants par l'oreille; Et vous savez donner des rendez-vous la nuit, (Arnolphe la tire.) Et pour suivre un galant vous évader sans bruit! Ah! l'on me tire trop. Tudieu! comme avec lui votre langue cajole! Il faut qu'on vous ait mise à quelque bonne école ! Qui diantre tout d'un coup vous en a tant appris? Chère Agnès, qu'en ce lieu nous soyons vus tous deux; Vous ne craignez donc plus de trouver des esprits? Et le parfait ami de qui la main vous presse Et ce galant, la nuit, vous a donc enhardie? Ah! coquine, en venir à cette perfidie ! Malgré tous mes bienfaits former un tel dessein! Mais suivre un inconnu que... Petit serpent que j'ai réchauffé dans mon sein, HORACE. Et qui, dès qu'il se sent, par une humeur ingrate N'appréhendez rien : Cherche à faire du mal à celui qui le flatte! AGNÈS. Pourquoi me criez-vous? J'ai grand tort en effet ! (à Arnolphe qui la tire encore.) ' Phrase d'un usage vulgaire, par laquelle on exprime l'état Attendez. d'une sécurité parfaite. HORACE. ARNOLPHE. |