Je m'y suis efforcé de toute ma puissance; Mais les soins que j'ai pris, je les ai perdus tous. AGNÈS. Vraiment, il en sait donc là-dessus plus que vous; Car à se faire aimer il n'a point eu de peine. ARNOLPHE, à part.
Voyez comme raisonne et répond la vilaine ! Peste! une précieuse en dirait-elle plus ? Ah, je l'ai mal connue; ou, ma foi, là-dessus Une sotte en sait plus que le plus habile homme. (à Agnès.)
Puisqu'en raisonnements votre esprit se consomme, La belle raisonneuse, est-ce qu'un si long temps Je vous aurai pour lui nourrie à mes dépens? AGNÈS.
Non. Il vous rendra tout jusques au dernier double '. ARNOLPHE, bas, à part.
Elle a de certains mots où mon dépit redouble.
Voulez-vous que je mente?
Pièce de monnaje qui valait deux deniers.
Ce mot et ce regard désarme ma colère,
Et produit un retour de tendresse de cœur Qui de son action m'efface la noirceur.
Chose étrange d'aimer, et que pour ces traîtresses Les hommes soient sujets à de telles faiblesses! Tout le monde connaît leur imperfection; Ce n'est qu'extravagance et qu'indiscrétion; Leur esprit est méchant, et leur âme fragile; Il n'est rien de plus faible et de plus imbécile, Rien de plus infidèle : et malgré tout cela, Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là. (à Agnès.)
Eh bien! faisons la paix. Va, petite traîtresse, Je te pardonne tout, et te rends ma tendresse ; Considère par là l'amour que j'ai pour toi, Et ine voyant si bon, en revanche aime-moi.
Du meilleur de mon cœur je voudrais vous complaire: Que me coûterait-il si je le pouvais faire?
Mon pauvre petit bec, tu le peux, si tu veux. Écoute seulement ce soupir amoureux, Vois ce regard mourant, contemple ma personne, Et quitte ce morveux et l'amour qu'il te donne. C'est quelque sort qu'il faut qu'il ait jeté sur toi, Et tu seras cent fois plus heureuse avec moi. Ta forte passion est d'être brave et leste, Tu le seras toujours, va, je te le proteste; Sans cesse, nuit et jour, je te caresserai, Je te bouchonnerai, baiserai, mangerai '; Tout comme tu voudras, tu pourras te conduire : Je ne m'explique point, et cela c'est tout dire.
Jusqu'où la passion peut-elle faire aller!
Enfin, à mon amour rien ne peut s'égaler : Quelle preuve veux-tu que je t'en donne, ingrate? Me veux-tu voir pleurer? Veux-tu que je me batte? Veux-tu que je m'arrache un côté de cheveux? Veux-tu que je me tue? Oui, dis si tu le veux,
Je suis tout prêt, cruelle, à te prouver ma flamme.
Je ne sais ce que c'est, monsieur, mais il me semble Qu'Agnès et le corps mort s'en sont allés ensemble.
La voici. Dans ma chambre allez me la nicher. (à part.)
Ce ne sera pas là qu'il la viendra chercher; Et puis, c'est seulement pour une demi-heure. Je vais, pour lui donner une sûre demeure, (à Alain.)
Trouver une voiture. Enfermez-vous des mieux, Et surtout gardez-vous de la quitter des yeux. (seul.)
Peut-être que son âme étant dépaysée, Pourra de cet amour être désabusée.
SCÈNE VI.
ARNOLPHE, HORACE.
Ah! je viens vous trouver, accablé de douleur. Le ciel, seigneur Arnolphe, a conclu mon malheur Et par un trait fatal d'une injustice extrême, On me veut arracher de la beauté que j'aime. Pour arriver ici mon père a pris le frais '; J'ai trouvé qu'il mettait pied à terre ici près Et la cause, en un mot, d'une telle venue. Qui, comme je disais, ne m'était pas connue, C'est qu'il m'a marié sans m'en écrire rien, Et qu'il vient en ces lieux célébrer ce lien. Jugez, en prenant part à mon inquiétude, S'il pouvait m'arriver un contre-temps plus rude. Cet Enrique, dont hier je m'informais à vous, Cause tous les malheurs dont je ressens les coups: Il vient avec mon père achever ma ruine, Et c'est sa fille unique à qui l'on me destine. J'ai dès leurs premiers mots pensé m'évanouir, Et d'abord, sans vouloir plus longtemps les ouïr, Mon père ayant parlé de vous rendre visite,
Tenez, tous vos discours ne me touchent point l'âme : L'esprit plein de frayeur, je l'ai devancé vite. Horace avec deux mots en ferait plus que vous.
Ah! c'est trop me braver, trop pousser mon courroux. Je suivrai mon dessein, bête trop indocile, Et vous dénicherez à l'instant de la ville. Vous rebutez mes vœux et me mettez à bout; Mais un cul de couvent me vengera de tout.
Ce mot bouchonner vient de bouchon, diminutif de bouche, mignardise dont on se sert quelquefois en caressant un enfant.
De grâce, gardez-vous de lui rien découvrir De mon engagement qui le pourrait aigrir; Et tâchez, comme en vous il prend grande créance, De le dissuader de cette autre alliance.
Conseillez-lui de différer un peu, C'est-à-dire a profité de la fraîcheur de la nuit.
(Horace et Arnolphe se retirent dans un coin du | Ah! traître!
théâtre, et parlent bas ensemble.)
ENRIQUE, à Chrysalde.
Aussitôt qu'à mes yeux je vous ai vu paraître,
Quand on ne m'eût rien dit, j'aurais su vous connaître. Je vous vois tous les traits de cette aimable sœur Dont l'hymen autrefois m'avait fait possesseur; Et je serais heureux si la parque cruelle M'eût laissé ramener cette épouse fidèle, Pour jouir avec moi des sensibles douceurs
De revoir tous les siens après nos longs malheurs. Mais puisque du destin la fatale puissance Nous prive pour jamais de sa chère présence, Tâchons de nous résoudre, et de nous contenter Du seul fruit amoureux qui m'en est pu rester. Il vous touche de près; et, sans votre suffrage, J'aurais tort de vouloir disposer de ce gage. Le choix du fils d'Oronte est glorieux de soi; Mais il faut que ce choix vous plaise comme à moi.
Si son cœur a quelque répugnance,
Je tiens qu'on ne doit pas lui faire violence. Mon frère, que je crois, sera de mon avis.
Quoi! se laissera-t-il gouverner par son fils? Est-ce que vous voulez qu'un père ait la mollesse De ne savoir pas faire obéir la jeunesse?
Il serait beau, vraiment, qu'on le vît aujourd'hui Prendre loi de qui doit la recevoir de lui!
Non, non, c'est mon intime, et sa gloire est la mienne, Sa parole est donnée, il faut qu'il la maintienne, Qu'il fasse voir ici de fermes sentiments, Et force de son fils tous les attachements. ORONTE.
C'est parler comme il faut, et dans cette alliance C'est moi qui vous réponds de son obéissance. CHRYSALDE, à Arnolphe.
Je suis surpris, pour moi, du grand empressement Que vous me faites voir pour cet engagement, Et ne puis deviner quel motif vous inspire... ARNOLPHE.
Je sais ce que je fais, et dis ce qu'il faut dire.
le sais ce qui vous mène.
Monsieur, si vous n'êtes auprès, Si l'on vous a dit tout, ne vous a-t-on pas dit
Nous aurons de la peine à retenir Agnès; Elle veut à tous coups s'échapper, et peut-être Qu'elle se pourrait bien jeter par la fenêtre.
Faites-moi-la venir; aussi bien de ce pas
( à Horace.) Prétends-je l'emmener. Ne vous en fâchez pas; Un bonheur continu rendrait l'homme superbe; Et chacun a son tour, comme dit le proverbe. HORACE, à part.
Quels maux peuvent, ô ciel! égaler mes ennuis? Et s'est-on jamais vu dans l'abîme où je suis? ARNOLPHE, à Oronte.
Pressez vite le jour de la cérémonie, J'y prends part; et déjà moi-même je m'en prie.
Que vous avez chez vous celle dont il s'agit, La fille qu'autrefois de l'aimable Angélique, Sous des liens secrets, eut le seigneur Enrique? Sur quoi votre discours était-il donc fondé ?
Et dans ce temps, le sort lui déclarant la guerre, L'obligea de sortir de sa natale terre.
Et d'aller essuyer mille périls divers Dans ces lieux séparés de nous par tant de mers.
Où ses soins ont gagné ce que dans sa patrie Avaient pu lui ravir l'imposture et l'envie.
Et, de retour en France, il a cherché d'abord Celle à qui de sa fille il confia le sort.
Et cette paysanne a dit avec franchise Qu'en vos mains à quatre ans elle l'avait remise
Et qu'elle l'avait fait, sur votre charité, Par un accablement d'extrême pauvreté.
Et lui, plein de transport et l'allégresse en l'âme, A fait jusqu'en ces lieux conduire cette femme.
Et vous allez enfin la voir venir ici, Pour rendre aux yeux de tous ce mystère éclairci. CHRYSALDE, à Arnolphe.
Je devine à peu près quel est votre supplice; Mais le sort en cela ne vous est que propice. Si n'être point cocu vous semble un si grand bien, Ne vous point marier en est le vrai moyen. ARNOLPHE, s'en allant tout transporté, et ne pouvant parler.
« PrécédentContinuer » |