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Je lui dis que vous n'y êtes pas, madame, et il diable! à peine ai-je pu trouver place. J'ai pensé être ne veut pas laisser d'entrer.

URANIE.

étouffé à la porte, et jamais on ne m'a tant marché sur les pieds. Voyez comme mes canons et mes ru

Et pourquoi dire à monsieur que je n'y suis pas ? bans en sont ajustés, de grâce.

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SCÈNE VI.

DORANTE, CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE,
LE MARQUIS.

DORANTE.

Ne bougez, de grâce, et n'interrompez point votre discours. Vous êtes là sur une matière qui, depuis quatre jours, fait presque l'entretien de toutes les maisons de Paris; et jamais on n'a rien vu de si plaisant que la diversité des jugements qui se font làdessus. Car enfin, j'ai ouï condamner cette comédie à certaines gens, par les mêmes choses que j'ai vu d'autres estimer le plus.

URANIE.

Voilà monsieur le marquis qui en dit force mal.
LE MARQUIS.

Il est vrai. Je la trouve détestable, morbleu! dé

testable, du dernier détestable, ce qu'on appelle

détestable.

DORANTE.

LE MARQUIS.

Il ne faut que voir les continuels éclats de rire que le parterre y fait. Je ne veux point d'autre chose pour témoigner qu'elle ne vaut rien.

DORANTE.

Tu es donc, marquis, de ces messieurs du bel air, qui ne veulent pas que le parterre ait du sens commun, et qui seraient fâchés d'avoir ri avec lui, fût-ce de la meilleure chose du monde? Je vis l'autre jour sur le théâtre un de nos amis, qui se rendit ridicule par là. Il écouta toute la pièce avec un sérieux le plus sombre du monde; et tout ce qui égayait les autres ridait son front. A tous les éclats de risée, il haussait les épaules, et regardait le parterre en pitié; et quelquefois aussi le regardant avec dépit, il lui disait tout haut: Ris donc, parterre, ris donc. Ce fut une seconde comédie, que le chagrin de notre blée, et chacun demeura d'accord qu'on ne pouvait ami. Il la donna en galant homme à toute l'assempas mieux jouer qu'il fit. Apprends, marquis, je te prie, et les autres aussi, que le bon sens n'a point de

Et moi, mon cher marquis, je trouve le jugement place déterminée à la comédie; que la différence du

détestable.

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demi-louis d'or, et de la pièce de quinze sous1, ne fait rien du tout au bon goût; que, debout et assis, l'on peut donner un mauvais jugement; et qu'enfin, à le prendre en général, je me fierais assez à l'approbation du parterre, par la raison qu'entre ceux qui le composent, il y en a plusieurs qui sont capables de juger d'une pièce selon les règles, et que les autres en jugent par la bonne façon d'en juger, qui est de se laisser prendre aux choses, et de n'avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule.

LE MARQUIS.

Te voilà donc, chevalier, le défenseur du parterre? Parbleu! je m'en réjouis, et je ne manquerai pas de l'avertir que tu es de ses amis. Hai, hai, hai, hai, hai.

DORANTE.

Ris tant que tu voudras. Je suis pour le bon sens, et ne saurais souffrir les ébullitions de cerveau de nos marquis de Mascarille. J'enrage de voir de ces gens qui se traduisent en ridicule, malgré leur qualité; de ces gens qui décident toujours, et parlent hardiment de toutes choses, sans s'y connaître ; qui,

dans une comédie se récrieront aux méchants enqui, voyant un tableau, ou écoutant un concert de droits, et ne branleront pas à ceux qui sont bons;

musique, blâment de même et louent tout à contre

Le louis d'or, ou lis d'or, était de 7 livres, le marc d'or à 423 livres 10 sous II deniers, à 23 karats un quart de titre. Les premières places d'un demi-louis étaient donc de 3 livres 10 sous. Aujourd'hui ce prix a doublé. ( B. )

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Il est vrai. Notre ami est de ces gens-là, sans doute. Il veut être le premier de son opinion, et qu'on attende par respect son jugement. Toute approbation qui marche avant la sienne est un attentat sur ses

lumières, dont il se venge hautement en prenant le contraire parti. Il veut qu'on le consulte sur toutes les affaires d'esprit; et je suis sûre que si l'auteur lui eût montré sa comédie avant que de la faire voir au public, il l'eût trouvée la plus belle du monde. LE MARQUIS.

Et que direz-vous de la marquise Araminte, qui la publie partout pour épouvantable, et dit qu'elle n'a pu jamais souffrir les ordures dont elle est pleine?

DORANTE.

Je dirai que cela est digne du caractère qu'elle a pris; et qu'il y a des personnes qui se rendent ridicules, pour vouloir avoir trop d'honneur. Bien

qu'elle ait de l'esprit, elle a suivi le mauvais exemple de celles qui, étant sur le retour de l'âge, veulent remplacer de quelque chose ce qu'elles voient qu'elles perdent, et prétendent que les grimaces d'une pruderie scrupuleuse leur tiendront lieu de jeunesse et de beauté. Celle-ci pousse l'affaire plus avant qu'aucune; et l'habileté de son scrupule découvre des saletés, où jamais personne n'en avait vu. On tient qu'il va, ce scrupule, jusques à défigurer notre langue, et qu'il n'y a point presque de mots dont la sévérité de cette dame ne veuille re

trancher ou la tête ou la queue, pour les syllabes déshonnêtes qu'elle y trouve.

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Ah! voici l'auteur, monsieur Lysidas. Il vient tout à propos pour cette matière. Monsieur Lysidas, prenez un siége vous-même, et vous mettez là.

SCÈNE VII.

LYSIDAS, CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, DORANTE, LE MARQUIS.

LYSIDAS.

Madame, je viens un peu tard; mais il m'a fallu

lire ma pièce chez madame la marquise dont je vous avais parlé; et les louanges qui lui ont été données m'ont retenu une heure plus que je ne croyais. ÉLISE. C'est un grand charme que les louanges pour arrêter un auteur.

URANIE.

Asseyez-vous donc, monsieur Lysidas; nous lirons votre pièce après souper.

LYSIDAS.

Tous ceux qui étaient là doivent venir à sa première représentation, et m'ont promis de faire leur devoir comme il faut.

URANIE.

Je le crois. Mais, encore une fois, asseyez-vous, s'il vous plaît. Nous sommes ici sur une matière que je serai bien aise que nous poussions.

LYSIDAS.

Je pense, madame, que vous retiendrez aussi une loge pour ce jour-là?

URANIE.

Nous verrons. Poursuivons, de grâce, notre dis

cours.

LYSIDAS.

Je vous donne avis, madame, qu'elles sont presque toutes retenues.

URANIE.

Voilà qui est bien. Enfin, j'avais besoin de vous lorsque vous êtes venu, et tout le monde était ici contre moi.

ÉLISE, à Uranie, montrant Dorante.

Il s'est mis d'abord de votre côté; mais maintenant (montrant Climène) qu'il sait que madame est à la tête du parti contraire, je pense que vous n'avez qu'à chercher un autre secours. CLIMÈNE.

Non, non, je ne voudrais pas qu'il fit mal sa cour auprès de madame votre cousine, et je permets à son esprit d'être du parti de son cœur.

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LE MARQUIS.

Ma foi, chevalier, tu en tiens, et te voilà payé de ta raillerie. Ah, ah, ah, ah!

DORANTE.

Pousse, mon cher marquis, pousse.

LE MARQUIS.

Tu vois que nous avons les savants de notre côté.

DORANTE.

Il est vrai. Le jugement de monsieur Lysidas est quelque chose de considérable. Mais monsieur Lysidas veut bien que je ne me rende pas pour cela; et, puisque j'ai bien l'audace de me défendre (montrant Climène) contre les sentiments de madame, il ne trouvera pas mauvais que je combatte les siens.

ÉLISE.

Quoi! vous voyez contre vous madame, monsieur

le marquis, et monsieur Lysidas, et vous osez résister encore? Fi! que cela est de mauvaise grâce! CLIMÈNE.

Voilà qui me confond, pour moi, que des personnes raisonnables se puissent mettre en tête de donner protection aux sottises de cette pièce.

LE MARQUIS.

Dieu me damne! madame, elle est misérable depuis le commencement jusqu'à la fin.

DORANTE.

Cela est bientôt dit, marquis. Il n'est rien plus aisé que de trancher ainsi; et je ne vois aucune chose qui puisse être à couvert de la souveraineté de tes décisions.

LE MARQUIS. Parbleu! tous les autres comédiens qui étaient là pour la voir en ont dit tous les maux du monde'.

DORANTE.

Ah! je ne dis plus mot; tu as raison, marquis. Puisque les autres comédiens en disent du mal, il faut les en croire assurément. Ce sont tous gens

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DORANTE.

Et puis, madame, ne savez-vous pas que les injures des amants n'offensent jamais; qu'il est des eclairés, et qui parlent sans intérêt. Il n'y a plus rien qu'en de pareilles occasions les paroles les plus étranamours emportés aussi bien que des doucereux; et à dire, je me rends.

CLIMÈNE.

Rendez-vous, ou ne vous rendez pas, je sais fort bien que vous ne me persuaderez point de souffrir les immodesties de cette pièce, non plus que les satires désobligeantes qu'on y voit contre les femmes.

URANIE.

Pour moi, je me garderai bien de m'en offenser, et de prendre rien sur mon compte de tout ce qui s'y dit. Ces sortes de satires tombent directement sur les

mœurs, et ne frappent les personnes que par réflexion. N'allons point nous appliquer nous-mêmes les traits d'une censure générale; et profitons de la leçon, si nous pouvons, sans faire semblant qu'on parle à nous. Toutes les peintures ridicules qu'on expose sur les théâtres doivent être regardées sans chagrin de tout le monde. Ce sont miroirs publics, où il ne faut jamais témoigner qu'on se voie; et c'est se taxer hautement d'un défaut, que se scandaliser qu'on le reprenne.

CLIMÈNE.

Pour moi, je ne parle pas de ces choses par la part que j'y puisse avoir, et je pense que je vis d'un air dans le monde à ne pas craindre d'être cherchée dans les peintures qu'on fait là des femmes qui se gouvernent mal.

ÉLISE.

Assurément, madame, on ne vous y cherchera

1 Ces autres comédiens sont ceux de l'hôtel de Bourgogne, qui jouaient les pièces de Corneille, et qui se voyaient abandonnés pour celles de Molière.

et quelque chose de pis encore, se prennent ges, bien souvent pour des marques d'affection, par celles même qui les reçoivent?

ÉLISE.

Dites tout ce que vous voudrez, je ne saurais digérer cela, non plus que le potage et la tarte à la crème, dont madame a parlé tantôt.

LE MARQUIS.

Ah! ma foi, oui, tarte à la crème! voilà ce que j'avais remarqué tantôt; tarte à la crème! Que je vous suis obligé, madame, de m'avoir fait souvenir

de tarte à la crème! Y a-t-il assez de pommes en Normandie pour tarte à la crème1? Tarte à la crème, morbleu! tarte à la crème!

DORANTE.

Eh bien ! que veux-tu dire? Tarte à la crème!
LE MARQUIS.

Parbleu! tarte à la crème! chevalier.
DORANTE.

Mais encore?

LE MARQUIS.

Tarte à la crème!

DORANTE.

Dis-nous un peu tes raisons.
LE MARQUIS.

Tarte à la crème!

URANIE.

Mais il faut expliquer sa pensée, ce me semble.

Jadis on jetait des pommes cuites, et quelquefois même des pommes crues, à la tête des acteurs, quand on était trop mécontent de leur jeu ou de la pièce.

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