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Quoi! toujours! A-t-on jamais vu une pareille furie de chanter? Par la sambleu! j'enrage. Puisque me voilà éveillé, il faut que j'éveille les autres, et que je les tourmente comme on m'a fait. Allons, ho! messieurs, debout, debout, vite; c'est trop dormir. Je vais faire un bruit du diable partout. (Il crie de toute sa force :) Debout, debout, debout! Allons vite, ho! ho! ho! debout, debout! Pour la chasse ordonnée, il faut préparer tout: debout, debout! Lyciscas, debout! Ho! ho! ho! ho! ho!

(Plusieurs corset trompes de chasse se font entendre; les valets de chiens que Lyciscas a réveillés dansent une entrée ; ils reprennent le son de leurs cors et trompes à certaines cadences.)

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE'.

EURYALE, ARBATE.

ARBATE.

Ce silence rêveur, dont la sombre habitude Vous fait à tous moments chercher la solitude;

* Cette pièce fut jouée pour la première fois à Versailles le 8 mai 1664. Elle fit partie des fêtes que Louis XIV donna à la reine sa mère, à Marie-Thérèse son épouse, sous le titre des Plaisirs de l'Ile enchantée.

Ces longs soupirs que laisse échapper votre cœur, Et ces fixes regards si chargés de langueur,

Cette foule d'amants qui briguent sa conquête.
Ah! qu'il est bien peu vrai que ce qu'on doit aimer,

Disent beaucoup, sans doute, à des gens de mon âge; Aussitôt qu'on le voit, prend droit de nous charmer,

Et je pense, seigneur, entendre ce langage;
Mais, sans votre congé, de peur de trop risquer,
Je n'ose m'enhardir jusques à l'expliquer.

EURYALE.

Explique, explique, Arbate, avec toute licence
Ces soupirs, ces regards, et ce morne silence.
Je te permets ici de dire que l'Amour

M'a rangé sous ses lois, et me brave à son tour;
Et je consens encor que tu me fasses honte
Des faiblesses d'un cœur qui souffre qu'on le dompte.

ARBATE.

Moi, vous blâmer, seigneur, des tendres mouvements
Où je vois qu'aujourd'hui penchent vos sentiments!
Le chagrin des vieux jours ne peut aigrir mon âme
Contre les doux transports de l'amoureuse flamme;
Et bien que mon sort touche à ses derniers soleils,
Je dirai que l'amour sied bien à vos pareils;
Que ce tribut qu'on rend aux traits d'un beau visage
De la beauté d'une âme est un clair témoignage,
Et qu'il est malaisé que, sans être amoureux,
Un jeune prince soit et grand et généreux.
C'est une qualité que j'aime en un monarque ;
La tendresse du cœur est une grande marque
Que d'un prince à votre âge on peut tout présumer,
Dès qu'on voit que son âme est capable d'aimer.
Oui, cette passion, de toutes la plus belle,
Traîne dans un esprit cent vertus après elle;
Aux nobles actions elle pousse les cœurs,
Et tous les grands héros ont senti ses ardeurs.
Devant mes yeux, seigneur, a passé votre enfance,
Et j'ai de vos vertus vu fleurir l'espérance;
Mes regards observaient en vous des qualités
Où je reconnaissais le sang dont vous sortez;
J'y découvrais un fonds d'esprit et de lumière;
Je vous trouvais bien fait, l'air grand et l'âme fière;
Votre cœur, votre adresse, éclataient chaque jour;
Mais je m'inquiétais de ne point voir d'amour :
Et puisque les langueurs d'une plaie invincible
Nous montrent que votre âme à ses traits est sensible,
Je triomphe, et mon cœur, d'allégresse rempli,
Vous regarde à présent comme un prince accompli.

EURYALE.

Si de l'Amour un temps j'ai bravé la puissance,
Hélas! mon cher Arbate, il en prend bien vengeance!
Et sachant dans quels maux mon cœur s'est abîmé,
Toi-même tu voudrais qu'il n'eût jamais aimé.
Car enfin, vois le sort où mon astre me guide;
J'aime, j'aime ardemment la princesse d'Élide;
Et tu sais que l'orgueil, sous des traits si charmants,
Arme contre l'amour ses jeunes sentiments,
Et comment elle fuit en cette illustre fête

Et qu'un premier coup d'œil allume en nous les flam-
Où le ciel, en naissant, a destiné nos âmes !

A mon retour d'Argos, je passai dans ces lieux,
Et ce passage offrit la princesse à mes yeux;
Je vis tous les appas dont elle est revêtue,
Mais de l'œil dont on voit une belle statue.
Leur brillante jeunesse observée à loisir
Ne porta dans mon âme aucun secret désir,
Et d'Ithaque en repos je revis le rivage,

| Sans m'en être en deux ans rappelé nulle image.
Un bruit vient cependant à répandre à ma cour
Le célèbre mépris qu'elle fait de l'amour ;
On publie en tous lieux que son âme hautaine
Garde pour l'hyménée une invincible haine,
Et qu'un arc à la main, sur l'épaule un carquois,
Comme une autre Diane elle hante les bois,
N'aime rien que la chasse, et de toute la Grèce
Fait soupirer en vain l'héroïque jeunesse.
Admire nos esprits, et la fatalité!

[mes

Ce que n'avaient point fait sa vue et sa beauté,
Le bruit de ses fiertés en mon âme sit naître
Un transport inconnu dont je ne fus point maître :
Ce dédain si fameux eut des charmes secrets
A me faire avec soin rappeler tous ses traits;
Et mon esprit jetant de nouveaux yeux sur elle,
M'en refit une image et si noble et si belle,
Me peignit tant de gloire et de telles douceurs
A pouvoir triompher de toutes ses froideurs,
Que mon cœur, aux brillants d'une telle victoire,
Vit de sa liberté s'évanouir la gloire;

Contre une telle amorce il eut beau s'indigner,
Sa douceur sur mes sens prit tel droit de régner,
Qu'entraîné par l'effort d'une occulte puissance,
J'ai d'Ithaque en ces lieux fait voile en diligence;
Et je couvre un effet de mes vœux enflammés
Du désir de paraître à ces jeux renommés
Où l'illustre Iphitas, père de la princesse,
Assemble la plupart des princes de la Grèce.

ARBATE.

.Mais à quoi bon, seigneur, les soins que vous prenez?
Et pourquoi ce secret où vous vous obstinez?
Vous aimez, dites-vous, cette illustre princesse,
Et venez à ses yeux signaler votre adresse;
Et nuls empressements, paroles, ni soupirs,
Ne l'ont instruite encor de vos brûlants désirs?
Pour moi, je n'entends rien à cette politique
Qui ne veut point souffrir que votre cœur s'explique;
Et je ne sais quel fruit peut prétendre un amour

Iphitus, roi d'Elide, contemporain de Lycurgue, et fameux dans la Grèce pour avoir rétabli les jeux Olympiques. Molière a changé son nom en celui d'Iphitas.

Qui fuit tous les moyens de se produire au jour.

EURYALE.

Et que ferai-je, Arbate, en déclarant ma peine,
Qu'attirer les dédains de cette âme hautaine,
Et me jeter au rang de ces princes soumis,
Que le titre d'amants lui peint en ennemis?
Tu vois les souverains de Messène et de Pyle
Lui faire de leurs cœurs un hommage inutile,
Et de l'éclat pompeux des plus grandes vertus
En appuyer en vain les respects assidus :
Ce rebut de leurs soins, sous un triste silence,
Retient de mon amour toute la violence:

Je me tiens condamné dans ces rivaux fameux,
Et je lis mon arrêt au mépris qu'on fait d'eux.

ARBATE.

Et c'est dans ce mépris, et dans cette humeur fière,
Que votre âme à ses vœux doit voir plus de lumière,
Puisque le sort vous donne à conquérir un cœur
Que défend seulement une simple froideur,
Et qui n'oppose point à l'ardeur qui vous presse
De quelque attachement l'invincible tendresse.
Un cœur préoccupé résiste puissamment;

Mais quand une âme est libre, on la force aisément;
Et toute la fierté de son indifférence

N'a rien dont ne triomphe un peu de patience.
Ne lui cachez donc plus le pouvoir de ses yeux;
Faites de votre flamme un éclat glorieux;
Et bien loin de trembler de l'exemple des autres,
Du rebut de leurs vœux fortifiez les vôtres.
Peut-être, pour toucher ses sévères appas,
Aurez-vous des secrets que ces princes n'ont pas ;
Et si de ses fiertés l'impérieux caprice
Ne vous fait éprouver un destin plus propice,
Au moins est-ce un bonheur en ces extrémités
Que de voir avec soi ses rivaux rebutés.
EURYALE.

J'aime à te voir presser cet aveu de ma flamme;
Combattant mes raisons, tu chatouilles mon âme;
Et, par ce que j'ai dit, je voulais pressentir
Si de ce que j'ai fait tu pourrais m'applaudir.
Car enfin, puisqu'il faut t'en faire confidence,
On doit à la princesse expliquer mon silence;
Et peut-être, au moment que je t'en parle ici,
Le secret de mon cœur, Arbate, est éclairci.
Cette chasse, où pour fuir la foule qui l'adore,
Tu sais qu'elle est allée au lever de l'aurore,
Est le temps que Moron, pour déclarer mon feu,
A pris...

ARBATE.

Moron, seigneur?

EURYALE.

Ce choix t'étonne un peu; Par son titre de fou tu crois bien le connaître, Mais sache qu'il l'est moins qu'il ne le veut paraître;

Et que, malgré l'emploi qu'il exerce aujourd'hui,
Il a plus de bon sens que tel qui rit de lui.
La princesse se plaît à ses bouffonneries:
Il s'en est fait aimer par cent plaisanteries,
Et peut, dans cet accès, dire et persuader
Ce que d'autres que lui n'oseraient hasarder;
Je le vois propre enfin à ce que j'en souhaite :
Il a pour moi, dit-il, une amitié parfaite,
Et veut, dans mes États ayant reçu le jour,
Contre tous mes rivaux appuyer mon amour.
Quelque argent mis en main pour soutenir ce
SCÈNE II.

EURYALE, ARBATE, MORON.

MORON, derrière le théâtre. Au secours! sauvez-moi de la bête cruelle. EURYALE.

Je pense ouïr sa voix.

MORON, derrière le théâtre.

zèle...

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Ce n'est rien. N'ayez point de frayeur. Mais laissez-moi passer entre vous deux, pour cause; Je serai mieux en main pour vous conter la chose. J'ai donc vu ce sanglier, qui par nos gens chassé, Avait d'un air affreux tout son poil hérissé ; Ses deux yeux flamboyants ne lançaient que menace, Et sa gueule faisait une laide grimace, Qui, parmi de l'écume, à qui l'osait presser, Montrait de certains crocs... Je vous laisse à penser. A ce terrible aspect j'ai ramassé mes armes; Mais le faux animal, sans en prendre d'alarmes, Est venu droit à moi, qui ne lui disais mot.

ARBATE.

Et tu l'as de pied ferme attendu?

MORON.

Quelque sot!

J'ai jeté tout par terre et couru comme quatre.

ARBATE.

Fuir devant un sanglier, ayant de quoi l'abattre! Ce trait, Moron, n'est pas généreux...

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Il ne faut pas, seigneur, que je vous dissimule;
Je n'ai rien fait encore, et n'ai point rencontré
De temps pour lui parler qui fût selon mon gré.
L'office de bouffon a des prérogatives;
Mais souvent on rabat nos libres tentatives.
Le discours de vos feux est un peu délicat,
Et c'est chez la princesse une affaire d'état.
Vous savez de quel titre elle se glorifie,
Et qu'elle a dans la tête une philosophie
Qui déclare la guerre au conjugal lien,
Et vous traite l'Amour de déité de rien.
Pour n'effaroucher point son humeur de tigresse,
Il me faut manier la chose avec adresse;
Car on doit regarder comme l'on parle aux grands,
Et vous êtes parfois d'assez fâcheuses gens.
Laissez-moi doucement conduire cette trame.
Je me sens là pour vous un zèle tout de flamme;
Vous êtes né mon prince, et quelques autres nouds
Pourraient contribuer au bien que je vous veux.
Ma mère, dans son temps, passait pour assez belle,
Et naturellement n'était pas fort cruelle;
Feu votre père alors, ce prince généreux,
Sur la galanterie était fort dangereux;

Et je sais qu'Elpénor, qu'on appelait mon père,
A cause qu'il était le mari de ma mère,

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SCÈNE III.

LA PRINCESSE, AGLANTE, CYNTHIE, ARISTOMÈNE, THEOCLE, EURYALE, PHILIS, ARBATE, MORON.

ARISTOMÈNE.

Reprochez-vous, madame, à nos justes alarmes
Ce péril dont tous deux avons sauvé vos charmes?
J'aurais pensé, pour moi, qu'abattre sous nos coups
Ce sanglier qui portait sa fureur jusqu'à vous,
Était une aventure, ignorant votre chasse,
Dont à nos bons destins nous dussions rendre grâce;
Mais, à cette froideur, je connais clairement
Que je dois concevoir un autre sentiment,
Et quereller du sort la fatale puissance
Qui me fait avoir part à ce qui vous offense.
THÉOCLE.

Pour moi, je tiens, madame, à sensible bonheur
L'action où pour vous a volé tout mon cœur,
Et ne puis consentir, malgré votre murmure,
A quereller le sort d'une telle aventure.
D'un objet odieux je sais que tout déplaît;

Mais, dût votre courroux être plus grand qu'il n'est,
C'est extrême plaisir, quand l'amour est extrême,
De pouvoir d'un péril affranchir ce qu'on aime.

LA PRINCESSE.

Et pensez-vous, seigneur, puisqu'il me faut parler,
Qu'il eût eu, ce péril, de quoi tant m'ébranler?
Que l'arc et que le dard, pour moi si pleins de charmes,
Ne soient entre mes mains que d'inutiles armes?
Et que je fasse enfin mes plus fréquents emplois
De parcourir nos monts, nos plaines et nos bois,
Pour n'oser, en chassant, concevoir l'espérance
De suffire moi seule à ma propre défense?
Certes, avec le temps, j'aurais bien profité
De ces soins assidus dont je fais vanité,

S'il fallait que mon bras, dans une telle quête,

Ne pût pas triompher d'une chétive bête!

Du moins, si, pour prétendre à de sensibles coups,
Le commun de mon sexe est trop mal avec vous,
D'un étage plus haut accordez-moi la gloire,
Et me faites tous deux cette grâce de croire,

Seigneurs, que quel que fût le sanglier d'aujourd'hui,
J'en ai mis bas sans vous de plus méchants que lui.
THÉOCLE.

Mais, madame...

LA PRINCEsse.

Eh bien! soit. Je vois que votre envie Est de persuader que je vous dois la vie; J'y consens. Oui, sans vous, c'était fait de mes jours. Je rends de tout mon cœur grâce à ce grand secours; Et je vais de ce pas au prince, pour lui dire Les bontés que pour moi votre amour vous inspire.

SCÈNE IV.

EURYALE, ARBATE, MORON.

MORON.

Eh! a-t-on jamais vu de plus farouche esprit?
De ce vilain sanglier l'heureux trépas l'aigrit.
Oh! comme volontiers j'aurais d'un beau salaire
Récompensé tantôt qui m'en eût su défaire!

ARBATE, à Euryale.

Je vous vois tout pensif, seigneur, de ses dédains;
Mais ils n'ont rien qui doive empêcher vos desseins.
Son heure doit venir, et c'est à vous, possible,
Qu'est réservé l'honneur de la rendre sensible.
MORON.

Il faut qu'avant la course elle apprenne vos feux;
Et je...

EURYALE.

Non. Ce n'est plus, Moron, ce que je veux ; Garde-toi de rien dire, et me laisse un peu faire; J'ai résolu de prendre un chemin tout contraire. Je vois trop que son cœur s'obstine à dédaigner Tous ces profonds respects qui pensent la gagner; Et le dieu qui m'engage à soupirer pour elle M'inspire pour la vaincre une adresse nouvelle. Oui, c'est lui d'où me vient ce soudain mouvement, Et j'en attends de lui l'heureux événement.

ARBATE.

Peut-on savoir, seigneur, par où votre espérance...

EURYALE.

Tu vas le voir. Allons, et garde le silence.

PREMIER INTERMÈDE.

SCÈNE PREMIÈRE.

MORON.

Jusqu'au revoir. Pour moi, je reste ici, et j'ai une petita

conversation à faire avec ces arbres et ces rochers.

Bois, prés, fontaines, fleurs, qui voyez mon teint blême,
Si vous ne le savez, je vous apprends que j'aime.
Philis est l'objet charmant

Qui tient mon cœur à l'attache;

Et je devins son amant

La voyant traire une vache.

Ses doigts tout pleins de lait, et plus blancs mille fois, Pressaient les bouts du pis d'une grâce admirable.

Ouf! cette idée est capable

De me réduire aux abois.

Ah, Philis! Philis! Philis!

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