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binet de la foire Saint-Laurent? Ce n'est pas cela. Aurais-tu envie d'apprendre quelque chose, et veuxtu que je te donne un maître pour te montrer à jouer du clavecin? Nenni. Aimerais-tu quelqu'un, et souhaiterais-tu d'être mariée ?

(Lucinde fait signe que oui.)

SCÈNE III.

SGANARELLE, LUCINDE, LISETTE.

LISETTE.

Eh bien! monsieur, vous venez d'entretenir votre fille : avez-vous su la cause de sa mélancolie?

SGANARELLE.

Non. C'est une coquine qui me fait enrager.

LISETTE.

Monsieur, laissez-moi faire; je m'en vais la sonder un peu.

SGANARELLE.

Il n'est pas nécessaire; et puisqu'elle veut être de cette humeur, je suis d'avis qu'on l'y laisse.

LISETTE.

Laissez-moi faire, vous dis-je. Peut-être qu'elle se découvrira plus librement à moi qu'à vous. Quoi ! madame, vous ne nous direz point ce que vous avez, et vous voulez affliger ainsi tout le monde? Il me semble qu'on n'agit point comme vous faites, et que si vous avez quelque répugnance à vous expliquer à un père, vous n'en devez avoir aucune à me découvrir votre cœur. Dites-moi, souhaitez-vous quelque chose de lui? Il nous a dit plus d'une fois qu'il n'épargnerait rien pour vous contenter. Est-ce qu'il ne vous donne pas toute la liberté que vous souhaiteriez? et les promenades et les cadeaux ne tenteraient-ils point votre âme ? Eh! avez-vous reçu queiques déplaisirs de quelqu'un ? Eh! n'auriez-vous point quelque secrète inclination avec qui vous souhaiteriez que votre père vous mariât? Ah! je vous entends; voilà l'affaire. Que diable! pourquoi tant de façon? Monsieur, le mystère est découvert ; et...

SGANARELLE.

Va, fille ingrate, je ne te veux plus parler, et je te laisse dans ton obstination.

LUCINDE.

Mon père, puisque vous voulez que je vous dise la chose....

SGANARELLE.

Oui, je perds toute l'amitié que j'avais pour toi.

LISETTE.

Monsieur, sa tristesse...

* Meuble garni de tiroirs, où les femmes enfermaient leurs bijoux.

Donner un cadeau. Ce mot signifiait autrefois donner une fete, donner un repas.

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SCENE IV.

LUCINDE, LISETTE.

LISETTE.

On dit bien vrai, qu'il n'y a point de pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre.

LUCINDE.

Eh bien, Lisette, j'avais tort de cacher mon déplaisir, et je n'avais qu'à parler pour avoir tout ce que je souhaitais de mon père! Tu le vois.

LISETTE.

Par ma foi, voilà un vilain homme; et je vous avoue que j'aurais un plaisir extrême à lui jouer quelque tour. Mais d'où vient donc, madame, que jusqu'ici vous m'avez caché votre mal?

LUCINDE.

Hélas! de quoi m'aurait servi de te le découvrir plus tôt ? et n'aurais-je pas autant gagné à le tenir caché toute ma vie? Crois-tu que je n'aie pas bien prévu tout ce que tu vois maintenant, que je ne susse pas à fond tous les sentiments de mon père, et que le refus qu'il a fait porter à celui qui m'a demandée par un ami n'ait pas étouffé dans mon âme toute sorte d'espoir?

LISETTE.

Quoi! c'est cet inconnu qui vous a fait demander, pour qui vous...

LUCINDE.

Peut-être n'est-il pas honnête à une fille de s'expliquer si librement; mais enfin je t'avoue que s'il m'était permis de vouloir quelque chose, ce serait lui que je voudrais. Nous n'avons eu ensemble aucune conversation, et sa bouche ne m'a point déclaré la passion qu'il a pour moi; mais, dans tous les lieux où il m'a pu voir, ses regards et ses actions m'ont toujours parlé si tendrement, et la demande qu'il a fait faire de moi m'a paru d'un si honnête homme, que mon cœur n'a pu s'empêcher d'être sensible à ses ardeurs ; et cependant tu vois où la dureté de mon père réduit toute cette tendresse.

LISETTE.

Allez, laissez-moi faire. Quelque sujet que j'aie de me plaindre de vous du secret que vous m'avez fait, je ne veux pas laisser de servir votre amour; et pourvu que vous ayez assez de résolution...

LUCINDE.

Mais que veux-tu que je fasse contre l'autorité d'un père? et s'il est inexorable à mes vœux...

LISETTE.

Allez, allez, il ne faut pas se laisser mener comme un oison; et pourvu que l'honneur n'y soit pas offensé, on peut se libérer un peu de la tyrannie d'un père. Que prétend-il que vous fassiez ? N'êtes-vous

pas en âge d'être mariée, et croit-il que vous soyez de marbre? Allez, encore un coup, je veux servir votre passion; je prends, dès à présent, sur moi tout le soin de ses intérêts, et vous verrez que je sais des détours... Mais je vois votre père. Rentrons, et me laissez agir.

SCÈNE V.

SGANARELLE.

Il est bon quelquefois de ne point faire semblant d'entendre les choses qu'on n'entend que trop bien; et j'ai fait sagement de parer la déclaration d'un désir que je ne suis pas résolu de contenter. A-t-on jamais rien vu de plus tyrannique que cette coutume où l'on veut assujettir les pères, rien de plus impertinent et de plus ridicule que d'amasser du bien avec de grands travaux, et d'élever une fille avec beaucoup de soin et de tendresse, pour se dépouiller de l'un et de l'autre entre les mains d'un homme qui ne nous touche de rien? Non, non, je me moque de cet usage, et je veux garder mon bien et ma fille pour moi.

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LISETTE.

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Paix! discoureuse. Allons, sortons d'ici. Messieurs, je vous supplie de consulter de la honne manière. Quoique ce ne soit pas la coutume de payer auparavant, toutefois, de peur que je ne l'oublie, et afin que ce soit une affaire faite, voici...

(Il leur donne de l'argent, et chacun, en le recevant, fait un geste différent.)

SCÈNE III.

De l'avoir vu l'autre jour chez la bonne amie de MM. DESFONANDRÈS, TOMÈS, MACROTON,

madame votre nièce.

M. TOMÈS.

Comment se porte son cocher?

LISETTE.

Fort bien. Il est mort.

Sous ces noms grecs, Molière osa jouer, devant le roi, les quatre premiers médecins de la cour: Desfougerais, Esprit, Guenaut, et Dacquin. Comme Molière voulait déguiser leurs

noms, il pria M. Despréaux de leur en faire de convenables. Il en fit en effet qui étaient tirés du grec, et qui marquaient le caractère de chacun de ces médecins. Il donna à M. Desfougerais le nom de Desfonandrès, qui signifie tueur d'hommes; à M. Esprit, qui bredouillait, celui de Bahis, qui signifie jappant, aboyant; Macroton fut le nom qu'il donna à M. Guenaut, parce qu'il parlait fort lentement; et enfin celui de Tomès, qui signifie un saigneur, à M. Dacquin, qui aimait beaucoup la saignée. (Cizeron Rival, page 25. ) Il suffit de lire les lettres de Gui Patin, pour se convaincre que Molière n'a rien exagéré en peignant les médecins de son siecle.

BAHIS.

(Ils s'asseyent et toussent.)

M. DESFONANDRÈS.

Paris est étrangement grand, et il faut faire de longs trajets quand la pratique donne un peu.

M. TOMÈS.

Il faut avouer que j'ai une mule admirable pour cela, et qu'on a peine à croire le chemin que je lui fais faire tous les jours.

M. DESFONAndrès.

J'ai un cheval merveilleux, et c'est un animal infatigable.

M. TOMÈS.

Savez-vous le chemin que ma mule a fait aujourd'hui? J'ai été, premièrement, tout contre l'Arsenal; de l'Arsenal, au bout du faubourg Saint-Ger

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M. TOMÈS.

Mais, à propos, quel parti prenez-vous dans la querelle des deux médecins Théophraste et Artémius? car c'est une affaire qui partage tout notre corps. M. DESFONANDRÈS. Moi, je suis pour Artémius. M. TOMÈS.

Et moi aussi. Ce n'est pas que son avis, comme on a vu, n'ait tué le malade, et que celui de Théophraste ne fût beaucoup meilleur assurément; mais enfin il a tort dans les circonstances, et il ne devait pas être d'un autre avis que son ancien. Qu'en dites-vous? M. DESFONANDRÈS.

Sans doute. Il faut toujours garder les formalités, quoi qu'il puisse arriver.

M. TOMÈS.

Pour moi, j'y suis sévère en diable, à moins que ce soit entre amis; et l'on nous assembla, un jour, trois de nous autres, avec un médecin de dehors, pour une consultation où j'arrêtai toute l'affaire, et ne voulus point endurer qu'on opinât, si les choses n'allaient dans l'ordre. Les gens de la maison faisaient ce qu'ils pouvaient, et la maladie pressait; mais je n'en voulus point démordre, et la malade mourut bravement pendant cette contestation. M. DESFONANDRès.

C'est fort bien fait d'apprendre aux gens à vivre, et de leur montrer leur bec jaune 2.

M. TOMÈS.

Un homme mort n'est qu'un homme mort, et ne fait point de conséquence; mais une formalité négligée porte un notable préjudice à tout le corps des médecins.

SCÈNE IV.

SGANARELLE, MM. TOMÈS, DESFONANDRÈS, MACROTON, BAHIS.

SGANARELLE.

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M. DESFONANDRÈS.

Souvenez-vous de la dame que vous avez envoyée

Messieurs, l'oppression de ma fille augmente; je en l'autre monde il y a trois jours.

Cette porte s'élevait à l'extrémité de la rue de Richelieu; elle fut démolie en 1701.

2 Mot qui exprime la niaiserie et l'inexpérience, par allusion aux jeunes oiseaux, qui naissent presque tous avec le bec jaune. (Festin de Pierre, acte II, scene v.)

M. TOMÈS, à Sganarelle.

Je vous ai dit mon avis.

M. DESFONANDRES, à Sganarelle.

Je vous ai dit ma pensée.

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