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Parbleu! c'est là-dessus parler en homme sage,
Et je vous en estime encore davantage.
Souffrons donc que le temps forme des nœuds si doux;
Mais cependant je m'offre entièrement à vous.
S'il faut faire à la cour pour vous quelque ouverture,
On sait qu'auprès du roi je fais quelque figure;
Il m'écoute, et dans tout il en use, ma foi,
Le plus honnêtement du monde avecque moi.
Enfin je suis à vous de toutes les manières;
Et comme votre esprit a de grandes lumières,
Je viens, pour commencer entre nous ce beau noœud,
Vous montrer un sonnet que j'ai fait depuis peu,
Et savoir s'il est bon qu'au public je l'expose.

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Au reste, vous saurez Que je n'ai demeuré qu'un quart d'heure à le faire.

ALCESTE.

Voyons, monsieur; le temps ne fait rien à l'affaire.

ORONTE lit.

L'espoir, il est vrai, nous soulage,

Et nous berce un temps notre ennui; Mais, Philis, le triste avantage, Lorsque rien ne marche après lui!

PHILINTE.

Je suis déjà charmé de ce petit morceau.
ALCESTE, bas, à Philinte.
Quoi! vous avez le front de trouver cela beau?

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S'il faut qu'une attente éternelle

Pousse à bout l'ardeur de mon zèle,

Le trépas sera mon recours.

Vos soins ne m'en peuvent distraire : Belle Philis, on désespère

Alors qu'on espère toujours.

PHILINTE.

La chute en est jolie, amoureuse, admirable.

ALCESTE, bas, à part.
La peste de ta chute! empoisonneur, au diable!
En eusses-tu fait une à te casser le nez !
PHILINTE.

Je n'ai jamais ouï de vers si bien tournés.
ALCESTE, bas, à part.

Morbleu!

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Non, je ne flatte point.

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Mais, pour vous, vous savez quel est notre traité.

Parlez-moi, je vous prie, avec sincérité.

ALCESTE.

Monsieur, cette matière est toujours délicate,

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Je ne dis pas cela. Mais enfin, lui disais-je,
Quel besoin si pressant avez-vous de rimer?

Et qui diantre vous pousse à vous faire imprimer?
Si l'on peut pardonner l'essor d'un mauvais livre,
Ce n'est qu'aux malheureux qui composent pour vivre.
Croyez-moi, résistez à vos tentations,

Dérobez au public ces occupations,

Et n'allez point quitter, de quoi que l'on vous somme,
Le nom que dans la cour vous avez d'honnête homme,
Pour prendre de la main d'un avide imprimeur,
Celui de ridicule et misérable auteur.

C'est ce que je tâchais de lui faire comprendre.

ORONTE.

Voilà qui va fort bien, et je crois vous entendre. Mais ne puis-je savoir ce que dans mon sonnet...

ALCESTE.

Franchement, il est bon à mettre au cabinet'. Vous vous êtes réglé sur de méchants modèles,

1 Un grand nombre de termes ont vieilli depuis Molière, et leur signification a été considérablement altérée. A cette époque le mot de cabinet, exclusivement consacré à un lieu de recueillement et d'étude, n'avait point encore été détourné à l'acception qu'il a reçue des utiles et commodes innovations de l'architecture moderne. Du temps de Molière, des vers bons à mettre au cabinet ne signifiaient autre chose que des vers indignes de voir le jour et de recevoir les honneurs de l'impression.

Et vos expressions ne sont point naturelles.

Qu'est-ce que : Nous berce un temps notre ennur?
Et que, Rien ne marche après lui?
Que, Ne vous pas mettre en dépense,
Pour ne me donner que l'espoir?
Et que, Philis, on désespère,
Alors qu'on espère toujours?

Ce style figuré, dont on fait vanité
Sort du bon caractère et de la vérité,
Ce n'est que jeu de mots, qu'affectation pure,
Et ce n'est point ainsi que parle la nature.
Le méchant goût du siècle en cela me fait peur;
Nos pères, tout grossiers, l'avaient beaucoup meilleur;
Et je prise bien moins tout ce que l'on admire,
Qu'une vieille chanson que je m'en vais vous dire ;

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Je voudrais bien, pour voir, que, de votre manière, Ah! parbleu! c'en est trop. Ne suivez point mes pas. Vous en composassiez sur la même matière.

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Ma foi, mon grand monsieur, je le prends comme il
PHILINTE, se mettant entre deux. [faut.
Eh! messieurs, c'en est trop. Laissez cela, de grâce.

ORONTE.

Ah! j'ai tort, je l'avoue, et je quitte la place.
Je suis votre valet, monsieur, de tout mon cœur.

ALCESTE.

PHILINTE.

Vous vous moquez de moi; je ne vous quitte pas.

ACTE SECOND.

SCÈNE PREMIÈRE.

ALCESTE, CÉLIMÈNE.

ALCESTE.

Madame, voulez-vous que je vous parle net ?
De vos façons d'agir je suis mal satisfait :
Contre elles dans mon cœur trop de bile s'assemble,
Et je sens qu'il faudra que nous rompions ensemble:
Oui, je vous tromperais de parler autrement;
Tôt ou tard nous romprons indubitablement;

Et moi, je suis, monsieur, votre humble serviteur. Et je vous promettrais mille fois le contraire,

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De tant de soupirants chasserait la cohue.
Mais, au moins, dites-moi, madame, par quel sort
Votre Clitandre a l'heur de vous plaire si fort?
Sur quel fonds de mérite et de vertu sublime
Appuyez-vous en lui l'honneur de votre estime?
Est-ce par l'ongle long qu'il porte au petit doigt
Qu'il s'est acquis chez vous l'estime où l'on le voit?
Vous êtes-vous rendue, avec tout le beau monde,
Au mérite éclatant de sa perruque blonde?
Sont-ce ses grands canons qui vous le font aimer?
L'amas de ses rubans a-t-il su vous charmer?

Est-ce par les appas de sa vaste rhingrave

Qu'il a gagné votre âme en faisant votre esclave?
Ou sa façon de rire, et son ton de fausset,
Ont-ils de vous toucher su trouver le secret?
CÉLIMÈNE.

Qu'injustement de lui vous prenez de l'ombrage!
Ne savez-vous pas bien pourquoi je le ménage;
Et que dans mon procès, ainsi qu'il m'a promis,
Il peut intéresser tout ce qu'il a d'amis?

ALCESTE.

Perdez votre procès, madame, avec constance, Et ne ménagez point un rival qui m'offense. CÉLIMÈNE.

Mais de tout l'univers vous devenez jaloux,

ALCESTE.

C'est que tout l'univers est bien reçu de vous.
CÉLIMÈNE.

C'est ce qui doit rasseoir votre âme effarouchée,
Puisque ma complaisance est sur tous épanchée :
Et vous auriez plus lieu de vous en offenser,
Si vous me la voyiez sur un seul ramasser.

ALCESTE.

Mais moi, que vous blâmez de trop de jalousie,

Qu'ai-je de plus qu'eux tous, madame, je vous prie? CÉLIMÈNE.

Le bonheur de savoir que vous êtes aimé.

ALCESTE.

Et quel lieu de le croire, à mon cœur enflammé?
CÉLIMÈNE.

Je pense qu'ayant pris le soin de vous le dire,
Un aveu de la sorte a de quoi vous suffire.

ALCESTE.

Mais qui m'assurera que, dans le même instant,
Vous n'en disiez peut-être aux autres tout autant?
CÉLIMÈNE.

Certes, pour un amant, la fleurette est mignonne,
Et vous me traitez là de gentille personne.
Eh bien! pour vous ôter d'un semblable souci,
De tout ce que j'ai dit je me dédis ici;

'Sorte de hauts-de-chausses fort amples, ainsi appelés du nom d'un seigneur allemand, gouverneur de Maestricht, qui en introduisit la mode. (MÉN. )

Et rien ne saurait plus vous tromper que vous-même: Soyez content.

ALCESTE.

Morbleu! faut-il que je vous aime!
Ah! que si de vos mains je rattrape mon cœur.
Je bénirai le ciel de ce rare bonheur !

Je ne le cèle pas, je fais tout mon possible
A rompre de ce cœur l'attachement terrible,
Mais mes plus grands efforts n'ont rien fait jusqu'ici :
Et c'est pour mes péchés que je vous aime ainsi.
CÉLIMÈNE.

Il est vrai, votre ardeur est pour moi sans seconde.

ALCESTE.

Oui, je puis là-dessus défier tout le monde.
Mon amour ne se peut concevoir; et jamais
Personne n'a, madame, aimé comme je fais.
CÉLIMÈNE.

En effet, la méthode en est toute nouvelle,
Car vous aimez les gens pour leur faire querelle;
Ce n'est qu'en mots fâcheux qu'éclate votre ardeur,
Et l'on n'a vu jamais un amour si grondeur.

ALCESTE.

Mais il ne tient qu'à vous que son chagrin ne passe. A tous nos démêlés coupons chemin, de grâce; Parlons à cœur ouvert, et voyons d'arrêter...

SCÈNE II.

CÉLIMÈNE, ALCESTE, BASQUE.

CÉLIMÈNE.

Qu'est-ce?

BASQUE.

Acaste est là-bas.

CÉLIMÈNE.

Eh bien! faites monter.

SCÈNE III.

CÉLIMÈNE, ALCESTE.

ALCESTE.

Quoi! l'on ne peut jamais vous parler tête à tête! A recevoir le monde on vous voit toujours prête; Et vous ne pouvez pas, un seul moment de tous, Vous résoudre à souffrir de n'être pas chez vous? CÉLIMÈNE.

Voulez-vous qu'avec lui je me fasse une affaire?

ALCESTE.

Vous avez des égards qui ne sauraient me plaire. CÉLIMÈNE.

C'est un homme à jamais ne me le pardonner, S'il savait que sa vue eût pu m'importuner.

ALCESTE.

Et que vous fait cela pour vous gêner de sorte...

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Je le veux. ALCESTE.

Point d'affaire.

Ces conversations ne font que m'ennuyer,
Et c'est trop que vouloir me les faire essuyer.
CÉLIMÈNE.

Je le veux, je le veux.

ALCESTE.

Non, il m'est impossible. CÉLIMÈNE.

Eh bien! allez, sortez, il vous est tout loisible.

SCÈNE V.

ÉLIANTE, PHILINTE, ACASTE, CLITANDRE, ALCESTE, CÉLIMÈNE, BASQUE.

ÉLIANTE, à Célimène.

Voici les deux marquis qui montent avec nous. Vous l'est-on venu dire?

Vous vous moquez, je pense.

ALCESTE.

Non. Mais vous choisirez. C'est trop de patience.

CLITANDRE.

Parbleu! je viens du Louvre, où Cléonte, au levé, Madame, a bien paru ridicule achevé.

N'a-t-il point quelque ami qui pût, sur ses manières
D'un charitable avis lui prêter les lumières ?
CÉLIMÈNE.

Dans le monde, à vrai dire, il se barbouille fort;
Partout il porte un air qui saute aux yeux d'abord;
Et lorsqu'on le revoit après un peu d'absence,
On le retrouve encor plus plein d'extravagance.

ACASTE.

Parbleu! s'il faut parler de gens extravagants,
Je viens d'en essuyer un des plus fatigants;
Damon le raisonneur, qui m'a, ne vous déplaise,
Une heure, au grand soleil, tenu hors de ma chaise.
CÉLIMÈNE.

C'est un parleur étrange, et qui trouve toujours
L'art de ne vous rien dire avec de grands discours;
Dans les propos qu'il tient on ne voit jamais goutte,
Et ce n'est que du bruit que tout ce qu'on écoute.
ÉLIANTE, à Philinte.

Ce début n'est pas mal; et contre le prochain,
La conversation prend un assez bon train.

CLITANDRE.

Timante encor, madame, est un bon caractère.
CÉLIMÈNE.

C'est de la tête aux pieds un homme tout mystère,
Qui vous jette, en passant, un coup d'œil égaré,
Et sans aucune affaire, est toujours affairé.

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