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L'établissement de cette nouvelle troupe de comédiens n'eut point de succès, parce qu'ils ne voulurent pas suivre les avis de Molièro, qui avait le discernement et les vues beaucoup plus justes que des gens qui n'avaient pas été cultivés avec autant de soins que lui.

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Un auteur grave nous fait un conte au sujet du parti que Molière avait pris de jouer la comédie. Il avance que sa famille, alarmée de ce dangereux dessein, lui envoya un ecclésiastique pour lui représenter qu'il perdait entièrement l'honneur de sa famille; qu'il plongeait ses parents dans de douloureux déplaisirs, et qu'enfin il risquait son salut d'embrasser une profession contre les bonnes mœurs, et condamnée par l'Église; mais qu'après avoir écouté tranquillement l'ecclésiastique, Molière parla à son tour avec tant de force en faveur du théâtre, qu'il séduisit l'esprit de celui qui le voulait convertir, et l'emmena avec lui pour jouer la comédie. Ce fait est absolument inventé par les personnes de qui M. Perrault peut l'avoir pris pour nous le donner; et quand je n'en aurais pas de certitude, le lecteur, à la première réflexion, présumera avec moi que ce fait n'a aucune vraisemblance. Il est vrai que les parents de Molière essayèrent, par toutes sortes de voies, de le détourner de sa résolution; mais ce fut inutilement : sa passion pour la comédie l'emportait sur toutes leurs raisons".

Quoique la troupe de Molière n'eût point réussi, cependant, pour peu qu'elle avait paru, elle lui avait donné occasion suffisamment de faire valoir dans le monde les dispositions extraordinaires qu'il avait pour le théâtre; et M. le prince de Conti, qui l'avait fait venir plusieurs fois jouer dans son hôtel, l'encouragea; et voulant bien l'honorer de sa protection, il lui ordonna de le venir trouver en Languedoc avec sa troupe, pour y jouer la comédie 3.

Cette troupe était composée de la Béjart, de ses deux frères; de Duparc, dit Gros-René; de sa femme; d'un påtissier de la rue Saint-Honoré, père de la demoiselle de la Grange, femme de chambre de la de Brie 4; celle-ci était

aussi de la troupe avec son mari, et quelques autres'. Molière, en formant sa troupe, lia une forte amitié avec la Béjart, qui, avant qu'elle le connût, avait eu une petite fille de M. de Modène, gentilhomme d'Avignon, avec qui j'ai su, par des témoignages très-assurés, que la mère avait contracté un mariage caché. Cette petite fille, accoutumée avec Molière, qu'elle voyait continuellement, l'appela son mari dès qu'elle sut parler 2; et à mesure qu'elle croissait, ce nom déplaisait moins à Molière; mais cela ne paraissait à personne tirer à aucune conséquence. La mère 3 ne pensait à rien moins qu'à ce qui arriva dans la suite; et occupée seu. lement de l'amitié qu'elle avait pour son prétendu gendre, elle ne voyait rien qui dût lui faire faire des réflexions.

Molière partit avec sa troupe, qui eut bien de l'applaudissement en passant à Lyon en 1653, où il donna au public

force de faire crédit à ses confrères du Parnasse, il se ruina, et qu'un beau matin, sans aucun respect pour les muses, des huissiers le jetèrent dans une prison. Il en sortit après un an de captivité, et voulut donner au monde les vers qu'il avait composés; mais, dit plaisamment d'Assoucy, «il ne trouva dans Paris «< aucun poëte qui le voulût nourrir à son tour, et aucun pâtis« sier qui, sur un de ses sonnets, lui voulut faire crédit seule« ment d'un pâté. Il sortit donc de Paris avec sa femme et ses << enfants, lui cinquième, en comptant un petit åne tout chargé « de ses œuvres, pour aller chercher fortune en Languedoc, où « il fut reçu dans une troupe de comédiens qui avait besoin d'un << homme pour faire un personnage de Suisse, où, quoique son « rôle fût tout au plus de quatre vers, il s'en acquitta si bien, «< qu'en moins d'un an il acquit la réputation du plus méchant «< comédien du monde; de sorte que les comédiens ne sachant « à quoi l'employer, le voulurent faire moucheur de chandelles; << mais il ne voulut point accepter cette condition, comme ré<< pugnante à l'honneur et à la qualité de poëte: depuis, ne pou«vant résister à la force de ses destins, je l'ai vu avec une autre « troupe, mouchant les chandelles fort proprement. Voilà le «< destin des fous quand ils se font poëtes, et le destin des poëtes << quand ils deviennent fous. » ( D'Assoucy, Aventures d'Italie, pag. 284.)

Ces acteurs ne faisaient pas partie de la troupe au moment de son départ de Paris; mais Molière s'étant arrêté à Lyon où il donna l'Étourdi, y obtint un tel succès, qu'il fit tomber deux autres troupes dont les premiers acteurs s'empressèrent de se

tion, et dont l'auteur, qui se nommait Molière, avait longtemps joué la comédie, eut quelque part à ce choix. (Ce passage est extrait d'une Vie de Molière, peu connue, écrite en 1724. Nous aurons plusieurs fois occasion de citer cet ouvrage, dont le ré-joindre à lui. De ce nombre étaient la Grange, du Croisy, Dudacteur avait recueilli de la bouche des contemporains plusieurs anecdotes fort piquantes. )

1 Perrault, qui raconte cette anecdote, parle d'un maître de pension, et non d'un ecclésiastique. Le fait ainsi rétabli n'a rien d'invraisemblable. On peut croire au contraire que Molière composa le Maitre d'école, le Docteur amoureux, les Trois Docteurs rivaux, et le rôle de Métaphraste, pour son maître de pension on sait avec quel soin il appropriait ses rôles au caractère de ses acteurs.

A cette époque, c'est-à-dire en 1645, Molière quitta Paris, et parcourut la province avec sa troupe. Il y resta quatre ou cinq ans pour se perfectionner dans son art. Dans ce long intervalle, on le retrouve une seule fois à Bordeaux, favorablement accueilli par le duc d'Épernon, si fameux sous les règnes de Henri III et de Henri IV. En 1650, il revint à Paris; et c'est seulement alors que le prince de Conti, son ancien condisciple, le fit jouer à son hôtel (aujourd'hui la Monnaie).

3 Nouvelle confusion dans les époques. Ce ne fut qu'en 1653 ou 1654, un peu avant la convocation des états du Languedoc, que le prince de Conti ordonna à Molière d'aller le rejoindre à Béziers. Ainsi voilà huit années de la vie de Molière dont tous les détails nous sont inconnus. Molière passa à Lyon toute l'année de 1653.

4 Ce pâtissier se nommait Ragueneau; il fut longtemps aimé des comédiens et chéri des poëtes, qui se régalaient à ses dépens. L'un de ces derniers, nommé Beys, lui ayant inspiré l'idée de faire des vers, le pauvre Ragueneau négligea son four, et de bon pâtissier, il devint d'abord méchant poëte, puis méchant comédien. D'Assoucy, qui nous a conservé son histoire, dit qu'a

parc, et les demoiselles de Brie et Duparc. C'est pour Duparc que Molière fit le rôle de Gros-René du Dépit amoureux.

2 Molière ne se lia avec les Béjart qu'en 1645. La jeune Armande était peut-être alors auprès de sa sœur. Elle avait quatorze ou quinze ans en 1653, au moment de son départ pour Lyon. Molière l'ayant épousée dans la suite, on osa répandre le bruit qu'il s'était uni à la fille de sa maitresse, et même à sa propre fille, imputations infâmes auxquelles Molière ne daigna jamais répondre. Cependant on avait ignoré jusqu'à ce jour qu'Armande Béjart (femme de Molière) était la sœur et non la fille de cette Madeleine Béjart que Raymond, seigneur de Modène, épousa secrètement. Cette découverte précieuse est due à M. Beffara, qui a publié l'acte de mariage de Molière, acte qu'il ne sera point inutile de rapporter ici :

« Jean-Baptiste Poquelin, fils de sieur Jean Poquelin et de « feue Marie Cressé, d'une part; et Armande Gresinde Béjart, « fille de feu Joseph Béjart et de Marie Hervé, d'autre part; « tous deux de cette paroisse vis-à-vis le Palais-Royal, fiancés « et mariés, tout ensemble, par permission de M. Comtes, « doyen de Notre-Dame, et grand-vicaire de monseigneur le «< cardinal de Retz, archevêque de Paris, en présence dudit Jean << Poquelin, père du marié, et de André Boudet, beau-frère du « marié, de ladite Marie Hervé, mère de la mariée, Louis Bé<< jart et Madeleine Béjart, frère et sœur de ladite mariée. » Cet acte est signé J. B. Poquelin ( c'est Molière), J. Poquelin (c'est son père), Boudet (c'est son beau-frère), Marie Hervé (c'est la mère d'Armande Béjart), Armande Gresinde Béjart, Louis Béjart, et Béjart (Madeleine, sœur d'Armande Béjart). 3 Lisez, la sœur.

Étourdi, la première de ses pièces, qui eut autant de succès qu'il en pouvait espérer. La troupe passa en Languedoc, où Molière fut reçu très-favorablement de M. le prince de Conti, qui eut la bonté de donner des appointements à ces comediens 2.

Armand de Bourbon, prince de Conti, frère du grand Condé, né le II octobre 1629, épousa, en 1654, Martinozzi, nièce de Mazarin, ce qui le fit nommer gouverneur de Guienne. Il aimait passionnément la comédie, et se plaisait même à imaginer des sujets propres à la scène; depuis il a écrit contre les spectacles. Il mourut à Pézenas, le 21 février 1666. Son ouvrage est intitulé Traité de la comédie et des spectacles, selon la tradition de l'Église, par le prince de Conti. Paris, 1667, in-8°.

2 Ce ne fut qu'en 1654 que Molière se rendit auprès du prince de Conti. Cette date est établie par la première représentation du Dépit amoureux, et par les Mémoires de d'Assoucy. Ce dernier ouvrage nous fournit quelques détails pleins d'intérêt sur cette époque de la vie de Molière, sur son ouvrage, et sur la générosité de son caractère. D'Assoucy était une espèce de troubadour, bon musicien, poëte agréable, qui courait joyeusement de ville en ville, son luth à la main, et suivi de deux jeunes pages qui ont beaucoup trop occupé la muse de Chapelle. Arrivé à Lyon, il trouva, dit-il, ses poésies dans tous les couvents de religieuses; mais « ce qui me charma plus, ce fut la ren« contre de Molière et de MM. les Béjart. Comme la comédie « a des charmes, je ne pus si tôt quitter ces charmants amis : « je demeurai trois mois à Lyon parmi les jeux, la comédie «<et les festins, quoique j'eusse bien mieux fait de ne m'y pas << arrêter un jour; car, au milieu de tant de caresses, je ne laissai « pas d'y essuyer de mauvaises rencontres. (Il perdit son ar«gent au jeu, et un de ses pages l'abandonna.) Ayant oui dire « qu'il y avait à Avignon une excellente voix de dessus dont je « pourrais facilement disposer, je m'embarquai avec Molière « sur le Rhône, qui mène en Avignon, où, étant arrivé avec «< quarante pistoles de reste du débris de mon naufrage, comme «< un joueur ne saurait vivre sans cartes, non plus qu'un ma<< telot sans tabac, la première chose que je fis, ce fut d'aller à «<l'académie ; j'avais déjà oui parler du mérite de ce lieu, et de la «< capacité de plusieurs galants hommes qui divertissaient galam«<ment les bienheureux passants qui aiment à jouer à trois dés. « J'en fus encore averti charitablement par un fort honnête mar« chand de linge, qui voyant ma bourse assez bien garnie, que « j'avais ouverte pour lui payer quelques rabats, me dit : Mon<< sieur, tandis que vous avez la main au gousset, vous feriez bien « de faire votre provision de linge, car je vous vois souvent entrer « dans cette porte (me montrant la porte de l'académie), où j'ai bien vu entrer des étrangers aussi lestes que vous; mais

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je vous puis assurer, par la part que je prétends en paradis, « que 'e n'en ai vu jamais aucun qui, au bout de quinze jours, « en soit sorti mieux vêtu que notre premier père Adam sortit «< du paradis terrestre. Comme cette maison est un petit quartier « de la Judée, et que les Juifs sont amoureux des nippes, ils joueront sur tout; et bien que vous ayez le visage d'un fé« bricitant (il avait la fièvre ), ne croyez pas que ce peuple mo«< saïque, qui ne pardonne pas à la peau, pardonne à la chemise. Après avoir gagné votre argent, ils vous dépouilleront comme «< au coin d'un bois, et vous gagneront votre habit : c'est pourquoi je vous conseille d'acheter au moins une paire de cale «< cons... J'étais trop amoureux de mon faible pour écouter un « conseil si contraire à ma passion dominante; et jour pour « jour je me trouvai, au bout du mois, au même état que mon << marchand de linge m'avait prédit... Un grand Juif, qui avait « le nez long et le visage påle, me gagna mon argent; Moise «< me gagna ma bague, et Simon le lépreux mon manteau. Pier<rotin, qui faisait gloire de m'imiter, råfla son baudrier contre Abraham. Je laissai donc tout à ce peuple circoncis, jusqu'à << ma fièvre quarte, que je perdis avec mon argent. Mais comme un homme n'est jamais pauvre tant qu'il a des amis, ayant «Molière pour estimateur, et toute la maison des Béjart pour «< amie, en dépit du diable, de la fortune, et de tout ce peuple «hébraïque, je me vis plus riche et plus content que jamais; « car ces généreuses personnes ne se contentèrent pas de m'as« sister comme ami, elles me voulurent traiter comme parent. «Etant commandés pour aller aux états, ils me menèrent avec

Molière s'acquit beaucoup de réputation dans cette province, par les deux premières pièces de sa façon qu'il fit paraître, l'Étourdi et le Dépit amoureux; ce qui engagea d'autant plus M. le prince de Conti à l'honorer de sa bienveillance et de ses bienfaits : ce prince lui confia la conduite des plaisirs et des spectacles qu'il donnait à la province, pendant qu'il en tint les états; et ayant remarqué en peu de temps toutes les bonnes qualités de Molière, son estime pour lui alla si loin qu'il le voulut faire son secrétaire : mais Mo lière aimait l'indépendance, et il était si rempli du désir de faire valoir le talent qu'il se connaissait, qu'il pria M. le prince de Conti de le laisser continuer la comédie; et la place qu'il aurait remplie fut donnée à M. de Simoni. Ses amis le blâmèrent de n'avoir point accepté un emploi si avantageux. «Eh! messieurs, leur dit-il, ne nous déplaçons « jamais : je suis passable auteur, si j'en crois la voix publi« que; je puis être un fort mauvais secrétaire. Je divertis le << prince par les spectacles que je lui donne ; je le rebuterai << par un travail sérieux et mal conduit. Et pensez-vous d'ail<«<leurs, ajouta-t-il, qu'un misanthrope comme moi, capri«< cieux si vous voulez, soit propre auprès d'un grand ? Je n'ai pas les sentiments assez flexibles pour la domesticité : << mais plus que tout cela, que deviendront ces pauvres gens << que j'ai amenés si loin? qui les conduira? Ils ont compté << sur moi; et je me reprocherais de les abandonner. » Cependant j'ai su que la Béjart ( Madeleine ) lui aurait fait le plus de peine à quitter; et cette femme, qui avait tout pou

«eux à Pézenas, où je ne saurais dire combien de grâces je re« çus ensuite de toute la maison. On dit que le meilleur frère «<est las, au bout d'un mois, de donner à manger à son frère; << mais ceux-ci, plus généreux que tous les frères qu'on puisse avoir, ne se lassèrent point de me voir à leur table tout un hi« ver; et je peux dire

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« En effet, quoique je fusse chez eux, je pouvais bien dire

« que j'étais chez moi. Je ne vis jamais tant de bonté, tant de « franchise ni tant d'honnêteté, que parmi ces gens-là, bien dignes de représenter réellement dans le monde les personna«<ges des princes qu'ils représentent tous les jours sur le théâtre. « Après donc avoir passé six bons mois dans cette cocagne, et << avoir reçu de M. le prince de Conti, de Guilleragues, et de «< plusieurs personnes de cette cour, des présents considérables, je commençai à regarder du côté des monts; mais comme il «me fachait fort de retourner en Piémont sans y amener en« core un page de musique, et que je me trouvais tout porté << dans la province de France qui produit les plus belles voix « aussi bien que les plus beaux fruits, je résolus de faire encore <«< une tentative; et pour cet effet, comme la comédie avait «< assez d'appas pour s'accommoder à mon désir, je suivis encore « Molière à Narbonne. » ( Aventures de d'Assoucy, t. I, p. 309.) On regrette que d'Assoucy ne soit pas entré dans de plus longs détails sur Molière et sur sa troupe; cependant ce passage est d'autant plus précieux, qu'il renferme les seuls documents authentiques qui nous soient parvenus sur cette époque de la vie de Molière.

voir sur son esprit, l'empêcha de suivre M. le prince de Conti. De son côté, Molière était ravi de se voir le chef d'une troupe; il se faisait un plaisir sensible de conduire sa petite république : il aimait à parler en public; il n'en perdait jamais l'occasion; jusque-là que s'il mourait quelque domestique de son théâtre, ce lui était un sujet de haranguer pour le premier jour de comédie. Tout cela lui aurait manqué chez M. le prince de Conti 1.

Après quatre ou cinq années de succès dans la province, la troupe résolut de venir à Paris. Molière sentit qu'il avait assez de force pour y soutenir un théâtre comique, et qu'il avait assez façonné ses comédiens pour espérer d'y avoir un plus heureux succès que la première fois. Il s'assurait aussi sur la protection de M. le prince de Conti.

Molière quitta donc le Languedoc 2 avec sa troupe; mais il s'arrêta à Grenoble, où il joua pendant tout le carnaval; après quoi ces comédiens vinrent à Rouen, afin qu'étant plus à portée de Paris, leur mérite s'y répandit plus aisément. Pendant ce séjour, qui dura tout l'été, Molière fit plusieurs voyages à Paris, pour se préparer une entrée chez Monsieur, qui lui ayant accordé sa protection, eut la bonté de le présenter au roi et à la reine mère.

Ces comédiens eurent l'honneur de représenter la pièce de Nicomède devant leurs majestés, au mois d'octobre 16583. Leur début fut heureux, et les actrices surtout furent trouvées bonnes. Mais comme Molière sentait bien que sa troupe ne l'emporterait pas pour le sérieux sur celle de l'hôtel de Bourgogne, après la pièce il s'avança sur le théâ tre; et après avoir remercié Sa Majesté en des termes trèsmodestes de la bonté qu'elle avait eue d'excuser ses défauts et ceux dé sa troupe, qui n'avait paru qu'en tremblant devant une assemblée si auguste, il ajouta « que l'envie qu'ils « avaient d'avoir l'honneur de divertir le plus grand roi du

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Grimarest oublie ici un fait qui a pu influer sur la détermination de Molière. Cette place lui fut offerte peu de temps après la mort du poète Sarrasin, que le prince lui proposait de remplacer; et on lit dans les Mémoires de Segrais, « que Sarrasin « mourut à l'âge de quarante-trois ans, d'une fièvre chaude « causée par un mauvais traitement que lui fit M. le prince de « Conti. Ce prince lui donna un coup de pincette à la tempe : le sujet de son mécontentement était que l'abbé de Cosnac, depuis archevêque d'Aix, et Sarrasin, l'avaient fait condescen« dre à épouser la nièce du cardinal Mazarin, et abandonner << quarante mille écus de bénéfice pour n'avoir que vingt-cinq « mille écus de rente; de sorte que l'argent lui manquait sou« vent; et alors il était dans des chagrins contre ceux qui lui << avaient fait faire cette bassesse, comme il l'appelait, à cause « de la haine universelle qu'on avait dans ce temps-là contre le « cardinal de Mazarin. » ( Mémoires de Segrais, page 51.) — Le prince de Conti avait été généralissime des troupes de la Fronde. Le cardinal de Retz dit de ce prince que « c'était un « zéro qui ne multipliait que parce qu'il était prince du sang. « La méchanceté, ajoute-t-il, faisait en lui ce que la faiblesse << faisait en M. le due d'Orléans. Ce fut le cardinal de Retz qui plaça le poète Sarrasin auprès de ce prince. » ( Mémoires du cardinal de Retz, liv. I, p. 207, et liv. II, p. 60.)

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* A son retour des états du Languedoc, au mois de décembre 1657, il trouva à Avignon Pierre Mignard qui revenait d'Italie, où il avait passé vingt-deux ans. A cette époque, Mignard faisait le portrait de la marquise de Gange, célèbre par sa beauté et sa fim tragique. C'est donc à Avignon que commença entre Mignard et Molière une amitié qui dura toute leur vie. Mignard a laissé à la postérité le portrait de Molière; et Molière, dans son poême du Val de Grádce, a rendu au talent de Mignard un hommage qui mérita les éloges de Boileau. (Vie de Mignard. in-12, 1630, page 55.)

3 Ce début eut lieu le 24 octobre, sur un théâtre que le roi avatt fait dresser dans la salle des gardes du vieux Louvre. (Vie de Molière, par la Grange.)

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<< monde leur avait fait oublier que Sa Majesté avait à son « service d'excellents originaux, dont ils n'étaient que de « très-faibles copies; mais que puisqu'elle avait bien voulu << souffrir leur manière de campagne, il la suppliait très« humblement d'avoir agréable qu'il lui donnât un de ces petits divertissements qui lui avaient acquis quelque réputation, et dont il régalait les provinces ; » en quoi il comptait bien réussir, parce qu'il avait accoutumé sa troupe à jouer sur-le-champ de petites comédies à la manière des Italiens. Il en avait deux entre autres que tout le monde en Languedoc, jusqu'aux personnes les plus sérieuses, ne se lassaient point de voir représenter : c'étaient les Trois Docteurs rivaux, et le Maître d'école, qui étaient entières ment dans le goût italien.

Le roi parut satisfait du compliment de Molière, qui l'avait travaillé avec soin; et Sa Majesté voulut bien qu'il lui donnât la première de ces deux petites pièces, qui eut un succès favorable 2. Le jeu de ces comédiens fut d'autant plus goûté, que depuis quelque temps on ne jouait plus que des pièces sérieuses à l'hôtel de Bourgogne; le plaisir des petites comédies était perdu 3.

Le divertissement que cette troupe venait de donner à Sa Majesté lui ayant plu, elle voulut qu'elle s'établit à Paris : et pour faciliter cet établissement, le roi eut la bonté de donner le Petit-Bourbon 4 à ces comédiens, pour jouer alternativement avec les Italiens. On sait qu'ils passèrent en

I Nous rétablissons ici le discours de Molière, tel qu'il se trouve dans la préface de la Grange, édition de 1682.

2 Ce ne fut point les Trois Docteurs rivaux, mais le Docteur amoureux, que Molière représenta devant Louis XIV. « Comme «< il y avait longtemps qu'on ne jouait plus de petites comédies, « disent les éditeurs de 1682, l'invention en parut nouvelle; et << celle qui fut représentée ce jour-là divertit autant qu'elle sur« prit tout le monde. Molière faisait le docteur; et la manière « dont il s'acquitta de ce personnage le mit dans une si grande «<estime, que Sa Majesté donna des ordres pour établir sa troupe « à Paris.» ( Préface de la Grange dans l'édition de 1682.) On sait que Boileau regrettait fort qu'on eût perdu la petite comédie du Docteur amoureux, « parce que, disait-il, il y a toujours quel« que chose de saillant et d'instructif dans les moindres ouvrages « de Molière. » (Voyez le Boléana.) Outre ces deux farces, Molière avait encore composé en province le Mattre d'école, le Médecin volant, et la Jalousie de Barbouillé. Ces deux derniers canevas servirent depuis à Molière lorsqu'il composa le Mariage forcé, le Médecin malgré lui, et George Dandin. Ils ont été retrouvés.

Il existe deux registres de la troupe de Molière, qui commencent le 6 avril 1663, et se terminent le 4 janvier 1665. On y trouve le titre de différentes petites pièces dont il est possible que Molière soit l'auteur :

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1660 au Palais-Royal, et qu'ils prirent le titre de comédiens de Monsieur.

Molière, qui, en homme de bon sens, se défiait toujours de ses forces, eut peur alors que ses ouvrages n'eussent pas du public de Paris autant d'applaudissements que dans les provinces. Il appréhendait de trouver dans ce parterre des esprits qui ne fussent pas plus contents de lui qu'il ne l'était lui-même et si sa troupe, dans les commencements, ne l'avait excité à profiter des heureuses dispositions qu'elle lui connaissait pour le théâtre comique, peut-être ne se serait-il pas hasardé de livrer ses ouvrages au public. « Je ne com« prends pas, disait-il à ses camarades en Languedoc, com«<ment des personnes d'esprit prennent du plaisir à ce que « je leur donne; mais je sais bien qu'en leur place je n'y « trouverais aucun goût. Eh! ne craignez rien, lui répondit un de ses amis; l'homme qui veut rire se divertit « de tout, le courtisan comme le peuple. » Les comédiens le rassurèrent à Paris, comme dans la province; et ils commeucèrent à représenter, dans cette grande ville, le 3 de novembre 1658. L'Étourdi, la première de ses pièces, qu'il fit paraître dans ce même mois, et le Dépit amoureux, qu'il donna au mois de décembre suivant, furent reçues avec applaudissement; et Molière enleva tout à fait l'estime du public en 1659 par les Précieuses ridicules, ouvrage qui fit alors espérer de cet auteur les bonnes choses qu'il nous a données depuis. Cette pièce fut représentée au simple la première fois; mais le jour suivant on fut obligé de la mettre au double, à cause de la foule incroyable qui y avait été le premier jour 1.

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Les Précieuses furent jouées pendant quatre mois de suite. M. Ménage, qui était à la première représentation de cette pièce, en jugea favorablement. « Elle fut jouée, dit-il, avec « un applaudissement général; et j'en fus si satisfait en mon particulier, que je vis dès lors l'effet qu'elle allait proaduire. Monsieur, dis-je à M. Chapelain en sortant de la «< comédie, nous approuvions, vous et moi, toutes les sot«tises qui viennent d'être critiquées si finement, et avec « tant de bon sens; mais, croyez-moi, il nous faudra brûler « ce que nous avons adoré, et adorer ce que nous avons « brûlé. Cela arriva comme je l'avais prédit, et dès cette * première représentation l'on revint du galimatias et du style forcé. >>

Un jour que l'on représentait cette pièce, un vieillard s'écria du milieu du parterre: Courage, courage, Molière! voilà la bonne comédie; ce qui fait bien connaître que le théâtre comique était alors bien négligé, et que l'on était fatigué de mauvais ouvrages avant Molière, comme nous l'avons été après l'avoir perdu.

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Cette comédie eut cependant des critiques; on disait que c'était une charge un peu forte mais Molière connaissait déjà le point de vue du théâtre, qui demande de gros traits pour affecter le public, et ce principe lui a toujours réussi dans tous les caractères qu'il a voulu peindre.

Le 28 mars 1660, Molière donna pour la première fois le Cocu imaginaire, qui eut beaucoup de succès. Cependant les petits auteurs comiques de ce temps-là, alarmés de la réputation que Molière commençait à se former, faisaient leur possible pour décrier sa pièce. Quelques personnes savantes et délicates répandaient aussi leur critique : le titre de cet ouvrage, disaient-ils, n'est pas noble; et puis

1 L'auteur veut dire sans doute que le prix des places fut doublé il se trompe, elles furent tiercées, ce qui n'empêcha pas la pièce d'être jouée quatre mois de suite. Il parait que Molière joua le rôle de Mascarille avec un masque pendant les premieres représentations. C'est ce que nous apprend le comédien Villers dans la Vengeance des marquis. (B.)

qu'il a pris presque toute cette pièce chez les étrangers, il pouvait choisir un sujet qui lui fit plus d'honneur. Le commun des gens ne lui tenait pas compte de cette pièce comme des Précieuses ridicules; les caractères de celle-là ne les touchaient pas aussi vivement que ceux de l'autre. Cependant, malgré l'envie des troupes, des auteurs et des personnes inquiètes, le Cocu imaginaire passa avec applaudissement dans le public. Un bon bourgeois de Paris, vivant bien noblement, mais dans les chagrins que l'humeur et la beauté de sa femme lui avaient assez publiquement causés, s'imagina que Molière l'avait pris pour l'original de son Cocu imaginaire. Ce bourgeois crut devoir s'en offenser; il en marqua son ressentiment à un de ses amis. << Comment! lui dit-il, un petit comédien aura l'audace de << mettre impunément sur le théâtre un homme de ma sorte << (car le bourgeois s'imagine être beaucoup plus au-dessus «< du comédien que le courtisan ne croit être élevé au des«< sus de lui)! Je m'en plaindrai, ajouta-t-il en bonne po« lice, on doit réprimer l'insolence de ces gens-là; ce sont « les pestes d'une ville; ils observent tout, pour le tourner << en ridicule. » L'ami, qui était homme de bon sens, et bien informé, lui dit : « Monsieur, si Molière a eu intention sur « vous en faisant le Cocu imaginaire, de quoi vous plai« gnez-vous? il vous a pris du beau côté ; et vous seriez bien << heureux d'en être quitte pour l'imagination. » Le bourgeois, quoique peu satisfait de la réponse de son ami, ne laissa pas d'y faire quelque réflexion, et ne retourna plus au Cocu imaginaire.

Molière ne fut pas heureux dans la seconde pièce qu'il fit paraître à Paris le 4 février 1661: Don Garcie de Navarre, ou le Prince jaloux, n'eut point de succès. Molière sentit, comme le public, le faible de sa pièce : aussi ne la fit-il pas imprimer; et on ne l'a ajoutée à ses ouvrages qu'après sa mort.

Ce peu de réussite releva ses ennemis ; ils espéraient qu'il tomberait de lui-même, et que, comme presque tous les auteurs comiques, il serait bientôt épuisé : mais il n'en connut que mieux le goût du temps; il s'y accommoda entièrement dans l'École des maris, qu'il donna le 24 juin 1661. Cette pièce, qui est une de ses meilleures, confirma le public dans la bonne opinion qu'il avait conçue de cet excellent auteur. On ne douta plus que Molière ne fût entièrement maître du théâtre dans le genre qu'il avait choisi; ses envieux ne purent pourtant s'empêcher de parler mal de son ouvrage. Je ne vois pas, disait un auteur contemporain qui ne réussissait point, où est le mérite de l'a« voir fait ce sont les Adelphes de Térence; il est aisé « de travailler en y mettant si peu du sien, et c'est se don« ner de la réputation à peu de frais. » On n'écoutait point les personnes qui parlaient de la sorte; et Molière eut lieu d'être satisfait du public, qui applaudit fort à sa pièce : c'est aussi une de celles que l'on verrait encore représenter aujourd'hui avec le plus de plaisir, si elle était jouée avec autant de feu et de délicatesse qu'elle l'était du temps de l'auteur.

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Les Fâcheux, qui parurent à la cour au mois d'août 1661, et à Paris le 4 du mois de novembre suivant, achevèrent de donner à Molière la supériorité sur tous ceux de son temps qui travaillaient pour le théâtre comique. La diversité de caractères dont cette pièce est remplie, et la nature que l'on y voyait peinte avec des traits si vifs, enlevaient tous les applaudissements du public. On avoua que Molière avait trouvé la belle comédie; il la rendait divertissante et utile. Cependant l'homme de cour, comme l'homme de ville, qui croyait voir le ridicule de son caractère sur le théâtre de Molière, attaquait l'auteur de tous côtés. Il outre tout, di

sait-on; il est inégal dans ses peintures; il dénoue mal. Toutes les dissertations malignes que l'on faisait sur ses pièces n'en empêchaient pourtant point le succès; et le public était tou jours de son côté.

On lit dans la préface qui est à la tête des pièces de Molière, qu'elles n'avaient pas d'égales beautés, parce, dit-on, qu'il était obligé d'assujettir son génie à des sujets qu'on lui prescrivait, et de travailler avec une très-grande préci pitation. Mais je sais, par de très-bons mémoires, qu'on ne lui a jamais donné de sujets; il en avait un magasin d'ébauchés par la quantité de petites farces qu'il avait hasardées dans les provinces; et la cour et la ville lui présentaient tous les jours des originaux de tant de façons, qu'il ne pouvait s'empêcher de travailler de lui-même sur ceux qui frappaient le plus : et quoiqu'il dise dans sa préface des Fácheux, qu'il ait fait cette pièce en quinze jours, j'ai de la peine à le croire; c'était l'homme du monde qui travaillait avec le plus de difficulté : et il s'est trouvé que des divertissements qu'on lui demandait étaient faits plus d'un an auparavant.

On voit dans les remarques de M. Ménage, « que dans << la comédie des Fâcheux, qui est, dit-il, une des plus « belles de celles de M. de Molière, le fâcheux chasseur qu'il << introduit sur la scène est M. de Soyecourt; que ce fut le « roi qui lui donna ce sujet en sortant de la première repré«sentation de cette pièce, qui se donna chez M. Fouquet. « Sa Majesté voyant passer M. de Soyecourt, dit à Molière : « Voilà un grand original que vous n'avez point encore copié. » Je n'ai pu savoir absolument si ce fait est véritable; mais j'ai été mieux informé que M. Ménage de la manière dont cette belle scène du chasseur fut faite : Molière n'y a aucune part que pour la versification; car ne connaissant point la chasse, il s'excusa d'y travailler; de sorte qu'une personne, que j'ai des raisons de ne pas nommer, la lui dicta tout entière dans un jardin; et M. de Molière l'ayant versifiée, en fit la plus belle scène de ses Fácheux, et le roi prit beaucoup de plaisir à la voir représenter1.

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L'École des femmes parut en 1662, avec peu de succès; les gens de spectacle furent partagés; les femmes outragées, à ce qu'elles croyaient, débauchaient autant de beaux esprits qu'elles le pouvaient pour juger de cette pièce comme elles en jugeaient. « Mais que trouvez-vous à redire d'essen« tiel à cette pièce? disait un connaisseur à un courtisan de distinction. Ah, parbleu ! ce que j'y trouve à redire est plaisant, s'écria l'homme de cour: tarte à la créme, morbleu ! « larte à la créme. Mais tarte à la crême n'est point un défaut, répondit le bon esprit, pour décrier une pièce comme « vous le faites. Tarte à la créme est exécrable, répondit le « courtisan. Tarte à la crême, bon Dieu! avec du sens com« mun peut-on soutenir une pièce où l'on a mis tarte à la « créme?» Cette expression se répétait par écho parmi tous les petits esprits de la cour et de la ville, qui ne se prêtent jamais à rien, et qui, incapables de sentir le bon d'un ouvrage, saisissent un trait faible pour attaquer un auteur beaucoup au-dessus de leur portée. Molière, outré à son tour des mauvais jugements que l'on portait sur sa pièce, les ramassa, et en fit la Critique de l'École des femmes, qu'il donna en 1663. Cette pièce fit plaisir au public: elle était du temps, et ingénieusement travaillée":

• Comment ose-t-on écrire que Molière n'a eu aucune part cette scène, parce qu'il ignorait les termes de la chasse? N'est-il pas plus naturel de penser, d'après quelques mémoires du temps, que, le lendemain de l'ordre donné par Louis XIV, Molière alla chez M. de Soyecourt, et que, dans une conversation trèsanimée sur la chasse, il trouva le sujet de la scène des Fácheux? 2 Brossette, dans ses notes sur la septième épitre de Boileau,

L'Impromptu de Versailles, qui fut joué pour la première fois devant le roi le 14 d'octobre 1663, et à Paris le 4 de novembre de la même année, n'est qu'une conversation satirique entre les comédiens, dans laquelle Molière se donne carrière contre les courtisans dont les caractères lui déplaisaient, contre les comédiens de l'hôtel de Bourgogne, et contre ses ennemis.

Molière, né avec des mœurs droites; Molière, dont les manières étaient simples et naturelles, souffrait impatiemment le courtisan empressé, flatteur, médisant, inquiet, incommode, faux ami. Il se déchaîne agréablement dans son Impromptu contre ces messieurs-là, qui ne lui pardonnaient pas dans l'occasion. Il attaque leur mauvais goût pour les ouvrages; il tâche d'ôter tout crédit au jugement qu'ils faisaient des siens.

Mais il s'attache surtout à tourner en ridicule une pièce intitulée le Portrait du Peintre, que M. Boursault avait faite contre lui, et à faire voir l'ignorance des comédiens de l'hôtel de Bourgogne dans la déclamation, en les contrefaisant tous si naturellement, qu'on les reconnaissait dans son jeu. Il épargna le seul Floridor'. Il avait très-grande raison de charger sur leur mauvais goût. Ils ne savaient aucun principe de leur art; ils ignoraient même qu'il y en eût. Tout leur jeu ne consistait que dans une prononciation ampoulée et emphatique, avec laquelle ils récitaient également tous leurs rôles; on n'y reconnaissait ni mouvements ni

donne les noms de quelques-uns des détracteurs de l'École des femmes. C'est le duc de la Feuillade qui est désigné ici par le titre d'homme de cour, et qui ne pouvait soutenir une pièce où l'on avait mis tarte à la créme. Ce mot était devenu proverbe. Les autres personnages désignés dans l'épitre de Boileau sont le commandeur de Souvré et le comte de Broussin, qui, pour faire sa cour au commandeur, sortit un jour au second acte de la comédie. L'auteur d'une Vie de Molière, écrite en 1724, dit que le duc de la Feuillade, outré de se voir traduit sur la scène dans la Critique de l'École des femmes, « s'avisa d'une ven<< geance indigne d'un honnête homme. Un jour qu'il vit passer << Molière par un appartement où il était, il l'aborda avec les « démonstrations d'un homme qui voulait lui faire caresse. Mo<< lière s'étant incliné, il lui prit la tête, et en lui disant: Tarte « à la créme, Molière, tarte à la créme, il lui frotta le visage « contre ses boutons, et lui mit le visage en sang. Le roi, qui « vit Molière le même jour, apprit la chose avec indignation, « et le marqua au duc, qui apprit à ses dépens combien Molière << était dans les bonnes gråces de Sa Majesté. Je tiens ce fait d'une << personne contemporaine qui m'a assuré l'avoir vu de ses pro« pres yeux. » (Vie de Molière, écrite en 1724.)

Floridor entra dans la troupe du Marais en 1640. Il avait beaucoup de noblesse dans l'air et dans les manières; il était fort aimé de la cour, et particulièrement du roi. De Visé a dit de lui: «Il paraît véritablement ce qu'il représente dans toutes « les pièces qu'il joue; tous les auditeurs souhaiteraient de le « voir sans cesse, et sa démarche, son air et ses actions, ont << quelque chose de si naturel, qu'il n'est pas nécessaire qu'il << parle pour attirer l'admiration de tout le monde. » ( Critique de la tragédie de Sophonisbe.) La nature avait encore accordé à cet excellent acteur une figure noble, une taille bien prise, un son de voix qui, quoique mâle, avait quelque chose de pénétrant et d'affectueux : il joignait à tous ces avantages beaucoup d'esprit, et, ce qui est encore plus estimable, une probité et une conduite exemplaires. Josias de Soulas Floridor était né de parents nobles, et avait d'abord servi en qualité d'enseigne. (Les frères Parfait, tom. VIII, pag. 221.) Une anecdote racontée par Boileau confirme tout ce qu'on vient de lire. Racine avait confié à Floridor le rôle de Néron dans Britannicus; mais cet acteur était tellement aimé du public, que tout le monde souffrait de lui voir représenter Néron et de lui vouloir du mal, ce qui nuisit au succès de la pièce. Racine s'étant aperçu de ce singulier effet du mérite de Floridor, confia le rôle à un autre acteur, et la pièce s'en trouva mieux. ( Boléana, page 106.)

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