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SCÈNE V.

POLIDORE.

Je lis dedans son âme, et vois ce qui le presse.
A quoi que sa raison l'eût déjà disposé,
Son déplaisir n'est pas encor tout apaisé.
L'image de l'affront lui revient, et sa fuite
Tâche à me déguiser le trouble qui l'agite.

Je prends part à sa honte, et son deuil m'attendrit.
Il faut qu'un peu de temps remette son esprit.
La douleur trop contrainte aisément se redouble.
Voici mon jeune fou, d'où nous vient tout ce trouble.

SCÈNE VI.

POLIDORE, VALÈRE.

POLIDORE.

Enfin, le beau mignon, vos beaux déportements
Troubleront les vieux jours d'un père à tous moments;
Tous les jours vous ferez de nouvelles merveilles,
Et nous n'aurons jamais autre chose aux oreilles.
VALÈRE.

Que fais-je tous les jours qui soit si criminel?
En quoi mériter tant le courroux paternel?

POLIDORE.

Je suis un étrange homme, et d'une humeur terrible,
D'accuser un enfant si sage et si paisible!
Las! il vit comme un saint, et dedans la maison
Du matin jusqu'au soir il est en oraison!
Dire qu'il pervertit l'ordre de la nature,

Et fait du jour la nuit, ô la grande imposture!
Qu'il n'a considéré père ni parenté
En vingt occasions, horrible fausseté !
Que de fraîche mémoire un furtif hyménée
A la fille d'Albert a joint sa destinée,
Sans craindre de la suite un désordre puissant;
On le prend pour un autre, et le pauvre innocent
Ne sait pas seulement ce que je lui veux dire!
Ah! chien, que j'ai reçu du ciel pour mon martyre,
Te croiras-tu toujours? et ne pourrai-je pas
Te voir être une fois sage avant mon trépas?
VALÈRE, seul, révant.

D'où peut venir ce coup? Mon âme embarrassée
Ne voit que Mascarille où jeter sa pensée.
Il ne sera pas homme à m'en faire un aveu.
Il faut user d'adresse, et me contraindre un peu
Dans ce juste courroux.

SCÈNE VII.

VALÈRE, MASCARILLE.

VALÈRE.

Mascarille, mon père,

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Tout beau. Mon âme, pour mourir, N'est pas en bon état. Daignez, je vous conjure, Attendre le succès qu'aura cette aventure. J'ai de fortes raisons qui m'ont fait révéler Un hymen que vous-même aviez peine à celer : C'était un coup d'état, et vous verrez l'issue Condamner la fureur que vous avez conçue. De quoi vous fâchez-vous, pourvu que vos souhaits Se trouvent par mes soins pleinement satisfaits, Et voyent mettre à fin la contrainte où vous êtes ? VALÈRE.

Et si tous ces discours ne sont que des sornettes?

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Est-il une imposture égale à celle-là?
Vous l'osez soutenir en ma présence même,
Et pensez m'obtenir par ce beau stratagème?
O le plaisant amant, dont la galante ardeur
Veut blesser mon honneur au défaut de mon cœur,
Et que mon père, ému de l'éclat d'un sot conte,
Paye avec mon hymen qui me couvre de honte!
Quand tout contribûrait à votre passion,
Mon père, les destins, mon inclination,
On me verrait combattre, en ma juste colère,
Mon inclination, les destins, et mon père,
Perdre même le jour, avant que de m'unir
A qui par ce moyen aurait cru m'obtenir.
Allez; et si mon sexe avecque bienséance
Se pouvait emporter à quelque violence,
Je vous apprendrais bien à me traiter ainsi.
VALÈRE, à Mascarille.
C'en est fait, son courroux ne peut être adouci.

MASCARILLE.

Laissez-moi lui parler. Eh! madame, de grâce,
A quoi bon maintenant toute cette grimace?
Quelle est votre pensée, et quel bourru transport
Contre vos propres vœux vous fait roidir si fort?
Si monsieur votre père était homme farouche,
Passe; mais il permet que la raison le touche;
Et lui-même m'a dit qu'une confession
Vous va tout obtenir de son affection.
Vous sentez, je crois bien, quelque petite honte
A faire un libre aveu de l'amour qui vous dompte;
Mais s'il vous a fait prendre un peu de liberté,
Par un bon mariage on voit tout rajusté;

Et quoi que l'on reproche au feu qui vous consomme
Le mal n'est pas si grand que de tuer un homme.
On sait que la chair est fragile quelquefois,

Et qu'une fille, enfin, n'est ni caillou ni bois. Vous n'avez pas été, sans doute, la première, Et vous ne serez pas, que je crois, la dernière.

LUCILE.

Quoi! vous pouvez ouïr ces discours effrontés, Et vous ne dites mot à ces indignités?

ALBERT.

Que veux-tu que je die? une telle aventure Me met tout hors de moi.

MASCARILLE.

Madame, je vous jure

Que déjà vous devriez avoir tout confessé.

LUCILE.

Et quoi donc confesser?

MASCARILLE.

Quoi? ce qui s'est passé Entre mon maître et vous. La belle raillerie!

LUCILE.

Et que s'est-il passé, monstre d'effronterie, Entre ton maître et moi?

MASCARILLE.

Vous devez, que je croi,

En savoir un peu plus de nouvelles que moi;
Et pour vous cette nuit fut trop douce pour croire
Que vous puissiez si vite en perdre la mémoire.

LUCILE.

C'est trop souffrir, mon père, un impudent valet ! (Elle lui donne un soufflet.) SCÈNE X.

ALBERT, VALÈRE, MASCARILLE.

MASCARILLE.

Je crois qu'elle me vient de donner un soufflet.

ᎪᏞᏴᎬᎡᎢ .

Va, coquin, scélérat, sa main vient sur ta joue De faire une action dont son père la loue.

MASCARILLE.

Et nonobstant cela, qu'un diable en cet instant M'emporte, si j'ai dit rien que de très-constant!

ᎪᏞᏴᎬᏒᎢ.

Et nonobstant cela, qu'on me coupe une oreille, Si tu portes fort loin une audace pareille!

MASCARILLE.

Voulez-vous deux témoins qui me justifiront?

ALBERT.

Veux-tu deux de mes gens qui te bâtonneront?
MASCARILLE.

Leur rapport doit au mien donner toute créance...

ᎪᏞᏴᎬᎡᎢ.

Leurs bras peuvent du mien réparer l'impuissance.

MASCARILLE.

Je vous dis que Lucile agit par honte ainsi.

ALBERT.

Je te dis que j'aurai raison de tout ceci.

MASCARILLE.

Connaissez-vous Ormin, ce gros notaire habile?

ALBERT.

Connais-tu bien Grimpant, le bourreau de la ville?

MASCARILLE.

Et Simon le tailleur, jadis si recherché?

ALBERT.

Et la potence mise au milieu du marché?

MASCARILLE.

Vous verrez confirmer par eux cet hyménée.

ALBERT.

Tu verras achever par eux ta destinée.

MASCARILLE.

Ce sont eux qu'ils ont pris pour témoins de leur foi.

ALBERT.

Ce sont eux qui dans peu me vengeront de toi.

MASCARILLE.

Et ces yeux les ont vus s'entre-donner parole.

ᎪᏞᏴᎬᎡᎢ .

Et ces yeux te verront faire la capriole 1.

MASCARILLE.

Et, pour signe, Lucile avait un voile noir.

ALBERT.

Et, pour signe, ton front nous le fait assez voir.

MASCARILLE.

O l'obstiné vieillard!

ALBERT.

O le fourbe damnable!

Va, rends grâce à mes ans, qui me font incapable De punir sur-le-champ l'affront que tu me fais; Tu n'en perds que l'attente, et je te le promets.

SCÈNE XI.

VALÈRE, MASCARILLE.

VALÈRE.

Eh bien! ce beau succès que tu devais produire...

MASCARILLE.

J'entends à demi-mot ce que vous voulez dire :
Tout s'arme contre moi; pour moi de tous côtés
Je vois coups de bâton et gibets apprêtés.
Aussi, pour être en paix dans ce désordre extrême,
Je me vais d'un rocher précipiter moi-même,
Si, dans le désespoir dont mon cœur est outré,
Je puis en rencontrer d'assez haut à mon gré.
Adieu,
monsieur.

VALÈRE.

Non, non, ta fuite est superflue,

■ Mot qui vient de l'italien capriola, lequel est pris lui-même du latin capra, chèvre. On disait autrefois caprioler; mais déjà, du temps de Richelet, le mot cabrioler était plus usité.

Si tu meurs, je prétends que ce soit à ma vue.

MASCARILLE.

Je ne saurais mourir quand je suis regardé,
Et mon trépas ainsi se verrait retardé.
VALÈRE.

Suis-moi, traître, suis-moi; mon amour en furie
Te fera voir si c'est matière à raillerie.

MASCARILLE, seul.

Malheureux Mascarille, à quels maux aujourd'hui. Te vois-tu condamné pour le péché d'autrui!

ACTE QUATRIÈME.

SCÈNE PREMIÈRE.

ASCAGNE, FROSINE.

FROSINE.

L'aventure est fâcheuse.

ASCAGNE.

Ah! ma chère Frosine,

Le sort absolument a conclu ma ruine.
Cette affaire venue au point où la voilà
N'est pas assurément pour en demeurer là;
Il faut qu'elle passe outre; et Lucile et Valère,
Surpris des nouveautés d'un semblable mystère,
Voudront chercher un jour dans ces obscurités,
Par qui tous mes projets se verront avortés.
Car enfin, soit qu'Albert ait part au stratagème,
Ou qu'avec tout le monde on l'ait trompé lui-même
S'il arrive une fois que mon sort éclairci
Mette ailleurs tout le bien dont le sien a grossi,
Jugez s'il aura lieu de souffrir ma présence :
Son intérêt détruit me laisse à ma naissance;
C'est fait de sa tendresse; et quelque sentiment
Où pour ma fourbe alors pût être mon amant,
Voudra-t-il avouer pour épouse une fille
Qu'il verra sans appui de bien et de famille?

FROSINE.

Je trouve que c'est là raisonner comme il faut;
Mais ces réflexions devaient venir plus tôt.
Qui vous a jusqu'ici caché cette lumière?
Il ne fallait pas être une grande sorcière
Pour voir, dès le moment de vos desseins pour lui,
Tout ce que votre esprit ne voit que d'aujourd'hui ;
L'action le disait ; et dès que je l'ai sue,

Je n'en ai prévu guère une meilleure issue.

ASCAGNE.

Que dois-je faire enfin? Mon trouble est sans pareil : Mettez-vous en ma place, et me donnez conseil.

FROSINE.

Ce doit être à vous-même, en prenant votre place, A me donner conseil dessus cette disgrâce:

Car je suis maintenant vous, et vous êtes moi : Conseillez-moi, Frosine; au point où je me voi, Quel remède trouver? Dites, je vous en prie.

ASCAGNE.

Hélas! ne traitez point ceci de raillerie;
C'est prendre peu de part à mes cuisants ennuis
Que de rire, et de voir les termes où j'en suis.

FROSINE.

Non, vraiment, tout de bon, votre ennui m'est sensiEt pour vous en tirer je ferais mon possible. [ble, Mais que puis-je après tout? Je vois fort peu de jour A tourner cette affaire au gré de votre amour.

ASCAGNE.

Si rien ne peut m'aider, il faut donc que je meure.

FROSINE.

Ah! pour cela toujours il est assez bonne heure : La mort est un remède à trouver quand on veut; Et l'on s'en doit servir le plus tard que l'on peut.

ASCAGNE.

Non, non, Frosine, non; si vos conseils propices
Ne conduisent mon sort parmi ces précipices,
Je m'abandonne toute aux traits du désespoir.

FROSINE.

Savez-vous ma pensée? Il faut que j'aille voir
La... Mais Éraste vient, qui pourrait nous distraire.
Nous pourrons, en marchant, parler de cette affaire.
Allons, retirons-nous.

SCÈNE II.

ÉRASTE, GROS-RENÉ.

ÉRASTE.

Encore rebuté? GROS-RENÉ.

Jamais ambassadeur ne fut moins écouté.

A peine ai-je voulu lui porter la nouvelle

Du moment d'entretien que vous souhaitiez d'elle,
Qu'elle m'a répondu, tenant son quant à moi,
Va, va, je fais état de lui comme de toi ;
Dis-lui qu'il se promène; et, sur ce beau langage,
Pour suivre son chemin, m'a tourné le visage ;
Et Marinette aussi, d'un dédaigneux museau,
Lâchant un, Laisse-nous, beau valet de carreau!
M'a planté là comme elle; et mon sort et le vôtre
N'ont rien à se pouvoir reprocher l'un à l'autre.
ÉRASTE.

L'ingrate! recevoir avec tant de fierté
Le prompt retour d'un cœur justement emporté !
Quoi! le premier transport d'un amour qu'on abuse
Sous tant de vraisemblance est indigne d'excuse?
Et ma plus vive ardeur, en ce moment fatal,
Devait être insensible au bonheur d'un rival?
Tout autre n'eût pas fait même chose en ma place,
Et se fût moins laissé surprendre à tant d'audace?

De mes justes soupçons suis-je sorti trop tard?
Je n'ai point attendu de serments de sa part;
Et lorsque tout le monde encor ne sait qu'en croire,
Ce cœur impatient lui rend toute sa gloire;
Il cherche à s'excuser; et le sien voit si peu
Dans ce profond respect la grandeur de mon feu!
Loin d'assurer une âme, et lui fournir des armes
Contre ce qu'un rival lui veut donner d'alarmes,
L'ingrate m'abandonne à mon jaloux transport,
Et rejette de moi message, écrit, abord!
Ah! sans doute un amour a peu de violence,
Qu'est capable d'éteindre une si faible offense;
Et ce dépit si prompt à s'armer de rigueur
Découvre assez pour moi tout le fond de son cœur,
Et de quel prix doit être à présent à mon âme
Tout ce dont son caprice a pu flatter ma flamme.
Non, je ne prétends plus demeurer engagé
Pour un cœur où je vois le peu de part que j'ai;
Et, puisque l'on témoigne une froideur extrême
A conserver les gens, je veux faire de même.
GROS-RENÉ.

Et moi de même aussi. Soyons tous deux fâchés,
Et mettons notre amour au rang des vieux péchés.
Il faut apprendre à vivre à ce sexe volage,
Et lui faire sentir que l'on a du courage.
Qui souffre ses mépris les veut bien recevoir.
Si nous avions l'esprit de nous faire valoir,
Les femmes n'auraient pas la parole si haute.
Oh! qu'elles nous sont bien fières par notre faute !
Je veux être pendu, si nous ne les verrions
Sauter à notre cou plus que nous ne voudrions,
Sans tous ces vils devoirs dont la plupart des hommes
Les gâtent tous les jours dans le siècle où nous som-
ÉRASTE.
[mes.
Pour moi, sur toute chose, un mépris me surprend;
Et pour punir le sien par un autre aussi grand,
Je veux mettre en mon cœur une nouvelle flamme.

GROS-RENÉ.

[maître,

Et moi, je ne veux plus m'embarrasser de femme;
A toutes je renonce, et crois, en bonne foi,
Que vous feriez fort bien de faire comme moi.
Car, voyez-vous, la femme est, comme on dit, mon
Un certain animal difficile à connaître,
Et de qui la nature est fort encline au mal :
Et comme un animal est toujours animal,
Et ne sera jamais qu'animal, quand sa vie
Durerait cent mille ans; aussi, sans repartie,
La femme est toujours femme, et jamais ne sera
Que femme, tant qu'entier le monde durera :
D'où vient qu'un certain Grec dit que sa tête passe
Pour un sable mouvant. Car, goûtez bien, de grâce,
Ce raisonnement-ci, lequel est des plus forts:
Ainsi que la tête est comme le chef du corps,
Et que le corps sans chef est pire qu'une bête;

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