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Ascagne vient ici, laissons-le; il faut attendre Quel parti de lui-même il résoudra de prendre. Cependant avec moi viens prendre à la maison Pour nous frotter...

MASCARILLE.

Je n'ai nulle démangeaison. Que maudit soit l'amour, et les filles maudites Qui veulent en tåter, puis font les chattemites 1!

SCÈNE V.

ASCAGNE, FROSINE.

ASCAGNE.

Est-il bien vrai, Frosine, et ne rêvé-je point?
De grâce, contez-moi bien tout de point en point.

FROSINE.

Vous en saurez assez le détail, laissez faire.
Ces sortes d'incidents ne sont, pour l'ordinaire,
Que redits trop de fois de moment en moment.
Suffit que vous sachiez qu'après ce testament
Qui voulait un garçon pour tenir sa promesse,
De la femme d'Albert la dernière grossesse
N'accoucha que de vous, et que lui, dessous main,
Ayant depuis longtemps concerté son dessein,
Fit son fils de celui d'Ignès la bouquetière,
Qui vous donna pour sienne à nourrir à ma mère.
La mort ayant ravi ce petit innocent
Quelque dix mois après, Albert étant absent,
La crainte d'un époux et l'amour maternelle,
Firent l'événement d'une ruse nouvelle.

Sa femme en secret lors se rendit son vrai sang,
Vous devîntes celui qui tenait votre rang;
Et la mort de ce fils mis dans votre famille
Se couvrit pour Albert de celle de sa fille.
Voilà de votre sort un mystère éclairci,
Que votre feinte mère a caché jusqu'ici;

Elle en dit des raisons, et peut en avoir d'autres,
Par qui ses intérêts n'étaient pas tous les vôtres.
Enfin cette visite, où j'espérais si peu,
Plus qu'on ne pouvait croire a servi votre feu.
Cette Ignès vous relâche, et, par votre autre affaire,
L'éclat de son secret devenu nécessaire,
Nous en avons nous deux votre père informé ;
Un billet de sa femme a le tout confirmé;
Et poussant plus avant encore notre pointe,
Quelque peu de fortune à notre adresse jointe,
Aux intérêts d'Albert, de Polidore, après,
Nous avons ajusté si bien les intérêts,

'Ce mot signifie l'affectation d'une contenance humble, douce

Si doucement à lui déployé ces mystères,
Pour n'effaroucher pas d'abord trop les affaires;
Enfin, pour dire tout, mené si prudemment
Son esprit pas à pas à l'accommodement,
Qu'autant que votre père il montre de tendresse
A confirmer les nœuds qui font votre allégresse.

ASCAGNE.

Ah! Frosine, la joie où vous m'acheminez... Eh! que ne dois-je point à vos soins fortunés!

FROSINE.

Au reste, le bon homme est en humeur de rire, Et pour son fils encor nous défend de rien dire. SCÈNE VI.

POLIDORE, ASCAGNE, FROSINE.

POLIDORE.

Approchez-vous, ma fille, un tel nom m'est permis,
Et j'ai su le secret que cachaient ces habits.
Vous avez fait un trait qui, dans sa hardiesse,
Fait briller tant d'esprit et tant de gentillesse,
Que je vous en excuse, et tiens mon fils heureux
Quand il saura l'objet de ses soins amoureux.
Vous valez tout un monde, et c'est moi qui l'assure.
Mais le voici; prenons plaisir de l'aventure.
Allez faire venir tous vos gens promptement.

ASCAGNE.

Vous obéir sera mon premier compliment.

SCÈNE VII.

POLIDORE, VALÈRE, MASCARILLE.

MASCARILLE à Valère.

Les disgrâces souvent sont du ciel révélées.
J'ai songé cette nuit de perles défilées

Et d'œufs cassés; monsieur, un tel songe m'abat.
VALÈRE.

Chien de poltron!

POLIDORE.

Valère, il s'apprête un combat Où toute ta valeur te sera nécessaire. Tu vas avoir en tête un puissant adversaire.

MASCARILLE.

Et personne, monsieur, qui se veuille bouger
Pour retenir des gens qui se vont égorger?
Pour moi, je le veux bien; mais au moins, s'il arrive
Qu'un funeste accident de votre fils vous prive,
Ne m'en accusez point.

POLIDORE.

Non, non; en cet endroit

et flatteuse, pour tromper quelqu'un, ou pour attraper quelque Je le pousse moi-même à faire ce qu'il doit.

chose. C'est un composé de cata, chatte, et de mitis, doux Rien ne pouvait mieux exprimer une mine douce et flatteuse que ces deux mots joints ensemble. (MÉN.)

Père dénaturé!

MASCARILLE.

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SCÈNE VIII

ALBERT, POLIDORE, LUCILE, ÉRASTE, VALÈRE, MASCARILLE.

ALBERT.

Eh bien! les combattants? On amène le nôtre.
Avez-vous disposé le courage du vôtre?
VALÈRE.

Oui, oui, me voilà prêt, puisqu'on m'y veut forcer;
Et si j'ai pu trouver sujet de balancer,
Un reste de respect en pouvait être cause,
Et non pas la valeur du bras que l'on m'oppose;
Mais c'est trop me pousser, ce respect est à bout;
A toute extrémité mon esprit se résout,
Et l'on fait voir un trait de perfidie étrange,
Dont il faut hautement que mon amour se venge.
(à Lucile.)

Non pas que cet amour prétende encor à vous:
Tout son feu se résout en ardeur de courroux :
Et quand j'aurai rendu votre honte publique,
Votre coupable hymen n'aura rien qui me pique.
Allez, ce procédé, Lucile, est odieux :

A peine en puis-je croire au rapport de mes yeux;
C'est de toute pudeur se montrer ennemie,
Et vous devriez mourir d'une telle infamie.
LUCILE.

Un semblable discours me pourrait affliger,
Si je n'avais en main qui m'en saura venger.
Voici venir Ascagne, il aura l'avantage
De vous faire changer bien vite de langage,
Et sans beaucoup d'effort.

SCÈNE IX.

ALBERT, POLIDORE, ASCAGNE, LUCILE, ÉRASTE, VALÈRE, FROSINE, MARINETTE, GROS-RENÉ, MASCARILLE.

VALÈRE.

Il ne le fera pas,
Quand il joindrait au sien encor vingt autres bras.
Je le plains de défendre une sœur criminelle;
Mais puisque son erreur me veut faire querelle,
Nous le satisferons, et vous, mon brave, aussi.
ÉRASTE.

Je prenais intérêt tantôt à tout ceci;
Mais enfin, comme Ascagne a pris sur lui l'affaire,
Je ne veux plus en prendre, et je le laisse faire.
VALÈRE.
C'est bien fait; la prudence est toujours de saison.
Mais...

ÉRASTE.

Il saura pour tous vous mettre à la raison.

I

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Non, non, je ne suis pas si méchant qu'on me fait;
Et, dans cette aventure où chacun m'intéresse,
Vous allez voir plutôt éclater ma faiblesse,
Connaître que le Ciel, qui dispose de nous,
Ne me fit pas un cœur pour tenir contre vous,
Et qu'il vous réservait, pour victoire facile,
De finir le destin du frère de Lucile.

Oui, bien loin de vanter le pouvoir de mon bras,
Ascagne va par vous recevoir le trépas :
Mais il veut bien mourir, si sa mort nécessaire
Peut avoir maintenant de quoi vous satisfaire,
En vous donnant pour femme, en présence de tous,
Celle qui justement ne peut être qu'à vous.

VALÈRE.

Non, quand toute la terre, après sa perfidie Et les traits effrontés...

ASCAGNE.

Ah! souffrez que je die, Valère, que le cœur qui vous est engagé D'aucun crime envers vous ne peut être chargé; Sa flamme est toujours pure et sa constance extrême; Et j'en prends à témoin votre père lui-même.

POLIDORE.

Oui, mon fils, c'est assez rire de ta fureur,
Et je vois qu'il est temps de te tirer d'erreur.
Celle à qui par serment ton âme est attachée
Sous l'habit que tu vois à tes yeux est cachée;
Un intérêt de bien, dès ses plus jeunes ans,
Fit ce déguisement qui trompe tant de gens,
Et depuis peu l'amour en a su faire un autre
Qui t'abusa, joignant leur famille à la nôtre.
Ne va point regarder à tout le monde aux yeux.
Je te fais maintenant un discours sérieux.
Oui, c'est elle, en un mot, dont l'adresse subtile,
La nuit, reçut ta foi sous le nom de Lucile,
Et qui, par ce ressort qu'on ne comprenait pas,

A semé parmi vous un si grand embarras.
Mais puisque Ascagne ici fait place à Dorothée,
Il faut voir de vos feux toute imposture ôtée,
Et qu'un nœud plus sacré donne force au premier.

ᎪᏞᏴᎬᎡᎢ .

Et c'est là justement ce combat singulier
Qui devait envers nous réparer votre offense,
Et pour qui les édits n'ont point fait de défense.

POLIDORE.

Un tel événement rend tes esprits confus: Mais en vain tu voudrais balancer là-dessus.

VALÈRE.

Non, non, je ne veux pas songer à m'en défendre;
Et si cette aventure a lieu de me surprendre,
La surprise me flatte, et je me sens saisir
De merveille à la fois, d'amour et de plaisir :
Se peut-il que ces yeux...

ᎪᏞᏴᎬᎡᎢ .

Cet habit, cher Valère, Souffre mal les discours que vous lui pourriez faire. Allons lui faire en prendre un autre, et cependant Vous saurez le détail de tout cet incident.

VALÈRE.

Vous, Lucile, pardon, si mon âme abusée...

LUCILE.

L'oubli de cette injure est une chose aisée.

ᎪᏞᏴᎬᎡᎢ .

Allons, ce compliment se fera bien chez nous,
Et nous aurons loisir de nous en faire tous.
ÉRASTE.

Mais vous ne songez pas, en tenant ce langage.
Qu'il reste encore ici des sujets de carnage.
Voilà bien à tous deux notre amour couronné;
Mais de son Mascarille et de mon Gros-René,
Par qui doit Marinette être ici possédée?
Il faut que par le sang l'affaire soit vidée.

MASCARILLE.

Nenni, nenni, mon sang dans mon corps sied trop
Qu'il l'épouse en repos, cela ne me fait rien. [bien;
De l'humeur que je sais la chère Marinette,
L'hymen ne ferme pas la porte à la fleurette.

MARINETTE.

Et tu crois que de toi je ferais mon galant?
Un mari, passe encor; tel qu'il est, on le prend;
On n'y va pas chercher tant de cérémonie :
Mais il faut qu'un galant soit fait à faire envie.
GROS-RENÉ.

Écoute, quand l'hymen aura joint nos deux peaux,
Je prétends qu'on soit sourde à tous les damoiseaux.

MASCARILLE.

Tu crois te marier pour toi tout seul, compère?

I Anciennement merveille signifiait admiration, étonnement. Merveille ne se dit plus de l'admiration elle-même, mais seulement de ce qui la produit. ( A.)

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LES

PRÉCIEUSES RIDICULES,

COMÉDIE EN UN ACTE.

1659.

PRÉFACE.

C'est une chose étrange qu'on imprime les gens malgré eux! Je ne vois rien de si injuste, et je pardonnerais toute autre violence plutôt que celle-là.

Ce n'est pas que je veuille faire ici l'auteur modeste, et mépriser par honneur ma comédie. J'offenserais mal à propos tout Paris, si je l'accusais d'avoir pu applaudir à une sottise: comme le public est le juge absolu de ces sortes d'ouvrages, il y aurait de l'impertinence à moi de le démentir; et quand j'aurais eu la plus mauvaise opinion du monde de mes Précieuses ridicules avant leur représentation, je dois croire maintenant qu'elles valent quelque chose, puisque tant de gens ensemble en ont dit du bien. Mais comme une grande partie des grâces qu'on y a trouvées dépendent de l'action et du ton de voix, il m'importait qu'on ne les dépouillåt pas de ces ornements, et je trouvais que le succès❘ qu'elles avaient eu dans la représentation était assez beau pour en demeurer là. J'avais résolu, dis-je, de ne les faire voir qu'à la chandelle, pour ne point donner lieu à quelqu'un de dire le proverbe 1, et je ne voulais pas qu'elles sautassent du théâtre de Bourbon dans la galerie du Palais. Cependant je n'ai pu l'éviter, et je suis tombé dans la disgrâce de voir une copie dérobée de ma pièce entre les mains des libraires, accompagnée d'un privilége obtenu par surprise. J'ai eu beau crier : O temps! ô mœurs! on m'a fait voir une nécessité pour moi d'être imprimé, ou d'avoir un procès; et le dernier mal est encore pire que le premier. Il faut donc se laisser aller à la destinée, et consentir à une chose qu'on ne laisserait pas de faire sans moi.

Mon Dieu! l'étrange embarras qu'un livre à mettre au jour; et qu'un auteur est neuf la première fois qu'on l'imprime! Encore si l'on m'avait donné du temps, j'aurais pu mieux songer à moi, et j'aurais pris toutes les précautions

Molière fait allusion à ce proverbe: « Elle est belle à la chan« delle; mais le grand jour gåte tout. »>

que messieurs les auteurs, à présent mes confrères, ont coutume de prendre en semblables occasions. Outre quelque grand seigneur que j'aurais été prendre malgré lui pour protecteur de mon ouvrage, et dont j'aurais tenté la libéralité par une épître dédicatoire bien fleurie, j'aurais tâché de faire une belle et docte préface; et je ne manque point de livres qui m'auraient fourni tout ce qu'on peut dire de savant sur la tragédie et la comédie, l'étymologie de toutes deux, leur origine, leur définition, et le reste.

J'aurais parlé aussi à mes amis, qui, pour la recommandation de ma pièce, ne m'auraient pas refusé ou des vers français, ou des vers latins. J'en ai même qui m'auraient loué en grec; et l'on n'ignore pas qu'une louange en grec est d'une merveilleuse efficace à la tête d'un livre. Mais on me met au jour sans me donner le loisir de me reconnaître; et je ne puis même obtenir la liberté de dire deux mots pour justifier mes intentions sur le sujet de cette comédie. J'aurais voulu faire voir qu'elle se tient partout dans les bornes de la satire honnête et permise; que les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais singes qui méritent d'être bernés; que ces vicieuses imitations de ce qu'il y a de plus parfait, ont été de tout temps la matière de la comédie; et que, par la même raison que les véritables savants et les vrais braves ne se sont point encore avisés de s'offenser du Docteur de la comédie, et du Capitan, non plus que les juges, les princes et les rois de voir Trivelin, ou quelque autre, sur le théâtre, faire ridiculement le juge, le prince ou le roi ; aussi les véritables précieuses auraient tort de se piquer, lorsqu'on joue les ridicules qui les imitent mal. Mais enfin, comme j'ai dit, on ne me laisse pas le temps de respirer, et M. de Luynes 2 veut m'aller faire relier de ce pas: à la bonne heure, puisque Dieu l'a voulu.

Le Docteur, le Capitan, et Trivelin, étaient trois personnages ou caractères appartenants à la farce italienne.

2 Ce de Luynes était un libraire qui avait sa boutique dans la galerie du Palais.

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