faute, après l'imprudence commise; l'heure de la séparation sonna; il y eut ensuite un retour, suivi bientôt de refroidissement, d'inconstance. C'est l'éternelle histoire. Parny a eu l'honneur de graver la sienne en quelques vers brûlants, naturels, et que la poésie française n'oubliera jamais. Les Poésies érotiques (vilain titre, à cause du sens trop って marqué qui s'attache au mot érotique; je préférerais Elégies), les Elégies de Parny, donc, parurent pour la première fois en 1778, et devinrent à l'instant une fête de l'esprit et du cœur pour toute la jeunesse du règne de Louis XVI. L'oreille était satisfaite par un rhythme pur, mélodieux; le goût l'était également par une diction nette, élégante, et qui échappait au jargon à la mode, au ton du libertinage ou de la fatuité. Les connaisseurs faisaient une différence extrême de cette langue poétique de Parny d'avec celle des autres poëtes du temps, les Bouflers, les Pezai, les Dorat: c'eût été une grossièreté alors de les confondre. Serions-nous devenus moins délicats en devenant plus savants? Je sais que tout a changé; nous n'en sommes plus à Horace en fait de goût, nous en sommes à Dante. Il nous faut du difficile, il nous faut du compliqué. Le critique, et même le lecteur français, ne s'inquiète plus de ce qui lui plaît, de ce qu'il aimerait naturellement, sincèrement; il s'inquiète de paraître aimer ce qui lui fera le plus d'honneur aux yeux du prochain. Oui, en France, dans ce qu'on déprime ou ce qu'on arbore en public, on ne pense guère le plus souvent au fond des choses; on pense à l'effet, à l'honneur qu'on se fera en défendant telle ou telle opinion, en prononçant tel ou tel jugement. Le difficile est trèsbien porté; on s'en pique, on a des admirations de vanité. Un critique spirituel et sensé le remarquait à propos de la musique d'Auber, en parlant d'un de ses derniers opéras qui avait fort réussi : « Pour remporter ce succès avec une œuvre si élégante et si claire, un style si aimable et si charmant, il a fallu, disait-il, un très-grand talent et un très-grand bonheur; car aujourd'hui, par la pédanterie qui court, par les doctrines absurdes qu'on voudrait accréditer, par l'igno-rance et l'outrecuidance de quelques prétendus savants, la clarté, la grâce et l'esprit sont un obstacle plutôt qu'un avantage... Le beau mérite que d'entendre et d'admirer ce que tout le monde admire et comprend! » Ainsi parlait un critique, qui est aussi un traducteur de Dante (1), et auquel bien des gens doivent de le lire en français; car l'original leur est absolument fermé. J'insiste sur ce travers de notre goût, sur cette gloriole de notre esprit. Que ceux qui arrivent à conquérir et à admirer ces fortes choses à la sueur de leur front, en aient la satisfaction et l'orgueil, je ne trouve rien de mieux; mais que des esprits médiocres et moyens se donnent les airs d'aimer et de préférer par choix ce qu'ils n'eussent jamais eu l'idée de toucher et d'effleurer en d'autres temps, voilà ce qui me fait sourire. Un des derniers traducteurs de Dante, une manière de personnage politique, me faisant un jour l'honneur de m'apporter le premier volume de sa traduction, me disait d'un air dégagé : « Je l'ai traduit avec charme. » C'est là de la fatuité. Ce même homme, il y a trente ans, eût traduit Horace à la suite de Daru, avec charme, ou plutôt par mode encore, tout comme depuis il avait fait pour Dante. Il n'en est pas moins vrai que nous tenons tous plus ou moins de cette nouvelle et rude éducation que l'on s'est donnée; nous avons repris à la scholastique et au gothique par quelque bout; le Moyen Age s'impose à nous, il nous domine: un peu de Sic et non a (1) M. P.-A. Fiorentino. bien son charme; nous avons tous, à doses plus ou moins inégales, avalé de l'Ozanam, de cet ardent et vigoureux écolier dont ils sont en train de faire un grand homme. Ce qui me console, c'est que les gens d'esprit de ces doctes générations assurent que cette voie est la meilleure, en définitive, pour en revenir à apprécier tout ce qui rentre dans le génie de la France, et ce qui exprime le goût français. Est-il donc bien nécessaire d'en passer par la méthode de Gervinus pour sentir et admirer La Fontaine? Pour faire à Gresset sa vraie place, pour réserver le rang qu'elle mérite à une élégie de Parny, est-il donc indispensable d'avoir fait le tour des littératures, d'avoir lu les Niebelungen, et de savoir par cœur des stances mystiques de Calderon? Peut-être. C'est, dans tous les cas, le chemin le plus long, et le jour où l'on rentre au logis, on court risque d'être si fort fatigué, que le sommeil s'ensuive. Le simple fruit qu'on se proposait de déguster au retour ne sera-t-il pas de bien peu de saveur pour un palais blasé et dédaigneux ? J'admets pourtant que si un peu de science nous éloigne, beaucoup de science nous ramène au sentiment des beautés ou des grâces domestiques; et alors l'élégie de Parny, vue à son heure, est, en effet, une des productions de l'esprit français qui mérite d'être conservée comme spécimen dans l'immense herbier des littératures comparées. Sans y mettre tant de façons, revoyons-la un moment, vivante et dans sa fleur, sous ce règne de Louis XVI, pendant les dix heureuses années qui précédèrent la plus terrible des révolutions. Le poëte est amoureux; il l'est comme on l'était alors, et même un peu mieux, comme on l'est dans les époques naturelles, c'est-à-dire avec tendresse et abandon, d'une manière précise, positive, non angé lique, non alambiquée, et aussi sans y mêler un sentiment étranger qui simule la passion et qui va par delà. Je m'explique. Les Byron, les René, les Musset sont très-peu, à mes yeux, des amoureux simples. Ils aiment une personne de rencontre, mais ils cherchent toujours plus loin, au delà; ils veulent sentir fort, ils veulent saisir l'impossible, embrasser l'infini. Je prends Musset comme le plus voisin de nous et à notre portée: croyez-vous qu'en aimant sa maîtresse, celle qu'il a tant célébrée, il n'aimât pas surtout le génie en elle, autre chose que la femme, l'idéalisation d'un rêve? << Le bonheur ! le lonheur! s'écriait-il dans sa violence de désir; et la mort après! et la mort avec ! » Beau cri, mais qui dépasse, ce me semble, la portée de l'amour, qui suppose dans le cœur une rage de bonheur antérieure à l'amour, et laquelle aussi lui survivra. Parny est moins violent et plus simplement amoureux; il est amoureux d'une personne, nullement d'un prétexte et d'une chose poétique. Sa première élégie reste charmante: Enfin, ma chère Eléonore... c'est l'a b c des amoureux. Tous ceux qui l'ont lue l'ont retenue, et de tous ceux qui la savent par cœur, pas un ne l'oublie. Oh! je ne vous la donne pas pour une création profonde et neuve: c'est un lieu commun qui recommence sans cesse aux approches de quinze ans pour toutes les générations de Chloé et de Daphnis ; mais ici le lieu commun a passé par le cœur et par les sens, il est redevenu une émotion, il est modulé d'une voix pure; il continue de chanter en nous bien après que le livre est fermé, et le lendemain au réveil on s'étonne d'entendre d'abord ce doux chant d'oiseau, frais comme l'aurore. Faites l'épreuve, s'il est encore temps, si vous n'avez pas atteint le chiffre fatal où il est honteux d'aimer : Nec amare decebit..., cet âge, « où, comme le dit Joseph de Maistre, il ne faut être fou qu'en dedans; » si donc vous trouvez encore une heure de reste pour avoir une écolière en musique et même en amour, récitez à une jeune fille naïve une élégie de Lamartine, si belle quelle soit, et une élégie de Parny, vous verrez laquelle elle comprendra, laquelle elle retiendra. - Je ne crains pas le sourcil jaloux des censeurs; qu'ils viennent se montrer, s'ils osent, en ces matières aimables. Je les renverrai, non pas couronnés, mais fouettés de roses. Le plus rébarbatif de tous, M. de Bonald, a dit : « Je crois que la poésie érotique est finie chez nous, et que, dans une société avancée, on sentira le ridicule d'entretenir le public de faiblesses qu'un homme en âge de raison ne confie pas même à son ami. La poésie érotique n'est pas l'enfance, mais l'enfantillage de la poésie. » Voilà l'anathème du vieux Caton; pas si Caton qu'il en avait l'air, pas si Aristide. du moins, et qui, dans son austérité de censeur en titre, ne dédaignait ni les places, ni les émoluments, ni les biens solides pour sa famille : << Les Bonald, je les connais, » disait M. Royer-Collard. Il a donc lancé l'anathème aux poëtes amoureux. Je ne sais si leur règne est aussi fini que le prédisait ce prophète du passé. Ce serait tant pis pour la joie humaine! Le Devin du Village pourrait bien en savoir plus long sur l'amour que l'auteur de la Législation primitive. Jusqu'à Parny du moins, le refrain de la célèbre chansonnette restait une vérité (C'est un enfant, c'est un enfant !), et l'élégie du poëte est bien celle de cet éternel enfant. Parny, je dois le dire, a fait quelques concessions de détail, quelques corrections que je n'approuve pas dans ses Élégies revues par lui sous l'Empire. Il y a de lui une Frayeur que j'aime mieux dans les premières éditions, et qui y est beaucoup mieux motivée. Il y a, |