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Tiers-État, ne sortaient-ils pas de la garde-robe royale et des petits appartements? On est allé jusqu'à mettre en cause, pour ces papiers du duc de Luynes, le royalisme du descendant éclairé qui les a livrés à des mains habiles et en a autorisé la publication: comme s'il ne fallait pas le remercier plutôt d'avoir, dans un sentiment libéral, surmonté peut-être des répugnances de famille, et de nous avoir mis à même, par de telles dépositions authentiques, d'observer dans tout son vice une monarchie fastueuse et décrépite, d'où la vie graduellement se retirait! Mais il s'agit aujourd'hui de toute autre chose, du Journal d'Olivier d'Ormesson, et j'y arrive.

Les d'Ormesson avaient pour nom de famille Lefèvre. Ils nous représentent bien ces familles de haute bourgeoisie et parlementaires, chez qui les emplois, les mœurs, la probité, l'esprit lui-même et la langue se transmettaient dans une même maison par un héritage ininterrompu. C'est comme un tome second ou, si l'on veut, un tome premier de ces races équitables et intègres qu'on aime à personnifier finalement sous le nom et la figure de Daguesseau. Toutefois, à force de répéter ce qu'on a dit, et de renchérir, il ne faut pas se faire d'idoles. Voici, pour la plupart de ces familles de haute bourgeoisie, illustrées et anoblies à la fin du xvIe siècle ou dans le XVIIe, ce qui en était dans la réalité. L'origine était peu de chose: un grand-père, né de quelque honnête marchand, de quelque commis au greffe, avait commencé la fortune, humblement, laborieusement; il s'était élevé degrés par degrés, en passant par tous les bas et moyens emplois, en se faisant estimer partout, en se rendant utile, nécessaire, en sachant mettre à profit les occasions; il avait à la fin percé, il était arrivé, déjà mûr, à quelque charge honorable et y avait

assez vieilli pour confirmer son bon renom : il avait eu un fils, pareil à lui, mais qui, né tout porté, avait pu appliquer dès la jeunesse les mêmes qualités à des objets en vue et en estime, à des affaires publiques et d'État. Ce fils probe et déjà poli, qui hérite et qui répand de l'éclat sur sa maison, était suivi d'un fils grave et digne encore, ou souvent aussi trop poli et et déjà corrompu, de quelque brillant marquis, homme à la mode et qui se dissipait. Un peu plus tôt, un peu plus tard, sur la vieille souche foncièrement bourgeoise on voyait éclore ce marquis-là. Telle me semble avoir été d'ordinaire, et du plus au moins, la loi des générations dans ces familles qu'on est accoutumé à louer uniformément et en bloc, sur l'étiquette. Il serait facile de trouver des exemples assez nombreux pour justifier mon dire, qui n'est guère que celui d'Horace, un peu amendé et particularisé (tas parentum pejor avis...). L'honneur de ces races dites parlementaires est de s'être maintenues par le travail un peu plus longtemps que d'autres, et de n'avoir pas déchu ou même de s'être perfectionnées durant deux ou trois générations. Les d'Ormesson furent de ceux qui se conservèrent le mieux. L'illustration historique ne leur est venue que par le troisième de la race (depuis qu'elle eut commencé de compter), c'est-à-dire par celui dont on publie aujourd'hui le Journal, et qui fut simplement maître des Requêtes; mais, un jour, il eut le périlleux honneur d'être rapporteur dans le procès de Fouquet, et, malgré le poids de l'ascendant royal, sous la pression inique et la menace de Colbert, il eut le mérite d'être juste, indulgent il ne conclut point pour la mort, et sa conclusion triompha. L'intérêt prodigieux que mettait la société d'alors à ce procès si justement entamé peut-être, mais si odieusement instruit et si arbitrairement conduit, les habiles instances des amis restés fidèles au malheureux

Surintendant, qui finirent par retourner l'opinion en sa faveur, les Plaidoyers anonymes de Pellisson qui s'échappaient à travers les barreaux de la Bastille et qui se récitaient avec attendrissement, les beaux vers miséricordieux de La Fontaine, et par-dessus tout les bulletins émus, pathétiques, de madame de Sévigné, ont gagné jusqu'à la postérité elle-même; et pour peu qu'on ait vécu en idée dans la société de ce temps-là, on fait comme les contemporains, on demeure reconnaissant envers M. d'Ormesson. Il s'est répandu ( toute proportion gardée) sur son nom quelque chose de cette lumière clémente qui brille et qu'on salue au front des défenseurs de Louis XVI.

Ce sentiment de modération et de justice, cette intégrité courageuse, il la tenait en partie de ses vertueux parents et de ses auteurs. Son père, André d'Ormesson, a laissé par écrit l'histoire de la famille, et M. Chéruel, dans son intéressante et complète Introduction, nous en a donné les principaux extraits. On peut comparer ces morceaux avec ce que le chancelier Daguesseau a écrit sur son père; mais ici le langage est plus antique, et le tableau, s'il a moins d'élégance, offre aussi plus de naïveté. On y saisit à merveille la naissance, le mode de formation et d'accroissement de ces saines familles parlementaires. L'aïeul du plus illustre des d'Ormesson, et qui avait comme lui prénom Olivier, était fils d'un commis au greffe du Parlement de Paris, et ne s'appelait d'abord que Lefèvre; sa mère, Madeleine Gaudard, était fille d'un procureur en la Chambre des Comptes de Paris. Olivier, après de courtes études au Collège de Navarre, et que le peu d'aisance de la famille le força d'interrompre, fut placé comme clerc chez un procureur des Comptes; il y demeurait lorsque l'empereur Charles-Quint fit son entrée solennelle à Paris, en 1539, entre les deux enfants de François Ier.

Il aimait plus tard à montrer à son fils ce logis d'où il l'avait vu passer. Il advint que M. de Roquancour, trésorier du Dauphin Henri, eut un jour besoin d'un commis, et s'adressa pour cela au procureur chez qui était le jeune Olivier Lefèvre. Celui-ci fut proposé et choisi : par son zèle, par sa bonne comptabilité, il se fit bien. venir du trésorier, et aussi du Dauphin à qui il avait souvent affaire, et qui l'emmenait avec lui dans ses voyages pour payer sa dépense. Henri devint roi; son trésorier particulier, M. de Roquancour, passa trésorier de l'Épargne, et Olivier, à vingt-deux ans, fut son premier commis. Après un exercice de six années, il acheta un office d'argentier du roi, puis fut trésorier de l'extraordinaire des guerres, puis trésorier des parties casuelles il avait parfois des traverses; les gens de finance étaient sujets alors à suspicion et à des accusations fréquentes, trop souvent justifiées; il en rencontra sur sa route et en triompha par son bonheur et par sa probité. C'est vers ce temps qu'il acquit une terre d'Ormesson (près de Saint-Denis), qui n'est pas la même que celle du même nom en Brie, plus connue, appartenant également à la famille, et il commença de se faire appeler M. d'Ormesson, le nom de Lefèvre étant trop commun. Cependant il pensait toujours à s'avancer, et une alliance en Cour lui était indispensable. Il jeta ses vues sur la famille de M. de Morvilliers, évêque d'Orléans et conseiller d'État, et rechercha une de ses nièces qui lui fut accordée : cette jeune personne appartenait du côté paternel à la famille de saint François de Paule, pour qui la famille d'Ormesson aura une dévotion toute particulière. Ainsi l'utilité s'accordait avec la sainteté, le ciel et la terre y trouvaient leur compte. Ce premier d'Ormesson, homme de tant de sens et de mérite, eut dès lors, par le crédit de M. de Morvilliers, de grands emplois, toujours dans les finan

ces, une commission extraordinaire et de confiance, qui dura deux ans; en dernier lieu, il était trésorier général de Picardie, charge qu'il avait achetée du précédent trésorier, M. le général Molé (comme on disait alors par abréviation). M. de Morvilliers étant venu à mourir, M. d'Ormesson, peu agréé de Henri III, qui l'avait trouvé rétif à ses profusions (« Il est paresseux, à la vérité, disait ce rói, mais il est homme de bien; ») pensa à la retraite, et s'étant défait de ses charges, il s'était dit qu'il achèverait paisiblement ses jours, tantôt à Paris, tantôt dans ses maisons des champs, qu'il embellirait. Mais il avait compté sans l'ennui. M. d'Ormesson était un homme pratique et d'activité; il n'était pas lettré comme son fils le sera, comme le seront les Lamoignon; il vit que son loisir manquerait de pâture et d'occupation. Il désira donc de rentrer dans les charges; et de toutes celles qui s'offraient à lui, une charge de président à la Chambre des Comptes lui parut le plus à sa convenance. Toutefois, il pouvait y avoir quelque difficulté, ayant été lui-même si longtemps comptable et sujet à la Chambre des Comptes : cette Compagnie le voudrait-elle bien pour un de ses présidents? Il fit tâter le terrain, reçut pleine satisfaction, et put traiter de la charge dans laquelle il entra avec grand honneur. Il se croyait au port. Voilà la Ligue qui survient, la guerre civile qui éclate : il faut opter. M. d'Ormesson ne jugea pas à propos de quitter Paris; il fut même choisi par le duc de Mayenne pour être du fameux Conseil, de si mauvais renom, les Seize; mais il en fut comme M. de Villeroy, comme le président Jeannin, pour modérer, s'il était possible; il était de plus capitaine de son quartier. Ce furent des temps difficiles; on mourait de faim dans Paris; ce n'est pas une métaphore; « M. d'Ormesson fut à la veille de voir ses enfants mourir de faim en sa pré

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