Images de page
PDF
ePub

La loi que M. le ministre invoque comme un précédent (celle du 16 avril 1831) est certainement une des mesures les plus désastreuses qu'ait pu imaginer l'esprit fiscal d'un ministère. En adoptant un pareil système pour se soustraire au contrôle des Chambres, on viendrait bientôt à ordonner la continuation de l'impôt par ordonnance. L'un vaut l'autre.

Je vote contre la loi telle qu'elle est.

M. Humann, ministre des finances. Messieurs, parmi les observations présentées par les orateurs qui ont combattu le projet de loi, il en est qui attaquent la proposition du gouvernement dans son principe; d'autres ne portent que sur des mesures d'exécution ou des dispositions réglementaires. Je ne m'occuperai pas de celles-ci en ce moment; il sera temps de les examiner lors de la discussion des articles.

Les questions qui appartiennent à la discussion générale peuvent se resumer ainsi :

Les contributions directes peuvent-elles être votées pour l'année ?

Accordera-t-on au ministère la faculté de mettre trois douzièmes des impôts directs et indirects en recouvrement.

Est-il nécessaire d'ouvrir aux ministres des crédits jusqu'à concurrence de 340 millions? Y a-t-il lieu d'accorder un crédit de 250 millions en bons du Trésor?

Je parcourrai rapidement ces questions; le travail de votre commission a rendu ma tâche facile.

Vous connaissez, Messieurs, tous les inconvénients qui résultent et pour le Trésor et pour le contribuable du régime provisoire, dans son application à l'impôt direct.

Lorsqu'à une époque rapprochée du terme de l'exercice, les rôles sont mis en recouvrement, les agents de la perception s'aperçoivent que tel contribuable, contre lequel des contraintes avaient été dirigées, n'est plus imposable, ou l'est dans une proportion différente; que tel autre, atteint pour la première fois, est dans l'impuissance de se libérer soudainement d'une charge qu'il n'avait point prévue, ou s'est soustrait, dans l'intervalle, à ses obligations envers l'Etat. De là des non-valeurs, des pertes de produits et d'intérêts, qui, pour 1832, ne s'élevèrent pas à moins de 3 millions.

D'un autre côté, les départements et les communes sont arrêtés dans l'exécution des travaux auxquels il devait être pourvu par des charges locales réalisables au moyen d'additions aux contributions directes.

Un fait d'un autre ordre est la conséquence de l'émission tardive des rôles. La revision des listes électorales qui, aux termes de la loi du 19 avril 1831, doit commencer du 1er au 10 juin, ne peut plus s'opérer que sur des documents incomplets.

Nos vœux et nos efforts réunis tendent à mettre un terme à un état de choses qui entraîne de si graves inconvénients; et si, pour 1833, il subsiste encore, par suite de circonstances qu'il n'a pas dépendu de nous de maitriser, toute disposition qui a pour objet d'en atténuer les fâcheux effets, nous semblent devoir obtenir votre assentiment lorsque, d'ailleurs, elle ne blesse ni vos droits ni aucun des principes qui régissent la matière.

Je ne concevrais pas, Messieurs, que l'on pùt voir une atteinte à la prérogative des Chambres dans la proposition qui leur est faite de voter les contributions directes pour l'année, sauf à

subordonner à une autorisation nouvelle la perception des douzièmes non compris dans le projet qui vous est soumis.

Rien ici ne sort des limites que la Charte a tracées aux divers pouvoirs : l'impôt n'est assis, fixé et perçu que d'après le vote législatif.

Mais ce vote est-il suffisamment éclairé? En d'autres termes, si la Chambre avait devant elle le temps qui lui manque, son vote serait-il différent? pourrait-elle utilement modifier, pour 1833, les propositions relatives à l'impôt direct? Je ne le pense pas, Messieurs, et j'espère vous faire partager mon opinion.

Un projet de modification serait sans but s'il ne tendait pas, soit à diminuer l'impôt, après que la discussion des dépenses aurait démontré la possibilité de le réduire, soit à l'augmenter, parce que l'on aurait reconnu la nécessité d'imposer aux contribuables de plus grands sacrifices, soit à le porter à un taux plus élevé pour dégrever les contributions indirectes, soit enfin à changer l'assiette et le mode de perception des revenus directs. Envisageons l'état des choses sous ces divers aspects.

D'abord, loin que le budget qui vous a été présenté laisse espérer des excédents de ressource, il constate, au contraire, une insuffisance de recettes de 166 millions. Ensuite l'augmentation de l'impôt par l'initiative de la Chambre serait un acte insolite dont on ne peut admettre la supposition.

Enfin, le projet de rehausser les contributions directes au profit des impositions indirectes serait une mesure déplorable qui compromettrait le revenu public de la manière la plus grave: peu de mots suffiront pour vous en convaincre.

L'inconvénient inhérent aux droits de consommation est la cherté des frais de recouvrement. La quotité proportionnelle de ces frais s'abaisse quand les produits augmentent. On la rend excessive en abaissant les tarifs outre mesure. Ainsi, supposez la suppression de l'impôt sur les vins, il ne faudra pas moins entretenir partout des agents chargés de recevoir le monopole des tabacs, les droits de garantie des matières d'or et d'argent, et toutes les autres taxes indirectes.

Mais les dépenses de recouvrement et de surveillance deviendront tellement disproportionnées, que vous serez forcés de renoncer à ces produits, c'est-à-dire à un revenu annuel de 170 millions. Une telle mesure entraînerait la ruine de nos finances, et cette œuvre de destruction serait sans excuse; car si l'on considère que les revenus indirects s'accroissent sans rehaussement des tarifs, à mesure que la confiance fait des progrès parmi nous, on est forcé de reconnaitre que nos taxes ne dépassent nullement les forces contributives du pays.

Voyons maintenant s'il est utile, s'il est prudent de modifier par amendement le système de nos impôts directs?

J'ai signalé loyalement les améliorations dont il me paraît susceptible, et les moyens de les réaliser se préparent. La contribution foncière de la propriété bâtie sera séparée de celle de la propriété rurale, et des rôles distincts seront confectionnés pour chacune des deux natures de propriétés.

La contribution personnelle et mobilière est l'objet d'un travail spécial, qui a pour but d'en améliorer la répartition, et qui, aux termes de la loi du 21 avril 1832, vous sera présenté en 1834.

Un travail analogue se poursuit pour la con

H

tribution des portes et fenêtres; il est juste, selon moi, de la rendre proportionnelle au revenu net de la propriété bâtie.

Enfin, sur l'impôt des patentes, un projet est préparé pour établir dans la nomenclature et le classement des diverses professions assujetties à cette taxe, un système mieux approprié à l'état actuel de l'industrie. Il vous sera présenté à la prochaine session.

Vous le voyez, Messieurs, l'administration est en voie de réaliser les améliortaions dont le système des impôts directs est susceptible: nous vous prions de nous laisser le temps nécessaire pour compléter nos travaux préparatoires, et de ne pas compromettre le succès de nos efforts par des mesures prématurées et improvisées.

Messieurs, le vote des impôts directs pour l'année ne blesse aucun principe, ne retarde aucune amélioration, et épargne au pays des sacrifices en pure perte nous avons dû en soumettre la proposition à votre jugement, à votre patriotisme éclairé.

Les dispositions du projet de loi qui posent la limite des ressources provisoires ne sont pas moins faciles à justifier: jusqu'ici les demandes de cette nature se bornaient rarement à trois douzièmes. Pour obtenir le nécessaire, on demandait au delà cet artifice répugnait à notre caractère. La proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre est franche, modérée, restreinte autant qu'elle pouvait l'être. Vous ne sauriez la réduire davantage, si votre intention est de nous soutenir par le témoignage de votre confiance.

Le crédit provisoire de 340 millions, dont l'allocation vous est demandée par l'article 7 du projet de loi, nous est nécessaire pour assurer les services durant le premier trimestre de l'exercice. Le dernier tableau annexé au projet de loi le démontre; et qu'il nous soit permis de faire remarquer que c'est pour la première fois que ces justifications accompagnent la demande de douzièmes provisoires.

Il est non moins indispensable que vous nous conserviez la faculté d'entretenir une circulation de bons du Trésor jusqu'à concurrence de 250 millions. La dette flottante l'exige impérieusement; mais, au moyen de cet appui, elle ne doit éveiller aucune inquiétude. Le Trésor ne sera pas embarrassé pour y faire face. Restreinte dans de justes bornes, la dette flottante offre des avantages que l'on ne saurait méconnaître. D'abord elle attire les capitaux destinés à des placements temporaires, et concourt ainsi à identifier les fortunes privées avec la fortune de l'Etat. Ensuite, les ressources qu'elle procure aident le ministre des finances à traverser les moments difficiles et à attendre des cours élevés pour opérer les négociations de rentes. Enfin, l'intérêt attribué aux effets à terme est bien moins élevé que celui de la rente, et la négociation de ces effets, qui se fait toujours au pair, n'impose à l'Etat aucune perte en capital.

La dette flottante, Messieurs, est le complément d'un bon système de crédit. L'intérêt public veut qu'elle soit maintenue, mais dans des limites que la prudence indique. Il y aurait de graves inconvénients à la trop restreindre; il serait périlleux

d'en abuser.

Après avoir discuté les articles essentiels du projet de loi, qu'il me soit permis de vous soumettre quelques réflexions sur les vœux si honorables que l'on exprime en faveur de la partie peu aisée de la société. J'ose le dire, Messieurs, personne ne désire plus que nous de la soula

ger: à nos yeux, la partie la plus élevée de notre mission est de chercher à améliorer l'existence des familles vouées au travail; mais ce n'est qu'en procédant avec mesure et beaucoup de sagesse que l'on peut approcher du but; et ne nous abusons point, jamais il ne sera complètement atteint. Quoi qu'on fasse, il y aura des souffrances, des misères, non seulement dans la chaumière du pauvre, mais encore dans la demeure du riche. Assurer l'aisance à tous est chose impossible; les inégalités naturelles entraînent nécessairement les inégalités de fortune et de position.

Nous devons chercher sans doute à atténuer cette triste condition de l'humanité. Mais quels sont les moyens les plus propres à amener le résultat? Sur ce point, Messieurs, se manifestent des opinions que nous ne saurions partager.

Tout le malaise qui se révèle est attribué à l'impôt, et pour y porter remède, que vous a-t-on proposé jusqu'ici? La suppression des taxes de consommation; et, comme les besoins du Trésor ne permettaient pas de renoncer à cette ressource, c'est sur la propriété que retomberait le fardeau.

On vous a proposé aussi d'établir une capitation progressive et proportionnelle au revenu de chaque citoyen: quelques réflexions succinctes vous feront apprécier les deux projets.

La société ne protège pas seulement la propriété, mais aussi les personnes, leur liberté et leurs droits. Or, s'il est des avantages sociaux auxquels tous participent, il n'y a nulle injustice à faire contribuer chacun aux dépenses du gouvernement qui les lui procure.

Remarquez ensuite qu'en admettant que la contribution foncière puisse être augmentée modérément, il serait désastreux de surcharger, d'accabler la propriété.

Elle est, Messieurs, la source d'où découle la richesse le bien-être général est tellement identifié avec l'aisance des propriétaires que, du moment que ceux-ci souffrent, la prospérité du pays tout entier est en déclin. La raison en est simple.

En imposant à la propriété des charges excessives, on en arrête le progrès; le travail diminue rapidement; le capital national se déprécie, et bientôt l'appauvrissement pénètre dans toutes les classes de la société.

Dans un tel état de choses, l'ouvrier que l'on aurait eu l'intention de soulager en l'affranchissant d'une légère taxe ne gagnerait plus de quoi acheter du pain.

L'application du projet de capitation progressive serait plus déplorable encore: sous un tel régime, s'éteindrait l'émulation, le désir d'acquérir, toute excitation au travail : l'homme, ne recueillant plus les fruits de ses sueurs, gagnerait à ne rien faire.

Et comment asseoir un tel impôt autrement que par des mesures inquisitoriales que repousseraient nos mœurs, et qui heureusement ne sont plus de notre époque?

Ce n'est pas par de tels expédients que nous essaierons de soulager les masses; leur bienêtre, il faut le dire, est bien moins affecté par l'impôt que par le manque de travail.

On en peut juger par les pays peu avancés en civilisation; l'impôt y est modéré, parce que leurs gouvernements ont peu à dépenser pour la justice, l'instruction, l'administration, pour les routes, pour tout ce dont les nations éclairées éprouvent le besoin. Eh bien! les popula

tions y sont-elles plus à l'aise? Non, certes; elles vég tent dans l'ignorance et la misère.

La confiance, l'activité industrielle, le mouvement progressif de la richesse, voilà les dégrèvements efficaces. Nous nous efforcerons de les procurer au pays, en même temps que la réduction des charges actuelles.

Nous allons vous dire, Messieurs, les améliorations qu'il nous parait possible de réaliser, et d'abord quelques mots de plus sur l'état de nos finances.

La première condition pour y rétablir l'ordre est de mettre les recettes et les dépenses en équilibre; mais quelles seront désormais nos dépenses ordinaires et obligées ?

La Restauration nous a laissés sous le poids d'une dette énorme, et depuis 1830, la sûreté, l'indépendance et la dignité nationales ont nécessité des dépenses qui s'élèveront à 700 millions à la fin de l'année 1833.

Cette somme, quand elle sera transformée en dette consolidée, ajoutera à nos dépenses une charge annuelle et permanente de 40 et quelques millions.

D'un autre côté, notre état militaire ne pourra être réduit immédiatement au pied de paix de la Restauration. L'agitation qui suit les grands événements politiques ne se calme que lentement; et, dans cet état de choses, le désarmement ne peut être que successif.

Loin donc d'espérer des réductions sur l'ensemble de nos dépenses ordinaires, je prévois la nécessité d'y ajouter des sommes importantes.

Voyons par quels moyens on pourra y faire face.

J'ai eu l'honneur de vous le dire, l'accroissement rapide de la richesse mobilière nous laisse espérer une économie notable qui résultera de l'abaissement de l'intérêt de la rente 5 0/0.

Je vous ai dit aussi que cette opération faite et nos budgets ramenés aux proportions du pied de paix, on pourra disposer sans inconvénients de tout où partie des rentes rachetées.

D'autres résultats peuvent être obtenus. La rémunération des services passés est une de nos charges les plus pesantes. Or, il ne me paraît pas impossible d'en diminuer le poids par la substitution d'un système nouveau à celui en vigueur, et, toutefois, en respectant religieusement les pensions liquidées et les droits acquis.

Quelques taxes doivent nous procurer des produits plus abondants, celle du sucre surtout, qui ne rend, en 1832, que 20 millions, et qui, bien combinée dans toutes ses parties, peut produire le double.

Les contributions indirectes, en général, deviendront plus fécondes à mesure que le sentiment de la stabilité fera renaître l'aisance parmi nous. Enfin, l'ensemble des services présente encore des économies judicieuses à conquérir.

En réalisant ces améliorations, on peut remettre les finances en équilibre et préparer un soulagement au pays. Ce but, nous l'atteindrons, Messieurs, si vous nous accordez votre appui, et si le pays nous seconde. Je ne crains point de le dire, il n'est au pouvoir d'aucun gouvernement d'assurer à lui seul la prospérité publique; elle est l'œuvre des peuples eux-mêmes, le prix de leur sagesse, de leur patriotisme éclairé, du bon usage qu'ils font de la liberté.

J'ai l'espérance, Messieurs, que vous accorderez votre assentiment au projet de loi, tel qu'il a été amendé par votre commission.

M. le Président. Il n'y a plus d'orateurs inscrits; la Chambre ferme la discussion générale. On va passer à la discussion des articles. Art. 1er. « Les contributions foncière, personnelle et mobilière, des portes et fenêtres et des patentes, seront perçues pour 1833, en principal et centimes additionnels, conformément à l'état A ci-annexé.

« Le contingent de chaque département dans les contributions foncière, personnelle et mobilière et des portes et fenêtres, est fixé aux sommes portées dans les états B, nos 1, 2 et 3, annexés à la présente loi. »

M. de Podenas a présenté sur cet article un amendement qui est destiné à remplacer les articles 1, 2, 3 et 4 du projet par un article unique, ainsi conçu :

Les contributions foncière, personnelle et mobilière, des portes et fenêtres et des patentes seront perçues provisoirement pour le premier trimestre de l'année 1833, en principal et centimes additionnels, conformément à la loi du 21 avril 1832. Le recouvrement provisoire de ces contributions sera opéré sur les rôles de 1832, à concurrence des trois douzièmes de leur montant. Ces trois douzièmes ne seront pas exigés pour les cotes ou portions de cotes de 1832, dont les conseils de préfecture ont prononcé ou prononceront la décharge ou la réduction.

[ocr errors]

Si, au moment de l'émission des rôles de 1833, les acomptes payés provisoirement dépassaient le montant des douzièmes échus, l'excédent serait imputé sur les douzièmes à échoir. Dans le cas où le contribuable ne figurerait pas sur les rôles de 1833, les acomptes payés lui seraient immédiatement remboursés.

« Il ne sera pas délivré un nouvel avertissement aux contribuables, mais seulement une sommation gratis énonçant la date de la présente loi cette sommation sera renouvelée avant de commencer aucune poursuite.

« Seront perçus de la même manière, et sur les rôles de 1832, les droits de vérification des poids et mesures, les redevances sur les mines et la taxe additionnelle pour frais d'administration des bois des communes et établissements publics. "

M. de Podenas a la parole pour développer son amendement.

M. de Podenas. De tous les points de la France, un même vou se fait entendre, c'est de sortir enfin du provisoire. Nous l'accueillerons tous; et j'ai l'intime conviction que, dans cette enceinte, il ne s'élèvera pas une seule voix pour retarder davantage l'adoption de cette grande mesure d'ordre public. Aucun sacrifice ne coûtera à la Chambre pour y parvenir le plus promptement possible. Une seconde session qui suivrait immédiatement celle dans laquelle nous entrons, et où un second budget vous serait présenté, est l'unique moyen d'arriver à ce but.

Pour faire un premier pas dans cette carrière, M. le ministre des finances a cru devoir vous proposer, au sujet de la demande des trois douzièmes provisoires, de voter instantanément les contributions directes pour toute l'année 1833, afin de pouvoir confectionner plus promptement les rôles de cet exercice. Je rends hommage à la loyauté et aux bonnes intentions de M. le ministre, quand il vient vous soumettre ce projet, et si je suis décidé à lui accorder les diverses demandes qu'il contient, il n'en est pas

de même pour ce qui est relatif au vote définitif des contributions directes, que je veux renvoyer, pour un plus mur examen, à l'époque du budget. Comme le dit lui-même M. le ministre, quelle que soit votre décision sur sa proposition, il aura toujours bien agi en provoquant une mesure d'ordre. Seulement, il aura pu s'en exagérer les avantages sans faire la part véritable de ses inconvéniens.

Sans doute, on ne saurait disconvenir de l'utilité qu'il y aurait à obtenir quelques mois plus tôt les rôles de 1833, de cesser ainsi de percevoir pendant quelques mois de plus les contributions sur les rôles de l'année précédente, et de hâter, par là, l'époque de comptes à faire avec les contribuables. Mais cet avantage isolé n'est-il pas trop chèrement acheté par les nombreux sacrifices qui sont le résultat du mode proposé?

Vous ne sauriez, sans aliéner vos plus importantes prérogatives, prendre un prétexte dans l'urgence des circonstances, pour adopter sans contrôle, sans un examen sérieux, la partie du revenu public qui tient aux contributions directes. Une des premières règles dans le système financier d'un pays est que l'état des dépenses définitives doit toujours être connu avant d'etablir les recettes, et ici on vous demanderait de procéder dans un cadre inverse d'idées, destructeur de tous les principes en cette matière. Depuis longtemps, les meilleurs esprits sont partagés sur la part plus ou moins grande qu'il importe de faire dans l'assiette de l'impôt aux contributions directes ou indirectes, et vous vous priveriez, par l'adoption du projet, de l'examen de cette grave question. Depuis longtemps, les méditations sont portées sur le point de savoir quelle est, parmi les quatre contributions directes, celle qui doit profiter le plus aux intérêts combines de l'Etat et du contribuable, et obtenir ainsi, proportionnellement à l'eventualité de ses produits, un chiffre plus ou moins large au budget. C'est encore là un point important que vous ne pourriez aborder.

Vous savez que la loi du 26 mars 1831 substitua l'impôt de quotité à l'impôt de répartition pour les contributions personnelle et mobilière et des portes et fenêtres, et que bientôt la loi du 21 avril dernier, que d'impérieuses circonstances forcèrent d'adopter sans examen pour la partie des recettes, rétablit l'impôt de repartition, en augmentant toutefois d'un chiffre très fort le principal, assigné autrefois à ces contributions. Des projets de loi annoncés indiquèrent qu'on croyait nécessaire d apporter plus tard des rectifications à ces operations.

Vous savez encore que deux systèmes différents militent pour les portes et fenêtres, dont l'un, donnant pour base à cet impôt les valeurs locatives, le confondrait avec le mobilier, dont l'autre le confondrait avec l'impôt établi sur les propriétés bâties, et qu'une grande amélioration en résulterait dans tous les cas. Vous savez encore qu'une nouvelle nomenclature de profes sions, et un meilleur classement entre elles doivent apporter des produits plus considérables dans l'impôt des patentes. Ce sont là autant d'objets pour lesquels vous avez l'initiative, et auxquels cependant il ne vous sera pas permis de toucher.

Il est plusieurs villes où une augmentation, dans le tarif de l'octroi, remplace la contribution mobilière. Les abus qui en résultent font desirer à plusieurs esprits que ce régime ait un terme.

Elle est encore présente à vos esprits cette délibération du conseil municipal de la ville de Paris, qui a porté les droits d'entrée sur les vins à un tarif tellement exagéré qu'il équivaut presque à une prohibition, et qui a jeté l'alarme dans tous les pays vignobles. Vous signaler cette délibération, c'est vous montrer tout l'excès du mal et combien il est utile d'y porter un remède. Si un changement de système avait lieu, le principal de la contribution mobilière en serait nécessairement augmenté pour ces villes. Il vous sera cependant impossible de vous en occuper. Peut-être même le résultat du système financier à adopter sera, par suite d'une combinaison que vous pourrez juger meilleure, d'ajouter ou de retrancher quelques centimes additionnels aux contributions directes. Vous serez encore paralysés dans l'exercice de cette faculté.

Pour ce qui concerne les contingents en principal à assigner à chaque département, par suite du répartement, il est de règle qu'il éprouve des modifications selon l'augmentation ou la diminution des matières imposables; il est de règle aussi que les répartitions se font proportionnellement entre les divers départements. Tout cela suppose, de la part de chaque deputé, un contrôle sévère pour déterminer jusqu'à quel point le département qu'il représente plus spécialement peut avoir été ou non froissé dans ces opérations par des erreurs, involontaires sans doute, mais qui n'en sont pas moins dommageables. Certes, Messieurs, le projet qui vous est soumis ne vous donne pas le temps de vous livrer à ces investigations. D'ailleurs, il retarde l'époque des modifications à apporter dans les contingents de chaque département selon les circonstances qui y sont

survenues.

Ne perdez pas de vue, Messieurs, que, depuis juillet 1829, c'est pour la première fois que vous pouvez vous occuper sérieusement du budget des recettes, puisqu'il n'en fut point fait en 1830; qu'on le vota de confiance vu l'urgence en 1831, et qu'au mois d'avril de cette année, vous fùtes obligés d'agir de même, pressés que vous étiez par de graves et douloureux événements. Ne perdez pas de vue que le budget de 1834 ne pourra Vous être présenté avant la fin de mars, et qu'après de longs et pénibles travaux, l'expérience a appris que l'attention était bien moins captivée, et les esprits peu aptes à traiter des matières sérieuses. Si vous perdiez l'occasion favorable de faire le bien qui est possible dans l'examen du budget qui est dans vos bureaux, toutes les améliorations utiles seraient encore ajournees au budget de 1835. Un pays ne saurait laisser écouler 6 années, sans donner un seul instant à une branche aussi importante de son revenu que celle des quatre contributions di

rectes.

Je sais que le plan qui vous est soumis a été exécuté en 1831. Si ce précédent était mauvais, comme je le crois, ce serait un argument sans valeur. D'ailleurs, veuillez vous reporter au mois d'avril de l'année dernière. Une séance de 9 mois, consacrée à toute autre chose qu'au budget, venait d'avoir lieu. La Révolution de Juillet, une nouvelle loi électorale commandaient la dissolution de la Chambre des députés. 3 mois au moins devaient s'écouler avant qu'on pût en réunir une nouvelle. Il fallait lui présenter le budget de 1831, et tout faisait prévoir, ainsi que l'événement le justitia, que ce budget ne pourrait pas être fait, même en le votant de confiance et sans

discussion, avant la fin de septembre de cette même année.

Si on n'eût pas accordé la confection des rôles, ce n'eût été qu'au commencement de mars 1832 qu'ils auraient pu être mis en recouvrement, c'est-à-dire 2 mois après qu'un autre exercice aurait été commencé, chose absurde et qui justifie suffisamment la mesure qui fut alors adoptée, et qui ne rencontre pas un motif homogène dans les circonstances actuelles.

M. le ministre des finances a argumenté de la loi électorale qui appelle les maires à régler les listes le 1er juin de chaque année, pour en déduire l'indispensable nécessité de sa mesure. Si M. le ministre avait poussé plus loin l'examen de cette loi, il y aurait trouvé un argument pour renverser le sien: c'est que les réclamations contre la teneur des listes sont admises jusqu'au 15 octobre, et les rôles de 1833 seront, dans tous les cas, mis en recouvrement avant cette époque.

Au reste, Messieurs, sans que pour cela mes idées fussent plus ébranlées, je concevrais mieux l'avantage de la mesure proposée, s'il eût été possible que les nouveaux rôles fussent en recouvrement dès le 1er février 1833.

Mais puisqu'il ne peut en être ainsi, et qu'ils ne le seraient que dans le courant de mai, je ne vois pas trop de quelle grande importance il serait de faire des perceptions provisoires pendant 4 mois de moins. Les anciens rôles étant déjà surchargés par les recouvrements, il y aurait peu de profit à retirer de la plus prompte cessation de ce travail à raison du peu de temps à parcourir, d'après mon amendement. Il vaudrait mieux, sans doute, qu'il en fút différemment et que tout fùt mis à jour; mais, dans le système même de M. le ministre, la chose n'est pas aujourd'hui possible.

Je crois, Messieurs, vous avoir démontré que l'avantage résultant de la proposition de M. le ministre des finances n'est pas suffisamment racheté par les sacrifices qu'il vous impose, et que yous ne devez pas, en l'adoptant, aliener la plus importante de vos prérogatives, le vote libre des

recettes.

J'accorde volontiers à M. le ministre les trois douzièmes provisoires qu'il demande. J'adopte aussi le surplus de son projet, tel qu'il a été amendé par votre commission. Seulement, je refuse de voter dans ce moment les contributions directes pour toute l'année 1833, en ajournant le vote sur ces contributions au budget définitif. Quant aux autres dispositions de mon amendement, elles ne sont, comme vous le voyez, qu'une conséquence nécessaire du principe que j'ai consacré, et n'ont pas besoin, pour leur intelligence, d'être développées.

Je persiste dans mon amendement.

M. de Rambuteau. Il y a, Messieurs, un sentiment unanime pour voter le premier amendement.

Mais la question a été partagée quant à la nécessité de voter la totalité de l'impôt; on lui a reproché de l'inconstitutionnalité et de l'inopportunité.

La question du provisoire dans laquelle nous sommes n'a pas encore été résolue; elle est un legs de l'ancien gouvernement; et c'est cette difficulté qui a empêché le vote du budget de 1831, par suite de la prorogation, et plus tard de la dissolution de la Chambre.

De plus, il a été impossible de revenir sur cette

disposition et de sortir du provisoire, qui était le but constant du grand citoyen et babile ministre dont vous avez à déplorer la perte prématurée.

La lassitude de la Chambre, après une session de 9 mois, et surtout l'épidémie qui ravageait la capitale, ont pu seules le faire renoncer à une seconde session pour rentrer dans les voies d'une comptabilité et d'un ordre réguliers.

La proposition du ministère se partage en deux parties Convaincu, par l'examen du budget, de l'impossibilité de procurer un soulagement aux contribuables sur les contributions directes, il demande d'être autorisé à faire rédiger les rôles après que les conseils généraux et d'arrondissement auront rempli leurs fonctions, et statué sur les réclamations qui leur sont soumises. Il demande, comme le propose M. de Podenas, d'être autorisé à percevoir les trois douzièmes provisoires.

La Chambre reste juge du recouvrement des neuf autres douzièmes : elle ne s'est point départie de son droit d'examen, mais anticipant par prévision sur les besoins et les nécessités en regard d'un budget de 1,142 millions, inférieur de 160 millions aux ressources qui doivent y satisfaire, elle a jugé qu'il ne pouvait y avoir de dégrèvement sur les contributions directes de 1833, et qu'elle pouvait sanctionner une mesure qui faciliterait la possibilité d'effectuer la con

fection des rôles de 2 années et de sortir du provisoire.

Un intérêt puissant, celui de nos commettants, vient fortifier la demande du gouvernement: en effet, sur 52 millions de dépenses départementales, près de moitié de cette somme est affectée aux travaux sur les routes et à des constructions civiles qui ne peuvent être exécutées qu'après la sanction royale donnée au budget du départe

ment.

Deux mois sont nécessaires pour que tous les budgets soient approuvés. D'autre part, les formes de la comptabilité des départements fixent au 1er octobre l'époque où les dépenses des travaux du budget doivent être exécutés, et reportés au pénultième budget les sommes qui n'ont point été dépensées. Si vous considérez que tous les départements s'imposent le total des 5 centimes facultatifs pour pourvoir aux besoins du departement, mais que 26 départements ont voté des centimes extraordinaires pour leurs routes; que l'exécution de la loi du 6 novembre 1831 a également porté un grand nombre de conseils généraux à voter des centimes supplémentaires, il y aurait grand dommage pour les citoyens qui supportent les charges extraordinaires pour subvenir à des besoins urgents et créer des ateliers qui donnent de l'ouvrage à la classe indigente, de se voir privés du prix de leur sacrifice dont l'exécution ne pourrait avoir lieu, ou serait ajournée de 15 à 18 mois, pendant que 15 à 18 millions, qui ont cette destination, dormiraient dans les caisses du Trésor, sans même leur produire aucun intérêt.

Quant à ce qui concerne la contribution foncière, j'observerai qu'elle se compose de 12 millions de cote, payée par environ 5 millions de propriétaires presque tous pères de familles, que plus des trois quarts de l'impôt sont payés par des contribuables au-dessous de 200 francs; qu'une augmentation porterait en grande partie sur cette classe interessante et lui enlèverait, non le superflu, mais le nécessaire, et que cette considération ne doit jamais être perdue de vue alors qu'il s'agit de frapper la contribution fon

« PrécédentContinuer »