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impuissants! en présence surtout d'un événement récent et décisif qui doit détruire les dernières illusions de ce parti!» (Adopté.)

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Paragraphe 9. A des attaques violentes et simultanées contre l'ordre établi, votre gouvernement, Sire, a cru devoir opposer toute l'énergie répressive des lois existantes; mais les difficultés mêmes qu'a fait naître leur application, les conflits auxquels elle a donné lieu, font sentir la nécessité d'une législation plus précise et plus complète, qui concilie ce qui est dû au respect de tous les droits avec le maintien de la paix publique et la sûreté de l'Etat. »

M. le Président. Plusieurs amendements sont proposés sur ce paragraphe:

M. Teste propose de substituer à la première partie du paragraphe, la disposition suivante : « Pour réprimer ces attaques violentes et si" multanées contre l'ordre établi, votre gouvernement, Sire, a cru devoir emprunter les « secours de lois antérieures à la Charte; mais « les difficultés, etc. »

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A la 2e partie, aux mots: La nécessité d'une législation plus précise et plus complète, substituer ceux-ci La nécessité d'une législation précise, qui concilie... etc.

M. Mérilhou présente cet amendement qui est plus étendu et plus complet :

Sire,

"Un des principes fondamentaux de notre droit public, principe qui n'a jamais été impunément violé, et auquel les articles 53 et 54 de notre Charte de 1830 avaient donné une nouvelle et plus explicite consécration, a cependant été violé par les ministres. La Charte avait dit : Nul ne pourra être distrait de ses juges naturels; et des citoyens, non militaires, ont été distraits de leurs juges naturels, pour être traduits devant des juges militaires. La Charte avait ajouté : Il ne pourra, en conséquence, être créé de commissions et de tribunaux extraordinaires, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce puisse être et des conseils de guerre ont été érigés en commissions extraordinaires, pour juger tous les crimes et délits politiques, dont la connaissance avait été expressément attribuée au jury, par l'article 69 de la Charte et par la loi du 8 octobre 1830.

:

« Cette violation flagrante de la Charte et des lois, qui, à Paris, n'a pas même eu pour excuse un danger qui avait cessé, appelle aujourd'hui une grande et solennelle réparation. Il faut que la France sache que ce n'est pas seulement contre les crimes privés que l'exécution des lois est assurée; ce n'est pas assez qu'un arrêt suprême de la justice ait restitué aux garanties constitutionnelles toute leur force, il faut encore qu'elles trouvent une nouvelle sanction dans la haute improbation des pouvoirs publics.

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En flétrissant de notre blâme solennel cette mesure inconstitutionnelle, Sire, nous croyons remplir un devoir sacré envers Votre Majesté aussi bien qu'envers le pays, car le trône de Juillet et la Charte de 1830 sont solidaires, l'une ne peut être violée sans que l'autre soit ébranlé. » M. Leyraud propose de substituer à la première partie du paragraphe celle-ci :

"A des attaques violentes et simultanées contre l'ordre établi, votre gouvernement, Sire, a pensé qu'il devait opposer toute l'énergie répressive des lois qu'il à cru applicables. »

Ainsi, trois amendements sont proposés : l'un qui remplace totalement le paragraphe en lui donnant un sens plus étendu ou différent; les deux autres qui apportent seulement quelques corrections de rédaction et qui s'éloignent moins de celle du paragraphe.

La parole est à M. Mérilhou; car je crois que la Chambre voudra entendre les auteurs des trois amendements avant de se fixer sur aucune des trois rédactions. (Oui! oui!)

M. Mérilhou. Un des droits les plus sacrés des citoyens français, c'est de n'être jugés que par les juges que les lois leur ont d'avance assignés. Ce droit est en réalité plus précieux même que les droits politiques, puisque ce n'est autre chose que le droit de conserver et de défendre sa vie, son honneur et sa liberté. C'est à la fixité des juridictions, c'est à leur indépendance, c'est à l'efficacité des garanties qu'offrent aux accusés les formes de la procédure criminelle qu'on reconnaît une société qui sort de la barbarie, et qui marche vers la civilisation; c'est aussi par l'affaiblissement de toutes ces garanties; c'est par la perturbation des juridictions; c'est par l'intervention du gouvernement dans l'action du pouvoir judiciaire, que se manifeste quelquefois la décadence des constitutions les plus libres et les plus fortes.

Sí sur de tels symptômes les grands pouvoirs de l'Etat se tiennent muets ou inattentifs, on peut dire avec vérité que les libertés publiques sont compromises, et que l'avenir d'une nation est menacé. Si vous-mêmes, Messieurs, vous laissiez méconnaître ou ébranler les attributions de la magistrature, ce jour serait pour vous le dernier jour de votre indépendance.

Aussi, j'ai vu avec surprise et avec un vif regret que le projet d'adresse, au lieu de blâmer la mesure inconstitutionnelle par laquelle des citoyens non militaires ont été livrés à des tribunaux militaires, s'est contenté d'employer une allusion presque laudative. On a qualifié simplement de difficulté apportée à son application, la résistance légale élevée par la première cour du royaume contre une mesure qui déchirait les droits les plus sacrés des citoyens français. (Approbation aux extrémités.)

Aux yeux de votre commission, il paraîtrait donc que l'action légale du premier tribunal du royaume ne serait autre chose qu'une difficulté qu'il faudrait tourner et non pas un obstacle qui devrait arrêter le pouvoir.

Si je ne me trompe, c'est là traiter bien légèrement les arrêts de la justice.

Messieurs, je ne pense pas que la Chambre des députés de France puisse s'associer à un pareil langage et livrer ainsi à l'incertitude des controverses ce qu'il y a de plus sacré dans l'ordre social, l'autorité des lois et la sainteté des arrêts. (Très bien! très bien!)

J'aurais pu concevoir que, après une violation aussi manifeste et aussi flagrante des lois, on fut venu chercher devant vous des excuses dans la nécessité des temps et dans la force des circonstances; mais qu'on vienne s'exprimer dans une forme dubitative sur une illégalité aussi flagrante et aussi obstinée; qu'on paraisse, par des artifices de langage, approuver ou tout au moins ne pas désapprouver les actes ministériels, blâmer l'acte énergique et consciencieux de la magistrature, et par là ouvrir dans l'avenir la porte à de nouvelles et semblables violations; c'est là, Messieurs, ce à quoi je ne saurais jamais m'as

socier; c'est là une marche dangereuse pour les libertés publiques, menaçante pour l'existence de tous les pouvoirs légitimes; et quant à moi, dussé-je être seul, je protesterai sans cesse de toutes les forces d'une conscience indépendante.

Plusieurs voix aux extrémités Vous n'êtes pas seul!

M. Mérilhou. Messieurs, après l'arrêt rendu par la cour de cassation, et auquel a acquiescé le ministère lui-même, j'ose espérer qu'aucune voix ne s'élèvera dans cette enceinte, et surtout des bancs ministériels, pour défendre ici la légalité de cette création extraordinaire de juridiction. J'ose espérer que du banc des ministres qui ont acquiescé à l'autorité de cet arrêt, nul ne viendra me contredire quand je dirai : La Charte a été violée, elle a été violée dans ses dispositions les plus importantes et les plus saintes; elle a été violée dans ce qui constitue les droits privés des citoyens!

Je ne viens aujourd'hui vous demander rien autre chose que de constater cette violation, de la constater pour en empêcher le retour, de la constater pour que vous ne restiez pas, aux yeux de l'histoire, sous le poids de cette responsabilité si grave.

Messieurs, il importe d'autant plus que vous vous prononciez d'une manière explicité et formelle, et que votre conscience se fasse entendre ici comme l'organe de la conscience nationale, que tout à l'heure vous aurez à examiner d'autres violations non moins flagrantes et non moins graves de l'ordre sacré des juridictions, dont il semble que le ministère ait pris à tâche de se jouer perpétuellement. (Rumeurs diverses.)

Pour ne pas fatiguer la Chambre par le rapprochement des lois relatives à l'état de siège, je m'abstiendrai de développements que le texte de mon amendement suppléera vraisemblablement. Il me suffit de quelques indications pour que le sens et la nécessité de l'amendement que je vous propose soient complètement appréciés par vous. Il me suffit de vous dire que la Charte, par son article 70, a formellement abrogé toutes les lois antérieures qui sont contraires à quelques-unes de ses dispositions. Or, quelles sont sur l'objet qui nous occupe les dispositions de la Charte constitutionnelle? Les voici, Messieurs :

Dans l'article 53, nous voyons que nul ne pourra être distrait de ses juges naturels.

Dans l'article suivant, nous voyons la prohibition de créer aucune sorte de tribunaux et de commissions extraordinaires.

Ce principe, Messieurs, qui est écrit à toutes les pages du droit public français, avait trouvé sa place dans la Charte de 1814; mais lorsqu'en 1830, après une violation flagrante des droits publics des Français, le trône du roi parjure s'est écroulé sous le canon de Juillet, lorsque la Chambre des députés s'est occupée de reviser la Charte constitutionnelle, cet article a été l'objet d'une sollicitude spéciale de la part des députés de la France.

On ne s'est pas contenté de reproduire l'article ancien de la Charte dé 1814, on a voulu ajouter des dispositions plus explicites encore, plus positives, plus claires, en disant que l'on ne pourrait créer de commissio s extraordinaires, sous quelque dénomination et sous quelque prétexte que ce put être; et ainsi on a semblé d'avance prévoir, au mois d'août 1830, qu'il pourrait venir une époque où des évènements politiques plus ou moins difficiles amèneraient

des embarras plus ou moins réels, et offriraient au pouvoir la possibilité de chercher dans une prétendue force majeure un prétexte de violer les lois du pays.

C'est là ce qu'ont voulu prévenir et empêcher les auteurs de la revision de 1830, et assurément ces paroles ne seront pas perdues pour vous.

Maintenant, qu'a-t-on fait sous l'empire de ces articles 53 et 54? On a fait tout le contraire de ce qu'ils ordonnaient; on a violé leurs dispositions explicites et matérielles; on a fait ce qu'ils interdisaient de faire.

Ainsi, l'un de ces articles défendait de distraire les citoyens de leurs juges naturels, et on a renvoyé des citoyens non militaires devant des tribunaux militaires; on a attribué à des tribunaux militaires, non seulement la connaissance des faits qui s'étaient accomplis postérieurement à la promulgation de cette juridiction de nouvelle espèce, mais encore la connaissance des faits antérieurs; c'est-à-dire qu'on a violé à la fois et l'article 53 et l'article 54, et le principe non moins sacré de la non-rétroactivité des lois. Mais cela ne suffisait pas encore, il a fallu pousser plus loin l'illégalité.

Ainsi, on ne s'est pas contenté de renvoyer des citoyens non militaires devant des tribunaux militaires, compétents pour juger des militaires, on les a déférés, en certaines parties de la France, à des tribunaux militaires extraordinaires, qui eux-mêmes seraient incompétents pour juger des individus appartenant à l'armée et ainsi, on violait non seulement les articles 53 et 54 de la Charte, mais encore des lois antérieures, la loi de messidor an IV, qui défend de traduire des individus non militaires devant des tribunaux militaires; la loi de brumaire an V, la loi du 27 ventôse an IX qui portent la même prohibition. Enfin, tout ce qu'il y a de monuments dans la législation française a été méconnu dans ces grandes et mémorables circonstances.

Ainsi, on a ouvert pour l'avenir la possibilité de rechercher, d'après des formes militaires, dans un terme assez vaste pour que la prescription seule pût arrêter les recherches et les poursuites de l'autorité militaire.

Dans quel texte a-t-on pu trouver des dispositions propres à calmer de semblables entreprises? C'est dans un décret imperial du 24 décembre 1811; c'est-à-dire que dans un décret de 121 articles, destiné à organiser le service des

places de guerre, des places frontières, des forteresses, on a pris un article au hasard qui s'applique uniquement à ce service des places de guerre en état de siège, pour en faire une fiction destinée à être appliquée à la capitale du royaume, à des pays entiers, à plusieurs départements; c'est-à-dire qu'on a établi un système monstrueux, emprunté à une foule de législations abrogées, et le tout combiné avec l'admirable ordonnance de police, dont on vous a rappelé hier les dispositions qui ont excité dans l'Assemblée une juste indignation.

Viendra-t-on dire que la nécessité a excusé une pareille violation de toutes nos lois? La nécessité, Messieurs! mais pour établir une pareille proposition, il faut méconnaître tous les documents officiels. Je comprendrais que les ministres vinssent ici, comme le consul romain, nous dire : Nous avons violé les lois tel jour, mais nous avons sauvé la patrie!... Eh bien! le Moniteur est là pour répondre à un pareil système de défense.

En effet, dans le rapport fait au roi par M. le

comte de Montalivet, ministre de l'intérieur, rapport qui précède et motive l'ordonnance sur la mise en état de siège, nous lisons ces mots :

"Ce n'est pas assez que la force matérielle ait anéanti sur tous les points la révolte en armes, il faut qu'une force morale toute puissante frappe d'interdit l'esprit de sédition, etc. »>

Et plus bas :

« J'ai l'honneur de proposer à Votre Majesté de déclarer Paris en état de siège,

« Ce n'est pas après la répression des troubles par la force armée qu'il est besoin de rassurer la population sur la portée de cette mesure, etc. » Plus tard, dans ce même Moniteur, dans le récit officiel publié sur les journées de juin, nous lisons :

« Cette journée, dont tous les détails ne sont pas encore recueillis, a été remplie par des manœuvres habiles et des engagements soutenus avec autant de dévouement que de courage, et partout avec un succès complet. Les fuctieux ont été écrasés sur tous les points. De nombreuses arrestations ont eu lieu, soit à la suite des engagements, soit à domicile.

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Le roi est rentré aux Tuileries par le Louvre, après avoir encore traversé le rang des troupes réunies sur le Carrousel. Il est impossible de décrire l'enthousiasme de la population.

"...

Aujourd'hui, rendons au nom de la France, au nom de la liberté, un hommage général à cette garde nationale, à ces troupes de ligne, à cette garde municipale, qui ont prouvé si énergiquement aux factieux la force d'un gouvernement fondé sur le vœu populaire et sur les intérêts du pays. »

Ainsi, au moment où l'ordonnance de mise en état de siège, où la création des tribunaux militaires a été ordonnée par le gouvernement, la sédition était comprimée, les rebelles étaient vaincus, dispersés, emprisonnés, et il n'y avait plus... (Interruption des centres.)

Je dis que, au moment où l'ordonnance de mise en état de siège a été promulguée, où la création des tribunaux militaires a été ordonnée par le gouvernement, le péril était passé; les rebelles étaient vaincus, leurs troupes étaient dispersées; et ceux qui n'avaient pas été pris les armes à la main étaient renfermés dans les prisons. Aucun danger ne pouvait donc motiver une mesure aussi extraordinaire que celle dont nous venons nous plaindre. (Rumeurs négatives au centre.)

La violation des lois a été une violation inutile. Cette violation ne peut pas même tirer son excuse de la nécessité des temps et de l'empire des circonstances.

Il est donc vrai de dire aux ministres du roi : « Vous avez violé les lois de l'Etat: vous avez violé les droits des citoyens; vous avez foulé aux pieds quatre lois explicites; vous avez renversé deux articles de la Charte constitutionnelle, et cela sans utilité, sans nécessité; vous avez plus fait encore, vous avez, par cette violation imprudente et téméraire, donné le plus déplorable exemple qu'on puisse donner au nom d'un gouvernement, l'exemple de l'oubli des principes qui doivent faire la règle et la limite de son action, et par là vous avez peut-être persuadé aux populations que ce pacte fondamental à l'inviolabilité duquel tout le monde doit croire pour le repos du pays, n'était pas inviolable, puisque vous, ses premiers gardiens, vous avez donné l'exemple de la violation. (Approbation à droite et à gauche.)

Messieurs, un blâme est tout ce que je vous demande dans cette circonstance grave... (Bruit au centre.) Oui, un blâme est tout ce que je vous demande. On pourrait demander davantage (Nouveau bruit dans la même partie de l'Assemblée); car il a été prononcé des mises en accusation peut-être moins motivées. Un blâme est tout ce que je demande, et vous ne pouvez le refuser, à moins de déclarer légale une mesure que la justice souveraine a déclarée illégale et que les ministres eux-mêmes ont renoncé à soutenir. (Rumeurs en sens divers.)

Remarquez, Messieurs, que je n'attaque ici que l'application des tribunaux militaires à des individus non militaires, puisque c'est en cela que je résume principalement la violation de la Charte. Vous avez juré obéissance à cette Charte; Vous ne pouvez y laisser porter atteinte sans laisser ébranler en même temps le Trône dont elle est le plus solide et le plus noble fondement. (Adhésion aux extrémités.)

Dans la réprobation que je propose de la part de la Chambre, je comprends sans aucune exception tous les pays qui ont pu être le théâtre de semblables illégalités. La loi ne fait pas de distinction entre les partis; parce que, aux yeux de la loi, tous les partis disparaissent. Pour tous les citoyens les garanties et les rigueurs doivent être les mêmes, parce que tous les crimes doivent être punis également et avec la mème sévérité. Quel que soit le drapeau; quel que soit le cri invoqué par les ennemis de l'ordre constitutionnel, ils doivent tous être punis par les mêmes lois, avec les mêmes garanties et aussi avec la même sévérité.

Messieurs, des lois égales, des lois puissantes et protectrices, telle doit être la devise de notre nouvel ordre social. Que la liberté, l'honneur, la vie des citoyens ne puissent plus être ainsi mis en question par des actes ministériels, et que les garanties constitutionnelles ne soient plus un abri précaire qui se brisera dans les mains du citoyen à l'instant où il viendra en réclamer l'usage.

Le refus que vous feriez aujourd'hui d'exprimer le blâme que je sollicite de vous équivaudrait, de la part de la Chambre, à une approbation formelle. Or, quel est celui d'entre vous, je le demande, qui ne reculerait pas devant l'idée de proclamer ce principe: A l'avenir, le ministère aura le droit de traduire devant les conseils de guerre ordinaires et extraordinaires, selon son bon plaisir... (Réclamations aux centres.) Oui, selon son bon plaisir, tout citoyen, sans distinction d'âge, de sexe, de condition; sans distinction des faits auxquels la juridiction pourra s'appliquer ?

Eh bien! Messieurs, vous frémissez de cette proposition... (Rires négatifs au centre); c'est la traduction d'une approbation donnée au système que je combats: et l'approbation du système que je combats serait la conséquence du refus que vous feriez aujourd'hui d'improuver un acte que tous les tribunaux du royaume ont improuvé.

Voix à la deuxième section de droite: Et les cours royales!

M. Mérilhou. J'entends un membre de la Chambre dire: Et les cours royales!

M. le Président. Si à chaque phrase de l'orateur, chacun veut dire son avis, c'est le vrai moyen d'introduire le désordre dans l'Assemblée et de faire que les discussions ne soient jamais

épuisées. (C'est vrai! c'est vrai!) Chacun peut faire ses interpellations à la tribune, et chacun pourra répondre à son tour. Du silence pour tous. (Mouvement unanime d'approbation.)

M. Mérilhou. Je rends grâce à celui des membres de la Chambre qui m'a fait l'honneur de m'interrompre; je suis loin de m'en plaindre, parce que je vais tout de suite répondre à l'interpellation.

On a dit: Et les cours royales ! Je sais qu'il y a eu en effet un arrêt de la cour royale de Paris et un arrêt de la cour royale d'Angers, qui a infirmé une ordonnance du tribunal de Laval, lequel avait d'avance adopté le système suivi par la cour de cassation. Je ne crois pas qu'on puisse invoquer d'autres procédures judiciaires; si on en cite, je répondrai.

Messieurs, il me semble qu'on doit s'arrêter à quelque chose dans les controverses judiciaires; il me semble que ce n'est pas en vain que les législateurs de 1790 ont établi un tribunal suprème pour tout le royaume; que ce n'est pas en vain que ce tribunal a été investi par la loi du droit d'étendre sa juridiction et ses réformes sur tous les actes judiciaires, même sur ceux que les parties ne croiraient pas devoir attaquer.

Quel a donc été, je vous prie, le motif de l'institution de la cour de cassation? N'est-ce pas de concentrer dans un tribunal suprême le droit suprême aussi d'interpréter en dernier ressort toute la législation, d'en fixer le sens d'une manière obligatoire?

A droite et à gauche: Très bien! très bien!

M. Mérilhou. De mettre fin aux incertitudes, de dissiper tout ce que les arguties de l'intérêt personnel pourraient élever d'obscurité contre les expressions les plus claires dont se serait servi le législateur? N'est-ce pas pour cela qu'on a établi la cour de cassation?

Ainsi, à l'interrupteur qui s'est adressé à moi, et qui s'est écrié : « Et les cours royales!» Je répondrai que c'est précisément parce qu'il y a eu des arrêts de cours royales, que la cour de cassation est intervenue avec sa haute juridiction pour déclarer nulle la compétence des conseils de guerre, pour fixer désormais par une interprétation, devant laquelle viendront échouer toutes les argumentations, le véritable sens des lois; de déterminer quelles sont celles qui vivent encore, quelles sont celles qui sont frappées par des lois postérieures, et surtout par la loi suprême, la Charte constitutionnelle.

Et lorsque je viens invoquer ici l'autorité de la décision de la cour suprême, ce n'est pas que je la regarde comme obligatoire pour une Chambre législative; mais je crois pouvoir dire que c'est une des plus puissantes raisons qu'on puisse invoquer en faveur d'une opinion donnée, d'une question de jurisprudence qu'une déclaration réitérée 15, 20 fois par la cour suprême, sur les mêmes questions, dans les mêmes termes et dans des données invariables.

Cessez donc de parler de vos arrêts de cours royales; ils disparaissent devant les arrêts de la cour suprême, et désormais il reste établi, jusqu'à ce qu'une décision législative intervienne, que le renvoi des citoyens devant les conseils de guerre ordinaires et extraordinaires a été une violation de la Charte et des lois du pays.

Voilà la proposition à laquelle j'ai cru devoir m'arrêter.

Je sais que nos adversaires ont pour nous réfuter une réponse banale et facile selon eux,

toutes les fois que nous critiquons les actes du pouvoir, nous sommes des républicains et des factieux. (Oh! oh!... Non! non!)

On nous a dit à cette tribune que l'opposition avait mis les armes aux mains des factieux. Cela a été dit, et cela mérite une réponse. (Non! non! C'est inutile!)

Messieurs, cet argument a toujours été opposé aux hommes qui, dans cette enceinte, ont contrôlé avec plus ou moins de sévérité les actes du pouvoir, c'est le reproche que, aux jours de la Restauration, on adressait aux honorables orateurs qui siégent au côté auquel j'appartiens; c'est le reproche qu'ont tour à tour essuyé, sans s'en émouvoir, et Casimir Périer, et Manuel, et Foy, et Girardin, et les autres grands orateurs dont la tribune est veuve aujourd'hui.

Messieurs, calomnier n'est pas répondre, et les ignobles injures ne peuvent retomber que sur ceux qui viendraient à la tribune dégrader cette position élevée par un langage qui n'est pas digne d'elle. (Bravos aux extrémités.)

Sont-ils donc, comme on vient de le dire, les ennemis du Trône de Juillet les hommes qui les premiers ont élevé sur le pavois le roi-citoyen, qui les premiers ont formulé le pacte d'alliance entre la nation et le prince qu'elle appelait à la gouverner? Sont-ils donc les ennemis du Trône de Juillet, ces hommes dont la vie, l'honneur, l'existence entière ne peuvent trouver de garantie que dans l'existence et la force du gouvernement sorti des barricades?

Messieurs, on nous représente sans cesse comme divisés et comme incertains sur nos doctrines politiques. Divisés! nous ne le serons jamais quand il s'agira du maintien de l'ordre constitutionnel, divisés! nous ne le serons jamais quand il faudra marcher dans les voies de l'ordre et de la liberté. Nos vues politiques, un de nos honorables amis les a expliquées à cette tribune avec autant d'élégance que de précision et d'élévation. Vous vous rappelez quel assentiment son langage a reçu de tous ses amis; comme lui, nous mettons toutes nos espérances dans l'avenir de la monarchie constitutionnelle. Ce que nous avons voulu dans les journées de Juillet, nous le voulons encore. Nous avons voulu briser le sceptre d'un roi parjure, complice et serviteur de l'étranger; nous avons voulu fonder les libertés publiques sur la base noble et durable d'un pacte librement consenti entre la nation et le chef qu'elle s'est donné. Nous avons cru qu'une dynastie nouvelle, sortie de la Révolution, offrait des garanties de stabilité pour l'avenir, des garanties d'ordre et de force. Ce que nous croyions alors, nous le croyons encore: c'est dans le maintien du gouvernement de Juillet, dans le perfectionnement de nos institutions que nous mettons notre avenir et que nous plaçons toutes nos espérances. (Nombreuses marques d'assentiment aux extrémités.)

M. de Marmier. Je demande la parole.

M. le comte de Rambuteau (de sa place). Je demande la permission de faire une courte observation. Il me semble que M. le Président a annoncé à la Chambre que les trois amendements seraient successivement développés, afin qu'on pût savoir lequel de ces amendements devait obtenir la priorité.

M. le Président. Avant de voter, il faut entendre ce que chaque orateur a à dire sur la question principale. Les amendements étant ré

tablis au même paragraphe, il paraît naturel d'accorder la parole selon l'ordre d'inscription.

(M. Madier de Montjau est à la tribune, mais il la cède à M. le Président du conseil, qui demande la parole.)

M. le maréchal Soult, président du conseil. (Vif mouvement d'attention, profond silence.) Messieurs, sans rentrer dans la discussion générale qui s'était engagée depuis deux jours, je ne saurais éviter de donner à la Chambre des explications sur quelques points principaux dont l'intérêt domine cette délibération. (Ecoutez! écoutez!)

Vous me dispenserez, Messieurs, d'une profession de principes, d'un exposé de système. Nous ne sommes pas, ici, nouveaux les uns pour les autres; j'ai déjà eu le bonheur d'obtenir, depuis 2 ans, vos suffrages et votre appui; l'espoir de les obtenir encore m'a encouragé à accepter récemment un témoignage honorable de la confiance du roi. Nous n'avons plus à discuter les règles générales de gouvernement et d'administration auxquelles les actes ministériels doivent être soumis. Elles sont écrites dans les délibérations de la session dernière; elles le sont encore dans les suffrages électoraux du pays, qui nous avertit également de persister dans les voies que vous avez tracées et nous y persisterons, en réclamant et en cherchant toujours à justifier votre assentiment (Bien! très bien!)

Je ne me présente donc pas à cette tribune pour y exposer des principes déjà convenus, ni pour offrir l'ensemble des affaires politiques et de la situation intérieure du pays. Le discours du roi, à l'ouverture de cette session, a dit tout ce que je pourrais avoir à vous dire, et la discussion de l'adresse offre, d'ailleurs, à chacun de mes honorables collègues l'occasion d'entrer, en ce qui le concerne, dans les développements plus étendus que la Chambre pourrait désirer sur des points déterminés.

Toutefois, la Chambre ne trouvera point déplacés, sans doute, quelques mots sur un point de politique extérieure qui touche à l'action même de mon département. Je m'arrêterai ensuite à une question d'administration intérieure, l'état de siège de l'Ouest et de Paris, question sur laquelle l'attention se fixe plus particulièrement, et qui, en tout état de cause, aurait réclamé de ma part quelques explications. (Ecoutez! écoutez!)

Rien n'est changé, Messsieurs, dans les relations extérieures de la France. Il restait à consolider la paix par l'exécution des traités, et à rendre la bonne harmonie des grandes puissances manifeste à tous les intérêts. Il fallait donc faire disparaître le dernier prétexte de complications qui existât en Europe, et prouver ainsi la fidélité de tous les cabinets à des engagements qu'ils ont pris en commun.

L'union de la France et de l'Angleterre devait résoudre ce problème. Il sera résolu par leurs escadres combinées, et par une armée française qui a reçu pour mission spéciale d'assurer l'indépendance territoriale du royaume de Belgique.

Le concours de ces deux puissances suffira bien, on le conçoit, pour atteindre ce but déterminé. Si, d'un autre côté, des précautions ont été commandées à un Etat limitrophe par une prudence toute naturelle, en présence de mouvements militaires, il n'y a rien là dont la politique la plus ombrageuse puisse s'alarmer. Ce sont des mesu

res que la sagesse la plus ordinaire conseille à tous les peuples en pareil cas, et nous y avons opposé, pour notre part, des mesures du même genre, qui établissent dans ces moyens d'observation l'équilibre le plus parfait et le plus rassurant. Qu'on y voie donc plutôt de nouvelles garanties de paix que des menaces éventuelles de guerre.

J'ai dû, comme ministre de la guerre, vous rassurer, Messieurs, sur les préparatifs faits, de part et d'autre, pour prévenir des collisions, et non pour les amener. M. le ministre des affaires étrangères vous donnera sur ce point, comme sur d'autres questions extérieures, des explications politiques. C'était à moi de satisfaire aux exigences militaires. La France est en mesure de faire face à tous les événements, personne n'en doute, et c'est là un gage solide de paix pour tous et d'influence pour elle. (Très bien!)

J'ajouterai, pour ce qui concerne les opérations militaires qui commencent devant la citadelle d'Anvers, qu'elles vont être poussées avec la plus grande activité, et que dans peu de jours il sera permis d'en marquer le terme d'une manière précise. Le succès ne se fera pas attendre.

L'armée prouvera, par sa discipline comme par sa bravoure dans l'expédition qui lui est confiée, autant de patriotisme et de dévouement qu'elle en a déployé pour la défense des lois; et n'en doutez pas, Messieurs, après sa mission remplie, elle rapportera, avec de nouveaux gages de paix, la reconnaissance de nos alliés et l'estime des autres nations témoins de sa modération comme de son courage.

Le compte détaillé de la situation matérielle dont la distribution vous est faite annuellement vous indiquera les améliorations, toujours progressives, qui ont été introduites en 1832 dans toutes les armes. La législation militaire continuera également de se perfectionner par les projets que je me propose de soumettre à votre examen. Enfin vous verrez, par des documents officiels, quels développements a reçus la grande institution de la garde nationale. Ces éléments, mis en harmonie avec l'armée de ligne, sont de sûres garanties pour nos institutions et pour notre dignité. (Bien! très bien !)

Je ne priverai pas mon honorable collègue de la marine du plaisir de rendre hommage luimême, devant vous, aux progrès chaque jour plus remarquables de la marine française, qui trouve aujourd'hui une occasion nouvelle de déployer, à côté de la marine anglaise, une émulation généreuse, déjà si féconde en heureux résultats. Les sympathies des deux nations se fortifient par ces rapprochements, comme la politique des deux cabinets se resserre par cette communauté d'efforts qui doit donner confiance aux amis de la vraie liberté et de la civilisation.

Je ne me suis proposé, Messieurs, dans ces courtes observations, que d'indiquer rapidement ce point de politique générale. Assez d'occasions se présenteront pour y donner plus de développement. Aujourd'hui, c'est sur les événements qui ont troublé la tranquillité intérieure du pays, et sur les mesures prises par le gouvernement pour faire cesser ces désordres, et pour en prévenir le retour, que la Chambre attend surtout quelques détails."

L'action de la force publique y a été trop mêlée, et moi-même, j'ai pris une part trop directe aux mesures qui ont vaincu, dans l'Ouest et à Paris, deux factions désespérées, pour ne pas éprouver le besoin d'expliquer des actes dont

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