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drais pas de me présenter devant les citoyens de mon pays, quels qu'ils soient, avec mes œuvres, en leur représentant que j'ai défendu des principes, que j'ai défendu la légalité et les conditions de notre gouvernement de Juillet dans mes actes, en dehors de la Chambre comme à la Chambre, dans le compte rendu comme à la tribune. J'ai fait un acte dont la légalité ne peut être contestée.

Voix aux centres: Si! si!

M. le Président. J'ai maintenu la parole à M. le garde des sceaux. Je réclame la même attention pour l'orateur qui lui répond. Toutes ces interruptions deviennent intolérables; vous n'êtes pas appelés à donner votre opinion autrement qu'en votant; veuillez écouter.

M. Odilon Barrot. Lorsqu'on peut se rappeler que le compte rendu a été publié dans des circonstances où il importait que l'opposition manifestât hautement quels étaient ses principes, où il importait qu'elle donnât hautement son adhésion au gouvernement existant, et que les journaux même ministériels n'avaient alors d'autre objection à faire contre ce compte rendu que de le traiter d'insignifiant, que de le représenter comme une paraphrase de vos votes et de vos désirs, il est fort etrange qu'ils en fassent aujourd'hui un brandon de discorde. Il y a peutêtre plus d'habileté que de loyauté dans une pareille tactique. (Vives réclamations aux centres.) On espère par là diviser la Chambre en deux partis: les uns signataires du compte rendu; les autres qui ne le sont pas. (Mouvement.)

Je déclare que si M. le ministre de la justice croit que parmi les signataires du compte rendu il n'y a que des hommes ennemis du gouvernement, je dirai, moi, qu'en dehors du compte rendu il y a des patriotes. (Marques d'adhé– sion.)

C'est assez de ces diversions qui feraient prendre le change sur les veritables questions. Abordons-les donc, il n'y a qu'un fait important à saisir. Indépendamment de la question de legalite, de la question de constitutionualité, de la question de savoir si en trois mots on peut détruire une Charte, s'il y a une Charte, si c'est une Charte facultative; il y a la question de savoir, specialement à Paris, dans quelle circonstance, à quel moment precis, les citoyens ont été enlevés à leurs juges naturels; si c'est pour briser une resistance flagrante, si c'est une arme de guerre enfin qui a ete employee, ou si c'est un acte de vengeance; si ç'a été un moyen de satisfaire plus promptement ce que l'on appelait alors le cours de la justice, ou bien si ç'a ete un moyen de briser une resistance par une terreur imprimee.

Eh bien, Messieurs, je subordonne tout à ce point de fait. Le 5 juin, désordre complet dans la capitale, je le reconnais; desordre deplorable, irritation d'une part, projets sinistres de l'autre. Le 6 juin, on se reconnait; les seditieux ou les hommes qui persistent dans leur résistance, sont concentres; ils se barricadent dans un quartier de Paris; tout le reste est en la possession de l'autorité militaire et administrative, dont l'action est parfaitement libre. Pour vaincre ce dernier point de resistance, on fait approcher le canon, et bientot les insurges sont réduits.

Eh bien, Messieurs, ce qui n'avait paru nécessaire ni le 5 juin au soir, ni le 6 juin au matin, a été regardé comme indispensable le 6 juin au

soir; c'est lorsque la rébellion avait disparu, lorsqu'il n'y avait plus que des accusés en prison, et comme moyen de jugement plus expeditif, que la mesure de l'état de siège a été prise. Ah! Messieurs, prendre une semblable mesure, lorsqu'il n'y a plus même de combats, la prendre comme moyen de juger des accusés, comme moyen de les faire expédier militairement, c'est là qu'est surtout cet attentat inexcusable aux garanties du pays; et quand je déclare que la mise en état de siège a été prise lorsqu'il n'y avait plus un rebelle debout et libre (Mouvement.), lorsqu'il n'y avait plus que des accusés en prison, je déclare, on le sait bien, un fait qui repose sur un auguste témoignage qu'on ne démentira pas.

La mesure de l'état de siège avait été proposée le matin du 6 juin; elle avait été repoussée avec énergie dans le conseil même des ministres, parce qu'il fallait, avant tout, maintenir le respect de la justice, parce que les lois ordinaires suffisaient, parce que le jury ne manquerait pas au pays.

Comment s'est-il fait que cette opinion si sage, que ce sentiment si constitutionnel, que ce respect si heureux pour la Constitution du pays, alors qu'on venait de la faire triompher, a cédé à d'autres mesures? Comment s'est-il fait que ce bon génie, pour me servir de l'expression d'un des collègues des ministres, qui semblait alors inspirer le gouvernement du roi, a disparu pour faire place au génie qui soufflait des mesures de violence et de réaction? Eh bien, cela s'est fait, parce qu'il s'est trouvé des hommes, en dehors du ministère, qui sont venus pousser des cris de violence, qui ont dit: Il faut en finir, il faut profiter de cette occasion pour frapper la population de terreur. (Interruptions.) Il faut suppleer aux lois ordinaires par le sentiment de la

terreur.

Oui, Messieurs, on a voulu dans ce moment-là, à bonne ou à mauvaise intention, je n'examine pas les intentions qui peuvent sauver dans l'autre monde, mais qui ne sauvent pas dans ce monde-ci; on a voulu, à bonne ou à mauvaise intention, imprimer à la population un sentiment de terreur. La pensée qui a dominé cette mesure, c'est non pas la nécessité de briser une resistance flagrante, mais d'établir un régime exceptionnel, et au moyen de ce régime exceptionnel de frapper de terreur ceux que la terreur pouvait atteindre. Voilà, Messieurs, quelle a ete la pensée de cette mesure, elle dérive du moment même où elle a été prise, c'est-à-dire, du moment où il n'y avait plus de combats, où il n'y avait plus d'ennemis debout. Si on prétend que la mesure a été prise, lorsque le canon tirait, lorsque la resistance était encore flagrante, j'admettrai des excuses, des motifs d'attenuation. Mais si la mesure n'a été prise que pour faire juger des accusés qui étaient en prison par des conseils de guerre, au lieu de les faire juger par un jury, je le déclare, abstrac tion même de toute question de légalité, il y a là un attentat à la Charte et un attentat qui demande une haute reparation.

J'ai été aussi mis en jeu par un des orateurs qui m'a precédé, et non seulement moi, mais encore plusieurs de mes honorables amis. Plusieurs députés se sont rendus auprès de Sa Majesté au moment où l'insurrection a éclaté dans la ville de Paris. Assurement je m'abstienarai d'atténuer le moins du monde le merite de ce témoignage de dévouement à notre souverain. Moi

même je me suis rendu près de lui, trop tard, dites-vous. Non! il n'était pas trop tard, car il n'y avait alors qu'un danger, danger sérieux, danger beaucoup plus grand que celui même que l'insurrection pouvait faire courir: c'était le danger des mesures de réaction violente, c'était le danger d'être poussé hors des voies de la Constitution.

Ce n'est jamais dans les temps de calme que les Constitutions sont violées. Jamais un gouvernement ne se donne le plaisir de violer à froid les garanties constitutionnelles; c'est toujours à l'occasion de quelque attaque violente, de quelque agression, de quelque insurrection, que les hommes qui veulent pousser un gouvernement à des mesures de réaction et de violence l'entourent et l'entraînent. Nous avions pressenti le danger, nous croyions à ce danger, il était réel, il n'a été que trop réel; c'était pour le prévenir, c'était pour que le gouvernement conservât sa force morale que nous nous sommes présentés. Malheureux de n'avoir pas réussi dans notre projet, nous avions emporté l'espérance que les lois seraient respectées; mais puisque la Chambre est assemblée, il faut espérer que ceux qui n'ont pas été retenus par la voix de la raison le seront à l'avenir par la réparation éclatante que vous accorderez. (Aux voix ! aux voix!)

M. l'amiral de Rigny, ministre de la marine. Je demande à la Chambre la permission de dire quelques mots de ma place. Je n'ai pas parfaitement compris l'alusion qu'a voulu faire l'honorable orateur; mais voici ce que je dois déclarer à la Chambre: c'est qu'il n'est pas vrai que ce soit le 6 au soir que l'état de siège a été décidé, il l'a été le matin, unanimement et en conseil. (Aux voix! aux voix !) Permettez-moi d'ajouter... (Aux voix! Laissez parler!)

M. Odilon Barrot. Un démenti m'a été donné par M. le ministre. Je déclare que je l'accepte, et que je ne pousse pas plus loin les explications.

M. le Président. La Chambre veut-elle fermer la discussion? (Oui! oui!)

M. Arago (de sa place.) Je déclare positivement à la Chambre... (A la tribune! Aux voix!)

M. le Président. La clôture est prononcée ; au surplus si on doute que la Chambre ait l'intention de fermer la discussion, je vais mettre la clôture aux voix.

(La Chambre, consultée, se lève en masse pour la clôture.)

M. le Président. La discussion est évidemment fermée. (On rit.) Je vais mettre l'amendement de M. Mérilhou aux voix.

Voix à droite: L'appel nominal!

De toutes parts: Non! non!

(L'amendement est mis aux voix et rejeté.) (Demain, à une heure très précise, séance publique pour la continuation de la discussion.) (Il est six heures, la séance est levée.)

Ordre du jour du 1er décembre.

A une heure précise, séance publique. Suite de la discussion du projet d'adresse au roi.

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La séance est ouverte à une heure.
Le procès-verbal est lu et adopté.

L'ordre du jour est la suite de la discussion du projet d'adresse au roi.

M. le Président. M. de Mosbourg vient de déposer un amendement sur le paragraphe 9; demande-t-il la parole?

M. de Mosbourg. Messieurs, je viens vous soumettre un amendement qui diffère de celui que vous avez rejeté hier, en ce point que la Chambre tout en ne jetant aucun blâme sur le ministère qui a signé l'ordonnance de la mise en état de siège de Paris, exprimerait sa désapprobation de cet acte. Voici la rédaction que je propose de substituer à celle du paragraphe 9:

"

A des attaques violentes et simultanées contre l'ordre établi, votre gouvernement, Sire, a cru sans doute n'opposer qu'une énergie répressive autorisée par les lois encore existantes; mais des tribunaux extraordinaires ne peuvent, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce soit, ravir aux citoyens les garanties judiciaires que la Charte leur assure. »

Voix diverses: Cela a été jugé hier!... Aux voix l'amendement !

M. de Corcelles. Oui, la Charte a été jugée... elle n'existe pius! (Rires et murmures.)

M. de Mo-bourg. Pour moi, je suis persuadé que la Charte existera toujours dans la volonté et dans les sentiments de chacun des membres de la Chambre, et c'est précisément par respect pour la Charte que j'ai l'honneur de lui soumettre mon amendement.

«Votre Majesté en a consacré l'empire, par un acte éclatant, aussitôt que l'erreur du ministère a été solennellement signalée, et veut qu'elles ne puissent jamais recevoir aucune atteinte nouvelle. Les conflits qui ont eu lieu font sentir la nécessité d'une législation précise qui concilie le respect pour tous les droits avec le maintien de la paix publique et la sûreté de l'Etat. »

Aux centres: Aux voix ! aux voix !

M. de Mosbourg. Permettez-moi, Messieurs, de vous présenter les motifs de mon amende

ment.

M. de Mosbourg. Je ne viens pas vous faire entendre des paroles de discorde et d'irritation. J'adhère et je m'associe sans réserve au vœu du projet d'adresse, qui appelle et promet, au nom de cette Chambre, le concours de toutes les volontés, de tous les sentiments, de tous les efforts pour maintenir le système de liberté fondé par la Charte de 1830, pour défendre avec la même énergie les droits de la nation et les privilèges du Trône, pour environner de force et de dévouement la dynastie nouvelle que nous avons appelée à nous gouverner, qui seule pouvait porter le sceptre, et qui ne pourra jamais voir sa grandeur que dans la puissance, la gloire et la prospérité de la France. Rempli de ces sentiments, je me suis trouvé saisi de la plus profonde affliction lorsque, après des paroles de paix et de rapprochement, j'ai entendu, d'un côté, les défenseurs d'un ministère s'attacher à flétrir l'opposition par des accusations pleines d'injustice au sujet des troubles de juin, et l'opposition, cruellement blessée, vouloir, de son côté, flétrir les ministres pour les moyens de répression dont ils crurent devoir faire usage à cette sinistre époque.

On ne se rapproche point en France, on ne se réconcilie pas en se jetant ainsi des imputations flétrissantes. Aussi, Messieurs, quoique je vous soumette un amendement destiné à constater, s'il est accueilli, que la Chambre ne donne pas son assentiment à un acte émané du ministère, je suis loin d'accuser les ministres, et je déclare formellement que je ne les accuse pas.

J'ai partagé avec la France entière, et tous sans doute, tant que nous sommes dans cette enceinte, nous avons partagé l'horreur que devaient inspirer les attentats commis en juin, au milieu de Paris, contre le roi, contre la Charte, contre le repos de la France et même contre la paix de l'Europe, qui pouvait être embrasée tout entière, si les feux de la guerre civile s'étaient allumés sur notre territoire.

Attaqué avec violence, le gouvernement était dans le devoir de se défendre et de vaincre. Il s'est défendu; il a vaincu. Mais je ne crains pas de le déclarer, je ne pense pas qu'il ait su, comme le dit plus loin le projet d'adresse, profiter de la victoire.

Quel est, en effet, Messieurs, le plus grand avantage que le gouvernement pouvait retirer de cette victoire nécessaire, mais malheureuse, puisqu'elle avait coûté des ruisseaux de sang français, puisqu'elle avait été achetée par le sang des innocents, comme par le sang des coupables, que les boulets et la mitraille n'avaient pu ni séparer, ni choisir, au milieu des rues de Paris?

Cet avantage pouvait être et devait être, à mon avis, d'appeler sur le nom du roi les bénédictions de la France entière, d'exciter sur toute la surface de la France, par des dispositions de clémence et de générosité, la reconnaissance, l'admiration, l'enthousiasme, sentiments qui pénètrent si facilement les cœurs français, sentiments qui, toujours, eurent plus d'empire dans notre noble patrie que les menaces et la terreur.

Quels cris unanimes d'assentiment et de satisfaction se seraient élevés d'un bout du royaume à l'autre, si le gouvernement, après avoir dompté la sédition, le 5 et 6 juin, eùt dit à la capitale, à la France, à l'Europe: « Un soulèvement cri

minel a été comprimé; l'autorité gémit d'avoir été forcée de le combattre et d'en triompher par les armes au sein d'une population qui le réprouvait, et au milieu de laquelle l'innocence même a pu être frappée; mais, puisqu'il y a eu combat, il n'y aura rien qui ressemble à la vengeance; il n'y a déjà que trop péri de victimes.

La clémence royale veut couvrir les fautes ou les malheurs de ceux qui peuvent avoir été entraînés dans un moment de conflagration, et le roi considérera comme entraînés par des erreurs fatales tous ceux qui ne seront pas convaincus d'avoir prémédité, d'avoir préparé les sanglantes journées de juin; ceux-là seuls seront donc punis, qui seront coupables d'avoir conspiré ces horribles journées pour tous les autres, présomption d'entraînement, présomption d'erreur, présomption de malheur, présomption enfin d'innocence; et, s'il le faut, grâce, grâce entière en vertu du droit attribué au roi par la Charte! »

:

Croyez-vous, Messieurs, qu'un tel langage n'aurait pas excité toutes les sympathies du pays? Croyez-vous qu'il n'aurait pas invinciblement et pour toujours terrassé les factions en inspirant partout l'horreur la plus profonde contre les ennemis d'un gouvernement si magnanime? Croyezvous que par un tel langage le ministère n'aurait pas donné une idée plus imposante de la force du gouvernement, qu'en montrant, dans la capitale de l'Empire, la Charte suspendue, les lois judiciaires couvertes d'un voile funèbre, tous les tribunaux dépouillés de leurs pouvoirs, et la justice militaire exerçant seule, au milieu de ces grandes ruines de l'ordre social, sa domination sanglante?

Le ministère a cru devoir suivre une autre marche après avoir foudroyé ses ennemis sur le plus triste et le plus déplorable des champs de bataille, il voulut les épouvanter encore par la terreur des supplices, en les livrant à des conseils de guerre.

Je dis par la terreur des supplices et non pas par des supplices; car j'en suis convaincu, même au moment où il établiss it la juridiction des conseils de guerre, le ministère n'avait pas l'intention de faire exécuter une seule sentence capitale rendue par les conseils de guerre. Non, jamais il n'aurait fait tomber une seule tête au milieu de Paris en vertu d'une condamnation dont, au fond de sa conscience, il ne pouvait pas se dissimuler l'illégalité.

Telle fut toujours ma conviction; et cette conviction devint une certitude, lorsque M. le garde des sceaux, à cette tribune, déclara hier que les ministres avaient toujours été résolus de laisser juger par la cour de cassation elle-même une question douteuse, celle de la compétence des tribunaux militaires.

Je suis bien loin d'accuser le ministère : et pourquoi l'accuserai-je plus que nous accusons la cour royale de Paris, la cour royale d'Angers, les députés, les journalistes, et tant d'autres qui avaient sollicité l'état de siège pour la Vendée ?

Mais, en rendant hommage à ses intentions, je crois, après l'examen le plus approfondi et le plus consciencieux, qu'il tomba dans une double erreur; erreur politique, car l'indignation qui remplissait tous les coeurs en France contre les auteurs des journées de juin fit place aux plus pénibles sentiments d'inquiétude et d'effroi lorsqu'on vit que la France tout entière, par une simple déclaration de l'autorité, pouvait être dépouillée de toutes les garanties judiciaires qui avaient été si solennellement stipulées dans

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notre pacte fondamental; on craignit de la justice expéditive des conseils de guerre des erreurs que ces garanties ont pour objet de prévenir, et l'horreur dont on poursuivait de coupables provocateurs devint de la sollicitude et de l'intérêt pour des accusés sans défense suffisante, qui pouvaient n'être que des victimes.

Erreur légale; car la Charte n'admet en aucun cas des tribunaux extraordinaires, et s'est exprimée en termes si positifs qu'elle ne laisse aucun prétexte pour en établir. La cour suprême a d'ailleurs souverainement prononcé; le ministère s'est incliné noblement devant cet arrêt, et s'est empressé non seulement de l'exécuter dans son objet spécial, mais encore d'en consacrer les principes, en levant l'état de siège de Paris, en faisant cesser partout la juridiction exorbitante des conseils de guerre.

Pourquoi le ministère ne reconnaît-il pas devant la Chambre qu'il a pu se tromper, comme il l'a reconnu devant la cour de cassation? Un tel aveu, j'ose le dire, le placerait bien plus haut dans l'opinion du pays qu'une obstination malheureuse à soutenir des principes que repoussent à la fois les lumières du siècle, la conscience publique et les dispositions formelles de la Charte.

M. le garde des sceaux a produit hier une impression profonde sur cette Chambre en rappefant les malheurs et les dangers des journées de juin, en présentant le tableau des familles éplorées qui demandaient leurs chefs, tombés sous les coups de l'insurrection ou qui suivaient leur convoi funèbre. Qui de nous n'a pas gémi sur ces glorieuses victimes tombées en combattant pour l'ordre social? Mais il ne faut pas les évoquer pour renverser dans ses fondements l'édifice de notre ordre social. Elles ont péri pour défendre la monarchie constituée par la Charte; elles auraient péri avec le même dévouement pour défendre les droits des citoyens, qui sont aussi solennellement garantis par la Charte.

La seule question que nous ayons à examiner ici, c'est de savoir si on a pu ou non, et si on pourrait à l'avenir, faire juger des citoyens par des tribunaux extraordinaires, et renvoyer devant des conseils de guerre des citoyens non militaires et non assimilés aux militaires.

Si le ministère et ses amis croient qu'une telle juridiction soit légale, ils doivent repousser mon amendement; s'ils sont persuadés que cette juridiction est proscrite par la Charte, ils doivent accueillir mon amendement.

Ah! s'ils avaient la générosité de déclarer ainsi qu'ils ont pu se tromper, nous reconnaîtrions avec franchise, à notre tour, ce qu'il peut y avoir de dévouement et de courage dans leur détermination, au milieu d'une capitale agitée, lorsqu'ils avaient à répondre et du roi, et de la famille royale, et de l'ordre public, et de la guerre civile peut-être, et peut-être aussi d'une guerre générale en Europe.

Ainsi s'opérerait, avec une loyauté réciproque, ce rapprochement si souhaité qui nous unirait tous dans des efforts communs pour la grandeur et la prospérité du pays.

Je conjure les ministres de considérer qu'il est plus beau, surtout aux yeux de la France, toujours si sincère et si généreuse, de reconnaître une erreur que de se croire au-dessus de l'erreur; ce qui est au-dessus de l'humanité.

Je les conjure de ne pas laisser croire qu'ils admettent encore la possibilité de traduire jamais de simples citoyens devant des conseils de

T. LXXVIII.

guerre. Je vois assis parmi nos ministres l'auteur d'un ouvrage célèbre où j'ai trouvé ces mots : « Une commission militaire à laquelle un gouvernement renvoie des accusés importants ne sait jamais les renvoyer absous. » Croirait-il, après cette déclaration terrible, pouvoir proposer ou conseiller à ses collègues d'instituer des tribunaux militaires pour juger des accusés importants? Ne serait-ce pas, suivant sa pensée, les envoyer sous un instrument de mort?

Pour nous, Messieurs, la Charte a été manifestement violée; il est du devoir de la Chambre entière et de chaque député de protester en faveur de la Charte. Si nous négligions d'accomplir ce devoir, si nous abandonnions, dans cette circonstance, les droits et les intérêts les plus sacrés de nos concitoyens, leur liberté, leur honneur, leur vie, nous n'aurions pas accompli le mandat dont leur confiance nous a honorés; un voile lugubre couvrirait à leurs yeux cette enceinte; un souvenir douloureux s'attacherait à la session qui commence, et nous n'aurions pas rempli le vœu généreux exprimé par notre honorable et digne président quand il a pris place au fauteuil; nous ne pourrions jamais nous féliciter avec orgueil d'avoir fait partie de la session de 1832.

M. Petou. On demande une nouvelle lecture de l'amendement.

M. le Président. Je le lirai avant de le mettre aux voix.

M. Ganneron a la parole.

M. Ganneron. Pour mon compte, satisfait de la rédaction de l'adresse telle qu'elle a été arrêtée par la commission, je n'avais pas l'intention de prendre la parole dans cette discussion. Je comprends d'ailleurs tellement le besoin de nous occuper des intérêts certains, réels et matériels du pays, que c'est toujours avec un sentiment de regret que je viens retarder ce moment.

Mais la question de l'état de siège est tellement liée à ces intérêts, que sa solution, je ne crains pas de le dire, emporterait peut-être les destinées du pays. Je demande donc la permission de vous présenter quelques observations à cet égard; je ne serai pas long.

L'amendement de M. de Mosbourg, comme celui présenté hier, offre trois questions celle de l'état de siège, celle d'opportunité, et la question judiciaire. Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit hier sur la question d'état de siège. Il me semblait à moi que, sur la question d'intention, tout le mondé était d'accord ou devait l'être. L'arrêt de la cour de cassation, qu'on a invoqué itérativement, en a constaté la validité. Ainsi, je ne croyais pas que la mesure de l'état de siège put être attaquée.

J'ai très bien conçu que, dans la précédente session, quelques membres de la Chambre aient douté de la réalité et de la force des partis qui affligent votre pays. Mais, depuis les événements de juin, je ne pensais pas qu'on eût pu les traiter avec tant de dédain.

Je ne retracerai pas le tableau qu'a présenté hier M. le garde des sceaux; j'en ai été témoin, j'ai vu l'état affligeant dans lequel la capitalé s'est trouvée; nos citoyens, nos frères d'armes assassinés sur le seuil de leurs portes; nos boutiques enfoncées, nos magasins pillés, saccagés. Il suffirait, à mes yeux, pour justifier la mesure de l'état de siège, de la considérer par ses résultats, par les 80,000 fusils et des obus saisis dans des maisons; ce qui prouvait la préméditation

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du complot, et le concours des circonstances qui tendaient à détruire le gouvernement.

Reste donc la question judiciaire. C'est sur ce point que j'appelle toute votre attention.

La question des partis a tendu à substituer à la question judiciaire la question de gouvernement et à faire résoudre celle-ci par l'autorité judiciaire.

Ainsi, quand on a cherché à vous présenter des citoyens enlevés aux tribunaux ordinaires comme des victimes, afin de vous apitoyer sur leur sort, bien qu'aucun d'eux n'ait été réellement distrait de ses juges naturels, on a substitué la question de gouvernement, qui était compliquée, à la question judiciaire, qui était toute simple. On a, il est vrai, renvoyé des citoyens devant des tribunaux militaires; mais en même temps les tribunaux civils existaient, et les accusés qui se sont pourvus devant les tribunaux civils ont obtenu justice. Ainsi vous voyez que la question judiciaire ne tendait qu'à apitoyer la France sur le sort des factieux: mais la France a besoin de repos, elle veut la Charte et la paix, et le meilleur moyen d'assurer la paix publiqué et le maintien de la Charte, c'est de nous donner cette espèce de satisfaction. (Très bien ! très bien!)

M. de Ludre. Après les orateurs que vous avez entendus, je n'abuserai pas de vos moments; je me bornerai à examiner un point de la question qui ne me paraît pas avoir été traité. Je ne rentrerai pas dans la question de droit, qui a été discutée par des personnes infiniment plus versées que moi dans l'étude de notre législation. J'examinerai seulement dans quelle position ce que je regarde comme une violation de la Charte a placé le ministère, ou du moins ceux de MM. les ministres qui y ont pris une part directe et matérielle, car je ne crois pas que tous se trouvent dans ce cas.

MM. les ministres pouvaient peut-être, comme on vous l'a dit hier, s'appuyer sur la raison du salut public, s'emparer de cet axiome qui dit : Le salut public est la loi suprême. Ils pouvaient dire: Nous avons assuré le repos de la France, ce repos dont elle a un si grand besoin, comme le disait tout à l'heure M. Ganneron; nous n'avons pas pu sauver le pays autrement. Si telle avait été l'intention des ministres, je crois que leur devoir était tracé : c'était à l'instant même de convoquer les Chambres, de venir leur apporter franchement les preuves de leur justification. Je dirai plus, c'était de venir franchement apporter ici leur responsabilité et leur tête. (Rires ironiques.) Dans ce cas, une grande alternative s'ouvrait devant vous: si le pays n'avait pu être sauvé que par les mesures que MM. les ministres ont prises, s'ils avaient exposé leur existence, leur responsabilité, leur réputation même pour sauver le pays, vous leur devriez non pas un bill d'indemnité, mais une haute, une éclatante récompense; mais si au contraire la Constitution a été violée, si les lois ont été méconnues, vous leur devez aussi la plus sévère répression.

Je ne rentrerai pas non plus dans la question de nécessité. Je crois qu'il vous a été prouvé suffisamment que la tranquillité pouvait être maintenue sans cette mesure, et qu'en la prenant, la tranquillité a été plus compromise que peut-être jamais elle ne l'a été. (Mouvement.) Je ne pense pas que MM. les ministres puissent en disconvenir. Tous les ministres, même ceux de l'ancien cabinet, ne me semblent pas avoir assumé sur

leur tête une responsabilité matérielle; peut-être auraient-ils dù, au lieu de prendre une semblable mesure, se retirer; mais il ne peut y avoir dans aucun cas qu'une responsabilité morale à apprécier. C'est à l'opinion publique, c'est au tribunal de l'histoire qu'il appartient de porter ce jugement. Mais malheureusement, je le dis avec un profond regret (et ici ce n'est pas une vaine précaution oratoire, car le rôle d'accusateur ne convient pas à mon caractère), je voudrais que l'union que M. le ministre de l'intérieur nous recommandait, régnât entre tous les Français; mais il faut faire son devoir, et je crois que le mien est de signaler deux des ministres comme ayant assumé sur eux une responsabilité matérielle. Ces deux ministres sont ceux de la guerre et de la justice.

Voix à droite: Et le ministre de l'intérieur!

M. de Ludre. Le ministre de l'intérieur a contresigné l'ordonnance de l'état de siège : mais je ne veux pas, je l'ai annoncé, discuter cette mesure sous le rapport légal. Le ministre de la guerre a envoyé des instructions pour l'exécution des mesures de l'état de siège dans l'Ouest: M. le garde des sceaux a, de son côté, donné des instructions aux procureurs généraux, car, sans cela, les pièces de la procédure n'auraient pu être transmises aux capitaines rapporteurs.

Dans le cas où la Chambre admettrait ce système... (Dénégation au centre.) Messieurs, je parle de mon opinion, et je demande pour mon opinion l'indulgence que je suis prêt à accorder aux opinions des autres.

Pour apprécier cette responsabilité, je ne m'en rapporte pas à mes propres lumières, je laisse parler la plus haute cour du royaume, la Chambre des pairs Considérant que Jules de Polignac, etc., etc., ont contresigné les ordonnances du 25 juillet, dont ils connaissaient eux-mêmes l'illégalité; qu'ils se sont efforcés d'en procurer l'exécution, et qu'ils ont conseillé au roi de déclarer la ville de Paris en état de siège, etc.; considérant que cet acte constitue le crime de trahison prévu par l'article 56 de la Charte de 1814, déclare, etc. »

Messieurs, on pourra dire en faveur du gouvernement qu'il a reculé devant la cour de cassation, et il a bien fait, parce que c'était reculer devant la justice; mais je suppose que la cour de cassation se fut laissée influencer, eût cédé elle en était incapable, et elle l'a prouvé), ne retombions-nous pas dans le cas des ministres de Charles X, qui aussi ont reculé devant la justice du peuple, qui ont consenti à ce que la Charte reprit son empire? (Aux voix! aux voix!)

Souvenez-vous, Messieurs, de ce que disait à cette occasion un orateur dont cette tribune sera longtemps veuve, Benjamin Constant : « Sera-t-il permis, disait-il, à un roi de violer toutes les lois, puis de venir dire: Il n'y a rien de fait. »

Ce n'est pas une injure que je veux adresser aux ministres. Mais comme juré, sur mon honneur et ma conscience, je dis: Oui, les deux ministres que je viens de signaler sont en état de trahison envers le pays pour avoir violé ses lois et ses institutions, et surtout envers la Couronne, pour l'avoir exposée aux plus grands dangers qu'elle ait jamais courus.

J'ouvre la Charte de 1830, et je trouve (art. 66): «La présente Charte demeure confiée au patriotisme et au courage des citoyens et de la garde nationale. » Eh bien! si ces citoyens et la garde nationale s'étaient levés pour renverser de leurs

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