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acte que nous avons voulu lâchement rejeter sur, vous. (Marques d'approbation.)

A d'autres titres et à plus forte raison encore, si un acte sort du droit commun, de la forme ordinaire des lois, il faut se présenter devant vous et vous dire que cette infraction nous l'avons commise dans l'intérêt et pour le salut du pays. Notre intention était de nous présenter devant vous pour connaitre votre opinion à cet égard, nous ne prévoyions pas alors que les circonstances nous fourniraient un moyen tout naturel de nous expliquer. Puisque les passions amènent la question dans cette Chambre, nous l'acceptons, et nous venons vous dire les motifs, les raisons qui ont déterminé notre conduite.

Nous sommes, ai-je dit, en présence de deux opinions. L'une, celle des partisans de la prisonnière, nous dit que notre gouvernement, né d'une Révolution qui 'se continue encore, n'est, comme on a voulu l'insinuer tout à l'heure, qu'un gouvernement de fait, qu'il n'a pu faire cesser les droits du duc de Bordeaux, et qu'il ne pourrait pas faire juger Mme la duchesse de Berry. L'autre opinion est plus digne d'entrer en explication avec le gouvernement de Juillet : ses partisans ont conçu des scrupules; ils nous disent qu'il faut faire triompher sur la tête de Mme la duchesse de Berry le principe de l'égalité devant la loi et la renvoyer devant les tribu

naux.

Il semble qu'un ministre qui a prêté serment au roi des Français devant une Chambre composée d'hommes qui lui ont également prêté serment, ne devrait pas répondre à la première de ces opinions. Cependant, puisqu'elle existe dans le pays, en très faible minorité heureusement, qu'elle s'est exprimée dans des pétitions, et qu'elle s'exprime tous les jours dans des écrits incendiaires, le gouvernement doit lui adresser quelques mots, et vous me le pardonnerez, car aucune attaque contre le gouvernement, en dehors ou en dedans, directe ou indirecte, ne doit rester sans réponse.

Quant au droit du gouvernement dans cette circonstance, il est inattaquable. Ne serait-il qu'un gouvernement de fait, qu'il aurait le droit, comme tout être collectif ou individuel, de se défendre et d'arrêter les ennemis qui viennent porter la guerre chez lui. Mais heureusement je n'en suis pas là de mes convictions; je n'en suis pas à regarder le gouvernement de Juillet comme un gouvernement de fait; il est pour moi un gouvernement de droit; son droit est de l'origine la plus pure et la plus sacrée qui fut jamais, il est au-dessus de cette légitimité tant vantée, il est dans une Révolution qui a exprimé d'une manière si terrible, si éclatante et si généreuse en même temps, la volonté nationale. (Marque générale et prolongée d'approbation.)

Je sais bien que toutes les révolutions ne fondent pas des droits, mais il y en a qui en fondent à certaines conditions. Quand les révolutions ne sont pas le fait de quelques factieux qui veulent bouleverser un pays et lui donner ce qu'il ne demande pas, elles ne fondent aucun droit; mais quand elles sont faites avec cette unanimité qui désarme les plus braves soldats, qu'elle respecte la vie des hommes, la paix du monde, elles sont légitimes, elles sont l'expression du pays. (Très bien! très bien !); celles-là fondent des droits sacrés. Ce sont là, Messieurs, les caractères de la Révolution de Juillet.

Je dirai, à l'éloge de la nation française, de cette Révolution, pour montrer sa sainteté et sa

durée, que la France ne voulait pas de révolution quand elle en fait une; qu'elle préférait la voie des améliorations à celle des révolutions; qu'elle a fait tout ce qu'elle a pu pendant 15 ans pour éviter cette grande extrémité; qu'elle a elle-même tâché de ramener la dynastie; qu'elle lui a montré les sentiments les meilleurs, les plus conciliateurs; qu'elle lui a demandé de bonnes lois. On lui a refusé cette carrière. On la lui a fermée brutalement le 8 août, et cependant la France ne s'est pas révoltée encore, parce que la loi n'avait pas été violée. Mais en juillet, quand on lui enlevait sa Constitution par un parjure, la France aurait été déshonorée si elle n'avait pas fait une révolution. (Bravos unanimes.)

Cette résolution était nécessaire, sainte, sacrée, parce qu'on la faisait malgré soi, par honneur, pour le respect des lois. Aussi ses conséquences ont été dignes d'elle. Ceux qui étaient chargés de combattre étaient de braves soldats.

Eh bien, les armes ont tombé de leurs mains, pour la première fois ils ont senti leur cœur failfir; pourquoi ? parce qu'ils reconnaissaient devant eux une révolution sainte, honorable, qui contenait tous les droits du pays.

Voilà, Messieurs, ce qui prouve les bonnes révolutions; les bonnes révolutions sont celles qui réussissent de cette manière.

Quelques jours après, cette révolution digne d'elle-même s'est interposée entre les factieux qui voulaient immoler ses ennemis dans la personne de 4 ministres du roi parjure. Le gouvernement qu'elle avait fondé s'est jeté entre les factieux et les ministres, pour sauver la vie à ces derniers. Depuis cette époque, attaquée de toutes les manières par la voie des armes en Vendée, à Paris, elle n'a pas fait verser une goutte de sang pour cause politique, et cette Restauration qu'on lui oppose, 2 ans à peine s'étaient écoulés depuis son rétablissement, que déjà les têtes les plus illustres étaient tombées, que le sang avait coulé à Lyon, à Grenoble, à Nîmes, et dans toutes les provinces méridionales. De toutes parts: Très bien ! très bien!

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Elle a encore mieux prouvé sa nature le jour où, face à face avec là révolte dans les journées de juin, elle a montré ce qu'était la révolte et ce qu'était une grande révolution. (Agitation aux extrémités.)

Une voix à droite: Et la police! (Explosion de murmures.)

M. le Président. Je dois dire que de ce côté de la Chambre (gauche), les interruptions sont déplorables. J'invite à écouter, vous répondrez ensuite. Encore une fois, je réclame le silence pour tout le monde. Monsieur de Grammont personnellement, je vous invite au silence.

(M. de Grammont fait quelques réclamations que nous ne pouvons saisir.)

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Messieurs, j'en appelle à la conscience de la Chambre, ce n'est pas la police qui a fait les événements des 5 et 6 juin. (Vif assentiment.)

Face à face avec la Révolte en juin, la nature de notre Révolution a éclaté ce jour-là; elle a prouvé que notre Révolution pouvait fonder quelque chose, les hommes qui l'avaient faite sont accourus pour la défendre. Ces soldats qui avaient hésité en juillet, ont fait alors leur devoir sans hésitation, pourquoi ? parce que la moralité était pour eux. Ce jour-là, notre Révolution s'est dis

tinguée de la révolte, et son grand et magnifique | caractère a éclaté. (Bravos nombreux.)

Oui, une révolution comme celle-là peut fonder dés droits; elle a fondé ceux du souverain auquel nous avons tous prêté serment, elle les a fondés pour le bien du pays, et pour moi, j'ai foi absolue dans la durée de ce gouvernement.

Et que lui oppose-t-on ? Les droits de cette dynastie, dont je respecterai les malheurs toutes les fois que dans l'exil elle se résignera à cette destinée que nous ne lui avons pas faite, nous, mais qu'elle s'est faite à elle-même, par ses propres fautes. (Très bien! très bien!) Moi qui l'ai toujours combattue, je ne prononcerai jamais contre elle des expressions de malédiction ou de mépris; non jamais : mais quand elle sort de son exil, quand elle rompt son banc, qu'elle vient sur notre sol, alors il faut lui dire que c'est la justice suprême qui lui a fait sa destinée.

Oui, cette dynastie est étrangère pour la France, non pas depuis 20 à 30 ans, mais depuis plus d'un siècle. Depuis plus d'un siècle, elle a cessé d'être associée à nos mœurs, à nos désirs, à nos vœux, elle s'en est au contraire éloignée, elle s'est enfermée dans un palais au milieu des désordres de toute nature, pour y maudire le génie de la France et ses progrès; retrouvant quelques vertus sous Louis XVI, c'est cependant encore sur l'étranger qu'elle s'est reposée. La France a commis une grande faute, elle lui a rendu des titres en lui infligeant des malheurs épouvantables. Ces titres sacrés du malheur, c'est encore par l'étranger qu'elle les a fait valoir. 15 ans lui ont été donnés pour rentrer dans nos mœurs; dans notre esprit, pour se rapatrier en quelque sorte avec nous : elle est restée étrangère à nos avances, elle a fini par un parjure. Qu'elle reste donc dans le sein de l'étranger, qui est plus sa patrie que la France; ce n'est pas nous qui la lui avons faite, mais c'est la destinée des Stuarts qui a été, qui sera toujours la sienne. (Bravos unanimes. Sensation prolongée.)

Qu'il me soit permis d'ajouter quelques mots sur les moyens mêmes dont cette cause réprouvée se sert pour rentrer sur le sol de la France; les moyens sont dignes de la cause. Il y en a 3 qu'elle emploie sans cesse audacieusement, et dont la preuve est partout l'invasion étrangère, la guerre civile et l'anarchie. (Marques d'assentiment.)

Oui, si comme vous nous aviez été obligés par devoir d'observer ses projets, ses calculs, ses machinations, vous auriez vu qu'elle reconnaît que la France livrée à elle-même veut le gouvernement actuel, et que, par conséquent, il n'y a que l'invasion étrangère qui puisse renverser le gouvernement de Juillet. Voilà sa pensée; elle est allée assiéger toutes les cours de ses intrigues; heureusement elle n'y a trouvé que le dédain qui était dû à des princes qui avaient si imprudemment joué le sort du monde et l'ordre social en Europe. (Approbation.)

Elle a senti que l'invasion étrangère ne pouvait rien contre l'héroïque population de la France, elle s'est dit alors, elle l'écrit partout. Il faut une puissante diversion; elle la cherche dans la Vendée. Mais ce n'est plus la pieuse Vendée d'il y a 30 ans. A défaut de cette grande diversion, à défaut de la guerre civile, c'est de brigandage qu'on se paye.

On se dit enfin que, si le gouvernement a le bonheur de donner la paix au pays, il ne pourra pas être renversé au profit d'Henri V; on souhaite et fomente alors le désordre: il n'y a pas un com

plot des factieux où il n'y ait ou l'argent ou l'excitation des carlistes. (Mouvements aux extrémités.)

Jamais un gouvernement quia ces trois moyens à son usage, ne sera celui de la France, j'en suis sûr. Je crois trop à l'héroïsme de mon pays pour penser qu'il reçoive jamais un souverain de l'étranger, et que la guerre civile puisse jamais élever un souverain qu'acceptât la France.

Quant à l'anarchie, elle ne donnerait un gouvernement à personne, ni à nos ennemis ni à nous; mais elle donnerait à tout le monde du sang et des ruines. (Murmures d'approbation.)

Ainsi, quant à notre gouvernement, il est pour moi plus qu'un gouvernement de fait, il est gouvernement de droit; j'ai foi dans la sainteté de sa cause et dans sa durée; j'ai horreur des moyens qu'on emploie contre lui, et j'ai la certitude qu'ils ne triompheront jamais. Je soutiens qu'il a eu le droit de se défendre, d'arrêter Me la duchesse de Berry. Et les avis n'ont pas manqué à cette dernière. Ce n'est pas à dire que nous ayons jamais fourni d'avis à personne; seulement nous avons dit en arrivant au ministère, et par nos circulaires et par d'autres moyens, que nous voulions arrêter la duchesse de Berry. Sa famille, ses amis l'ont avertie alors; elle a persisté à rester dans nos provinces, à y exciter des machinations. Elle voulait même étendre son projet sur d'autres parties de la France; nous avons dû l'arrêter, nous en sommes responsables devant les Chambres, et certes nous ne déclinons pas cette responsabilité.

On parlait de moyens extraordinaires; nous sommes sortis, il est vrai, des moyens ordinaires au milieu de la nuit, sans l'assistance des magistrats, nous avons fait assiéger un quartier tout entier, enfoncer les portes; nous nous sommes emparés de la prisonnière après un siège de 15 heures. Mais vous-mêmes nous approuvez de l'avoir fait; comment nous condamneriez-vous et nous blâmeriez-vous d'avoir continué à ne pas nous astreindre à la loi ordinaire? (Mouvements divers.)

Nous sommes donc sortis de la loi ordinaire dans un temps le plus légitime, le plus avouable de tous. (Marques d'approbation.)

Une voix Et vous avez bien fait.

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. J'entends une voix qui me dit que nous avons bien fait.

Eh bien! c'est en vertu de la même loi que nous venons vous dire que nous ne pouvons actuellement livrer Mme la duchesse de Berry aux tribunaux, par mesure de sûreté, et non pas pour d'autres causes; car nous ne voulons pas vous demander de vous associer à notre responsabilité; mais nous vous exprimons seulement ce qui nous fait appuyer l'ordre du jour. (Très bien! très bien !)

On parle de l'égalité devant la loi. Certes, c'est là la plus belle conquête de la Révolution de 89, Révolution consolidée et réalisée par celle de 1830. Oui, dans un Etat monarchique réglé par des lois, nous sommes tous égaux devant elles, je le reconnais. Cependant je vous ferai remarquer qu'il y a des existences (et cela n'est que pour une famille) pour lesquelles la loi commune ne suffit pas. Vous avez un roi qui est inviolable; de plus, pour cette famille existe ce qui n'est pas dans nos mœurs, le droit d'ainesse; en effet, la couronne se transmet d'aîné en aîné. L'hérédité du trône blesse encore nos mœurs et le droit commun, car les fonctions publiques ne sont pas transmissibles par hérédité; le majorat existe

encore pour elle, et les biens de la couronne sont substitués perpétuellement en faveur de l'héritier. Il y a donc dans l'ordre monarchique, avec l'égalitě devant la loi, la loi pour tout le monde, une situation différente pour une seule famille. Voilà comme on la traite quand elle règne : l'hérédité du trône, transmission d'aîné à aîné, majorat. De plus, quand les enfants de cette famille se marient, vous les dotez vous-mêmes. Mais si elle cesse de régner, ses membres sortent du droit commun. (Murmures aux extrémités.)

Etait-ce du droit commun, lorsque vous condamniez une famille, la branche aînée, à l'exil sans jugement, sans la faire comparaître devant un tribunal, sans une défense, sans juges? C'était un acte de politique à l'égard de la famille qui avait régné. En effet, à l'égard d'une famille qui a régné, il n'y a que de la politique, il n'y a pas de jugement. Vous n'avez pas seulement condamné à l'exil le chef de cette famille, celui qui avait signé les ordonnances, mais vous avez banni son fils, ses belles-filles, ses petits-enfants, ses descendants même qui n'étaient pas nés, et qui certes n'avaient pu faillir. C'est qu'il y a là une hauteur à laquelle la politique seule peut atteindre.

Et ne craignez pas les conséquences dont on a parlé tout à l'heure; ne craignez pas parce que par une mesure politique vous excluez la branche aînée, vous détenez Me la duchesse de Berry, qu'il y ait personne en France qui puisse redouter que la loi cesse aussi pour lui. Mme la duchesse de Berry avait des compagnons, Mule de Kersabiec, M. de Mesnard, et même un autre grand personnage; a-t-on hésité à les renvoyer devant les tribunaux? Qui est-ce qui hésiterait si l'on surprenait tel autre ennemi plus important que ceux-ci, à les renvoyer aussi devant les tribunaux ? personne. Parce que pour Mme la duchesse de Berry on emploie une mesure politique, il n'y a personne qui puisse craindre pour soi, il n'y que les têtes qui appartiennent à cette famille qui a fatalement régné sur nous. Et, permettez-moi de vous le dire, dans ces circonstances solennelles, on peut invoquer le passé; on ne juge pas les princes: et n'abusez pas de mes paroles, je vais les expliquer. On ne juge pas les princes: dans les temps de barbarie ou de passions politiques, on les immole; dans les temps de générosité, de civilisation comme le nôtre, on les réduit à l'impuissance de nuire. Toutes les formes judiciaires ne sont, il faut l'avouer, que de l'hypocrisie. C'était une hypocrisie que le jugement de Charles ler; c'était une hypocrisie que celui de Louis XVI; c'était une hypocrisie que la commission militaire qui jugea le duc d'Enghien dans la prison du château de Vincennes. Il n'y a pas de jugement pour les princes, et, je le répète, dans les temps de barbarie on les immole, et dans les temps de civilisation on les réduit à l'impuissance de nuire. (Marques nombreuses d'approbation.)

Il n'y a donc, parlons avec sincérité, de danger pour personne dans cette mesure politique; car il n'y a pas d'autres individus que ceux dont il s'agit qui aient régné sur la France. C'est une question toute politique; c'est aussi la politique que nous avons consultée et que nous consulterons sous notre propre responsabilité, et c'est elle que nous vous engageons à consulter aujourd'hui en passant à l'ordre du jour.

Si vous appeliez Mme la duchesse de Berry devant les tribunaux, dites-nous comment vous établiriez cette cause; car enfin si vous voulez

faire un procès, il faut se soumettre à toutes les formes judiciaires; devant les tribunaux, il faut un fait précis, une loi, des témoins. (Mouvement d'attention.) Eh bien! vous avez eu d'autres causes politiques devant les tribunaux, vous en savez les résultats. Mme la duchesse de Berry est descendue en France... (Nouveau mouvement d'attention.) Il ne suffit pas que nous l'y ayons trouvée. Quant à ce fait, il est incontestable.

La loi de 1831 ne prononce que l'exclusion. C'est donc un renvoi, si vous n'avez pas d'autre preuve que sa présence en France. Pour qu'elle soit jugeable, que le procès ait une issue et ne soit pas un triomphe pour elle, il faut que vous puissiez prouver autre chose que sa présence; la participation directe aux faits de guerre civile qui ont éclaté dans la Vendée. (Bruit confus...)

Quelques voix Et les proclamations!... Vous avez entre vos mains toutes les pièces pour établir ces faits.

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. On parle des proclamations, on les niera devant les tribunaux. On vous cite la conviction que tout le monde a et que j'ai aussi, car comme vous je pense que Mme la duchesse de Berry est venue en Vendée pour y exciter la guerre civile. En politique, cette conviction est une preuve, devant les tribunaux ce n'en est pas une; il vous faudrait des témoins qui vous disent qu'ils l'ont vue à la tête des bandes; et je vous le demande, où sont ces témoins? (Murmures. Agitation.)

Je dis que la duchesse de Berry échappe au droit commun; que la cause elle-même, par sa nature, parce qu'elle est toute politique, échappe aussi aux formes judiciaires; que le procès n'amènerait que ce que nous redouterions tous, un acquittement après jugement. Eh bien, l'acquittement de Mmc la duchesse de Berry à la face du pays serait une condamnation du gouvernement même. Je sais bien qu'il est au-dessus des erreurs mêmes de la justice; mais puisqu'il s'agit ici de politique, que c'est de politique que nous parlons. je vous le demande, voudriez-vous un événement comme celui-là ?

Vous vous rappelez toutes les attaques auxquelles le gouvernement a été en butte à l'occasion d'un de nos collègues qui a été acquitté. Que serait le procès de M. Berryer, puisqu'il faut le nommer, à côté de celui de Mme la duchesse de Berry; que serait-ce qu'un tel acquittement à la face de nos lois et nos convictions mêmes? (Murmures.)

M. Berryer. Si j'ai été acquitté, c'est que l'on a bien jugé, personne ne s'en plaint.

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Je suppose enfin que vous l'amenier à Paris, qu'elle parût devant la juridiction à laquelle sont déférés habituellement les délits politiques. Permettez-moi de vous montrer les coséquences d'une conduite qui me semble telle que je ne conçois pas que des hommes raisonnables. attachés à leur pays, puissent nous conseiller de lui en donner le spectacle.

Vous la feriez venír de Blaye à Paris; vous éche lonneriez 80 ou 100,000 hommes sur la route. (Nouveau bruit. Vives réclamations.)

:

Une voix Vous disiez qu'il n'y avait pas de carlistes il y en a donc?"

:

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Vous transporteriez la prisonnière à Paris; vous l'enverriez sur la sellette du Luxembourg; vous la mettriez en face de la Chambre

des pairs, de l'un des grands pouvoirs de l'Etat ; vous renouvelleriez les scènes épouvantables et devenues plus graves encore, du jugement des ministres. (Dénégations nombreuses. Longue agitation.)

M. le Président. Veuillez faire silence, Messieurs.

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Voulez-vous, Messieurs, que la discussion soit libre?

M. le Président. Il faut qu'elle le soit, ce n'est pas une question.

M. Garnier-Pagès. Il y a des choses qui nuisent au pays et que l'on ne doit pas dire.

M. le Président. Le pays est assez fort pour, qu'au sein de la Chambre, on puisse exprimer toutes les opinions et faire entendre toutes les réponses.

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Le gouvernement n'a reculé devant aucune des tâches qui lui ont été imposées, et si, ce jour-là, il fallait de nouveau combattre les factieux, il saurait le faire: il sera toujours prêt si on lui demande injustement le sang d'un accusé. Mais des hommes prudents, politiques, ne doivent pas mettre deux fois un pays à des épreuves aussi redoutables que celle-là, et exposer la pairie à des insultes, le roi à des injures qu'un parti ne manquerait pas de prodiguer à son égard. Un gouvernement qui se respecte n'expose pas un pays à de telles expériences.

Je sais bien que les factieux de juin pourraient le désirer, et je vais vous dire les secrets des partis. Les factieux de juin d'une part, et les carlistes de l'autre, demandent à grands cris cette occasion, je sais bien pourquoi. Ils ont échoué lors du procès des ministres, grâce à la garde nationale, au pays, à sa sagesse, au dévouement de tous les honnêtes gens qui étaient alors au gouvernement; ils ont cru que la mort de l'illustre Casimir Périer leur fournirait une occasion de recommencer leur tentative; ils se sont jetés sur les cendres de l'illustre Lamarque, ils les ont souillées par des combats sanglants; aujourd'hui, ils attendent une autre occasion. Un grand procès politique pourrait servir leur projet; vous les verriez alors outrager les agents de la force publique, arracher, comme ils l'ont déjà fait, les épaulettes aux colonels de la garde nationale. Les carlistes ne craindraient pas de compromettre leur princesse, pour avoir du désordre; eux-mêmes pousseraient à la révolte, et appelleraient ainsi les regards de l'Europe sur la France, et ils lui diraient: Vous voyez que vos garanties sont vaines, que la France offre toujours des scènes révolutionnaires.

Voilà, Messieurs, les projets des partis, et, aujourd'hui que tous les esprits reviennent au repos, que Paris est dans la satisfaction de voir disparaître ces troubles périodiques qui l'alarmaient, vous-mêmes vous feriez renaître un pareil scandale, un pareil danger! Non, j'en ai la conviction, la France, son repos, sa dignité, vous sont trop chers pour les exposer de nouveau à une situation aussi déplorable. (Très bien ! très bien !) (Une longue agitation succède à ce discours.) (Plusieurs voix réclament que la séance soit renvoyée à lundi.)

(M. Salverte monte à la tribune. L'agitation se calme peu à peu, et la Chambre continue la discussion.)

M. Salverte. Messieurs, s'il est une vérité reconnue par tous les bons esprits, confirmée par

l'expérience de tous les temps et de tous les pays, c'est que la stabilité des Etats dépend du maintien scrupuleux et inviolable de la loi fondamentale.

C'est ici ce que nous venons demander: nous ne disons pas: Périsse le pays plutôt qu'un principe! nous disons que la loi et la Charte ne périssent pas, car avec elle périrait la royauté constitutionnelle.

Nous demandons l'exécution des lois, et nous ne sommes pas des factieux, comme je viens de l'entendre dire tout à l'heure. (Dénégations.)

On a dit que ce sont les factieux qui demandent le jugement. Eh bien! nous demandons le jugement, et nous ne sommes pas des factieux: les factieux sont ceux qui veulent acquérir ou étendre les pouvoirs au delà des limites de la loi et de la Charte; ceux qui, comme nous, veulent y rester constamment, sont les véritables amis du pays.

Dans l'affaire qui vous occupe, la loi a d'abord été mise à exécution: les faits qui concernent Mme de Berry ont été dénoncés à un tribunal; les formes judiciaires avaient été suivies; un arrêt avait renvoyé Mme de Berry devant une cour d'assises. C'est dans cet état de choses qu'elle a été arrêtée, justement et non pas arbitrairement. Mais ici a commencé, comme l'a dit M. le ministre des affaires étrangères, un conflit entre le pouvoir et les tribunaux. C'est à mon gré une violation patente de la Charte.

M. le ministre n'a pas reculé devant cette imputation; il a même dit que la détention de Mme de Berry dans une prison d'Etat, car il faut ainsi l'appeler, puisque ce n'est pas une prison ordinaire, était un acte politique; et là-dessus il nous a rappelé à un certain pouvoir politique dont, avant lui, l'honorable rapporteur de votre commission avait prétendu que le pouvoir exécutif devait en effet se saisir. J'ai cherché dans la Charte ce que c'était que ce pouvoir politique, et à qui il pouvait appartenir. La Charte n'en dit rien; il est en effet au-dessus des lois, de la Charte; il établit une véritable dictature. Je sais bien que le ministère dit: Nous serons responsables, nous rendrons compte de ce pouvoir politique que nous exerçons. Messieurs, je ne parle pas de la situation actuelle, mais souvenez-vous qu'une situation peut être très innocente et servír de précédent à des actes très coupables; que quand on est investi d'un pouvoir politique au-dessus des lois, de la Charte, si l'on en fait un mauvais usage, on sait le faire de manière à n'avoir à en répondre à personne.

M. le ministre des affaires étrangères a prétendu établir ce pouvoir sur la nécessité, et, là-dessus, il a assimilé la Révolution de Juillet, la déchéance de Charles X, tous les actes qui en ont été la suite, à des actes émanés de ce pouvoir politique. Non, Messieurs, c'est méconnaitre absolument les événements. Il a parlé de la Charte qu'on avait violée, la Charte de 1814? elle n'existait plus, Charles X l'avait déchirée et en avait jeté les lambeaux au vent; ils n'ont pas été retrouvés ; la Charte de 1830, elle n'existait pas encore, elle était à faire.

Charles X s'était mis en guerre avec la nation, la nation l'a renversé. On a argué de sa générosité pour le malheur, des égards qu'on a eus pour Charles X à son départ, c'est à tort. La nation lui a dit: Sortez du territoire, nous vous épargnons, nous oublions le passé; mais ce n'était pas une dette, c'était un acte digne de la nation française, dont on ne peut inférer que Charles X a des droits; il n'en avait pas conservé, la Révolution, et non pas cet empire fictif de la nécessité, avait brisé tous ses droits. La loi du bannissement en était une conséquence nécessaire, évidente.

J'ai entendu parler tout à l'heure de loi fondamentale qu'on avait renversée, de 14 siècles d'existence qui avaient donné leur sanction à la légitimité. Ces paroles souvent répétées, ne s'adressent qu'à des hommes qui ignorent l'histoire de la monarchie, combien elle a été peu stable, combien a été restreinte l'allure du pouvoir monarchique; surtout elles ne peuvent pas s'adresser aux hommes qui ont fait la Révolution de 89 et de 1830. Laissez donc de côté ce mot nécessité. Tous les actes qui ont suivi la Révolution de Juillet ont été faits par cette Révolution, et en ont été le complément; et vouloir aujourd'hui, sous quelque prétexte que ce soit, recourir à une nécessité, ce serait supposer que nous sommes encore en révolution.

Quelque parti que l'on prenne à l'égard de la duchesse de Berry, il n'y aura pas de révolution. Vous avez fondé une monarchie constitutionnelle, la nation vous a approuvés, et à l'occasion de ce nouveau procès, on ne verra pas ces mouvements, dont on s'amuse à nous effrayer. (Aux voix!)

M. le Président. On ne peut interrompre l'orateur au milieu de son discours; quand il aura fini, vous irez aux voix si vous voulez.

M. Salverte. M. le ministre du commerce vous a dit que ce procès était impossible, qu'il fallait des faits, une loi, des témoins; il me semble que, quelques moments auparavant, nous avions entendu des faits, des faits très positifs exprimés par M. le ministre des affaires étrangères. Il vous a dit que l'entrée de la duchesse de Berry sur le territoire de la France avait été le signal de la guerre civile; nous le savons tous; que pendant les 6 mois de son séjour en France, elle a fomenté des troubles, excité des citoyens à prendre les armes contre le gouvernement: les assassinats, les incendies se sont multipliés de tous côtés. Voilà des faits positifs.

Quant à la loi, elle est dans le Code pénal; je ne sache pas qu'il y ait nulle part une loi qui permette des actes semblables à ceux dont M. le ministre des affaires étrangères est convenu que Mme de Berry était avec raison accusée.

Mais, vous dit-on, elle est sortie du droit commun. Pourquoi ? parce que la loi du 10 avril 1831 a déclaré qu'elle n'est plus Française, qu'elle ne peut plus posséder en France, par conséquent elle est étrangère à vos lois. Un honorable député de la Haute-Loire a été plus loin, il vous a dit qu'elle ne pouvait être soumise aux lois. Supposez que là loi de 1831 ait assimilé M de Berry à une personne frappée de mort civile, qu'elle l'ait rendue semblable à un étranger; dans tous les cas, si les faits dont elle est accusée, qui ressortent des pièces qu'on a saisies à l'époque de son arrestation et dans d'autres circonstances, constituaient un délit contre la sûreté de l'Etat, il est évident qu'une personne frappée de mort civile, qu'un étranger qui excite à la guerre civile, à l'assassinat, est dans tous les pays du monde justiciable des tribunaux du pays qu'il veut troubler; que quand on est sur un Etat quelconque, il n'est pas besoin d'avoir prêté serment aux lois du pays; son droit est de le défendre et de frapper celui qui le trouble de la loi que personne n'est censé ignorer. Mais, vous a dit l'honorable député de la Haute-Loire, vous seriez à la fois juges et parties; Me de Berry représente un principe opposé à la Révolution de Juillet, au gouvernement que vous avez fondé. Il n'arrive jamais qu'une société soit ainsi divisée, ou bien il n'y aurait que la force

entre les deux factions ainsi séparées. Ici le peuple français a prononcé; et certes, quoiqu'on nous ait parlé de quelque quatre-vingt ou cent mille mécontents, en supposant qu'ils existent, ce que je ne crois pas, leur nombre ne ferait pas que la décision du peuple français dût être invalidée.

Quant au danger qu'on a prétendu faire ressortir d'un procès où, dit-on, le droit de la Révolution de Juillet serait mis en doute, je ne crois pas que vous puissiez en être touchés. Comme l'a dit l'un des ministres, nous avons tous foi dans la durée de la Révolution et des institutions qu'elle a fondées, nous ne craignons pas davantage qu'il soit besoin d'avoir 80 ou 100,000 soldats échelonnés sur la route pour un pareil jugement.

Que l'on n'assimile pas cet événement à celui du procès des ministrês. Il est arrivé dans un temps où les esprits ne se ressentent plus des inconvénients de la Révolution : vous êtes aujourd'hui tranquilles, parce que les derniers événements politiques ont prouvé à tous comme à vous-mêmes qu'on ne vous attaquerait pas impunément; qu'à l'extérieur, comme à l'intérieur, vous étiez maîtres de vos propres affaires. Dans cette position, il faut que la loi s'exécute, qu'il n'y ait, comme on l'a dit, que le roi d'inviolable en France.

Quant à cette singulière théorie qui viendrait faire partager à sa famille une partie de son inviolabilité, je ne ferai qu'une réponse: elle est bien simple; c'est que toutes les exceptions à la loi commune doivent être écrites dans la loi. L'exception qui empêcherait de soumettre à un jugement les personnes d'une famille qui a régné ou qui règne actuellement, n'existe pas dans la Charte; vous ne devez pas la supposer.

Pour le mouvement dont on a parlé, soyez sûrs que la violation de la loi exciterait le mécontentement, et qu'au contraire son exécution achèverait d'user l'espérance aux partisans de la dynastie déchue.

Je n'ajouterai qu'un mot en réclamant l'exécution de la Charte, nous savons qu'elle contient tout ce qui est nécessaire pour concilier la sûreté et la dignité de la nation avec les vœux que peut vous inspirer la générosité du caractère national.

Je vote contre l'ordre du jour et pour le renvoi au garde des sceaux pour l'exécution des lois.

Plusieurs membres: Aux voix! aux voix ! La clôture!

M. Odilon Barrot. Je demande la parole contre la clôture. (Aux voix ! aux voix ! Parlez! parlez!)

M. le Président. M. Odilon Barrot a la parole contre la clôture.

M. Odilon Barrot. C'est précisément contre la clôture que je veux réclamer. Il me semble qu'il y a quelque confusion dans les conclusions du rapporteur, et dans la manière dont MM. les ministres entendent tirer avantage de ces conclusions.

Il faut cependant que, dans une question de cette gravité, la Chambre, avant de prononcer, sache bien ce qu'elle fait et ce qu'elle veut faire. (Interruption.)

M. le Président. Silence aux centres.

M. Odilon Barrot. Le rapporteur de votre commission a conclu à l'ordre du jour, tout en

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