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de loi, et fut, à différentes reprises, rapporteur du budget.

Plusieurs des mesures que M. Fabre appuya de ses efforts, telles que l'impôt sur le sel, l'impôt sur le tabac, sont aujourd'hui au nombre des ressources les plus puissantes du Trésor. En même temps, il introduisait l'ordre dans les dépenses publiques. On lui doit la loi du 11 frimaire an VII, qui règle la classification de ces dépenses en dépenses générales, départementales et communales, classification qui a subi l'épreuve du temps, et qui est encore, en ce moment, la base de cette partie de notre système administratif.

M. Fabre combattit aussi vivement en faveur de la création des octrois municipaux. Les villes recouvrèrent par cette utile création des revenus certains et considérables, qui leur ont permis de relever les établissements de charité que les erreurs des novateurs avaient dépouillés des biens dont les avait dotés la pieuse libéralité de nos

aïeux.

C'est encore à M. Fabre qu'est dù le succès de l'heureuse pensée de faire contribuer directement les plaisirs des riches au soulagement de la misère, en prélevant au profit des indigents une portion du prix des billets de spectacle.

Toutefois, il ne restait point renfermé dans le cercle des questions fiscales, dès qu'une cause qui lui paraissait celle de la justice le conviait à le franchir. On le vit réclamér le retablissement des rentes foncières qui avaient été entraînées au milieu des ruines de la féodalité, et il s'éleva contre l'horrible loi des otages, sortie de l'urne législative au bruit funeste de la guerre civile.

Des lois pareilles découvrent la profondeur des blessures de l'ordre social, mais ne les guérissent pas. La nation ne trouvait ni la liberté, ni la sécurité sous les formes républicaines, qui avaient d'abord ébloui l'inexpérience et l'orgueil. Elle appelait un gouverment assez fort pour calmer les discordes intestines encore plus par la clémence que par les armes, et qui replacât la société française sur les fondements sanctionnés par l'assentiment de tous les peuples civilisés. M. Fabre fut au nombre de ceux qui secondèrent la révolution du 18 brumaire; et le héros qui marquait chaque jour en réparant une injustice, en relevant une ruine, lui confia l'honorable mission de pacifier les esprits et de rétablir le règne des lois dans les départements méridionaux, où les factions s'aigrissaient par leurs mutuelles violences.

Nommé membre du Tribunat, il fut choisi pour présider la section des finances; il prit de nouveau la part la plus active à toutes les discussions qui concernaient le Trésor public.

Cependant le diadème était sorti des faisceaux consulaires. Ces mots de tribun, de tribunat éveillaient des souvenirs incompatibles avec une puissance qui n'entendait plus rencontrer d'obstacles. Le Tribunat disparut au milieu de l'éclat des triomphes de l'Empire. M. Fabre en était président depuis plusieurs années; père de la plus nombreuse famille (1), il n'avait pour fortune que le produit de ses laborieuses occupations. L'empereur, en le nommant sénateur, lui fit don de 500,000 francs. Ce don fut simplement et noblement refusé. Il ne voulut pas être soupçonné d'avoir trafiqué de l'existence du corps qu'il présidait, ni trouver un avantage à la chute d'une

(1) M. Fabre avait eu 26 enfants.

institution dont ses propres travaux avaient si souvent démontré l'utilité.

Arriva l'époque mémorable où l'Empire tombait avec la fortune de son fondateur: il faisait place à la monarchie tempérée que, 25 ans auparavant, la France avait demandée d'une voix unanime. M. le comte Fabre indiqua, le premier, à cette même tribune d'où je retrace ses services et ses titres à notre estime, les bases de l'organisation constitutionnelle de l'Etat. A lui appartient l'honneur d'avoir proposé de déclarer à jamais abolie la confiscation des biens. Elle reparut, il est vrai, un instant, avec les aigles impériales, tant les vainqueurs ont peine à se dessaisir de cette arme que la cupidité aiguise pour la vengeance; mais enfin le principe a triomphé, et, quels que soient les détours employés pour l'éluder, il est inscrit en caractères ineffaçables sur les tables des lois françaises.

Quelle vive jouissance n'a pas dû éprouver son auteur quand il songeait au succès d'une proposition qui entevait ainsi un de ses principaux aliments à l'ardeur des proscriptions! Un pareil triomphe suffirait seul pour honorer la carrière d'un homme public, et pour le dédommager de toutes les injustices auxquelles, dans les temps de parti, il est inévitablement en butte. Elles ne furent point épargnées au collègue que nous avons à regretter; mais il les supporta avec ce calme, avec cette résignation que donne la sécurité de la conscience, attendant du temps la réparation qu'il accorde à la vérité.

Ecarté pendant quelques années des affaires publiques, M. Fabre occupait ses loisirs à préparer un grand travail sur le sujet si vaste et si intéressant de la législation criminelle de tous les peuples. Il s'occupait aussi de retracer les grandes scènes de notre histoire contemporaine, dont il avait été quelquefois acteur, et toujours spectateur éclairé. Son désir était que la collection précieuse de documents qu'il avait réunis fût conservée, et devint utile à ses collègues. Il se proposait d'en faire hommage à la Chambre, et nous avons lieu de croire que son fils s'empressera d'exécuter la volonté de son respectable père.

Vous l'avez vu, malgré les infirmités qui arrétaient trop souvent son zèle, participer avec ardeur à vos travaux, et nous apporter le tribut de ses lumières, fortifiées par une longue expérience. Il donnait un constant exemple de l'application aux devoirs que nos fonctions nous imposent, et de l'urbanité qui doit présider à nos discussions. Jusqu'à ses derniers moments, ses paroles recommandaient cette tolérance mutuelle de toutes les opinions, sans laquelle les délibérations d'une assemblée n'auraient ni dignité, ni liberté ; et cette union de tous les amis de la patrie, qui peut seule rendre à la France ces jours de repos et de paix où elle aspire après tant d'années de gloire et d'agitation.

M. le comte Fabre (de l'Aude), parvenu à l'âge de 77 ans, aurait pu prolonger sa carrière, s'il n'avait été atteint par le fleau évoqué du fond de l'Asie pour couvrir l'Europe d'angoisses et de deuil. Au bord du redoutable passage, en se retournant vers la longue route qu'il avait parcourue, il a pu se dire que toutes ses actions avaient eu pour but l'avantage de ses concitoyens, et qu'en tout temps, en tout lieu, il avait voulu prendre pour règle de sa conduite publique, comme de sa conduite privée, les principes immuables de la justice et de l'huma

nité.

(La Chambre décide que ce discours sera imprimé.)

M. le Président. L'ordre du jour appelle le rapport sur le projet de loi relatif au règlement définitif du budget de 1829.

La parole est à M. le comte d'Haubersart, rapporteur de la commission à laquelle a été renvoyé l'examen de ce projet de loi.

M. le comte d'Haubersart, rapporteur. Messieurs, le gouvernement a soumis, pour la troisième fois à votre sanction le projet de loi relatif au règlement définitif du budget de 1829.

La commission, à qui l'examen de ce projet a été confié, n'avait plus à s'occuper des dispositions contenues dans les huit premiers articles, dont l'objet unique est de régler définitivement les recettes et les dépenses de l'exercice indiqué; ces dispositions ont été adoptées dans la session dernière par l'une et l'autre Chambre, et de nouveau, dans la session actuelle, par la Chambre des députés; à cette double sanction se joint aujourd'hui un arrêt de la cour des comptes du 20 mars dernier, qui a déclaré la conformité des comptes des divers ministres pour l'exercice 1829 avec les résultats de ses arrêts sur les comptes des comptables. Nous vous proposons donc de maintenir l'adoption de cette partie du projet.

Les quatre derniers articles exigeaient de votre part un examen beaucoup plus sérieux; ils appellent également, Messieurs, toute votre attention, moins encore par leur importance propre que par la gravité de la question qui s'y rattache.

Il s'agit en effet de reconnaître la limite dans laquelle doivent se renfermer les dispositions contenues dans les lois annuelles de finances, de remarquer le point qu'elles ne peuvent franchir sans compromettre l'indépendance de vos votes, et le libre exercice de votre action dans la confection des lois.

La Chambre connaît la situation dans laquelle elle est placée relativement au vote des loís annuelles de finances; l'article 15 de la Charte veut, par une exception spéciale, que la loi de l'impôt soit d'abord votée par la Chambre des députés : ainsi la proposition de l'impôt diffère essentiellement de toutes les autres propositions de loi; elle a une marche déterminée, et une forme de procéder qui n'appartient qu'à elle seule; il en résulte que la loi de l'impôt doit être faite à part, et qu'aucune autre disposition étrangère à son objet spécial ne doit y être jointe, puisque ce serait étendre à ces dispositions un privilège uniquement réservé à la loi de l'impôt, et qui n'a été fait que pour elle.

Voilà, Messieurs, le principe dans toute sa rigueur, tel qu'il découle de la Charte en conclurez-vous que son application doit être poussée jusqu'à ses dernières conséquences? Nous ne le pensons pas. Il en est de ce principe comme de presque tous les principes; interprétés dans un sens absolu et qui dépasse le but qu'on avait pour objet, ils s'affaiblissent au lieu de se fortifier. Ainsi, quand il ne s'agit que de dispositions réglementaires étrangères à tout intérêt privé, et dont le but spécial est de faciliter et d'éclairer l'investigation des dépenses ou des recettes, de substituer à des méthodes reconnues vicieuses des méthodes meilleures, de procurer à l'emploi régulier des fonds votés par le budget de nouvelles garanties ou des justifications plus complètes; et quand de telles dispositions sont, par l'examen des lois de finances, reconnues nécessaires, il est convenable, utile même, de les placer dans ces lois,

avec lesquelles elles ont une évidente connexité; des dispositions de ce genre participent en quelque sorte à la nature de la loi, dont elles tendent à perfectionner les résultats : ainsi réunies dans les lois de finances, elles forment aussi un ensemble de règles plus complet et d'une recherche plus prompte et plus sûre, que si elles étaient éparses dans un grand nombre de lois isolées.

Au surplus, cette doctrine est la vôtre, Messieurs; car vous l'avez appliquée dans votre session dernière à la loi même dont vous vous occupez encore aujourd'hui, en adoptant plusieurs articles de cette loi, auxquels vous avez reconnu le caractère que nous venons d'indiquer, en même temps que vous en avez rejeté d'autres dont la nature et le but vous ont paru différents.

Mais là doivent s'arrêter les modifications dont le principe, consacré par la Charte, est susceptible; et les enseignements du passé confirment assez le danger d'aller plus loin. Il n'est pas besoin en effet de vous rappeler que jusqu'à présent votre coopération dans les lois annuelles de finances n'est intervenue qu'à des époques et dans des circonstances dont vous avez chaque année subi l'empire, et qui n'ont laissé à votre vote aucune liberté.

Et lors même que vos réclamations, si légitimes, si souvent répétées contre cet état de choses, auront enfin été comprises; lorsqu'un ordre meilleur, dans l'intérêt même de nos lois de finances, aura été sur ce point introduit, il arrivera encore que des circonstances fortuites, impérieuses, viendront quelquefois commander votre sanction et vous faire éprouver l'impossibilité de la reculer.

Les obstacles que peut rencontrer dans tous les temps l'exercice de votre prérogative dans le débat des lois de finances, tiennent donc à la force même des choses et à la nature de ces lois. Cette grave considération ajoute à la nécessité de les maintenir dans les limites qui leur sont propres.

On a dit que ces limites n'ont pas été jusqu'à présent observées, et cette circonstance a été considérée comme fondant un usage; mais le rapport que vous avez entendu l'année dernière, à l'occasion du même projet de loi, avait répondu d'avance à cette objection. Si vous avez quelquefois fermé les yeux sur l'oubli de cette règle, c'est qu'alors les Chambres n'avaient pas l'initiative des lois; elles profitaient quand et comme elles pouvaient de la faculté d'amender, pour introduire des dispositions qu'elles croyaient utiles; l'intérêt du pays vous conseillait alors de ne point faire obstacle à un expédient auquel étaient dus des résultats qu'on n'eût point obtenus sans cela.

Ces motifs n'existent plus, aujourd'hui que les Chambres participent au droit de proposer des lois; et les lois de finances doivent prendre un caractère régulier.

Au surplus, Messieurs, ce n'est plus seulement dans cette enceinte que ces principes sont aujourd'hui proclamés; car des doctrines analogues viennent d'être professées dans l'autre Chambre, au nom de la commission chargée de l'examen de la loi même sur laquelle vous délibérez.

Il est bien entendu, disait, le 18 décembre dernier, le rapporteur de cette commission dans la Chambre des députés, que la Chambre ne doit et ne peut user du droit d'amender les lois des financês que pour régulariser les diverses par

ties du service financier. Aussi n'avons-nous aucune observation à faire contre le rejet des articles 10 et 11 du projet primitif; l'un de ces articles avait pour but de faire établir la prescription quinquennale pour les sommes déposées aux caisses des postes, et l'autre était relatif à la remise des droits du sceau.

La première disposition, touchant à des intérêts particuliers, a dù être l'objet d'une loi spéciale; et l'article sur les droits du sceau eût été peut-être mieux placé dans la loi des recettes que dans celle des comptes, puisqu'il s'agit de modifier une perception."

Si ces doctrines, qui, dans la discussion dont ce rapport a été suivi à la Chambre des députés, n'ont pas été contredites, sont adoptées et pratiquées à l'avenir, le vote des lois annuelles de finances se trouvera enfin dégagé de ces questions si ardues, si délicates, qui se rattachent à l'indépendance des pouvoirs.

C'est sous l'influence de ces considérations générales que votre commission s'est livrée à l'examen particulier de chacun des articles du projet de lof.

Avant de vous soumettre le résultat de son travail, il est à propos de vous rappeler les changements successifs que la rédaction de ce projet a éprouvés.

Lorsque, dans la session de 1832, il a été présenté pour la première fois à la Chambre des députés, il ne se composait que de 10 articles. Les 8 premiers comprenaient le règlement définitif de l'exercice 1829: l'article 9 déclarait acquises à l'Etat les sommes déposées aux caisses des agents des postes, et non réclamées dans un délai fixé; le dixième apportait des modifications à la perception des droits du sceau.

La Chambre des députés y introduisit par amendement 5 articles nouveaux : l'un était relatif aux comptes des salines de l'Est; le second prescrivait la formation d'un tableau de toutes les propriétés de l'Etat affectées à des services publics; le troisième réglait des dispositions justificatives de l'emploi des fonds consacrés à l'encouragement des sciences et des lettres; le quatrième concernait les marchés passés par le gouvernement; et le cinquième, les frais de premier établissement des ministres.

Ce projet, ainsi amendé, ayant été apporté à la Chambre des pairs, vous avez adopté, dans votre séance du 10 janvier 1832, 3 des 7 derniers articles, et vous avez rejeté les 4 autres, à savoir: ceux relatifs aux fonds déposés aux postes, aux droits du sceau, aux marchés et aux frais d'établissement des ministres.

Le 11 janvier 1832, ce projet fut reporté à la Chambre des députés tel que vos amendements l'avaient modifié; celle-ci maintint la suppression des dispositions concernant les dépôts faits aux postes et les droits du sceau; mais elle rétablit celles relatives aux marchés faits pour le gouvernement et aux frais d'établissement des ministres.

Dans cet état, le projet vous revint le 10 avril suivant; mais la session touchait à son terme : votre commission ne vous fit point de rapport.

Dès les premiers jours de la session actuelle, le gouvernement a présenté de nouveau à la Chambre des députés le projet de règlement resté en souffrance; ce projet ne contenait plus que les 8 articles relatifs à la fixation des recettes et dépenses de l'exercice 1829; le gouvernement en avait retiré tous les autres.

L'un des articles retirés, celui relatif aux

comptes des salines de l'Est, était devenu sans objet; le gouvernement, reconnaissant l'utilité de la disposition proposée, y avait pourvu par une ordonnance royale du 16 octobre dernier, qui a placé la comptabilité des salines de l'Est sous la juridiction de la cour des comptes; les garanties que l'article avait en vue de créer sont ainsi pleinement obtenues.

Quant aux 4 autres articles, le gouvernement a cru convenable de reproduire, cette année, le projet dégagé de ces dispositions accessoires.

La Chambre des députés a établi dans le projet, 3 de ces articles, tels qu'elle les avait votés le 4 février 1832; elle a modifié le quatrième; ils forment les articles 9, 10, 11 et 12 du projet de loi.

Les articles 9 et 10, ainsi que vous l'a dit, dans la session dernière, le rapporteur de la commission chargée de l'examen du projet où se trouvaient ces mêmes dispositions, n'ont pour objet que de créer des moyens de surveillance sur l'emploi des fonds consacrés à l'encouragement des sciences et des lettres, et sur la destination des immeubles appartenant à l'Etat, et affectés à des services publics; vous les avez adoptés le 10 janvier 1832; nous vous proposons d'en maintenir l'adoption.

L'article 11 porte qu'aucune somme ne pourra être allouée aux ministres, à titre de frais de premier établissement, que par exception et en vertu d'une ordonnance nominative et motivée, rendue conformément aux dispositions de la loi du 25 mars 1817. Cet article n'est plus le même que celui sur lequel vous avez délibéré dans votre dernière session, et que vous avez rejeté; celuici portait, qu'à l'avenir, aucune somme ne pourrait être allouée aux ministres à titre de premier établissement.

Votre commission a mùrement examiné l'article tel qu'il est aujourd'hui rédigé; elle s'est d'abord demandé s'il est de la nature de ceux qui peuvent trouver place dans une loi annuelle de finances; elle a ensuite recherché quelle était son utilité réelle, et quel serait son résultat.

Quant au premier point, il nous a paru que l'article, dans sa rédaction nouvelle, n'était plus qu'une disposition réglementaire des formes qui devraient accompagner l'allocation d'un objet de dépense; sous se rapport, nous le croyons à l'abri de critique.

Mais la disposition est-elle utile? ajoute-t-elle quelque moyen nouveau aux moyens dont les Chambres sont déjà saisies pour contrôler et rejeter au besoin les allocations de ce genre? Votre commission, Messieurs, ne le pense point.

Au fond, cet article ne défend rien, n'empêche rien; il laisse le gouvernement juge unique des cas d'exception, et, relativement à l'exercice du contrôle des Chambres, il laisse les choses dans l'état où elles sont déjà. Ces énonciations nominatives et motivées que contiendrait l'ordonnance, le ministre est en effet tenu de les donner aux Chambres, car il doit justifier, sous sa responsabilité, des dépenses qu'il a faites sans autorisation préalable, sans crédit au budget; et aucun crédit n'a été jusqu'à présent ouvert aux budgets pour les frais d'établissement des ministres. D'ailleurs une dépense faite sans crédit préalable est toujours une dépense d'exception, et ce principe fondamental de notre système financier n'a pas besoin d'être confirmé, dans le cas spécial, par une disposition nouvelle.

Le droit comme le devoir des Chambres, lorsqu'une dépense de ce genre est reconnue abusive,

est donc de discuter la responsabilité du ministre ordonnateur. Sans doute, comme l'a fait observer M. le rapporteur de la commission de la Chambre des députés, il convient d'absoudre en cette occasion le passé, couvert par une longue tolérance; mais quant à l'avenir, le débat dont cet article est depuis deux sessions l'objet, avertit suffisamment le gouvernement que le contrôle des Chambres sur cette nature de dépenses sera désormais plus sérieux; c'est dans ce contrôle, et là seulement, que peut se trouver la garantie.

L'article 11 n'aurait donc, en définitive, qu'un seul résultat: ce serait d'obliger tout ministre, à qui une allocation pour frais d'établissement serait nécessaire, de publier par ordonnance, et comme premier acte de son arrivée au pouvoir, l'état de sa fortune, on pourrait presque dire son bilan; car si des revers ignorés ont atteint sa fortune, il faudrait bien que l'ordonnance s'exprimât non seulement pour obéir à l'article qui prescrit des motifs, mais encore pour apprendre au public qui le croirait riche, qu'il a cessé de l'être.

Sans doute vous ne penserez pas, Messieurs, qu'une telle ordonnance, dont la malveillance, la malignité se hâteraient de s'emparer, fût opportune, convenante, sans inconvénients graves pour la considération dont il importe au pays que les hommes investis du pouvoir soient

entourés.

Ce n'est pas à dire pour cela que les explications propres à justifier les frais d'établissement, lorsqu'il y aura lieu d'en allouer, ne doivent pas être données; mais c'est aux Chambres, juges nécessaires et impartiaux de la dépense, que ces explications doivent arriver de prime-abord, et par les voies que nous avons tout à l'heure indiquées; répandues ensuite par la publicité, en même temps que le résultat de l'examen éclairé des Chambres, elles n'ont plus alors les inconvénients que nous venons de signaler.

Votre commission vous propose le rejet de cet article.

Le douzième et dernier article du projet porte qu'une ordonnance royale réglera les formalités à suivre à l'avenir dans tous les marchés passés au nom du gouvernement; qu'il sera fourni, chaque année, aux Chambres, un état sommaire de tous les marchés de 50,000 fr. et au-dessus passés dans le courant de l'année échue, lequel comprendra aussi tous les marchés inférieurs qui s'élèveraient ensemble pour des objets de même nature à cette somme; qu'enfin cet état indiquera le nom et le domicile des contractants, la durée, la nature et les principales conditions du contrat.

Cet article diffère de celui que vous avez rejeté dans la session dernière; celui-ci disposait que tout marché fait pour le compte du gouvernement, et s'élevant à plus de 10,000 francs, serait passé avec publicité et concurrence; à cette disposition principale se joignaient quelques autres dispositions accessoires.

Avant d'examiner l'article qui vous est aujourd'hui proposé, il importe, Messieurs, de remarquer que tout le monde est d'accord sur l'utilité, la nécessité de régler par un ensemble de dispositions précises, coordonnées, et qui embrassent toute cette difficile matière, les formalités à suivre dans tous les marchés passés au nom du gouvernement; ni dans cette Chambre, ni dans celle des députés, cette nécessité n'a été contredite, et le gouvernement le reconnaît lui-même, ainsi que l'atteste l'exposé fait le 28 novembre

T. LXXVIII.

dernier par M. le ministre des finances, à l'autre Chambre, du projet dont vous vous occupez.

Mais est-ce à la loi, est-ce à l'ordonnance que le soin de régler ces dispositions doit être remis? Telle est la question que l'article 12 vous donne à examiner.

Votre commission n'a point hésité à penser que c'est à la loi que, dans cette circonstance, ce soin doit être réservé; il s'agit de l'emploi d'une partie très considérable des fonds affectés aux services publics; les graves difficultés du règlement à faire exigent le concours de toutes les expériences, de toutes les lumières : observons encore que dans une partie des marchés (et ce sont souvent les plus importants), les ministres sont eux-mêmes parties contractantes, et que des motifs honorables et faciles à saisir doivent leur faire désirer que ce règlement subisse les épreuves attachées à la discussion des lois.

Cette opinion de la nécessité d'une loi réglementaire en matière de marchés a été déjà professée devant vous, dans les deux précédentes sessions, par le rapporteur de vos commissions, à l'occasion du budget de 1831 et de la loi des comptes de 1829, dont vous vous occupez encore; et si vous avez rejeté de ces deux projets de loi les articles relatifs aux marchés, ce n'est pas que la matière vous parût hors du domaine de la loi; c'est que, comme vous l'a dit alors le rapporteur de votre commission, ce règlement, d'une grande importance, qui doit être médité et rédigé avec soin, avec réflexion, avec le concours de l'expérience de l'Administration, ne pouvait pas étre introduit par amendement dans une loi annuelle de finances, et exigeait une loi spéciale.

Les commissions de la Chambre des députés qui ont examiné, dans la session dernière et dans celle-ci, le projet dont il s'agit en ce moment, se sont également accordées à penser que c'est par la loi que doivent être réglées les formalités à observer dans les marchés, et c'est aussi l'opinion qu'a exprimée M. le ministre des finances devant la Chambre des députés, en lui apportant le projet actuel. Pour expliquer le retranchement fait par le gouvernement de la disposition relative aux marchés, il a dit que cette matière pourrait faire l'objet d'une proposition de loi, soit de la part du gouvernement, soit de la part des Chambres.

Cette opinion, Messieurs, nous a paru devoir être d'autant moins délaissée, que la disposition qui vous est présentée pourrait ne pas atteindre le but qu'on se propose, car si de nouvelles dispositions sont désirées relativement aux marchés, c'est sans doute parce que celles existantes sont imparfaites, et ne donnent pas toutes les garanties nécessaires; mais s'il arrivait que les formes nouvelles que règlerait l'ordonnance parussent elles-mêmes insuffisantes, et laissassent encore accès aux abus, il faudrait bien enfin alors recourir à la loi tout ce qui résulterait donc dans ce cas de l'article proposé, c'est qu'il retarderait pour longtemps peut-être la loi aujourd'hui désirée, et les bons effets qu'on en attend.

Nous devons croire, d'ailleurs, que ce que le gouvernement devrait faire sous la forme d'ordonnance, en vertu de l'article 12, si vous adoptiez cet article, il s'empressera, dans le cas contraire, de le faire sous la forme de projet de loi; ce projet, mûri par la discussion des 2 Chambres, acquerra ainsi de nouvelles garanties de perfection et de durée.

Peu de mots nous restent à ajouter sur les trois derniers paragraphes de l'article 12. Ainsi que vous l'a dit, dans la session dernière, le rappor

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teur de votre commission sur le règlement dont nous nous occupons encore, et qui contenait une disposition de même nature, on peut difficilement se faire une idée des embarras qui résulteraient pour l'Administration de la nécessité de fournir chaque année l'Etat de plusieurs milliers de marchés, avec le nom et le domicile des parties contractantes, la durée, la nature, et les principales conditions du contrat; car vous remarquerez que ce ne sont pas seulement les marchés de 50,000 francs et au-dessus que cet état devrait comprendre, mais encore tous les marchés inférieurs, qui s'élèveraient ensemble, pour des objets de même nature, à 50,000 francs, Or, il est peu de marchés d'une nature telle, qu'il n'en soit point passe plusieurs autres de même nature dans la même année, soit à Paris, soit dans les autres parties de la France.

Aucune mesure, vous a dit encore le même rapporteur, ne serait plus susceptible de faire descendre toute l'administration dans les Chambres, et d'y amener de déplorables débats.

Cette opinion, Messieurs, est aussi la nôtre. Nous croyons donc que l'article 12 doit être écarté du projet.

Nous ne nous sommes pas toutefois dissimulé que tout changement fait au projet aura pour effet d'apporter quelque retard au règlement d'un exercice déjà ancien dont le bon ordre de la comptabilité réclame la clôture; et de prolonger, entre l'une et l'autre Chambre, un débat à la durée duquel pourrait s'attacher une apparence de collision dont l'intention est bien loin de vous. Mais c'est à vous seuls, Messieurs, c'est à votre sagesse qu'il appartient de marquer la part que ces graves considérations doivent prendre dans vos déterminations. Quant à nous, notre devoir était de vous rendre un compte fidèle du résultat de notre examen sur chacun des articles du projet; nous avons dù le remplir.

M. le Président. La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.

Le rapport que la Chambre vient d'entendre est assez long, et ne pourra être imprimé et distribué que dans deux jours. Il faudra le temps à MM. les pairs de l'étudier. Je proposerais donc à la Chambre de n'ouvrir la discussion sur le projet de loi que jeudi. (Assentiment.)

M. le comte d'Haubersart a un autre rapport à présenter au nom de la commission chargée d'examiner le projet de loi relatif au délai dans lequel doivent être retirées les sommes versées aux caisses des agents des postes, pour être remises à destination.

M. le comte d'Haubersart, rapporteur. Messieurs, dans votre session dernière, vous avez retranché du projet de loi relatif au règlement définitif des comptes de l'exercice 1829, un article dont l'objet était de déclarer acquises à l'Etat les sommes versées aux caisses des agents des postes, pour être remises à destination, et dont le remboursement n'aurait pas été réclamé par les ayants droit dans un délai de 5 années, à partir du jour du versement des fonds.

Vous reconnaissiez que la mesure, en elle-même, était utile et bonne; que, commandée par un intérêt administratif, elle n'avait rien que de juste et de régulier; mais vous avez pensé qu'une disposition de cette nature devait faire l'objet d'une foi spéciale.

Déférant à cette opinion, le gouvernement a présenté, au commencement de cette session, à

la Chambre des députés, un projet de loi contenant la même disposition.

La Chambre des députés a adopté ce projet, mais avec une modification qui recule à 8 années, au lieu de 5, le terme de la déchéance. Elle s'est déterminée à cet amendement par la considération que les personnes qui emploient la voie de la poste pour faire passer des fonds ou des secours à leurs enfants, leurs parents ou leurs amis, sont pour la plupart peu fortunes: que ces envois intéressent principalement des militaires et des pères de famille, pour qui la perte de sommes, toutes modiques qu'elles sont, serait très sensible.

Cet amendement a été le sujet de plusieurs observations, dans l'exposé que M. le ministre des finances vous a fait des motifs de la loi vous a dit que les parties intéressées ne retireront pas de la prolongation du délai de de chéance les avantages qu on avait en vue de leur procurer, l'expérience ayant démontré qu'apres les 3 premières années, les demandes en remboursement n'avaient plus aucune importance, et que cependant ce délai ainsi prolongé aura le double inconvénient d'augmenter le travail et les frais d'administration, et d'introduire inutilement dans la législation un nouveau terme de de chéance qui n'a d'analogie avec aucune des pres criptions prévues par le code et les lois de finances.

Toutefois, M. le ministre vous a déclaré qu' ne pouvait que s'en rapporter à votre sagesse, e ce qui concerne l'adoption de la modificatio dont il s'agit.

Votre commission a mis en balance ces diverses considérations, et elle n'a pas cru que celles qu vous a exposées M. le ministre des finances dusse prévaloir sur celles qui ont déterminé dans Chambre des députés l'adoption de l'amendemer introduit.

Si, par l'effet du plus long délai laissé aux clamations, les frais d'administration sont p considérables que dans le système du projet finitif, on ne peut pas dire pour cela que ces a soient pour le Trésor une charge sans compe tion; car il résulte d'un tableau fourni par l' ministration à la Chambre des députés, que sommes non réclamées dans les 5 ans s'élèv à 9,500 francs environ par année, et qu'apres délai les réclamations sont presque nulles.

Sans doute, ce terme de 8 cas par lesquels prescriront au profit du Trésor les sommes posées aux caisses des postes, ne rencontre da nos Codes aucune prescription analogue, ets ble dès lors avoir quelque chose d'insolite; dans le cas dont il s'agit ici, l'exception se ju fie par la situation particulière et la classe personnes en faveur desquelles elle est pr sée; c'est un adoucissement à ce que le pass subit de la prescription trentenaire à la pres tion par 5 ans pourrait ici avoir de trop brus Votre commission vous propose, Messic d'adopter le projet de loi.

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M. le Président. La Chambre ordonne l' pression et la distribution de ce rapport. Je proposerai de fixer la discussion après sur le règlement définitif du budget de 1829, + doit s'ouvrir jeudi. (Adhésion.)

La parole est donnée à M. le comte Sime rapporteur de la commission qui a eu à exami le projet de loi relatif à l'abrogation de la ut ! 19 janvier 1816 (Deuil du 21 janvier.)

M. le comte Siméon, rapporteur. Messie

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