Images de page
PDF
ePub

Aidé du ciel, trouvant dans fa jeunesse,
Ce qui tient lieu de beauté, de tendreffe,
Fermant les yeux, fe mit à fon devoir.

C'en eft affez, lui dit fa tendre épouse,
J'ai vu de vous ce que j'ai voulu voir;
Sur votre cœur j'ai connu mon pouvoir;
De ce pouvoir ma gloire était jaloufe;
J'avais raifon; convenez-en, mon fils
Femme toujours eft maîtreffe au logis.

Ce qu'à jamais, ROBERT, je vous demande
C'eft qu'à mes foins vous vous laiffiez guider.
Obéiffez, mon amour vous commande
D'ouvrir les yeux & de me regarder.

ROBERT regarde; il voit à la lumière
De cent flambeaux fur vingt luftres placés,
Dans un palais qui fut cette chaumière,
Sous des rideaux de perles rehauffés,
Une beauté, dont le pinceau d'Apelle,
Ou de Vanlo, ni le cifeau fidèle
Du bon Pigal, le Moine, ou Phidias,
N'auraient jamais imité les apás.
C'était Vénus, mais Vénus amoureuse,
Telle qu'elle eft, quand les cheveux épars,
Les yeux noyés dans fa langueur heureuse,
Entre fes bras elle atend le dieu Mars.
Tout eft à vous, ce palais & moi-même;
Jouiffez-en, dit-elle à fon vainqueur :
Vous n'avez point dédaigné la laideur,
Vous méritez que la beauté vous aime.
Mélanges. Tome I

I

Or maintenant j'entens mes auditeurs Me demander quelle était cette belle, De qui ROBERT eut les tendres faveurs. Mes chers amis, c'était la fée URGELLE, Qui dans fon tems protégea nos guerriers, Et fit du bien aux pauvres chevaliers.

O l'heureux tems que celui de ces fables, Des bons démons, des efprits familiers, Des farfadets aux mortels fecourables! On écoutait tous ces faits admirables Dans fon château, près d'un large foyer: Le père & l'oncle, & la mère & la fille, Et les voifins, & toute la famille, Ouvraient l'oreille à monfieur l'aumônier, Qui leur faifait des contes de forcier. On a banni les démons & les fées; Sous la raifon les graces étoufées Livrent nos cœurs à l'infipidité; Le raifonneur triftement s'acrédite. On court, hélas! après la vérité. Ah! croyez-moi, l'erreur a fon mérite.

L'ÉDUCATION

D'UN

PRINCE.

Puifque le dieu du jour en fes douze voyages

Habite triftement fa maifon du Verseau,
Que les monts font encor affiégés des orages,
Et que nos prés rians font engloutis fous l'eau,
Je veux au coin du feu vous faire un nouveau conte.
Nos loisirs font plus doux par nos amusemens.
Je fuis vieux, je l'avoue, & je n'ai point de honte
De gouter avec vous le plaifir des enfans.

[ocr errors]

Dans Bénévent jadis régnait un jeune prince
Plongé dans la moleffe, yvre de fon pouvoir,
Élevé comme un fot, & fans en rien favoir
Méprifé des voifins, haï dans fa province.
Deux fripons gouvernaient cet état affez mince;
Ils avaient abruti l'efprit de monfeigneur,
Aidés dans ce projet par fon vieux confeffeur;
Tous trois fe relayaient. On lui faifait acroire
Qu'il avait des talens, des vertus, de la gloire;
Qu'un duc de Bénévent, dès qu'il était majeur,
Était du monde entier l'amour & la terreur :
Qu'il pouvait conquerir l'Italie & la France,
Que fon tréfor ducal regorgeait de finance,
Qu'il avait plus d'argent que n'en eut Salomon
Sur fon terrain pierreux du torrent de Cédron.

Alamon (c'eft le nom de ce prince imbécile)
Avalait cet encens, & lourdement tranquile,
Entouré de boufons & d'infipides jeux,

Quand il avait dîné, croyait fon peuple heureux.
Il reftait à la cour un brave militaire,
Émon, vieux ferviteur du feu prince fon père,
Qui n'étant point payé lui parlait librement,
Et prédifait malheur à fon gouvernement.
Les miniftres jaloux, qui bientôt le craignirent,
De ce pauvre honnête homme aifément fe défirent;
Emon fut exilé; le maître n'en fut rien.
Le vieillard confiné dans une métairie,
Cultivait fagement fes amis & fon bien,
Et pleurait à la fois fon maître & fa patrie.
Alamon loin de lui laiffait couler fa vie,
Dans l'infipidité de fes molles langueurs.
Des fots bénéventins quelquefois les clameurs
Frapaient pour un moment fon ame apefantie.
Ce bruit fourd & lointain, qu'avec peine il entend,
S'afaiblit dans fa courfe, & meurt en arivant.
Le poids de la mifère acablait la province;
Elle était dans les pleurs, Alamon dans l'ennui;
Les tyrans triomphaient. Dieu prit pitié de lui,
Il voulut qu'il aimât pour en faire un bon prince.
Il vit la jeune Amide, il la vit, l'entendit;
Il commença de vivre, & fon cœur fe fentit.
Il était beau, bienfait, & dans l'âge de plaire.
Son confeffeur madré découvrit le mistère;
Il en fit un fcrupule à fon fot pénitent,
D'autant plus timoré qu'il était ignorant.

Et les deux fcélérats qui tremblaient que leur maitre
Ne fe connût un jour, & vint à les connaître,
Envoyèrent Amide avec le pauvre Émon.

Elle fit fon paquet, & le trempa de larmes.
On n'ofait réfifter. Le timide Alamon,
Vainement atendri, s'arachait à fes charmes ;
Car fon efprit flotant d'un vain remords touché,
Commençant à s'ouvrir n'était point débouché.
Comme elle allait partir, on entend bas les armes,
A la fuite, à la mort, combatons, tout périt,
Alla, San Germano, Mahomet, Jésus-Chrift.

[ocr errors]

On voit un peuple entier fuyant de place en place;
Un guerrier en turban plein de force & d'audace,
Suivi de musulmans, le cimeterre en main,
Sur des morts entaffés fe frayant un chemin,
Portant dans le palais le fer avec les flames,
Égorgeait les maris, mettait à part les femmes.
Cet homme avait marché de Cume à Bénévent;
Sans que le ministère en eut le moindre vent;
La mort le devançait & dans Rome la fainte
Saint Pierre avec faint Paul était, tranfi de crainte,
C'était, mes chers amis, le fuperbe Abdala,
Pour corriger l'églife envoyé par Alla."

"

Dès qu'il fut au palais, tout fut mis dans les chaînes Princes, moines, valets, miniftres, capitaines, Tels que les fils d'Io, l'un à l'autre atachés, Sont portés dans un char aux plus voifins, marchés, Tels étaient monfeigneur, & fes référendaires, Enchaînés par les pieds avec le confeffeur, Qui toujours fe fignant, & difant fes rofaires,

[ocr errors]

T

« PrécédentContinuer »