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Elle eft plus libre encor que le vaillant Bernois,
Le noble de Venife & l'efprit genevois.

D'un bout du monde à l'autre elle étend fon empire,
Parmi fes citoyens chacun voudrait s'inscrire.
Chez nos fœurs, ô grand Roi! le droit d'égalité,
Ridicule à la cour, eft toujours refpecté :

Mais leur gouvernement à tant d'autres contraire,
Reffemble encor au tien, puifqu'à tous il fait plaire.

ÉPITRE

ÉPITRE

A

MONSIEUR D'ALEMBERT.

Esprit jufte & profond, parfait ami, vrai fage,

D'Alembert, que dis-tu de mon dernier ouvrage ?
Le roi danois & toi mes juges fouverains

Vous donnez carte blanche à tous les écrivains.
Le privilège est beau. Mais que faut-il écrire?
Me permettriez-vous quelques grains de fatire?
Virgile a-t-il bien fait de pincer Mævius?
Horace a-t-il raifon contre Nomentanus?
Oui, fi ces deux latins montés fur le Parnaffe
S'égaiaient aux dépends de Virgile & d'Horace.
La défenfe eft de droit; & d'un coup d'aiguillon
L'abeille en tous les tems repouffa le frélon.
La guerre eft au Parnaffe, au confeil, en Sorbonne.
Allons, défendons-nous, mais n'ataquons perfonne.
Vous m'avez endormi, difait ce bon Trublet (1).
Je réveillai mon homme à grands coups de fiflet.
Je fis bien: chacun rit, & j'en ris même encore.
La critique a du bon, je l'aime & je l'honore;
Le parterre éclairé juge les combatans,
Et la faine raifon triomphe avec le tems.
Mélanges Tome I.

B

Lorfque dans fon grenier certain Larchet réclame (2)
La loi qui proftitue & fa fille & fa femme,
Lorfqu'il veut de Paris faire un vaste bordel,
Mon cher abbé Bazin lui répond qu'il eft tel,
Et que fur cet article on n'a plus rien à faire,
Mais que jamais la loi n'ordonna l'adultère.
Alors on examine, & le public inftruit
Se moque de Larchet qui jure en fon réduit.
L'abbé François écrit; le Léthé fur fes rives (3)
Reçoit avec plaifir fes feuilles fugitives.

Tancrède en vers croifés fait-il bailler Paris?
'On m'ennuye à mon tour des plus pefans écrits,
A Danchet, à Brunet le Pont Neuf me compare (4);
On préfère à mes vers Crébillon le barbare (5);
Cette longue difpute échaufe les efprits.

Alors, du plus bean feu vingt poëtes épris,
De chef-d'œuvres fans nombre enrichiffant la fcène,
Sur de fublimes tons font ronfler Melpomène.
Qu'importe que mon nom s'éface dans l'oubli,
L'efprit, le goût s'épure & l'art eft embelli.

Mais ne pardonnons pas à ces foliculaires,

De libelles afreux écrivains téméraires,

Aux stances de la Grange, aux couplets de Rouffeau, (6)
Que Mégère en couroux tira de fon cerveau.
Pour gagner vingt écus ce fou de la Beaumelle (7)
Infulte de Louis la mémoire immortelle.

Il croit deshonorer dans fes obfcurs écrits,

Princes, ducs, maréchaux, qui n'en ont rien apris.
Contre le vil croquant tout honnête homme éclate
Avant que fur fa joue ou fur fon omoplate,

Des rois & des héros les grands noms foyent vengés
Par l'empreinte des Lys qu'il a tant outragés.

Ces ferpens odieux de la litérature,
Abreuvés de poifons & rampans dans l'ordure,
Sont toujours écrafés fous les pieds des paffans.
Vive le cigne heureux qui par fes doux accens
Célébra les faifons, leurs dons & leurs ufages,
Les travaux, les vertus & les plaifirs des fages.
Vainement de Dijon l'impudent écolier (8)
Croaffa contre lui, du fonds de fon bourbier.
Nous laiffons le champ libre à ces petits critiques,
De l'ivrogne Fréron difciples faméliques,
Qui ne pouvant aprendre un honnête mêtier
De vers faint Innocent vont falir du papier,

Et fur les dons des dieux porter leurs mains impies, Animaux malfaifans femblables aux harpies,

De leurs ongles crochus & de leur foufle afreux

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Gâtant un bon diner qui n'était pas pour eux.

N O T J $

SUR L'ÉPITRE

S

A MONSIEUR D'ALEMBERT.

(1) Ce bon abbé Trublet. Voyez la pièce intitulée le pauvre Diable.

(2) Lorfque dans fon grenier certain Larchet reclame. Larchet repétiteur au collège Mazarin; il foutint opiniatrement que dans la grande ville de Babilone toutes les fem B

mes & les filles de la cour étaient obligées par la loi de fe proftituer une fois dans leur vie au premier venu pour de l'argent; & cela dans le temple de Vénus, quoique Vénus fût inconnue à Babilone; il trouvait fort mauvais qu'on ne crut pas à cette impertinence, puifqu'Hérodote l'avait dit exprefTément. Le même Larchet difputa fortement fur le grand ferpent Ophionée, fur le bouc de Mendes qui couchait avec des dames hébraïques; il traita notre auteur de vilain athée pour avoir dit que la Providence envoie la pefte & la famine fur la terre; il y a encor dans la pouffière des collèges de ces cuiftres qui femblent être du quinzième fiècle. Notre auteur ne fit que fe moquer de ce Larchet, & il fut fecondé de Paris à qui il le fit connaitre.

(3) L'abbé François écrit. Il y a en effet un abbé nommé François, des ouvrages duquel le fleuve Léthé s'eft chargé entiérement. C'eft un pauvre imbécile qui a fait un livre en deux volumes contre les philofophes; livre que perfonne ne connait ni ne connaitra.

(4) A Danchet, à Brunet. Danchet eft un de ces poëtes médiocres qu'on ne connait plus. Il a fait quelques tragédies & quelques opera; pour Brunet nous ne favons qui c'eft, à moins que ce ne foit un nommé monfieur le Brun, qui avait fait autrefois une ode pour engager notre auteur à prendre chez lui mademoiselle Corneille. Quelqu'un lui dit méchamment qu'on avait voulu recevoir mademoifelle Corneille, mais point fon ode, qui ne valait rien. Alors Mr. le Brun écrivit contre le même homme auquel il venait de donner tant de louanges. Cela eft dans l'ordre; mais il parait dans l'ordre auffi qu'on fe moque de lui.

(5) Crébillon le barbare. Nous ne favons fi par barbare on entend ici la barbarie d'Atrée, ou la barbarie du ftile qu'on a reprochée à Crébillon; c'eft peut-être l'un & l'autre. Mais ce n'eft pas parce qu'Atrée eft trop cruel qu'on ne joue point cette piéce, & qu'elle paffe pour mauvaise chez tous les gens de goût. Car dans Rodogune, Cléopatre eft plus cruelle encor; & cette atrocité même femblerait devoir être plus révoltante dans une femme que dans un homme: cependant, cette fin de la tragédie de Rodogune eft un chef-d'œuvre du théâtre & réuffira toûjours.

Nous trouvons dans le mercure de Novembre 1770, page 83 > les réflexions les plus judicieufes qu'on ait encor faites fur Atrée, les voici.

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En général les vengeances pour être intéreffantes au théatre doivent être promtes, fubites, violentes; il faut toûjours fraper de grands coups fur la fcène. Les horreurs longues & détaillées ne font que rebutantes. Mr. Crébillon

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