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VRAIE VERTU

SEPTIEME DISCOURS.

SUR LA VRAIE

LE nom de la vertu retentit fur la terre;

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On l'entend au théâtre, au bareau, dans la chaire;
Jufqu'au milieu des cours il parvient quelquefois :
Il s'eft même gliffé dans les traités des rois.
C'est un beau mot fans doute, & qu'on fe plait d'entendre,
Facile à prononcer, dificile à comprendre:
On trompe, on eft trompé. Je crois voir des jettons
Donnés, reçus, rendus, troqués par des fripons;
Ou bien ces faux billets, vains enfans du fyftême
De ce fou d'Écoffais qui fe dupa lui-même.

Qu'est-ce que la vertu? Le meilleur citoyen,
Brutus fe repentit d'être un homme de bien :
La vertu, difait-il, eft un nom fans fubftance.
L'école de Zénon, dans fa fière ignorance,
Prit jadis pour vertu l'infenfibilité.

Dans les champs levantins le derviche hébété
L'œil au ciel, les bras hauts & l'efprit en prières,
Du feigneur en danfant invoque les lumières,
En tournant dans un cercle au nom de Mahomet,
Croit de la vertu même ateindre le fommet.

Les reins ceints d'un cordon, l'oeil armé d'impudence,
Un hermite à fandale, engraiffé d'ignorance,
Parlant du nez à DIEU, chante au dos d'un lutrin
Cent cantiques hébreux mis en mauvais latin.

Le ciel puiffe bénir fa piété profonde!

Mais quel en eft le fruit? quel bien fait-il au monde ? Malgré la fainteté de fon augufte emploi,

C'est n'être bon à rien de n'être bon qu'à foi.

Quand l'ennemi divin des fcribes & des prêtres,
Chez Pilate autrefois fut trainé par des traîtres;
De cet air infolent qu'on nomme dignité,
Le Romain demanda, Qu'est-ce que vérité ?.
L'homme-DIEU, qui pouvait l'inftruire ou le confondre,
A ce juge orgueilleux dédaigna de répondre.
Son filence éloquent difait affez à tous,

Que ce vrai tant cherché ne fut point fait pour nous.
Mais lorfque pénétré d'une ardeur ingénue,
Un fimple citoyen l'aborda dans la rue,

Et que difciple fage il prétendit favoir

Quel eft l'état de l'homme, & quel. eft fon devoir;
Sur ce grand intérêt, fur ce point qui nous touche
Celui qui favait tout ouvrit alors, la bouche,
Et dictant d'un feul mot fes décrets folemnels,
Aimez DIEU, lui dit-il, mais aimez les mortels.
Voilà l'homme & fa loi, c'eft affez, le ciel même
A daigné tout nous dire en ordonnant qu'on aime.
Le monde eft médifant, vain, léger, envieux,
Le fuir eft très-bien fait, le fervir encor mieux:
A fa famille, aux fiens, je veux qu'on foit utile.
Où vas-tu loin de moi, fanatique indocile?
Pourquoi ce teint jauni, ces regards éfarés,
Ces élans convulfifs & ces pas égarés (1)?

(1) Les convulfionaires.

Contre un fiécle indévot plein d'une fainte rage,
Tu cours chez ta béate à fon cinquième étage;
Quelques faints poffédés dans cet honnête lieu,
Jurent, tordent les mains en l'honneur du BON DIEU;
Sur leurs tréteaux montés ils rendent des oracles,
Prédifent le paffé, font cent autres miracles;

L'aveugle y vient pour voir, & des deux yeux privé,
Retourne aux quinze-vingts marmotant fon avé.
Le boiteux faute & tombe; & fa fainte famille
Le ramène en chantant, porté fur fa bequille.
Le fourd au front ftupide écoute & n'entend rien.
D'aife alors tout pâmés, de pauvres gens de bien
Qu'un fot voifin bénit, & qu'un fourbe feconde,
Aux filles du quartier prêchent la fin du monde.
Je fais que ce mystère a de nobles apas.
Les faints ont des plaifirs que je ne connais pas.
Les miracles font bons; mais foulager fon frère,
Mais tirer fon ami du fein de la mifère,
Mais à fes ennemis pardonner leurs vertus,
C'est un plus grand miracle, & qui ne fe fait plus.
Ce magiftrat, dit-on, eft févère, inflexible:
Rien n'amollit jamais fa grande ame infenfible.
J'entens il faut haïr fa place & fon pouvoir;
Il fait des malheureux par zèle & par devoir.
Mais l'a-t-on jamais vu, fans qu'on le folicite,
Courir d'un air afable au-devant du mérite,
Le choifir dans la foule, & donner fon apui
A l'honnête homme obfcur qui fe tait devant lui?
De quelques criminels il aura fait justice!

C'est peu d'être équitable, il faut rendre fervice.

Le

Le jufte eft bienfaifant. On conte qu'autrefois
Le miniftre odieux d'un de nos meilleurs rois
Lui difait en ces mots fon avis defpotique:
Timante eft en fecret bien mauvais catholique,
On a trouvé chez lui la bible de Calvin;

A ce funefte excès vous devez mettre un frein;
Il faut qu'on l'emprifonne, ou du moins qu'on l'exile:
Comme vous, dit le roi, Timante m'eft utile;
Vous m'aprenez affez quels font fes atentats;
Il m'a donné fon fang, & vous n'en parlez pas.
De ce roi bienfaifant la prudence équitable
Peint mieux que vingt fermons la vertu véritable.
Du nom de vertueux feriez-vous honoré,
Doux & diferet Cyrus, en vous feul concentré,
Prêchant le fentiment, vous bornant à féduire,
Trop faible pour fervir, trop pareffeux pour nuire,
Honnête homme indolent qui dans un doux loifir,
Loin du mal & du bien, vivez pour le plaifir?
Non, je donne ce titre au cœur tendre & fublime,
Qui foutient hardiment fon ami qu'on oprime.
Il t'était dû fans doute, éloquent Peliffon,
Qui défendit Fouquet du fond de ta prifon.
Je te rens grace, ô ciel, dont la bonté propice
M'acorda des amis dans les tems d'injuftice,
Des amis courageux dont la mâle vigueur
Repouffa les affauts du calomniateur,
Du fanatique ardent, du ténébreux Zoïle,
Du miniftre abusé par leur troupe imbécile,
Et des petits tyrans boufis de vanité,
Dont mon indépendance iritait la fierté.
Mélanges. Tome I.

R

Oui, pendant quarante ans pourfuivi par l'envie,
Des amis vertueux ont confolé ma vie.
J'ai mérité leur zèle & leur fidélité;

J'ai fait quelques ingrats, & ne l'ai point été.

Certain législateur (2) dont la plume féconde. Fit tant de vains projets pour le bien de ce monde, Et qui depuis trente ans écrit pour des ingrats, Vient de créer un mot qui manque à Vaugelas. Ce mot eft bienfaifance, il me plaît, il raffemble, Si le cœur en eft cru, bien des vertus enfemble. Petits grammairiens, grands précepteurs des fots, Qui pefez la parole, & mefurez les mots, Pareille expreffion vous femble hazardée: Mais l'univers entier doit en chérir l'idée.

(2) L'abbé de Saint-Pierre. C'est lui qui a mis le mot de bienfaifance à la mode à force de le répéter. On l'apelle légiflateur, parce qu'il n'a écrit que pour réformer le gouvernement. Il s'eft rendu un peu ridicule en France par l'excès de fes bonnes intentions.

A VIS.

Nous avons retranché des Sept difcours précédens les variantes qu'on avait imprimées très-mal à propos & très-incorrectement dans des éditions précédentes. C'est une vaine curiofité & digne des commentateurs de rechercher les vers que l'auteur a crus indignes du public, & auxquels il en a subslitué de meilleurs. Ces recherches d'ailleurs font fouvent fi fautives, que nous avons foigneusement évité d'en groffir notre recueil.

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