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É P P I I T R E

A L'IMPERATRICE DE RUSSIE.

Élève

Lève d'Apollon, de Thémis & de Mars,

Qui fur ton trône augufte as placé les beaux arts,
Qui penfes en grand homme, & qui permets qu'on pense;
Toi, qu'on voit triompher du tiran de Bizance,
Et des fots préjugés, tyrans plus odieux;
Prête à ma faible voix des fons mélodieux;
A mon feu qui s'éteint rend fa clarté première :
C'est du nord aujourd'hui que nous vient la lumière.
On m'a trop accufé d'aimer peu Moustapha,
Ses vifirs, fes divans, fon muphti, fes fetfa,
Fetfa! ce mot arabe eft bien dur à l'oreille;
On ne le trouve point chez Racine & Corneille;
Du dieu de l'harmonie il fait frémir l'archet.
On l'exprime en français par lettres de cachet.

Oui, je les hais, MADAME, il faut que je l'avoue.
Je ne veux point qu'un Turc à fon plaifir fe joue
Des droits de la nature & des jours des humains;
Qu'un bacha dans mon fang trempe à fon gré ses mains
Mélanges. Tome L

A

Que prenant pour fa loi fa pure fantailie,
Le vifir au bacha puiffe arracher la vie,
Et qu'un heureux fultan dans le fein du loifir
Ait le droit de ferrer le col de fon vifir.

Ce code en mon efprit fait naître des fcrupules.
Je ne faurais foufrir les afronts ridicules
Que d'un faquin châtré les groffières hauteurs (1)
Font fubir gravement à nos ambassadeurs.

Tu venges l'univers en vengeant la Ruffie.
Je fuis homme, je penfe; & je te remercie.

Puiffent les dieux furtout, fi ces dieux éternels
Entrent dans les débats des malheureux mortels,
Puiffent ces purs efprits émanés du grand Etre,
Ces moteurs de deftins, ces confidens du maître,
Que jadis dans la Grèce imagina Platon,
Conduire tes guerriers aux champs de Marathon (2),

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(1) Le chiaoux bacha qui eft d'ordinaire un eunuque blanc, veut toujours prendre la main fur l'ambaffadeur quand il vient le complimenter. Quand le grand eunuque noir marche, il faut, fi un ambaffadeur fe trouve fur fon paffage, qu'il s'arrête jufqu'à ce que tout le cortège de l'eunuque foit paffé. Il en eft à plus forte raifon de même avec le grand vifir les deux cadilesker & le muphti; mais l'excès de l'infolence barbare, eft de faire enfermer au château des fept tours les ambaffadeurs des puiffances auxquelles ils veulent faire la guerre. Le fultan Moustapha avant de déclarer la guerre à la Ruffie, a commencé par mettre en prifon le réfident Obreskow au mépris du droit des gens.

(2) On connait affez les batailles de Marathon, de Platée & de Salamine. La victoire de Marathon fut remportée par Miltiade & neuf autres chefs fes collègues qui n'avaient que dix mille Athéniens contre cent mille hommes de pied & dix mille cavaliers, commandés par les généraux du roi de Perfe Darius. Cet événement reffemble à la bataille de Poitiers; mais ce qui rend la victoire des Grecs plus étonnante, c'est

Aux remparts de Platée, aux murs de Salamine;
Que fortant des debris qui couvrent fa ruine,
Athène reffufcite à ta puiffante voix:

Rends lui fon nom, fes dieux, fes talens & fes loix.
Les defcendans d'Hercule & la race d'Homère,
Sans cœur & fans efprit couchés dans la pouffière,
A leurs divins aieux craignant de reffembler,
Sont des fripons rampans qu'un aga fait trembler ( 3 ).

qu'ils n'étaient point retranchés comme les Anglais l'étaient auprès de Poitiers, & qu'ils attaquèrent les ennemis. Au refte, il n'eft pas bien für que les Perfes fuffent au nombre de cent dix mille; il faut toujours rabatre de ces exagérations.

La bataille de Salamine eft un combat naval dans lequel Thémiftocle défit la flote de Xerxes, après que ce monarque eut réduit en cendres la ville d'Athènes. Cette journée eft encor plus furprenante, les Atheniens avant cette guerre n'avaient jamais combatu fur mer.

C'eft à peu près ainfi que la petite flote de l'impératrice CATHERINE II, fous le commandement du comte Alexis Orloff á détruit entiérement la flote ottomane le 6 Juin 1770. Le nom d'Orloff n'eft pas fi harmonieux que celui de Miltiade, máis doit aller de même à la poftérité.

La journée de Platée eft femblable à celle de Marathon. Ariftide & Paufanias avec environ foixante mille Grecs défirent entièrement une armée de cinq cent mille Perfes felon Diodore de Sicile; fupofé qu'une armée de cinq cent mille hommes ait pu fe mettre en ordre de bataille dans les défilés dont la Grèce eft coupée. Mardonius chef de l'armée perfane y fut tué; supofé qu'un Perfe fe foit jamais apellé Mardonius, ce qui eft auffi ridicule que fi on l'avait apellé Villars ou Turenne.

Xerxes poffédait les mêmes pays que Moustapha. Le comte de Romanzow a batu le grand vifir turc, comme Paufanias & Ariftide batirent celui de Xerxes; mais il n'a pas eu à faire à cinq cents mille Turcs. Nous fommes plus modeftes aujourd'hui.

(3) Ceci ne doit pas s'entendre de tous les Grecs, mais de ceux qui n'ont pas fecondé les Ruffes comme ils le devaient.

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Ainfi dans la cité d'Horace & de Scevole
On voit des recolets aux murs du Capitole.
Ainfi cette Circé qui favait dans fon tems
Difpofer de la lune & des quatre élémens,
Gourmandant la nature au gré de fon caprice
Changeait en chiens barbets les compagnons d'Uliffe.
Tu changeras les Grecs en guerriers généreux,
Ton efprit à la fin fe répandra fur eux.

Ce n'eft point le climat qui fait ce que nous fommes
Pierre était créateur, il a formé des hommes.
Tu formes des héros. Ce font les fouverains
Qui font le caractère & les mœurs des humains.
Un grand homme du tems a dit dans un beau livre,
Quand Augufte buvait la Pologne était ivre (4).
Ce grand homme a raifon. Les exemples d'un roi
Feraient oublier Dieu, la nature & la loi.
Si le prince est un fot, le peuple eft fans génie.

Qu'un vieux fultan s'endorme avec ignominie
Dans les bras de l'orgueil & d'un repos fatal:
Ses bachas affoupis le ferviront fort mal.
Mais CATHERINE veille au milieu des conquêtes;
Tous fes jours font marqués de combats & de fêtes,

(4) Ce vers cité eft du roi de Pruffe. Il eft dans une épitre à fon frère.

Lorfqu'Augufte buvait la Pologne était ivre,

Lorfque le grand Louis brulait d'un tendre amour,
Paris devint Cithère, & tout fuivit la cour.
Quand il fe fit dévot, ardent à la prière,
Le lâche courtifan marmota fon bréviaire.

Elle donne le bal, elle dicte des loix,
De fes braves foldats dirige les exploits,
Par les mains des beaux arts enrichit fon empire,
Travaille jour & nuit, & daigne encor m'écrire;
Tandis que Moustapha caché dans son palais,
Baille, n'a rien à faire & ne m'écrit jamais.

Si quelque chiaoux lui dit que fa hauteffe
A perdu cent vaiffeaux dans les mers de la Grèce,
Que fon vifir batu s'enfuit très à propos,
Qu'on lui prend la Dacie, & Nimphée & Colcos,
Colcos où Mitridate expira fous Pompée (5),
De tous ces vains propos fon ame eft peu frapée;
Jamais de Mitridate il n'entendit parler.
Il prend fa pipe, il fume; & pour fe confoler
Il va dans fon harem où languit fa maîtreffe,
Fatiguer fes apas de fa molle faibleffe.
Son vieil eunuque noir, témoin de fon tranfport,
Lui dit qu'il eft Hercule; il le croit & s'endort.
O fageffe des dieux, je te crois très-profonde;
Mais à quels plats tyrans as-tu livré le monde !
Achève, CATHERINE, & rends tes ennemis,
Le grand Turc, & les fots, éclairés & foumis.

(5) Pompée défit Mitridate fur la route de l'Ibérie à la Colchide, mais Mitridate fe donna la mort à Panticapée.

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