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Qui penfent qu'à Pékin tout monarque eft athée (16); Et que la compagnie autrefois tant vantée,

En difant à la Chine un éternel adieu,

Vous a permis à tous de renoncer à Dieu.

Mais fans aprofondir ce qu'un Chinois doit croire,`
Séguier t'afublerait d'un beau réquifitoire (17):
La cour pourait te faire un fort mauvais parti :
Et blâmer par arrêt tes vers & ton changti.

La Sorbonne en latin (mais non fans folécismes)
Soutiendra que ta mufe a besoin d'exorcifmes;
Qu'il n'eft de gens de bien que nous & nos amis :
Que l'enfer, grace à Dieu, t'eft pour jamais promis.
Difpenfateurs fourés de la vie éternelle,

Ils ont rôti Trajan & bouilli Marc-Aurèle.
Ils t'en feront autant: & partout condamné,
Tu ne feras venu que pour être damné.

Le monde en factions dès longtems fe partage.
Tout peuple a fa folie ainfi que fon ufage.
Ici les Ottomans bien fürs que l'Eternel
Jadis à Mahomet députa Gabriel,

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Vont fe laver le coude aux baffins des mofquées (18). Plus loin du grand Lama les reliques mufquées (19) Paffent de fon derrière au cou des plus grands rois.

Quand la troupe écarlate à Rome a fait un choix, L'élu, fût-il un fot, eft dès lors infaillible.

Dans l'Inde le Véidam, & dans Londres la Bible (20)
A l'hôpital des fous ont logé plus d'efprits,

Que Grizel n'a trouvé de dupes à Paris (21).
Monarque au nez camus des fertiles rivages,
Peuples, à ce qu'on dit, de fripons & de fages,

Régne en paix, fai des vers & goûte de beaux jours.,
Tandis que fans argent, fans amis, fans fecours,
Le Mogol eft errant dans l'Inde enfanglantée,
Que d'orages nouveaux la Perfe eft agitée,
Qu'une pipe à la main, fur un large fopha,
Mollement étendu, le pefant Moustapha
Voit le Ruffe entaffer des victoires nouvelles
Des rives de l'Araxe au bord des Dardanelles;
Et qu'un bacha du Caire à fa place eft affis
Sur le trône où les chats régnaient avec Ifis.

Nous autres cependant, au bout de l'hémisphère,
Nous, des Welches groffiers poftérité légère,
Livrons-nous en riant, dans le fein des loifirs,
A nos frivolités que nous nommons plaifirs;
Et puiffe, en corrigeant trente ans d'extravagances (22),
Monfieur l'abbé Terrai rajufter nos finances (23)!

N O I JE S

SUR L'ÉPITRE

AU ROI DE LA CHINE.

(1) Raçoi mon compliment charmant roi de la Chine. Kien Long, roi ou empereur de la Chine, actuellement régnant a compofé vers l'an 1743 de notre ère vulgaire un poëme cn vers chinois & en vers tartares. Ce n'est pas à beaucoup près fon feul ouvrage. On vient de publier la traduction fran

caife de ce poëme.

Les Chinois & les Tartares ont le malheur de n'avoir pas comme prefque tous les autres peuples, un alphabet, qui à l'aide d'environ vingt-quatre caractères puiffe fufire à tout exprimer. Au lieu de lettres, les Chinois ont trois mille

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trois cents quatre-vingts-dix caractères primitifs, dont chacun exprime une idée. Ce caractère forme un mot ; & ce mot avec une petite marque additionelle en forme un autre. J'aime, gnuo, fe peint par une figure. J'ai aimé, j'aurais aimé, j'aimerai, demandent des figures un peu diférentes, dont le caractère qui peint gnao eft la racine.

Cette méthode a produit plus de quatre-vingts mille figures qui compofent la langue; & à mesure qu'on fait de nouvelles découvertes dans la nature & dans les arts, elles exigent de nouveaux caractères pour les exprimer. Toute la vie d'un Chinois lettré fe confume donc dans le foin pénible d'aprendre à lire & à écrire.

Rien ne marque mieux la prodigieuse antiquité de cette nation qui aiant d'abord exprimé comme toutes les autres le petit nombre d'idées abfolument néceffaires par des lignes & par des figures fimboliques pour chaque mot, a perfévéré dans cette méthode antique lors même qu'elle eft devenue infuportable.

Ce n'eft pas tout les caractères ont un peu changé avec le tems, & il y en a de trente-deux efpèces diférentes. Les Tartares Mantchoux fe font trouvés accablés du même embaras; mais ils n'étaient point encor parvenus à la gloire d'être furchargés de trente-deux façons d'écrire. L'empereur Kien-Long qui eft, comme on fait, de race tartare a voulu que fes compatriotes jouiffent du même honneur que les Chinois. Il a inventé lui-même des caractères nouveaux aidé dans l'art de multiplier les dificultés par les princes de son sang, par un des fes frères, un de fes oncles, & les principaux colao de l'empire.

On s'eft donné une peine incroiable, & il a fallu des années pour faire imprimer de foixante-quatre manières diféren tes fon poëme de Moukden qui aurait été imprimé facilement eu deux jours, fi les Chinois avaient voulu fe réduire à l'alphabet des autres nations.

Le refpect pour l'antique & pour le dificile se montrent ici dans tout leur fafte & dans toute leur mifère. On voit pourquoi les Chinois, qui font peut-être le premier des peuples policés pour la morale, font le dernier dans les fciences, & que leur ignorance eft égale à leur fierté.

Le poëme de l'empereur Kien-Long a plus d'un mérite, foit dans le fujet qui eft l'éloge de fes ancêtres & où la pieté filiale femble naturelle, foit dans les defcriptions inftructives pour nous, de la ville de Monkden & des animaux, des plantes de cette vafte province, foit dans la clarté du ftile, perfection fi rare parmi nous. Il est encore à croire que l'auteur parle purement: c'est un avantage qui manque à plus d'un de nos poetes..

Ce

Ce qui eft furtout très remarquable, c'est le refpect dont cet empereur parait pénétré pour l'être fupreme. On doit pefer fes paroles à la page 103 de la traduction. Un tel puys, de tels hommes ne pouvaient manquer d'atirer fur eux des regards de prédilection de la part du fouverain maître qui règne dans le plus baut des cieux. Voilà bien de quoi confondre à jamais tous ceux qui ont imprimé dans tant de livres que le gouvernement chinois eft athée. Comment nos théologiens detracteurs ont-ils pu accorder les facrifices folemnels avec l'athéisme ? N'était-ce pas affez de fe contredire continuellement dans leurs opinions, falait-il fe contredire encor pour calomnier d'autres hommes au bout de l'hémisphère ?

auteur d'ailleurs

Il eft trifte que l'empereur Kien-long fort modefte, dife qu'il defcend d'une vierge qui devint groffe par la faveur du ciel, après avoir mangé d'un fruit rouCela fait un peu de tort à la fageffe de l'empereur & à Il eft vrai que c'eft une ancienne tradition de fa familie. Il eft encor vrai qu'on en avait dit autant de la mère de Gengis-Kan.

ge.

celle de fon ouvrage.

Une chofe qui fait plus d'honneur à Kien-Long, c'est l'extrême confidération qu'il montre pour l'agriculture, & fon amour pour la frugalité.

N'oublions pas que tout originaire qu'il eft de la Tartarie, il rend hommage à l'antiquité inconteftable de la nation chinoife. Il eft bien loin de rêver que les Chinois font une colonie d'Egypte; les Egyptiens, dans le tems même de leurs hiérogliphes, eurent un alphabet, & les Chinois n'en ont ja'mais eu. Les Egyptiens eurent douze fignes du zodiaque empruntés mal à propos des Caldéens, & les Chinois en eurent toujours vingt-huit: tout eft diférent entre ces deux peuples. Le père Parenin réfuta pleinement cette imagination il y a quelques années dans fes lettres à monfieur de Mairan.

(2) Bulle unigénitus, billets aux confelés,

Et le refus d'un gite aux chrétiens trépassés.

TAYLOR

OXFORD

Ce paffage n'a guères befoin de commentaire. On fait affez quelles peines la fageffe du roi très chrétien & du miniftère ont eues à calmer toutes ces querelles auffi odieufes que ridicules. Elles ont été pouffées jufqu'à refufer la fepulture aux morts. Ces horribles extravagances font certainement inconnues à la Chine, où nous avons eu pourtant la hardieffe d'envoyer des miffionnaires.

(3) Des fales héritiers d'Etienne de Plantin. Probablement, l'auteur donne l'épitéte de fales aux imprimeurs, parce que leurs mains font toujours noircies d'encre. Les EtienMélanges. Tome I.

D

7

nes & les Plantins étaient des imprimeurs très favans & très corrects, tels qu'il s'en trouve aujourd'hui rarement.

(4) C'est-là qu'on vit briller ce grave magiftrat. L'auteur fait allufion fans doute à un principal magiftrat de la ville de Montauban, qui dans fon difcours de reception à l'académie françaife, fembla infulter plufieurs gens de lettres, qui lui répondirent par un déluge de plaifanteries. Mais ces facéties ne portent point fur l'effentiel, & laiffent fubfifter le mérite de l'homme de lettres, & celui du galant homme.

, que ce

(5) Du janfénisme obfcur le fougueux gazetier. On ne peut méconnaitre à ce portrait l'auteur du libelle hebdomadaire qu'on débite clandeftinement & réguliérement fous le nom de nouvelles eccléfiaftiques, depuis plufieurs années. Rien ne reffemble moins à l'eccléfiaftique ou à l'eccléfiafte libelle dans lequel on déchire tous les écrivains qui ne font pas du parti, & où l'on accable des plus fades louanges ceux qui en font encore. Je ne fuis pas étonné que l'auteur de la lettre au roi de la Chine, donne le nom d'obfcur au janfénifme. Il ne l'était pas du tems de Pafcal, d'Arnauld & de la ducheffe de Longueville; mais depuis qu'il eft devenu une caverne de convulfionnaires, il est tombé dans un affez grand mépris. Au refte, il ne faut pas confondre avec les janféniftes convulfionnaires les gens de bien éclairés, qui foutiennent les droits de l'églife gallicane & de toute églife, contre les ufurpations de la cour de Rome. Ce font de bons citoyens & non des janféniftes; ils méritent les remerciemens de l'Europe.

On croit que

(6) Hayet pourfuit de loin les enciclopédistes. ce Hayet était un moine récolet qui avait part à un journal, dans lequel on difait des injures au dictionnaire enciclopédique. On apellait ce journal chrétien, comme fi les autres journaux de l'Europe avaient été payens. Les injures n'étaient pas chrétiennes. Bien des gens doutent que ce journal ait exifté. Cependant, il eft certain qu'il a été imprimé plu fieurs années de fuite.

(7) Linguet fond en couroux fur les économistes. Les économistes font une focieté qui a donné d'excellens morceaux fur l'agriculture, fur l'économie champêtre, & fur plufieurs objets qui intéreffent le genre humain. Monfieur Linguet eft un avocat de beaucoup d'efprit, auteur de plufieurs ouvrages, dans lefquels on a trouvé des vues philofophiques & des paradoxes. Il a eu des querelles affez vives avec les économiftes auteurs des éphémérides du citoyen, & s'eft tiré avec un fuccès plus brillant de celles que l'abbé la Blétrie lui a fufcitées.

(8) A bruler les payens Ribalier fe morfond. Ceci est une allufion vifible à la grande querelle de monfieur Ribalier prin

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