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P I T R E

A U ROI DE SUED E.

GUstave, jeune roi, digne de ton grand nom,

Je n'ai donc pu goûter le plaifir & la gloire
De voir dans mes déferts, en mon humble maison,
Le fils de ces héros que célébra l'histoire!

J'aurais cru reffembler à ce vieux Philémon
Qui recevait les dieux dans fon pauvre hermitage.
Je les aurais connus à leur noble langage,

A leurs mœurs, à leurs traits, furtout à leur bonté (*);
Ils n'auraient point rougi de ma fimplicité;
Et Guftave furtout pour le prix de mon zèle
N'aurait jamais changé mon logis en chapelle.
Je ferais peu content que le pouvoir divin
En un dortoir béni transformant mon jardin,
De ma falle à manger fit une facriftie.

La grand-meffe pour moi n'a que peu d'harmonie.
En vain mes chers vaffaux me croiraient honoré
Si le feigneur du lieu devenait leur curé.
J'ai le cœur très-profâne, & je fais me connaitre.
Je ne me flate pas de me voir jamais prêtre.
Si Philémon le fut pour un mauvais fouper
L'éclat de ce haut rang ne faurait me fraper.

(*) Le prince fon frère était avec lui.

Le grand roi des Bretons qu'à St. Pierre on condamne Eft le premier prélat de l'églife anglicane.

Sur les bords du Volga Catherine tient lieu
D'un grave patriarche, ou fi l'on veut de Dieu.
De cette ambition je n'ai point l'ame éprife,
Et je fuis tout au plus ferviteur de l'eglife.
J'aurais mis mon bonheur à te faire ma cour,
A contempler de près tout l'efprit de ta mère
Qui forma tes beaux ans dans le grand art de plaire,
A revoir fans fouci ce fortuné féjour

Où règne la victoire & la philofophie,

Où l'on voit le pouvoir avec la modeftie.
Jeune héros du nord entouré de héros,

A ces nobles plaifirs je ne peux plus prétendre.
Il ne m'eft pas permis de te voir, de t'entendre.
Je refte en ma chaumiere atendant qu'Atropos
Tranche le fil ufé de ma vie inutile:

Et je crie aux deftins du fond de mon azile,
Deftins qui faites tout, & qui trompez nos vœux,
Ne trompez pas les miens; rendez GUSTAVE heureux.

JÉ P I T R E

AU ROI DE DANEMARK

SUR LA

LIBERTÉ DE LA

DE LA PRESSE

ACCORDÉE DANS TOUS SES ÉTATS.

Monarque vertueux quoique né defpotique,

Crois-tu régner fur moi de ton golphe baltique?
Suis-je un de tes fujets pour me traiter comme eux,
Pour confoler ma vie & pour me rendre heureux ?
Peu de rois comme toi tranfgreffent les limites
Qu'à leur pouvoir facré la nature a prefcrites.
L'empereur de la Chine à qui j'écris fouvent,
Ne m'a pas jufqu'ici fait un feul compliment.
Je fuis plus fatisfait de l'augufte Amazone
Qui du gros Mouftapha vient d'ébranler le trône.
Et Staniflus le fage, & Fréderic le grand
(Avec qui j'eus jadis un petit diférend)
Font paffer quelquefois dans mes humbles retraites
Des bontés dont la Suiffe embellit fes gazettes.
Avec Ganganelli je ne fuis pas fi bien.
Sur mon voyage en Pruffe il m'a cru peu chrétien.
Ce pape s'eft trompé, bien qu'il foit infaillible.

Mais fans examiner ce qu'on doit à la bible,

S'il vaut mieux dans ce monde être pape que roi,
S'il eft encor plus doux d'être obfcur comme moi,
Des déferts du Jura ma tranquille vieillesse
Ofe fe faire entendre à ta fage jeuneffe;

Et libre avec respect, hardi fans être vain,
Je me jette à tes pieds au nom du genre humain.
Il parle par ma voix, il bénit ta clémence,

Tu rends fes droits à l'homme, & tu permets qu'on penfe.
Sermons, romans, phyfique, ode, hiftoire, opéra,
Chacun peut tout écrire: & fifle qui voudra.
Ailleurs on a coupé les ailes à Pégaze.
Dans Paris quelquefois un commis a la phrafe
Me dit à mon bureau venez vous adreffer.
, Sans l'agrément du roi vous ne pouvez penser.

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Pour avoir de l'efprit allez à la police.

Les filles y vont bien fans qu'aucune en rougisse. Leur métier vaut le vôtre: il eft cent fois plus doux; Et le public fenfé leur doit bien plus qu'à vous".

C'est donc ainfi, grand roi, qu'on traite le Parnaffe Et les fuivans honnis de Plutarque & d'Horace !

Bélifaire à Paris ne peut rien publier (1)

S'il n'eft pas de l'avis de monfieur Riballier.

(1) Le chapitre quinzieme du roman moral de Bélifaire paffe en général pour un des meilleurs morceaux de littérature, de philofophie & de vraie pieté qui aient jamais été écrits dans la langue françaife. Son fuccès univerfel irrita un principal de collège, docteur de Sorbonne, nommé Riballier, qui avec un autre régent de collège nommé Cogé, fouleva une grande partie de la Sorbonne contre Mr. de Marmontel auteur de cet ouvra ge. Les docteurs cherchèrent pendant fix mois entiers des propofitions mal fonantes, téméraires, fentant l'héréfie. Il fallut bien qu'ils en trouvaffent. On en trouverait dans le pater

A S

Hélas! dans un état l'art de l'imprimerie

Ne fut en aucun tems fatal à la patrie.

Les pointes de Voiture & l'orgueil des grands mots (2) Que prodigua Balzac affez mal à propos,

Les romans de Scarron n'ont point troublé le monde;
Chapelain ne fit point la guerre de la Fronde.

Chez le Sarmate altier la difcorde en fureur (3)
Sous un roi fage & doux femant par tout l'horreur,
De l'empire ottoman la fplendeur éclipfée,
Sous l'aigle de Mofcou fa force terraffée,

Tous ces grands mouvemens feraient-ils donc l'éfet
D'un obfcur commentaire ou d'un méchant fonnet?

nofter en tranfpofant un mot & en abufant d'un autre. (Voiez l'article LIVRE dans les questions fur l'enciclopédie ).

La faculté fit enfin imprimer fa cenfure en latin comme en français & elle commençait par un folecifme. Le pu blic en rit & bientôt on n'en parla plus.

(2) Voiture qui fut frivole & qui ne chercha que le bel efprit; Balfac qui fut toujours empoulé, & qui ne dit prefque jamais rien d'utile, eurent une très grande réputation dans leur tems. Chapelain en eut encor davantage; ils étaient les rois de la littérature. Les querelles dont ils furent l'objet ne fervirent qu'à faire naître enfin le bon goût . & ne caufèrent d'ailleurs aucun mal.

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(3) Ce fera aux yeux de la poftérité nn événement unique, même en Pologne qu'une guerre civile fi acharnée & fi cruelle fous un Roi auquel la faction opofée n'a jamais pu reprocher la moindre contravention aux loix, le plus léger abus de l'autorité, ni même la moindre action qui put déplaire dans un particulier. C'eft pour la premiere fois qu'on a vu un roi fe borner à plaindre ceux qui fe rendaient malheureux eux-mêmes en ravageant leur patrie. Il ne leur a donné que l'exemple de la modération.

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