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On defcend dans ces Mines par différens puits qui font für une petite éminence au-deffus du Village de Braffac, dont les uns fervent à monter les facs de charbon qu'on a tiré des galleries, les autres à épuifer les eaux de la Mine: ceuxci ont plus de 250 pieds de profondeur, & font creufés avec tant d'art, qu'ils reçoivent toutes les eaux de la Mine, enforte que le Charbon eft parfaitement fec dans les galleries. L'épuisement des eaux eft un travail continuel, & qui caufe de grandes dépenfes : on éleve alternativement, par le moyen d'une machine à rouës dentées qu'un Cheval fait mouvoir deux grands féaux qui verfent en-dehors les eaux de la Mine. On mesure avec grand foin chaque jour l'abaiffement de l'eau dans les puits; & quand le tems eft fec, on fait baiffer l'eau de 6 pouces en 24 heures : mais on observe des cruës bien fenfibles après les tems de pluye; car une pluye un peu abondante détruit quelquefois le travail de plufieurs jours. Cette Obfervation, pour le dire en paffant, eft bien contraire au fentiment de ceux qui prétendent que les eaux de la pluye ne fçauroient pénétrer les terres affez avant, pour entretenir les Fontaines, & qui fe prévalent d'une Expérience de M. de la Hire, qui n'eft confequente que pour certaines terres fortes, & non pas pour celles qui font fabloneufes ou pierreufes; car il eft clair, par les mesures prifes journellement dans nos puits, que les eaux de la pluye pénétrent fort bien jufqu'à la profondeur de 250 pieds.

On fe fert du tourniquet fimple pour monter le Charbon par les autres puits; & c'eft au bas de ceux-ci qu'aboutiffent les galleries. Les grandes galleries ont, autant qu'il eft poffible, des puits à chacune de leur extrémité, par où l'air entre continuellement dans la Mine, & fupplée à celui qui eft détruit par les vapeurs & la refpiration des Ouvriers: ces puits font quarrés & d'une largeur raifonnable: comme ils font étayés dans toute leur étendue avec des chevrons de Pin, & que ce fuftage eft par-tout garni de rames, il ne m'a pas été poffible d'avoir un état bien exact des differentes matieres qui font au-deffus du Charbon, ni de mefurer les dimenfions de leurs lits. Voici cependant ce que j'ai pû ap

percevoir : Les premieres couches font d'une terre noirâtre, légere & bitumineufe; enfuite on trouve un banc de roc grisâtre & très-dur, qui a bien 7 ou 8 toifes d'épaiffeur, fuivant le rapport des Ouvriers: Au-deffous de ce Rocher reparoît la terre noirâtre, mais bien plus bitumineuse; après cette terre fuit un lit de Schift, au-deffous duquel on trouve enfin le Charbon dont il y a de plufieurs qualités.

Le Charbon n'eft pas ici difpofé par lits, veines ou Filons, comme les matieres métalliques; c'eft une maffe homogéne telle que les carrieres à fable, en forte qu'on peut creufer en tout fens avec profit: mais on obferve que le Charbon fuperficiel eft d'une moindre qualité; qu'il eft terreux, peu flambant, & n'échauffe que médiocrement; au lieu que celui qui fe tire à une plus grande profondeur eft bien plus parfait; le plus beau Charbon en mottes féches, fragiles, légeres & brillantes, s'appelle le Puceau ; il ne fe trouve qu'à une grande profondeur, où les Particuliers qui ont des mines, ne s'embarraffent pas d'atteindre; les Mines de la Compagnie fourniffent déja du Puceau en quelques endroits.

Quand je dis que la Mine de Charbon eft une maffe homogéne, j'en excepte cependant quelques veines de Schift ou fauffe Ardoife, qui la traversent: mais ces veines font affez rares, & n'ont pas beaucoup d'étendue. Quand on les rencontre, en fuivant une gallerie, on en eft quitte pour les caffer au pic, afin de paffer outre. Ce Schift eft très-dur au fond de la mine; mais quand il a été expofé pendant quelques jours à l'air, il s'effeuille & fe réduit en pouffiere. M'étant amufé à confiderer des morceaux de ce Schift, qui avoient déja éprouvé l'action de l'air, j'ai apperçu les impreffions de plufieurs efpeces de Fougeres, qui me font prefque toutes inconnues; je crois cependant avoir remarqué l'impreffion des feuilles de l'Ofmonde Royale dont je n'ai jamais vu un feul pied dans toute l'Auvergne.

Quelquefois, pour ne pas interrompre le travail de ceux qui font occupés à monter le Charbon au haut des puits, on a plutôt fait, pour se débarraffer des fragmens de Schift, de faire une efpece de cul-de-fac, & d'y brouetter ces rocailles:

cette raifon a principalement donné lieu à plusieurs de ces culs-de-fac que l'on rencontre de tems en tems dans les galleries. Or dans les grandes chaleurs de l'Eté ces endroits font fouvent remplis d'une vapeur qu'on appelle la Pouffe, & qui devient quelquefois funefte aux Ouvriers qui travaillent aux Mines. On dit que fi un homme y reftoit pendant quelques minutes, il feroit bientôt fuffoqué. Cette vapeur ne fe borne pas feulement aux culs - de-fac, elle infecte auffi quelquefois les galleries, & même les puits de def cente; mais elle ne regne avec tant de violence, que dans les plus grandes chaleurs de l'Eté, & alors il faut abfolument ceffer les travaux de la Mine, on y courroit rifque de la vie. On obferve que plus les Mines ont de puits, plus les galleries font larges & proprement entretenues, moins la Pouffe eft dangereufe, & plus aifément diffipée; c'eft pour cette raifon fans doute que les Particuliers font obligés de fermer leurs mines pendant l'Eté, à cause du petit nombre de puits dont elles font percées, & de la mal-propreté de leurs galleries.

La nature & le cours de la Pouffe préfentent des phénoménes bien finguliers; elle s'éleve de 5 à 6 pieds dans les culsde-fac, elle paffe rarement deux pieds dans les galleries, fouvent elle rampe à terre & s'éleve à peine de fix pouces ;

& un Mineur me mena une fois dans un coin au bas d'un puits, où il ne paroiffoit point y avoir de Pouffe ; il fit un trou qui avoit à peine neuf pouces de profondeur, il en fut auffi-tôt rempli. Elle n'abandonne pas ordinairement le parterre des galleries; mais j'ai été fort furpris d'en trouver une lame épaiffe d'un pied & demi, & qui traverfoit une gallerie; enforte que le haut & le bas de cette même gallerie étoient abfolument vuides de Pouffe.

Elle ne préfente rien à la vûe, au toucher ni à l'odorat; elle n'eft point inflammable ; on n'apperçoit non plus aucune humidité; mais l'usage a appris un moyen sûr & facile de la reconnoître. On ne descend jamais dans les Mines fans avoir plufieurs lampes allumées; auffi-tôt que la lampe eft dans un endroit où il y a de la Pouffe, elle s'éteint comme elle feroir

fi on la mettoit fous le récipient de la machine pneumatique. La vivacité & la promptitude avec laquelle la lampe s'éteint fait juger de la force ou de la qualité de la Pouffe; & en promenant cette lampe fucceffivement en differens endroits, on détermine fon étendue & fa direction. On a grand foin, quand quelqu'un defcend dans les puits, de regarder avec attention la lumiere de la lampe que tient celui qui defcend, & on ne manque pas de retirer la corde auffi-tôt qu'on l'apperçoit s'affoiblir ou s'éteindre. Ceux qui vont dans les galleries dans les tems où on craint la Pouffe, portent toujours une lampe en avant, & dès qu'elle s'éteint, ils ceffent d'avancer, & viennent la rallumer à d'autres qui font fixées d'efpace en efpace pour cet usage.

Des Phénoménes auffi étonnans excitoient vivement ma curiofité, & l'envie de découvrir quelque moyen de diffiper cette vapeur, ou du moins de garantir les Ouvriers de fes funeftes effets, ne m'engageoit pas moins à les approfondir. J'hazardai d'entrer dans un cul-de-fac rempli de Pouffe, j'y reftai près d'une demi-minute, & voici ce que j'éprouvai. Je fentis tout auffi-tôt une difficulté de refpirer, comme fi on m'eût ferré fortement la poitrine : le vifage & la gorge fe gonflerent confidérablement, les yeux devinrent cuifans, & je verfai quelques larmes ; j'eus des tintemens dans les oreilles; enfin je fortis quand je m'apperçus de quelques étourdiffemens quand j'eus refpiré à mon aife au bas d'un puits, je commençai à réflechir fur chacun de ces accidens; ils me parurent être les mêmes que ceux qui furviennent quand on s'abftient exprès de refpirer, en fe bouchant la bouche & le nez : en effet je me mis auffi-tôt dans cette fituation, & je trouvai une entiere conformité dans les effets, à cela près que les yeux ne me cuifoient pas tant. J'allai porter par hazard la lampe dans la Pouffe dont je fortois, & par la lenteur avec laquelle je la vis s'éteindre, je la jugeai beaucoup diminuée : les Charbonniers dirent que je l'avois bûe, & j'appris d'eux, qu'en s'obftinant à travailler dans des endroits où il n'y en avoit qu'une petite quantité, ils venoient fouvent à bout de la boire toute: mais ils ne fe hazardent jamais

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à faire cette dangereufe Expérience, qu'ils n'ayent auparavant bien éprouvé avec la lampe fi elle n'eft point trop forte. Etonné de cette nouvelle Expérience, je me fis conduire auffi-tôt à un autre endroit où il y avoit peu de Pouffe; elle n'étoit élevée qu'à deux pieds de terre, mais elle étoit trèsvive; car la lampe s'y éteignoit, comme fi on l'eût foufflée. Comme je ne courois aucun rifque à caufe de fon peu d'élevation, j'y entrai avec plufieurs Charbonniers, & j'y reftai un bon quart-d'heure à leur faire différentes queftions: nous avions les jambes & le bas de nos habits dans la Pouffe, mais non pas le refte du corps: enforte que nous ne pouvions pas abforber la vapeur par la refpiration. Au bout de ce tems je pofai la lampe dans la Pouffe, elle s'éteignit, mais très-lentement. Je la fis rallumer, & je reftai dans la Pouffe encore un quart-d'heure, après quoi y ayant mis la lampe, elle s'y conferva fans s'éteindre, ni même s'affoiblir. Je me mis enfuite vis-à-vis d'un petit cul-de-fac tout rempli de Pouffe, & qui éteignoit la lampe fort vivement: je m'arrêtai directement vis-à-vis l'orifice de ce cul-de-fac; en forte que je n'étois point dans la Pouffe, mais je n'en étois éloigné que de deux ou trois pieds; j'y reftai quelque tems, & la lampe que je tenois dans mes mains s'affoibliffoit, & alloit s'éteindre fi je n'eus reculé quelques pas; je rapportai la même lampe dans le cul-de-fac, & la Pouffe me parut considérablement diffipée: il fembloit que nos habits l'euffent attirée; les Charbonniers m'apprirent à cette occafion, que lorsqu'ils vouloient épuifer la Pouffe qui les empêchoit de travailler en quelque endroit, ils mettoient vis-à-vis un grand réchaud de feu qui la détournoit en l'attirant.

Il paroît par ces Obfervations que la Pouffe eft du genre des Vapeurs qui ont la proprieté de fixer & de détruire l'élafticité de l'air, telles que celles qui s'élevoient des caves du Boulanger de Chartres dont il eft parlé, dans l'Hift. de l'Acad. Année 1710. telles que font encore celles qui s'élevent du Charbon de bois allumé, qui fuffoquent ceux qui en brûlent dans des lieux étroits & bien fermés : enfin celle de la vapeur d'une chandelle, d'une mêche de foufre, & d'une infi

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