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rite, jetez le sérail à la mer; à quoi servait de venir lui montrer des Éthiopiennes difformes, et jusqu'à des monstres mort-nés pour exciter encore sa lubricité blasée? Les combats de taureau mènent aux gladiateurs, et dans la voie de la corruption, il n'y a qu'un pas du vice au crime.

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Il faut la beauté à la littérature, à la peinture, à tous les arts, dès qu'ils s'éloignent de la vie, - je veux dire de l'époque où ils vivent. Les portraits seuls ont le droit d'être laids.

Résignons-nous. Pourquoi la poésie est-elle morte en France? Parce que les poëtes sont en dehors de tout. Athalie était certainement du temps de Racine une œuvre de pure imagination, très en dehors du siècle; mais Athalie était une œuvre religieuse, et le siècle était religieux. On pourrait dire aussi, en passant, que c'est un des chefs-d'œuvre de l'esprit humain; mais cela pourrait choquer quelques personnes.

S'il y a une religion, il y a un art céleste au-dessus de l'art humain; qu'il y ait alors des écoles, des associations; que le souffle de toutes les poitrines fasse vibrer cette belle harpe éolienne, suspendue d'un pôle à l'autre. Que tous les yeux se fixent sur le même point, et que ce point soit le triangle mystérieux, symbole de la Divinité. Mais dans un siècle où il n'y a que l'homme, qu'on ferme les écoles, que la solitude plante son dieu d'argile sur son foyer; l'indépendance, voilà le dieu d'aujourd'hui (je ne dis pas la liberté). .

Il y a des gens qui vous disent que le siècle est préoccupé, qu'on ne lit plus rien, qu'on ne se soucie de rien. Napoléon était préoccupé, je pense, à la Bérésina; il avait cependant son Ossian avec lui. Depuis quand la pensée ne peut-elle plus monter en croupe derrière l'action? Depuis quand l'humanité ne va-t-elle plus au combat, comme Tyrtée, son épée d'une main, et sa lyre de l'autre? Puisque le monde d'aujourd'hui a un corps, il a une âme; c'est au poëte à la comprendre, au lieu de la nier. — C'est à lui de frapper sur les entrailles du colosse, comme Éblis sur celles du premier homme, en s'écriant comme l'archange tombé : « Ceci est à moi, le reste est à Dieu. >>

Notre siècle apparemment n'est pas assez beau pour nous. Bon ou mauvais, je n'en sais rien; mais beau à coup sûr.

N'apercevez-vous pas, de l'orient à l'occident, ces deux déités gigantesques, couchées sur les ruines des temps passés? L'une est immobile et silencieuse; d'une main elle tient le tronçon d'une épée, de l'autre elle presse sur sa poitrine sanglante les herbes salutaires qui ferment ses blessures. L'ange de l'espérance lui parle à l'oreille, et lui montre le ciel encore entr'ouvert; le démon du désespoir creuse une tombe à ses pieds. Mais elle n'entend pas leurs paroles, et suspend son regard tranquille entre le ciel et la terre. Le fantôme du Christ est dans ses bras, il approche en vain de son sein ses lèvres décolorées, elle le

laisse expirer sur sa mamelle stérile; son visage est beau, mais d'une beauté inanimée; de ses épaules musculeuses vient de glisser un manteau d'or et de pourpre qui tombe dans l'immensité. Comme le sphinx d'Edipe, elle repousse du pied les ossements des hommes qui ne l'ont pas comprise. Son nom est la

Raison.

L'autre est plus belle, mais plus triste. Tantôt elle se penche les yeux en pleurs sur un insecte qui se débat dans une goutte de rosée; tantôt elle essuie ses paupières pour compter les grains de sable de la voie lactée. Dans sa main gauche est un livre où épelle un enfant; dans sa droite, un levier dont l'extrémité repose sous l'axe du monde; elle le soulève de temps en temps, et s'arrête en soupirant quand il est près de se briser. Alors elle s'incline sur la nuit éternelle; un chant mélancolique flotte sur ses lèvres; elle appuie sur son cœur la pointe d'une épée; mais son épée ploie comme un roseau, et la nuit éternelle, ainsi qu'un miroir céleste, lui montre son image répétée partout dans l'infini. La pâleur de la mort est sur ses traits, et cependant elle ne peut mourir. Elle a reçu du serpent le fruit qui devait lui coûter la vie; elle a bu à longs traits la ciguë; elle est montée sur la croix du Golgotha, et cependant elle ne peut mourir. Elle a détourné la foudre; elle a secoué dans la main de Lucifer la coupe de destruction, et elle en a recueilli chaque goutte sur la pointe d'un scalpel. Elle a empoisonné ses flèches dans

le
sang
de Prométhée; elle a soulevé comme Samson la
colonne du temple éternel, pour s'anéantir avec lui en

le brisant; et cependant elle ne peut mourir. — L'In-
telligence est son nom.

1er septembre 1833 (Revue des Deux Mondes).

1

SALON DE 1856

I

Je ne parlerai que d'un petit nombre d'ouvrages, non par dédain, mais pour ma conscience. Il me semble que la critique ne doit frapper que quand elle espère; car autrement, sévère sans mesure, si elle est juste elle est inutile, et si elle se trompe elle nuit. Le médiocre, préférable au faux, oblige à se taire, par ses qualités mêmes. On le regarde sans vouloir l'aider. Je ne veux pas me tromper en mal; mon avis entraînera l'éloge, sans que mon silence soit une condamnation.

Les comptes rendus des journaux n'étant que des opinions personnelles, avant de dire ce que j'approuve, je dois m'expliquer sur ce qui, en général, me semble devoir être approuvé. Non pas que j'aie un système en peinture, car je ne suis pas peintre. Un système dans l'artiste, c'est de l'amour; dans le critique, ce n'est que de la haine. Mais pour qu'un jugement puisse avoir quelque poids, il faut en dire clairement les motifs.

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