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doublement le lui reprocher; car si son tableau ne plaît pas, ce n'est pas la faute de son modèle. Le portrait de la marquise de M... vaut mieux; il est habilement exécuté. Les contours du front et du visage sont pleins de douceur et bien fondus. La main droite n'est pas heureusement posée; en voulant vaincre la difficulté, le peintre a trop accusé les plis de la peau; cette main a dix ans de plus que l'autre. Le portrait de M. D... est, à mon avis, le plus remarquable des trois, quoiqu'il ne soit pas le plus remarqué. Il y a, en général, dans les ouvrages de M. Champmartin, un éclat de couleur et une absence de plans, qui, je lui demande pardon du terme, donnent parfois à ses personnages l'air d'un joujou de Nuremberg. Qu'il ne croie pas pourtant que je plaisante lorsqu'il s'agit de son talent. Je lui reprocherai plus sérieusement de se souvenir de Lawrence, surtout dans ses fonds; pour quoi faire? Ces demipaysages, à peine entrevus, ces draperies faites d'un coup de brosse, et qui ne sont vraies que pour un myope, ne sont pas le beau côté de la manière de Lawrence. C'est du convenu; M. Champmartin en a moins besoin que tout autre. J'ai vu dernièrement, au faubourg SaintGermain, un portrait du jeune fils de la marquise de C..., peint par lui, et je n'ai qu'à le féliciter de l'effet du temps sur ses couleurs: elles acquièrent une rare solidité, sans perdre de leur prestige.

Je pourrais faire à M. Decaisne un beau compliment sur son Ange gardien. Durant les premiers jours où je

visitais le Musée, je consultais l'un de nos poëtes, et si je ne craignais pas de le nommer, je dirais que c'est le premier de tous. Après Robert, l'Ange gardien l'avait surtout frappé. « Dites hardiment, me dit-il, que c'est un des plus beaux tableaux du Salon. » J'ai cependant entendu depuis bien des critiques sur cet ouvrage : on veut trouver dans l'enfant endormi un souvenir de Rubens; on reproche à l'ange d'être vêtu de soie, on le voudrait en robe blanche: on se rappelle certaines toiles du même auteur qui étaient loin de valoir celle-ci; on les compare, on les oppose; enfin, on dit que tout est médiocre; mais, pour profiter du conseil, je dirai hardiment qu'on ne me convainc pas. La tête de l'ange est admirable, dans toute la force du terme; le reste est simple et harmonieux; le sujet d'ailleurs est si beau, qu'il est de moitié dans l'émotion qu'on éprouve : un enfant couché dans son berceau, une mère qu'assoupit la fatigue, et un ange qui veille à sa place. Quel peintre oserait être médiocre en traitant un pareil sujet? La palette lui tomberait des mains. Que M. Decaisne conserve la sienne; et, s'il m'est permis de lui parler ainsi, qu'il regarde attentivement ce qu'il vient de faire. On dit que la tête de son ange est celle d'un enfant de quatorze ans; je souhaite que cette supposition soit vraie; elle prouverait beaucoup en faveur du peintre. Le grand principe qu'a posé Raphaël, et qui a fécondé tout son siècle, n'était pas autre autre que celui-ci se servir du réel pour aller à l'idéal. Il n'en a pas fallu davantage pour

couvrir l'Italie de chefs-d'œuvre, et l'embraser du feu sacré. Quelle que soit la route qui ait conduit M. Decaisne au résultat qu'il nous montre aujourd'hui, il est arrivé. Qu'il saisisse cette phase de son talent; qu'il renonce pour toujours à ce cliquetis de couleurs, à ces petits effets mesquins, qu'il a cherchés, naguère encore, dans ses portraits; qu'il prenne confiance en son cœur, et, en même temps, qu'il se défie de sa main. Que les yeux calmes de son ange lui apprennent qu'il n'y a de beau que ce qui est simple. Qu'il ne veuille pas faire plus qu'il ne peut, mais qu'il soit ce qu'il doit être. Puisse-t-il trouver souvent une inspiration aussi heureuse! S'il voit des gens qui passent devant sa toile et qui se contentent de ne pas dédaigner, qu'il laisse ceux-là aller à leurs affaires, ou se pâmer devant le bric-à-brac. Le temps n'est pas loin où le romantisme ne barbouillera plus que des enseignes. Si j'adresse à M. Decaisne, que je ne connais pas, ces conseils, peut-être un peu francs, c'est que j'ai été, sur une autre route, assurément plus dans le faux que lui; je n'ai pas fait son Ange gardien, mais je le sens peutêtre mieux qu'un autre. Je le louerais moins si l'auteur avait mieux fait jusqu'à présent; mais qu'il tienne bon, et prenne courage; le cœur, quand il est sain, guérit toujours l'intelligence.

Le portrait du maréchal Grouchy, de M. Dubufe, atteste un progrès louable dans sa manière. Il est ressemblant; et, pour l'exécution, il n'y a point de repro

ches à lui faire. Il y a loin de là à ces tristes poupées qu'il habillait de satin blanc, et qu'il appelait Regrets ou Souvenirs.

L'Angelus du soir, de M. Bodinier, est une composition suave et pleine de mélancolic. Les teintes du soleil couchant, la sombre verdure de la campagne, les chiens blancs, le vieillard à genoux, le troupeau, tout est bien rendu. J'aime surtout ce berger debout, dont la tête se détache en noir sur l'horizon. C'est une idylle que ce petit tableau. Le sentiment qu'il réveille est si vrai, que la scène qu'il représente semble familière à tout le monde; cependant elle était difficile à exécuter. Les Napolitaines sont de bonnes études, mais ce sont trop des études seulement. Le Repos à la fontaine a le même mérite que l'Angelus, quoique à un degré moins éminent; en somme, parmi tant de peintres que l'Italie a inspirés, M. Bodinier, à côté de Robert, de Schnetz et d'Horace Vernet, a su se marquer une place choisie. On ne peut ni l'oublier ni le confondre, et ne forçant ja mais son talent, chaque tableau signé par lui est reconnu et adopté de tous.

La grande toile de M. Larivière ne me plaît pas, et j'en ai du regret; car c'est un immense travail, dans lequel il y a de bonnes parties. Mais j'ai beau faire, ces grandes parades m'attristent, et je les laisse à plus robuste que moi.

J'entreprendrai cependant de parler des batailles de M. Horace Vernet, et, quoiqu'elles soient passablement

longues, j'y adjoindrai celle de Fontenoy. Ce n'est pas là une petite affaire, mais je tâcherai d'être plus court que lui.

J'ai dit, en commençant cet article, que tout succès populaire prouvait à mon avis un incontestable talent. Il m'est impossible, en ceci, de partager une opinion, émise autrefois dans la Revue des Deux Mondes. Je ne puis comprendre par quelle raison une foule qui sans cesse se renouvelle, dont les jugements sont si variables, et que tant d'efforts cherchent à attirer de tous côtés, se donnerait le mot pour admirer, entre mille, au hasard, un homme que rien ne distinguerait de ses rivaux. Si on prétend que la politique et la passion s'en mêlent, je le veux bien; mais cette passion et cette politique, n'y a-t-il qu'un homme qui cherche à les flatter? Lorsque M. Horace Vernet, en butte à une censure odieuse, ouvrit son atelier, je conviendrai certainement que la circonstance lui fut favorable; mais quoi! n'y avait-il que lui! Le général Lejeune, par exemple, qui pense maintenant à ses tableaux? Ils ont eu un succès d'un jour, pourquoi ne parlerait-on plus de lui, et parle-t-on toujours d'Horace Vernet? C'est que le général Lejeune n'avait affaire qu'à la mode, et Horace Vernet à la popularité. Ce que je dis là pour un peintre, je le dirais, s'il s'agissait de littérature, pour deux hommes qu'on lui compare, MM. Casimir Delavigne et Scribe, talents avérés et positifs qu'attaquent des feuilletons désœuvrés. Le succès des Messé

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