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niennes ressemble beaucoup à celui des Batailles d'Horace Vernet. Aussi leur adresse-t-on quelquefois des critiques du même genre. Pour moi, qui sais encore par cœur les strophes qui commencent ainsi :

Eurotas, Eurotas, que font ces lauriers-roses
Sur ton rivage en deuil par la mort habité?

j'avoue que je ne puis me figurer que ce soit par passion politique que je les ai apprises au collége, lorsque j'étais en quatrième; mais ce n'est pas assurément par passion politique que je les trouve encore fort belles aujourd'hui, et que je les ai récitées l'autre jour à souper à des amis, qui sont de mon avis.

Mais sans plaider plus longtemps cette cause, et en reconnaissant d'abord à M. Horace Vernet la juste réputation qu'il s'est acquise, faut-il le citer à un autre tribunal, et lui demander un compte sévère de ces ouvrages si applaudis? Cette question peut être posée; mais j'y répondrais négativement. M. Horace Vernet n'est pas un jeune homme, et encore moins un apprenti; ses défauts mêmes sentent la main du maître; il les connaît peut-être aussi bien que nous; il sait ce que sa facilité doit entraîner de négligences, et ce que la rapidité de son pinceau doit lui faire perdre en profondeur; mais il sait aussi les avantages de sa manière, et, en tous cas, il veut être lui. Qui peut se tromper sur ses tableaux? Il n'y a que faire de signature, et cette seule preuve annonce un grand talent.

Le monde ne se doute guère que les réputations qu'il

a consacrées sont remises en question tous les jours. Que de gens, vivant à Paris, s'occupant des arts, et capables d'en juger, seraient étonnés si on leur lisait tout ce qui s'imprime sur les écrivains ou sur les peintres qu'ils préfèrent!

On voit, d'après ce que je viens de dire, que je ne m'appliquerai point à un examen approfondi des quatre batailles que j'ai nommées plus haut. Il me suffira de les citer et de remarquer que ce qu'on y peut trouver de plus blâmable, c'est le titre qu'on leur a donné; ce ne sont point des batailles, d'abord parce qu'on ne s'y bat point, et on ne pouvait point s'y battre, puisque l'empereur est là en personne. A léna, l'empereur entend sortir des rangs de la garde impériale les mots : En avant! « Qu'est-ce? dit-il. Ce ne peut être qu'un jeune homme sans barbe qui ose préjuger ainsi de ce que je dois faire. » Tel est le sujet du premier épisode. Voyons ce qu'en a fait M. Vernet: il lance l'empereur au galop, Murat le suit, la colonne porte les armes. Un soldat pris d'enthousiasme crie en agitant son bonnet; l'empereur s'arrête le geste est sévère, l'expression vraie; et sans aller plus loin, n'y a-t-il pas là beaucoup d'habileté? Quel effet eût produit, je suppose, l'empereur à pied, les mains derrière le dos? ou quelle que fût sa contenance, quel autre geste eût mieux rendu l'action? Ce cheval ardent qui trépigne, retenu par une main irritée, cette tête qui se retourne, ce regard d'aigle, tout fait deviner la parole. Cependant, dans le

creux d'un ravin, les grenadiers défilent en silence; au delà du tertre, l'horizon. Assurément, je le répète, ce n'est pas la bataille d'Iéna; mais c'est le sujet, tel qu'il est donné, conçu adroitement et nettement rendu. Voudriez-vous voir une plaine? l'armée? que sais-je? pourquoi pas l'ennemi? et l'empereur perdu au milieu de tout cela? Eh! s'il était si petit et si loin, on n'entendrait pas ce qu'il dit.

David disait à Baour-Lormian : « Tu es bien heureux, toi, Baour avec tes vers, tu fais ce que tu veux; tandis que moi, avec ma toile, je suis toujours horriblement gêné. Supposons, par exemple, que je veuille peindre deux amants dans les Alpes. Bon. Si je fais deux beaux amants, des amants de grandeur naturelle, me voilà avec des Alpes grosses comme rien; si, au contraire, je fais de belles Alpes, des Alpes convena- . bles, me voilà avec de petits amants d'un demi-pied, qui ne signifient plus rien du tout! Mais toi, Baour, trente pages d'Alpes, trente pages d'amants; t'en fautil encore? trente autres pages d'Alpes, trente autres pages d'amants, etc. » Ainsi parlait le vieux David dans son langage trivial et profond, faisant la plus juste critique des critiques qu'on lui adressait. M. Vernet pourrait en dire autant à ceux qui lui demandent autre chose que ce qu'il a voulu faire. Puisque l'acteur est Napoléon, et puisque l'action est exacte, que vouliez-vous qu'il vous montrât entre les quatre jambes de son cheval?

Ceci s'applique également à l'épisode de Friedland et à celui de Wagram. Le vrai talent de M. Vernet, c'est la verve. A propos du premier de ces deux tableaux, je ne dirai pas : « Voyez comme ce coucher du soleil est rendu, voyez ces teintes, ces dégradations, ces étoffes ou ces cuirasses; » mais je dirai : « Voyez ces poses; voyez ce général Oudinot qui s'incline à demi pour recevoir les ordres du maître; voyez ce hussard rouge, si fièrement campé, ce cheval qui flaire un mort; à Wagram, voyez cet autre cheval blessé, cette gravité de l'empereur qui tend sa carte sans se détourner, tandis qu'un boulet tombe à deux pas de lui! A Fontenoy, voyez ce vainqueur, noble, souriant, ces vaincus consternés; comme tout cela est disposé, ou plutôt jeté! quelle hardiesse! » Certes il n'y a pas là la conscience d'un Holbein, la couleur d'un Titien, la grâce d'un Vinci; ce n'est ni flamand, ni italien, ni espagnol; mais, à coup sûr, c'est français. Ce n'est pas de la poésie, si vous voulez; mais c'est de la prose facile, rapide, presque de l'action, dit M. Michelet. En vérité, quand on y pense, la critique est bien difficile; chercher partout ce qui n'y est pas, au lieu de voir ce qui doit y être! Quant à moi, je critiquerai M. Vernet lorsque je ne trouverai plus dans ses œuvres les qualités qui le distinguent, et que je ne comprends pas qu'on puisse lui disputer; mais tant que je verrai cette verve, cette adresse et cette vigueur, je ne chercherai pas les ombres de ces précieux rayons de lumière.

La Bataille de Fontenoy m'amène à parler de M. Couder. Sa scène de Lawfeldt, considérée en elle-même et à part, est un ouvrage recommandable. Le roi et le maréchal de Saxe sont largement peints, et leurs habits sont en beau velours. Le vicomte de Ligonier et les soldats qui l'amènent forment un groupe sagement composé. Mais reconnaît-on sur cette toile la touche de l'auteur du Lévite? Pourquoi ce tableau, qui a du mérite, diffère-t-il si étrangement de son aîné qui le vaut bien? Est-ce une manière nouvelle que M. Couder vient d'adopter, et le premier tableau que nous aurons de lui sera-t-il fait dans cette manière? Non; M. Couder a peint pour Versailles une Bataille de Louis XV, et il a cherché, dans son exécution, à se rapprocher des peintres du temps de Louis XV. Je suis fâché de retrouver, à côté de qualités solides, ce démon du pastiche qui me poursuit. Ce n'est pas le manque d'une manière reconnaissable que l'on peut reprocher à M. Delacroix. C'est encore un homme, à mon avis, dont il ne faut pas chercher les défauts avec trop de sévérité. Pour parler de lui équitablement, il ne faut pas isoler ses ouvrages, porter sur tel ou tel de ses tableaux un jugement définitif; car dans tout ce qu'il fait il y a la même inspiration, et on le retrouve toujours le même dans ses plus grands succès comme dans ses plus grands écarts. J'avoue que cette identité constante, quand je la rencontre, me rend la critique difficile; je serai aussi sévère qu'on voudra pour une œuvre qui se présentera seule,

ni

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