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mement persuadé qu'avec cette splendeur d'entourage il n'y a pas d'art dramatique possible. Mais composer un tableau de chevalet comme une scène de tragédie, c'est commettre une grande erreur. M. Signol a du talent, et je regrette d'être si sévère. Mais pourquoi séparer son tableau en deux, et lui donner un air de famille avec la dernière scène des Victimes cloîtrées? Son méchant qui sort de la tombe est évidemment soutenu par une trappe, comme les nonnes de l'Opéra.

M. Granet est toujours lui, c'est-à-dire simple et admirable. Il est difficile de le louer d'une façon qui soit nouvelle. Le public préfère, en général, les Catacombes à la Sainte-Marie-des-Anges. Je ne fais point de différence entre ces deux ouvrages, marqués tous deux du même cachet. Il y a une fierté singulière dans l'espèce d'inhabileté avec laquelle M. Granet peint les personnages de ses tableaux. Jamais on n'a mis tant de largeur dans les détails, ni tant de grandiose dans les petites choses. Je me souviens que regardant un jour un petit tableau de bataille fait avec soin, je me demandais si, dans cette minutie scrupuleuse, il n'y avait pas beaucoup de convention. J'étais choqué de pouvoir compter jusqu'aux boutons des habits des soldats. «Ne devrait-on pas, me disais-je, lorsqu'on enferme un grand espace dans une toile si resserrée, laisser supposer au spectateur que ce qu'on lui montre est à distance? Un paysage, par exemple, ne devrait-il pas toujours être un lointain? car, autrement, quelle

apparence de vérité pour celui qui regarde? Il lui semble être dans une chambre obscure, et voir la nature à travers un appareil microscopique. >> Cette réflexion m'est revenue en tête devant les ouvrages de M. Granet. Il n'y a point là de convenu, car ses tableaux veulent être vus à distance, comme s'ils étaient la nature même. Ce sont les seuls qui me fassent clairement comprendre que la réalité puisse être réduite, et que le talent produise l'illusion.

Il me semble qu'il doit y avoir dans la réputation de M. Granet, si juste, si calme, si incontestée, une leçon pour les artistes. Que de disputes, que de systèmes se sont succédé depuis dix ans dans les arts! Sont-ils allés jusqu'aux oreilles de l'auteur de la Mort du Poussin? Non; il a sans doute fermé au bavardage la porte de son atelier; il y est seul avec la nature, et, sûr de lui, n'interroge pas. Ce serait un exemple à suivre, si tout le reste s'apprenait à ce prix.

Je ne suis pas grand partisan de la caricature en peinture, mais si la gravité est un mystère du corps inventé pour cacher les défauts de l'esprit, j'imagine que les gens qui s'arrêtent devant la Revue, de M. Biard, courront le risque de perdre leur gravité, et par conséquent de montrer quelle est la dose de leur esprit. Tout est parfait, depuis le serpent de village jusqu'au maire, et depuis l'officier qui conduit la troupe jusqu'à cette inimitable petite fille qui, l'œil au ciel, rouge et essoufflée, s'écarquille pour marcher au pas.

Le Carnaval à Rome, de M. Bard, a de l'entraînement et du mouvement. Le Départ de la garde nationale, de M. Cogniet, mérite des éloges, quoique les tons trop coquets fassent un effet mesquin. Le Tobie, de M. Balthazar, ne manque pas de délicatesse, mais l'ange qui l'accompagne est faible; c'est une femme qui a posé.

Le Triomphe de Pétrarque, de M. Boulanger, annonce un progrès marqué dans son talent. C'est quelque chose de rare et de louable que de voir un jeune artiste, dont les débuts ont été vantés outre mesure, et qu'on a toujours essayé de gâter, ne se laisser prendre ni à la flatterie, ni à la paresse, et marcher sans relâche à la poursuite du mieux. Quand je pense aux éloges effrayants dont j'ai vu M. Boulanger entouré, et comme accablé dès ses premiers pas dans la carrière des arts, je me sens tenté de donner maintenant à son courage et à sa persévérance ces louanges qu'on prodiguait jadis a ses essais. Pour qu'un jeune homme résiste à une pareille épreuve, il faut que la voix de sa conscience parle bien haut et bien impérieusement. Je ne veux pourtant pas lui dire que son Pétrarque soit un chef-d'œuvre, vraisemblablement il ne le croirait pas; mais c'est un ouvrage qui fait plaisir à voir, et qu'on regarde en souriant sans se demander ce qu'il y manque. Je pardonne volontiers à M. Boulanger ses chevaux à la Jules Romain, et la naïveté de ce sol jonché de fleurs, car j'aime à croire que plus il ira, moins il sera tenté d'imiter.

Quel beau sujet, du reste, et quelle journée! Cet homme, vêtu d'une robe de pourpre, traîné sur un char triomphal, entouré de l'élite de la noblesse, des poëtes, des savants, des guerriers, marchant au milieu d'une ville, sur un tapis de roses effeuillées, suivi d'un chœur de jeunes filles et précédé par la Rêverie, applaudi, fêté, admiré de tous, et qu'avait-il donc fait pour tant de gloire? Il avait aimé et chanté sa maîtresse. Ce n'était pas lui qu'on couronnait et qu'on menait au Capitole, c'étaient la douleur et l'amour. Les conquérants ont eu bien des trophées; l'épée a triomphé cent fois, l'amour une seule. Pétrarque est le premier des poëtes. Que se passa-t-il ce jour-là dans ce grand cœur ainsi récompensé? Que regardait-il du haut de ce char? Hélas! sa Laura n'était plus; il cachait peut-être une larme, et il se répétait tout bas : « Beati gli occhi che la vider viva! »

V

Avant de descendre à la salle des sculptures, il ne faut pas oublier madame Jaquotot ni les émaux de M. Kanz. C'est assurément un grand tort de parler légèrement d'un tableau, et si j'ai eu ce tort dans cet article, je ne crois pas du moins avoir eu celui de parler trop légèrement d'un peintre. Mais quand il

s'agit d'un travail aussi difficile, aussi pénible que la peinture sur émail, il serait impardonnable de trancher au hasard. C'est le résultat de six ans d'études que M. Kanz apporte au Salon, dans un cadre d'un pied de haut, qu'on a accroché contre une fenêtre. Pour faire un portrait sur émail, il faut vingt-cinq séances de deux heures chaque, et pendant que l'artiste travaille, le four, constamment échauffé, est prêt à recevoir le résultat de la séance, et à changer, par l'action chimique, toutes les couleurs, laborieusement choisies. Ainsi le peintre recommence son ouvrage autant de fois qu'il le livre au feu. Mais le résultat est indestructible; c'est l'émail même qui devient portrait. M. Kanz doit à son père l'héritage d'un vrai talent. Il devra, je n'en doute pas, à sa rare persévérance de se faire un nom dans l'art de Petitot.

Il n'y a qu'un seul mot à dire de la copie sur porcelaine que madame Jaquotot a faite de la Vierge au voile : c'est aussi beau que Raphaël.

Je remercie M. Étex de n'avoir pas fait dans sa Geneviève de ce roide et faux style gothique qu'on veut donner pour supportable. La tête de sa statue est belle, le geste simple; il y a de la grandeur. J'aime à voir sous ce corsage plat que c'est un être vivant qui le porte. Il était difficile de rester ainsi sur la lisière du gothique.

La statue de Bailly et celle de Mirabeau, par M. Jaley, ne manquent certainement pas de mérite. Je suis fâché

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