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manque jamais de tirer mon chapeau; puissent les dieux me le faire comprendre! mais je me résigne et j'attends. Je ne cherche pas, remarquez bien, à savoir si le romantisme existe ou non; je suis Français, et je me rends compte de ce qu'on appelle le romantisme en France.

Et, à propos des mots nouveaux, je vous dirai que, durant une autre année, nous tombâmes dans une triste erreur. Las d'examiner et de peser, trouvant toujours des phrases vides et des professions de foi incompréhensibles, nous en vinmes à croire que ce mot de romantisme n'était qu'un mot; nous le trouvions beau, et il nous semblait que c'était dommage qu'il ne voulût rien dire. Il ressemble à Rome et à Romain, à roman et à romanesque; peut-être est-ce la même chose que romanesque; nous fùmes du moins tentés de le croire par comparaison, car il est arrivé depuis peu, comme vous savez, que certains mots, d'ailleurs convenables, ont éprouvé de petites variations qui ne font de tort à personne. Autrefois, par exemple, on disait tout bêtement : « Voilà une idée raisonnable; >> maintenant on dit plus dignement : « Voilà une déduction rationnelle. » C'est comme la patrie, vieux mot assez usé; on dit le pays; voyez nos orateurs, ils n'y manqueraient pas pour dix écus. Quand deux gouvernements, la Suisse et la France, je suppose, convenaient ensemble de faire payer dix ou douze sous un port de lettre, on disait jadis trivialement :

<< C'est une convention de poste; » maintenant on dit : « Convention postale. » Quelle différence et quelle magnificence! Au lieu de surpris ou d'étonné, on dit stupéfié. Sentez-vous la nuance? Stupéfié! non pas stupéfait, prenez-y garde; stupéfait est pauvre, rebattu; fi! ne m'en parlez pas, c'est un drôle capable de se laisser trouver dans un dictionnaire. Qui est-ce qui voudrait de cela? Mais Cotonet, par-dessus tout, préfère trois mots dans la langue moderne; l'auteur qui, dans une seule phrase, les réunirait par hasard, serait, à son gré, le premier des hommes. Le premier de ces mots est morganatique; le second, blandices, et le troisième... le troisième est un mot allemand.

Je retourne à mon dire. Nous ne pûmes longtemps demeurer dans l'indifférence. Notre sous-préfet venait d'être changé; le nouveau venu avait une nièce, jolie brune pâle, quoique un peu maigre, qui s'était éprise des manières anglaises, et qui portait un voile vert, des gants orange, et des lunettes d'argent. Un soir qu'elle passait près de nous (Cotonet et moi, à notre habitude, nous nous promenions sur le jeu de boules), elle se retourna du côté du moulin à eau qui est près du gué, où il y avait des sacs de farine, des oies et un bœuf attaché : « Voilà un site romantique, » dit-elle à sa gouvernante. A ce mot nous nous sentimes saisis de notre curiosité première. « Eh! ventre-bleu? dis-je, que veut-elle dire? ne saurons-nous pas à quoi nous en tenir? » Il nous arriva sur ces entrefaites un journal

qui contenait ces mots : « André Chénier et madame de Stael sont les deux sources du fleuve immense qui nous entraîne vers l'avenir. C'est par eux que la rénovation poétique, déjà triomphante et presque accomplie, se divisera en deux branches fleuries sur le tronc flétri du passé. La poésie romantique, fille de l'Allemagne, attachera ainsi à son front une palme verte, sœur des myrtes d'Athènes. Ossian et Homère se donnent la main. » — « Mon ami, dis-je à Cotonet, je crois que voilà notre affaire; le romantisme, c'est la poésie allemande, madame de Stael est la première qui nous ait fait connaître cette littérature; et de l'apparition de son livre date la rage qui nous a pris. Achetons Goethe, Schiller et Wieland; nous sommes sauvés, tout est venu de là. »

Nous crûmes, jusqu'en 1830, que le romantisme était l'imitation des Allemands, et nous y ajoutâmes les Anglais, sur le conseil qu'on nous en donna. Il est incontestable, en effet, que ces deux peuples ont dans leur poésie un caractère particulier, et qu'ils ne ressemblent ni aux Grecs, ni aux Romains, ni aux Français. Les Espagnols nous embarrassèrent, car ils ont aussi leur cachet, et il était clair que l'école moderne se ressentait d'eux terriblement. Les romantiques, par exemple, ont constamment prôné le Cid de Corneille, qui est une traduction presque littérale d'une fort belle pièce espagnole. A ce propos, nous ne savions pas pourquoi ils n'en prònaient pas aussi bien

quelque autre, malgré la beauté de celle-là; mais, à tout prix, c'était une issue qui nous tirait du labyrinthe. «Mais, disait encore Cotonet, quelle invention peut-il y avoir à naturaliser une imitation? Les Allemands ont fait des ballades; nous en faisons, c'est à merveille; ils aiment les spectres, les gnomes, les goules, les psylles, les vampires, les squelettes, les ogres, les cauchemars, les rats, les aspioles, les vipères, les sorcières, le sabbat, Satan, Puck, les mandragores; enfin cela leur fait plaisir; nous les imitons et en disons autant, quoique cela nous régale médiocrement; mais je l'accorde. D'autre part, dans leurs romans, on se tue, on pleure, on revient, on fait des phrases longues d'une aune, on sort à tout bout de champ du bon sens et de la nature; nous les copions, il n'y a rien de mieux. Viennent les Anglais par làdessus qui passent le temps et usent leur cervelle à broyer du noir dans un pot; toutes leurs poésies, présentes et futures, ont été résumées par Goethe dans cette simple et aimable phrase : « L'expérience et la douleur s'unissent pour guider l'homme à travers cette vie et le conduire à la mort. » C'est assez faux, et même assez sot, mais je veux bien encore qu'on s'y plaise. Buvons gaiement, avec l'aide de Dieu et de notre bon tempérament français, du sang de pendu dans la chaudière anglaise. Survient l'Espagne, avec ses Castillans, qui se coupent la gorge comme on boit un verre d'eau, ses Andalouses qui font plus vite en

core un petit métier moins dépeuplant, ses taureaux, ses toréadors, matadors, etc..., j'y souscris. Quoi enfin? Quand nous aurons tout imité, copié, plagié, traduit et compilé, qu'y a-t-il de romantique? Il n'y a rien de moins nouveau sous le ciel que de compiler et

de plagier. »

Ainsi raisonnait Cotonet, et nous tombions de mal en pis; car, examinée sous ce point de vue, la question se rétrécissait singulièrement. Le classique ne serait-il donc que l'imitation de la poésie grecque, et le romantique que l'imitation des poésies allemande, anglaise et espagnole? Diable! que deviendraient alors tant de beaux discours sur Boileau et sur Aristote, sur l'antiquité et le christianisme, sur le génie et la liberté, sur le passé et sur l'avenir, etc...? C'est impossible; quelque chose nous criait que ce ne pouvait être là le résultat de recherches si curieuses et si empressées. Ne serait-ce pas, pensâmes-nous, seulement affaire de forme? Ce romantisme indéchiffrable ne consisterait-il pas dans ce vers brisé dont on fait assez de bruit dans le monde? Mais non; car, dans leurs plaidoyers, nous voyons les auteurs nouveaux citer Molière et quelques autres comme ayant donné l'exemple de cette méthode; le vers brisé, d'ailleurs, est horrible; il faut dire plus, il est impie; c'est un sacrilége envers les dieux, une offense à la muse.

Je vous expose naïvement, monsieur, toute la suite de nos tribulations, et si vous trouvez mon récit un

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