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LE CLERC, avec exaltation.

Non! ce n'est rien de tout cela; non! vous ne comprenez pas la chose. Que vous êtes grossier, monsieur! quelle épaisseur dans vos paroles! Allez, les sylphes ne vous hantent point; vous êtes poncif, vous êtes trumeau, vous êtes volute, vous n'avez rien d'ogive; ce que vous dites est sans galbe; vous ne vous doutez pas de l'instinct sociétaire; vous avez marché sur Campistron.

COTONET.

Vertu de ma vie! qu'est-ce que c'est que cela?

LE CLERC.

Le romantisme, mon cher monsieur! Non, à coup sûr, ce n'est ni le mépris des unités, ni l'alliance du comique et du tragique, ni rien au monde que vous puissiez dire; vous saisiriez vainement l'aile du papillon, la poussière qui le colore vous resterait dans les doigts. Le romantisme, c'est l'étoile qui pleure, c'est le vent qui vagit, c'est la nuit qui frissonne, la fleur qui vole et l'oiseau qui embaume; c'est le jet inespéré, l'extase alanguie, la citerne sous les palmiers, et l'espoir vermeil et ses mille amours, l'ange et la perle, la robe blanche des saules; ô la belle chose, monsieur! C'est l'infini et l'étoilé, le chaud, le rompu, le désenivré, et pourtant en même temps le plein et le rond, le diamétral, le pyramidal, l'oriental, le nu à vif, l'étreint, l'embrassé, le tourbillonnant; quelle science nouvelle! C'est la philosophie providentielle géomé

trisant les faits accomplis, puis s'élançant dans le vague des expériences pour y ciseler les fibres secrètes...

COTONET.

Monsieur, ceci est une faribole. Je sue à grosses gouttes pour vous écouter.

LE CLERC.

J'en suis fâché; j'ai dit mon opinion, et rien au monde ne m'en fera changer.

Nous fûmes chez M. Ducoudray après cette scène, que je vous abrége, vu qu'elle dura trois heures et que la tête tourne en y pensant. M. Ducoudray est un magistrat, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire. Il porte habit marron et culotte de soie, le tout bien brossé, et il nous offrit une prise de tabac sec dans sa tabatière de corne, propre et luisante comme un écu neuf. Nous lui contâmes, comme vous pensez, la visite que nous venions de faire, et reprenant le même sujet, voici quelle fut son opinion:

<«< Sous la Restauration, nous dit-il, le gouvernement faisait tous ses efforts pour ramener le passé. Les premières places aux Tuileries étaient remplies, vous le savez, par les mêmes noms que sous Louis XIV. Les prêtres, ressaisissant le pouvoir, organisaient de tous côtés une sorte d'inquisition occulte, comme aujourd'hui les associations républicaines. D'autre part, une censure sévère interdisait aux écrivains la peinture libre des choses présentes; quels portraits de mœurs ou quelles satires, même les plus douces, auraient été tolérés sur

un théâtre où Germanicus était défendu? En troisième lieu, la cassette royale, ouverte à quelques gens de lettres, avait justement récompensé en eux des talents remarquables, mais en même temps des opinions religieuses et monarchiques. Ces deux grands mots, la religion et la monarchie, étaient alors dans leur toutepuissance; avec eux seuls il pouvait y avoir succès, fortune et gloire; sans eux, rien au monde, sinon l'oubli ou la persécution. Cependant la France ne manquait pas de jeunes têtes qui avaient grand besoin de se produire et la meilleure envie de parler. Plus de guerre, partant beaucoup d'oisiveté; une éducation très-contraire au corps, mais très-favorable à l'esprit, l'ennui de la paix, les carrières obstruées, tout portait la jeunesse à écrire; aussi n'y eut-il à aucune époque le quart autant d'écrivains que dans celle-ci. Mais de quoi parler? Que pouvait-on écrire? Comme le gouvernement, comme les mœurs, comme la cour et la ville, la littérature chercha à revenir au passé. Le trône et l'autel défrayèrent tout; en même temps, cela va sans dire, il'y eut une littérature d'opposition. Celle-ci, forte de sa pensée, ou de l'intérêt qui s'attachait à elle, prit la route convenue, et resta classique; les poëtes qui chantaient l'Empire, la gloire de la France ou la liberté, sûrs de plaire par le fond, ne s'embarrassèrent point de la forme. Mais il n'en fut pas de même de ceux qui chantaient le trône et l'autel; ayant affaire à des idées rebattues et à des sentiments antipathiques à la nation, ils cherchè

rent à rajeunir, par des moyens nouveaux, la vieillesse de leur pensée; ils hasardèrent d'abord quelques contorsions poétiques, pour appeler la curiosité; elle ne vint pas, ils redoublèrent. D'étranges qu'ils voulaient être, ils devinrent bizarres, de bizarres baroques, ou peu s'en fallait. Madame de Stael, ce Blücher littéraire, venait d'achever son invasion, et de même que le passage des Cosaques en France avait introduit dans les familles quelques types de physionomie expressive, la littérature portait dans son sein une bâtardise encore sommeillante. Elle parut bientôt au grand jour; les libraires étonnés accouchaient de certains enfants qui avaient le nez allemand et l'oreille anglaise. La superstition et ses légendes, mortes et enterrées depuis longtemps, profitèrent du moment pour se glisser par la seule porte qui pût leur être ouverte, et vivre encore un jour avant de mourir à jamais. La manie des ballades, arrivant d'Allemagne, rencontra un beau jour la poésie monarchique chez le libraire Ladvocat, et toutes deux, la pioche en main, s'en allèrent, à la nuit tombée, déterrer dans une église le moyen âge, qui ne s'y attendait pas. Comme pour aller à Notre-Dame on passe devant la Morgue, ils y entrèrent de compagnie; ce fut là que, sur le cadavre d'un monomane, ils se jurèrent foi et amitié. Le roi Louis XVIII, qui avait pour lecteur un homme d'esprit, et qui ne manquait pas d'esprit luimême, ne lut rien et trouva tout au mieux. Malheureusement il vint à mourir, et Charles X abolit la censure.

Le moyen âge était alors très-bien portant, et à peu près remis de la peur qu'il avait eue de se croire mort pendant trois siècles. Il nourrissait et élevait une quantité de petites chauves-souris, de petits lézards et de jeunes grenouilles, à qui il apprenait le catéchisme, la haine de Boileau, et la crainte du roi. Il fut effrayé d'y voir clair, quand on lui ôta l'éteignoir dont il avait fait son bonnet. Ébloui par les premières clartés du jour, il se mit à courir par les rues, et comme le soleil l'aveuglait, il prit la Porte-Saint-Martin pour une cathédrale et y entra avec ses poussins. Ce fut la mode de l'y aller voir; bientôt ce fut une rage, et, consolé de sa méprise, il commença à régner ostensiblement. Toute la journée, on lui taillait des pourpoints, des manches longues, des pièces de velours, des drames et des culottes. Enfin, un matin, on le planta là, le gouvernement lui-même passait de mode, et la révolution changea tout. Qu'arriva-t-il? Roi dépossédé, il fit comme Denys, il ouvrit une école. Il était en France en bateleur, comme le bouffon de la Restauration; il ne lui plut point d'aller à Saint-Denis, et, au moment où on le croyait tué, il monta en chaire, chaussa ses lunettes, et fit un sermon sur la liberté. Les bonnes gens qui l'écoutent maintenant ont peut-être sous les yeux le plus singulier spectacle qui puisse se rencontrer dans l'histoire d'une littérature; c'est un revenant, ou plutôt un mort, qui, affublé d'oripeaux d'un autre siècle, prêche et déclame sur celui-ci; car en changeant de texte, il n'a pu quitter

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