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quefois même une pensée, non pas toujours, entendons-nous, nos écrivains se fâcheraient. Mais qui naît du hasard est enclin à faire fortune, et le susdit mot n'y a point failli. Le voilà imprimé tout d'abord, et les journaux s'en sont emparés. Or, ce de quoi les journaux s'emparent, c'est d'autre chose qu'il faut plaisanter. Ce ne sont pas là de ces petits jardins pour y aller jeter des pierres; les journaux sont d'honnêtes gens, et nous les prions, avant tout, de ne point se blesser en cette matière. Malepeste! nous les respectons comme dieux et demi-dieux, et sommes leurs très-humbles serviteurs. Les journaux, monsieur, sont puissants, très-formidables sont les journaux; nous en parcourons peu ou prou, mais les révérons tous sur parole. Il ne faut pas croire que nous ne sachions rien faire parce que nous sommes de notre pays. Nous savons lire, et honorer le mérite, et saluer les autorités. Les journaux sont les souverains dispensateurs de bien des choses, parmi lesquelles il y en a de bonnes, et le pire n'est pas pour eux. Qui n'aurait pas quarante sous par mois à donner aux cabinets littéraires ne connaîtrait pas les journaux; de tel oubli le ciel nous garde! Nous les donnons, monsieur, depuis vingt ans; aussi très-bien connaissons-nous et vénérons-nous lesdits journaux; ils siégent en maîtres dans le forum, consuls, tribuns, sénateurs à la fois, lus de tous, hantés de plusieurs, nourris à souhait, compris de quelques-uns, mais toujours puissants, et toujours imprimés. Rien ne se

débat qu'ils n'y soient et qu'ils n'y touchent, et c'est de main de maître; les libraires n'osent vendre que ce qu'ils prônent, et, fût-ce à un drame nouveau, on ne saurait siffler s'ils ne bâillent. Voyez un peu quelle dictature! La Cuisinière bourgeoise les redoute ellemême; le Rudiment de Lhomond leur tire son bonnet, mais, il est vrai, par simple politesse, étant de l'Université. Y a-t-il procès quelque part? ils dénoncent, témoignent, plaident, répliquent, concluent, jugent, condamnent et vont dîner; c'est un emploi de haute justice. Sans eux George Sand serait notaire, et Rossini fût mort ignoré; le libraire de Béranger l'allait tirer à sept exemplaires, n'eût été que par aventure un feuilleton l'encouragea; ce fut heureux, nous perdions notre Horace; mais quelles actions de grâces ne leur devonsnous pas! Aussi, monsieur, comme c'est notre devoir, nous commençons notre propos par leur faire la révérence, leur déclarant qu'en ce sujet nous ne les prenons aucunement à partie.

Mais, là-dessus, venons au fait. Brailler est bon, mais selon ce qu'on braille; et voilà bien quelque cinq ans qu'il est cruellement question de ce grand verbe humanitaire. Nous l'avons saisi des plus tard, mais c'est le défaut de la province. Suffit enfin que nous croyons comprendre; nous demandons la permission de nous instruire quelque peu davantage. Vouloir se rendre compte des choses annonce peut-être un mauvais caractère, mais c'est notre marotte; du reste,

nous n'avons qu'une simple question à faire, et rien autre, comme vous verrez. Or, à qui peut nuire une question?

D'après les renseignements qui nous sont parvenus, on distingue, au premier abord, des humanitaires de deux sortes. Les uns ont un système tout fait, complet, relié, coulé en bronze, comme qui dirait une utopie. Rien ne leur manque ni ne les gêne; leur monde est créé, dormons là-dessus; ils attendent qu'on reconnaisse qu'il n'y a qu'eux qui aient le sens commun. De ceux-là, monsieur, nous n'en parlerons pas. Ils ont fait preuve, dans leurs théories, de plus ou moins d'imagination, voire de science et grandes lumières; mais, depuis que la terre tourne, jamais utopie n'a servi de rien, ni fait aucun mal, que l'on sache, pas plus Thomas Morus que Platon, Owen et autres, que Dieu tienne en joie. D'ailleurs il est écrit quelque part : << Jamais n'attaquez, ne détruisez l'inoffensive utopie de personne. >>

L'autre sorte d'humanitaires est celle dont nous deviserons. Ceux-ci n'ont point de système réglé, écrivent peu, lisent encore moins, et ne créent rien, sinon quelque bruit. Mais, au lieu de s'enfermer pacifiquement, prudemment, dans une placide rêverie, ils prêchent et courent, et vont semaillant je ne sais quoi que le vent emporte; tranchent sur tout, se disent prophètes, à la barbe de leur pays; accusent d'autant, qui les lois, qui les hommes, ne se font scrupule de berner Solon; qu'a

t-il à faire dans cette galère? enfin, ce sont des législateurs; la main leur démange de manier toutes les pâtes, et la narine ouverte, comme les cavales, ils aspirent le quand viendras-tu? Que parmi eux il en soit d'honnêtes, de braves même, il le faut noter; c'est le meilleur de la jeunesse : et qui rêverait, sinon les grands cours? Pauvres jeunes gens qu'un follet emmène, comme Faust au Broken, à travers champs, et, les bras tendus vers l'ombre fuyarde, ils marchent sur les récoltes du voisin, traînent leur dada sur les luzernes, et gâtent le blé finalement! Rendons-leur néanmoins justice, le cœur en eux vaut mieux que la tête; aux jours de crises et de révolutions, il est permis de prendre parfois un météore pour le soleil, et l'héroïsme est toujours beau, même dans le gouffre de Curtius.

Mais, hélas! le gouffre est profond, très-profond, monsieur, et plus large encore. Serait-ce un mal d'y regarder? Non, sans doute, surtout si l'on y pouvait voir. Tâchons d'y voir, et regardons.

Quel conflit, bon Dieu, quel chaos! nous voici lancés à la nage; quels flots, quelle mer, quelle vapeur! à qui entendre, et où s'accrocher? Celui-là demande le divorce, celui-ci veut l'abolition de l'hérédité, qu'il n'y ait plus ni nobles ni riches; un tiers réclame les biens en commun, la polygamie, cas pendable, mais ce pourrait être divertissant. Que veut ce quatrième? Il prie pour les pauvres, et qu'on traite les et qu'on traite les gens selon leur capacité; ne pensez pas qu'il s'agisse de boire, capacité ici veut

dire intelligence, c'est une simple variante. En voilà un, là-bas, dans un coin, qui a trouvé une façon nouvelle d'envisager l'histoire; au lieu de dire, par exemple, que Jésus-Christ est venu après Platon, il vous dira: « Pour que Jésus-Christ vint, il fallait que Platon eût existé; » quelle invention et quelle érudition! J'en avise un sixième encore; celui-là s'occupe d'accommoder, après tant de siècles, Josué avec Galilée, qui, vous le savez, se chamaillent quelque peu sur certain point d'astronomie; mais les témoins ont clos l'affaire; désormais tout est harmonie, il ne s'agit plus de ces vieilles gens. Ce septième résume l'univers, hommes, choses, dieux, lois, coutumes, guerres, sciences, arts, et prouve que tout ce qui a été n'est que pour la montre, et pour nous annoncer; l'antiquité est un cauchemar, et le monde éveillé se tire les bras; voilà un homme universel, et au delà de tout ce qu'on a pu dire d'Aristote, Voltaire, Leibnitz, et autre menu fretin; Newton vaut mieux, il sut compter jadis, mais ignorait la phrénologie; quant à Copernic, c'est un drôle, et Platon est inexcusable d'avoir appelé animal imparfait la pierre angulaire du futur édifice social, id est, la femme. Un huitième se présente, et s'annonce simplement comme membre indigne d'une confrérie immense; oui, monsieur, si on veut le croire, ils ne sont pas moins de deux ou trois cent mille hommes, tous de même force, et qui ne badinent pas; c'est une des conséquences de leur trouvaille que dans un demi-siècle tout au plus, probable

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