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s'en inquiète aujourd'hui? « Montesquieu, vivant sous un prince, n'a pu montrer d'impartialité; » ainsi parlent sans doute ceux qui ne l'ont pas lu; ouvrons-le pourtant, si vous permettez. Il y a, je crois, dans l'Esprit des Lois, qui, dans son temps, fut un bon livre, certain chapitre qui nous irait. «Il est de la nature d'une république, y dit l'auteur, qu'elle n'ait qu'un petit territoire; sans cela, elle ne peut guère subsister. Dans une grande république, il y a de grandes fortunes, et par conséquent peu de modération dans les. esprits; il y a de trop grands dépôts à mettre entre les mains d'un citoyen; les intérêts se particularisent: un homme sent d'abord qu'il peut être heureux, grand, glorieux, sans sa patrie; et bientôt qu'il peut être seul grand sur les ruines de sa patrie. »

Que pensez-vous de ce morceau? N'est-il pas fait pour notre histoire? Mais continuons : « Un État monarchique doit être d'une grandeur médiocre. S'il était petit, il se formerait en république. S'il était fort étendu, les principaux de l'État pourraient cesser d'obéir... Un grand empire suppose une autorité despotique dans celui qui gouverne. Il faut que la promptitude des résolutions supplée à la distance des lieux où elles sont envoyées... La propriété naturelle des petits États est d'être gouvernés en république; celle des médiocres, d'être soumis à un monarque; celle des grands empires, d'être dominés par un despote. »>

Ne vous semble-t-il pas que ceci peut avoir quelque

poids, monsieur? Quant à moi, plus je le relis, plus je me figure que c'est juste. La France aurait donc, par son étendue, une première difficulté à présenter aux humanitaires; mais ne nous fàchons pas pour si peu ; car, après tout, en cas de besoin, ne pourrait-on pas rétrécir la place? Ce qui nous tourmente vraisemblablement n'est pas l'amour de la patrie. Voici donc une seconde objection, que nous ne tirerons point de Montesquieu, mais de la nature, assez bon livre aussi.

:

Nous poserons d'abord un principe que peu de gens contesteront c'est que l'ombre produit la lumière, et que toute chose a son inconvénient. De ce qui est sous le soleil, rien ne s'éclaire des deux côtés. Or, parmi les animaux différents, habitants du terrestre globle, les uns sont faits pour vivre seuls, les autres pour vivre en société. Vous ne persuaderiez point à un aigle de se mettre à la queue d'un autre aigle, comme les canes qui vont aux champs; de même feriez-vous de vains efforts pour trouver une cane solitaire; et sous ce rapport, l'homme est cane, il faut l'avouer : Dieu nous a créés pour loger ensemble; les peuples donc s'arrangent comme ils peuvent; arrivent les lois, us et coutumes, lesquels ont du bon, partant du mauvais. J'en conclus qu'en toute société il faut que les uns se félicitent, que les autres se plaignent par conséquent; mais de ces plaintes et félicitations, lequel faut-il écouter de préférence? D'une plainte naît souvent un désir, et ces désirs sont dangereux. Je m'explique, car je ne veux

pas qu'on me prenne ici pour un Machiavel. Une femme a pour mari un butor, joueur, dépensier, ce qu'on voudra; ne va-t-elle pas croire toutes les femmes malheureuses, et que le mariage est un martyre? N'est-il pas plausible qu'un homme sans le sou demande que tout le monde puisse être riche? Ajoutons à cela les cervelles oisives, et les chagrins qui s'engendrent d'euxmêmes, comme faisait le phénix, dit-on; cela se voit de par le monde. Faut-il que le législateur écoute la foule ou l'exception? Puisque le mariage est notre exemple, considérons un peu cette affaire.

Le mariage, contre lequel déclament beaucoup de gens plus ou moins mariés, est une des choses d'ici-bas qui ont le plus évidemment un bon et un mauvais côté. Sous quel côté faut-il donc le voir? Il a cela de bon qu'avec lui il faut rentrer chez soi et payer son terme; il a ceci de mauvais qu'on ne peut pas découcher et envoyer promener ses créanciers; il a cela de bon qu'il force aux apparences et à l'air d'honnêteté, quand ce ne serait que crainte des voisins; il a ceci de mauvais qu'il mène à l'hypocrisie, mais cela de bon qu'il empèche l'impudeur du vice, mais ceci de mauvais qu'on le traite comme une fiction, et qu'il sert de manteau à bien des actes de célibataires; pour ce qui regarde la famille, il en est le lien, et en cela louable: pour ce qui regarde les amours, il en est le fléau, et en ceci blamable. C'est la sauvegardé des fortunes, c'est la ruine des passions. Avec lui on est sage, sans lui comme

on serait fou! I assure protection à la femme, mais quelquefois donne du ridicule au mari; cependant, quand on revient triste, où seraient, sans le mariage, le toit, l'abri, le feu qui flambe, la main amie qui vous serre la main? Mais quand il fait beau et qu'on sort joyeux, où sont, avec le mariage, les rendez-vous, le punch, la liberté? C'est une terrible alternative; qu'en décidez-vous, mon cher monsieur? Les humanitaires ne veulent point du mariage, sous le prétexte qu'on s'en gausse, et que l'adultère le souille; mais sont-ils sûrs, en disant cela, d'avoir mis leurs meilleures lunettes? Puisque rien n'est qu'ombre et lumière, sont-ils sûrs de ce qu'ils ont vu? J'admets qu'ils connaissent les salons, et qu'ils aillent au bal tout l'hiver; ils ont peutêtre observé dans les beaux quartiers de Paris quelques infractions à l'hyménée, le fait n'est point inadmissible; ont-ils parcouru nos provinces? sont-ils entrés dans nos fermes, au village? ont-ils bu la piquette des vachers de la Beauce? se sont-ils assis au coin de l'àtre immense des vignerons du Roussillon? ont-ils consulté, avant de trancher si vite, la paysanne qui allaite son nourrisson rebondi? se sont-ils demandé quel effet produiraient leurs doctrines à la mode sur ces robustes charretières, sur ces laborieuses et saines nourrices? Ce n'est pas tout que la Chaussée-d'Antin. Savent-ils ce que c'est, eux qui parlent d'adultère, et qui ont leurs maîtresses sans doute, savent-ils ce que c'est que mariage, non pas musqué, sous les robes de Palmire,

le

au fond d'un boudoir en lampas, mais dans les prés, au plein soleil, sur la place, à la fontaine publique, à la paroisse, et dans le lit de vieux chêne?

Troisième objection maintenant, et j'en reviens toujours à mes Spartiates, qui étaient de francs saint-simoniens; dites-moi un peu, je vous en prie, quelle figure auraient faite à Lacédémone les déterminés émancipateurs d'aujourd'hui qui ne veulent pas monter leur garde? Que j'aime à les entendre au fond d'un restaurant, splendidement éclairé par le gaz, évoquer le spectre de Lycurgue au milieu des fumées champenoises! Qu'il fait bon les admirer, le dos à la cheminée, les basques d'habit retroussées, balançant sous leur nez un verre de vin de Chypre, et nous lançant avec une bouffée de cigare un plan de réforme pour les peuples futurs! Ne voilà-t-il pas de beaux Alcibiades, et que diraient-ils si on les prenait au mot? Je voudrais les voir le lendemain s'éveiller dans leur république; que leur coiffeur leur brûle un favori, ils vont pousser des cris d'angoisse; ne voudraient-ils pas qu'on leur rasât la tête ? Et le brouet, et l'autel de Diane? qu'en pensezvous? C'est quelque autre chose que le bois de Boulogne et les bals de Musard. Dites-moi un peu, sans plaisanterie, comment nous autres, peuple français, qui avons tout vu, tout bu, tout usé, tout chanté, tout mis en guenilles, même les rois; dites-moi comment et de quel visage nous pourrions débarquer en Grèce, sinon pour rebâtir Athènes? Mais, pour ne pas remonter si

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