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sait par cœur. Croyez-vous que cela suffise? que nul ne se plaindra, nul ne clabaudera? Ah! que, si vous croyez ceci, vous est peu connue la gent gazetière! Vous vous imaginez bonnement, vous, monsieur, qui êtes au coin de votre feu, et qui ne savez qui passe dans la rue, ni si le voisin est à sa croisée, vous vous imaginez qu'on peut impunément dire au public qu'on aime les pois verts? les pois verts, peu importe, ou la purée, ou la musique de Donizetti, enfin la vérité la plus banale, que nos vaudevilles sont plats et nos romans mortnés? Eh bien! monsieur, désabusez-vous, on ne dit rien, n'écrit rien sans péril, pas même qu'Alibaud est un assassin, car il y a des gens qui disent le contraire; meurtrier, soit, mais non assassin; gredin, misérable, ils l'accordent; mais non malhonnête homme, ce qui est bien différent.

Croire que l'on peut donner son avis sur quoi que ce soit (je dis poliment et discrètement, avec convenances et par parenthèses), grâce à Dieu et aux journaux, il n'y a pas de plus grande erreur; et la raison en est simple comme bonjour. Que voulez-vous qu'on puisse dire, du moment que l'on peut tout dire? Exemple: Je trouve que Chollet chante faux et que la Madeleine est un beau monument. Je crois cela vrai, c'est mon goût, je l'imprime, non pas en toutes lettres, s'il vous plaît, car, avant tout, il faut des formes. Je laisse donc à entendre dans mon article que M. Chollet, de l'Opéra-Comique, n'a pas les tons d'en haut

toujours parfaitement justes, et qu'il me semble que la Madeleine est construite à la grecque, dans de belles proportions. Jusque-là, point de mal. Arrive le voisin, qui répond à cela : « L'article d'hier est pitoyable; M. Chollet chante juste, et la Madeleine est hideuse. >> Il n'y a point encore grand dommage; je suis de bonne humeur, et permets qu'on s'échauffe. Survient un tiers, qui réplique à tous deux : « Les deux articles sont aussi absurdes l'un que l'autre; Chollet ne chante ni faux ni juste, il chante du nez; la Madeleine n'est ni belle ni hideuse, elle est médiocre, bête et ennuyeuse.» Ceci commence à devenir brutal. Mais passons; je ne réplique rien, ne voulant point me faire de querelle. Un quart aussitôt s'en charge pour moi ; il prend donc sa plume, essuie sa manche, bâille, tousse, et dit : « Vous êtes tous trois des imbéciles. Quand on se mêle de parler musique et de trancher de l'important, il faut d'abord savoir la musique; vos parents n'avaient pas de quoi vous donner des maîtres, car ils sont encore au village, où ils raccommodent des souliers. On sait de bonne part qui vous êtes, et il ne vous sied point de faire tant de bruit. Quant à ce qui est de la Madeleine, payez vos dettes avant d'en parler. » Ainsi s'exprime maître Perrin Dandin, à quoi un cinquième riposte vivement : « Et toi, qui outrages les autres, qui es-tu donc, pour le prendre si haut? Tu n'es qu'un cuistre, jadis sans chapeau! A quoi as-tu gagné ta fortune? A ruiner les libraires, à faire des

prospectus, à revendre des chevaux vicieux, à intriguer, à calomnier, à..... » (Remarquez, monsieur, que dans tout cela je ne dis mot, et quel est mon crime? Je me suis contenté d'avancer que la Madeleine me semblait bien bâtie, et que M. Chollet ne chantait pas toujours rigoureusement juste.) Mais me voilà dans la bagarre; on se déchire, on crie, on lance un soufflet. Qui l'a reçu? Je n'ose y regarder. Voilà une veuve; est-ce ma femme? sont-ce mes enfants qui vont pleurer?

Ceci, je vous en avertis, est moins une baliverne qu'on ne pense. Les querelles de plume sentent l'épée en France; mais à quoi bon même un coup d'épée? Les journaux n'ont-ils pas la poste? Je voudrais savoir ce qu'on lave au bois de Boulogne, pendant que les flåneurs de Saint-Pétersbourg lisent des injures à vous adressées? Marotte du temps, fabrique de controverse ! Vous souvient-il d'une dispute dans un café à propos de la duchesse de Berri? « Elle a un œil plus petit que l'autre, disait quelqu'un. — Non pas, répliqua le voisin, elle a un œil plus grand que l'autre. » Parlez-moi de ces gens de goût qui savent les distinctions des choses! Ils ont le grand art de l'à-propos, se choquent de tout, jamais ne pardonnent, ne laissent rien passer sans riposte. Toujours prêts, alertes, il en pleut. Seraient-ils par hasard éloignés? rassurez-vous; vous les offenserez à cinquante lieues de distance en louant quelqu'un qu'ils n'ont jamais vu voilà des ennemis implacables. Il y a, dit-on, un certain arbre, je ne sais

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son nom ni où il pousse : un cheval galopant tout un jour ne peut sortir de son ombre. Parfait symbole, monsieur, du journalisme: suez, galopez, l'ombre immense vous suit, vous couvre, vous glace, vous éteint comme un rêve. Que prétendez-vous? de quoi parlezvous? où marchez-vous pour n'être point sur les terres des journaux? où respirez-vous un air si hardi que d'oser n'être point à eux? De quoi est-il question? De littérature? C'est leur côtelette et leur chocolat - De politique? C'est leur potage même, leur vin de Bordeaux et leur rôti. Des arts, des sciences, d'architecture et de botanique? C'est de quoi payer leurs fiacres. De peinture? Ils en soupent. -De musique? Ils en dorment. De quoi, enfin, qu'ils ne digèrent, dont ils ne battent monnaie?

Et remarquez, je vous en prie, l'argument commun, le refrain perpétuel de ces messieurs les quotidiens. Ceci est un auteur? disent-ils; chacun peut en parler, puisqu'il s'imprime donc, je l'éreinte. Ceci est un acteur? ceci une comédie? ceci un monument? ceci un fonctionnaire? Au public tout cela; donc, je tombe dessus. Vous arrivez alors, bonhomme, ne sachant rien que la grammaire, et vous vous dites : « J'en parlerai donc aussi; puisque c'est à tous, c'est à moi comme à d'autres. — Arrière! manant, à ta charrue, répond du haut de sa colonne ce grand monsieur de l'écritoire; ce qui est à tout le monde quand j'en parle, n'est plus à personne quand j'en ai parlé, ou si j'en vais parler, ou

si j'en veux parler. Et sais-tu de quoi je pourrais parler, si je voulais? Mais j'aime mieux que tu te taises. Otetoi de là, sinon je m'y mets. » Voilà le jugement de Salomon, et ne croyez pas qu'on en appelle.

Sous Louis XIV, on craignait le roi, Louvois et le tabac à la rose; sous Louis XV, on craignait les bâtards, la Du Barry et la Bastille; sous Louis XVI, pas grand'chose; sous les sans-culottes, la machine à meurtres; sous l'empire, on craignait l'empereur et un peu la conscription; sous la restauration, c'étaient les jésuites; ce sont les journaux qu'on craint aujourd'hui. Dites-moi un peu où est le progrès? On dit que l'humanité marche; c'est possible, mais dans quoi, bon Dieu !

Mais, puisqu'il s'agit et s'agira toujours de monopole, comment l'exercent ceux qui l'ont céans? Car enfin, le marchand de tabac qui empêche son voisin d'en vendre, donne de méchants cigares, il est vrai, mais du moins n'est-ce pas sa faute; le gouvernement lui-même les lui fabrique ainsi; tels il les vend, tels nous les fumons, si nous pouvons. Que font les journaux des entrepôts de la pensée? Quelle est leur façon, leur méthode? Qu'ont-ils trouvé et qu'apprennent-ils? Il n'y a pas long à réfléchir. Deux sortes de journaux se publient; journaux d'opposition, journaux ministériels, c'est comme qui dirait arme offensive, arme défensive, ou si vous voulez, le médecin Tant-Pis et le médecin Tant-Mieux. Ce que font les ministres, les chambres,

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