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vous faire pièce à dame Opposition? Lisez un peu l'article du lendemain.

« Voilà donc, s'écrie la même plume, voilà donc quelle était au fond l'unique pensée du ministère! gracier les agents de la restauration, c'était là son but; le reste n'est qu'un prétexte; on ne s'intéresse qu'à ces hommes, » etc., etc.

Ne vous semble-t-il pas, monsieur, quand vous assistez à ces sortes de tapages, dont les journaux étourdissent un ministre, ne vous semble-t-il pas voir un homme qui entreprend de traverser la Seine sur une corde tendue, à laquelle corde pend une centaine de chats? Je vous demande si les chats aiment l'eau, et veulent choir, et quel vacarme, et les agréables secousses! En guise de balancier, le pauvre diable a dans les mains un essieu de charrette, pesant cinq cents livres; belle entreprise à se rompre le cou! Mais il suffit du nom qu'on donne aux choses : l'essieu s'appelle le timon de l'État, cela suffit pour qu'on se l'arrache; quant aux chats, c'est-à-dire aux journalistes, c'est une autre affaire; ils ne s'arrachent que des brins de ficelle, et se sentent furieusement échaudés; car l'essieu dont je vous parle n'est rien moins que fer rouge, ardent, usé dans la fournaise; cependant le peuple bat des mains, et l'homme avance, en tremblant s'entend, et prudemment, muni de blanc d'Espagne; mais on lui crie: «Avancez donc ! vous ne bougez pas! vous êtes un Terme! » S'il lâchait tout et sautait dans l'eau, vous en étonneriez-vous,

monsieur? Oui bien, moi, car nous ne sommes guère au temps où Sylla sortait de sa pourpre.

Poursuivrons-nous plus avant cette thèse, et descendrons-nous au feuilleton? On pourrait peut-être deviner comment parfois il se fabrique; ce n'est pas avec quoi les abeilles font leur cire. Il y a deux façons pour cela. L'une, incontestablement la meilleure (c'est aussi la plus usitée), est d'appuyer son coude sur sa table, d'étendre la main, et de laisser couler doucement tout ensemble encre, préceptes, doctrines, injures, anachronismes et bévues. A peine ainsi court-on le risque de laisser échapper de ces légères taches qui ne choquent point le lecteur parisien, rompu à la chose, et qui, au contraire, font ressortir le beau. Ce sera, par exemple, que vous aurez avancé que Racine florissait sous Louis IX, ou qu'Agamemnon est l'auteur de l'Iliade. Mais je vous dis, cela ne fait rien, on nous y a dès l'enfance habitués, et nous n'avons point de livres sous la main où aller chercher les dates. Minuties que les dates! L'autre façon est beaucoup plus aride, profonde, ardue, pour parler en feuilleton. Il faut pour cela prendre (horresco referens) un dictionnaire quelconque, historique ou chronologique. Est-ce fait? Posez-le sur la table, et ouvrez au hasard. Lequel est-ce? Le Dictionnaire de la Fable, par Noël. Bien. Sur quel passage êtes-vous tombé? (( Charadrius, oiseau fabuleux, dont le regard seul guérit la jaunisse; mais il faut que le malade le regarde, et que l'oiseau lui renvoie ses regards assez fixement;

car, s'il détournait la vue, le malade mourrait infailliblement. » A merveille! Maintenant, dites-moi, quel sujet avez-vous à traiter? Vous avez à rendre compte, n'est-il pas vrai, de la Norma du maestro Bellini? Voyez ce que c'est que la Providence, et comme le ciel vous favorise! Vite, écrivez, ne perdez point l'occasion; voilà votre oiseau tout logé. Comment, dites-vous, par quelle façon? Eh! par la façon des feuilletons. Écrivez :

« Les décorations du premier acte laissent beaucoup à désirer; on a tenté vainement de nous rendre cette nature large, antique, nébuleuse, des vieilles forêts consacrées. Ces tons sont mesquins, ces horizons vides; on voudrait frissonner au murmure de ces chênes centenaires, on voudrait y voir voltiger autour de la prêtresse l'oiseau Charadrius, dont le regard seul, etc., etc. >>

Voilà, monsieur, comme on se fait dans le monde, et à juste titre, une réputation de savant et d'homme qui ne parle point au hasard; voilà comme on jette çà et là sur un article, du reste médiocre, ces paillettes mirifiques d'érudition et de bon goût, qui ne manquent pas de sauter aux yeux du lecteur et de lui éblouir l'entendement, ni plus ni moins que s'il avait soufflé sur sa poudrière.

C'est bien longtemps vous importuner, monsieur, pour ne vous dire après tout qu'un mot, que les journaux nous font grand' peur. C'est surtout longuement discourir pour répéter ce que chacun sait, c'est-à-dire que, depuis Moïse, il y a toujours quelques abus. N'allez

pas, de grâce, imprimer cela. Quand on n'a pas l'habitude d'écrire, on est d'un décousu, d'un diffus! Nous ne sommes point gens de plume, et nous n'écrivons que pour le prouver. D'ailleurs, qu'en dirait-on, grand Dieu! Nous attaquer aux puissances du siècle! Ohimè! quelles charretées de pavés on nous verserait sur la tête! A quels courroux serions-nous en butte! Non pas que cela nous fit grand tort, ni que notre raisin en fût moins bon; mais vous, monsieur, je vous le dis à l'oreille, vous pourriez bien vous exposer. Peste! voyez de quoi nous serions cause on irait peut-être jusqu'à vous faire des reproches. Que répondriez-vous en pareil cas? Il y a de quoi démonter les gens. Mais, tenez, si vous m'en croyez, voici, à peu près (si besoin était) ce que vous pourriez peut-être répondre aux journaux, après avoir naturellement fait les génuflexions nécessaires et frappé sept fois la terre de votre front; apprenez par cœur cette harangue :

«Commandeurs des non croyants, soleils de l'époque, successeurs de Dieu, terreur des chambres et des ministres, flambeaux de justice et de vérité, et comédiens ordinaires de la nation,

«Ne vous fâchez pas pour si peu nouvellerons nos abonnements. >>

Agréez, etc.

de chose, nous re

QUATRIÈME LETTRE

MON CHER MONSIEUR,

La Ferté-sous-Jouarre, 5 mai 1837.

Que les dieux immortels vous assistent et vous préservent des romans nouveaux! Polémon fut un aimable homme, et l'un des plus mauvais sujets de la quatrevingt-dix-neuvième olympiade. Il sortait un matin, au lever du soleil, de chez une belle dame d'Athènes; ses vêtements étaient en désordre, sa poitrine et ses bras nus; une couronne de fleurs fanées lui pendait sur l'oreille, et comme d'une part il avait soupé fort tard, et que d'une autre il marchait sur les courroies de ses brodequins mal attachés, il allait passablement de travers. En cet état, il vint à passer devant l'école du philosophe Xénocrate, qui était ouverte; je ne sais s'il la prit pour un cabaret, mais le fait est qu'il y entra, s'assit, regarda les assistants sous le nez, et se permit même quelques plaisanteries. Xénocrate, qui était en chaire, perdit d'abord le fil de ses idées. Il avait, dit l'histoire, l'intelligence lente et pesante, et Platon le comparait à un âne auquel il fallait l'éperon, pour ne

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