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D'où viennent ces visages-là? Personne ne peut le dire. On les a évoqués, et ils sont sortis de terre. Florimond a cédé aux instances de ses nombreux et indiscrets amis, et il consent à ébaucher à ses heures perdues un cours d'histoire philosophique, fantastique et pittoresque. Mais il annonce que, parlant au beau sexe, il ne s'astreindra pas à une méthode aride, et il voltige, comme un papillon, de Pharamond à la Pompadour, et de Gengis-Khan à Moïse. Les uns se pâment, d'autres tendent le cou pour se donner un air d'attention; quelques gens graves froncent le sourcil et regardent si on croit qu'ils réfléchissent; les petites filles écarquillent leurs yeux et poussent de profonds soupirs. Florimond soulève son verre d'eau sucrée, se recueille une seconde, déroule sa péripétie, lance le trait et avale le verre d'eau. On se lève, on l'entoure, il est épuisé. La foule s'écoule avec respect, et un petit nombre d'élus accompagnent l'orateur au logis. Là, étendu sur un sofa, passant son mouchoir sur ses lèvres, il tend le nez aux encensoirs, et se couronne de palmes inconnues. « Vous avez parlé comme Bossuet, comme Fénelon, comme Jean-Jacques, comme Quintilien, comme Mirabeau ! »

Cependant le pauvre diable, assommé d'éloges, conserve encore une lueur de bon sens; il soulève le rideau, regarde les passants dans la rue; à l'aspect de cette ville immense, il sent que sa coterie s'agite au fond d'un puits, et que personne ne se doute à Paris de son triomphe d'entre-sol.

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L'étudiant Garnier, qui manque de bois et qui déjeune avec des raves, a lu, pour deux sous le volume, les Mémoires de Casanova. Le siècle de Louis XV lui trotte dans la tête; il croit voir des nonnes à demi ivres, des boudoirs où les soupers arrivent par des trappes, des bas écarlates et des paillettes. Il sort, ne sachant où aller, cherchant fortune comme faisait Casanova; il rencontre une jolie femme, il la suit, l'accoste, c'est une fille; il va au jeu, perd six francs qui lui restent; à trois pas de là, il rencontre son tailleur, qui se plaint qu'on ne le trouve jamais, et le menace du juge de paix; un fiacre qui passe l'éclabousse; il est cinq heures et il faut dîner: alors seulement il se gratte la tête, et se souvient qu'il n'y a pas de fiacres à Venise, qu'on y sortait jadis en masque, qu'on ne payait pas son tailleur en 1750, et que Casanova trichait au jeu.

Ce n'est pas l'habileté qui manque à Isidore; il parle bien, il écrit mieux; les hommes en font cas, et il plaît aux femmes; il a tout ce qu'il faut pour réussir, mais il ne réussira jamais. En tout ce qu'il fait, il fait un peu trop, et il veut toujours être un peu plus que lui-même. Le cardinal de Retz disait du grand Condé, qu'il ne remplissait pas son mérite. Isidore déborde le sien; c'est un verre de vin de Champagne qui mousse si bien, qu'il n'est plus que mousse, et qu'il ne reste plus rien au fond. Il rencontrera un bon mot, et il en voudra faire quatre, moyennant quoi le seul bon n'y sera plus. D'une idée longue comme un sonnet, il compo

sera un poëme épique. Vous a-t-il vu trois fois au bal, vous êtes son ami intime. A-t-il lu un livre qui lui a plu, c'est la plus belle chose qu'il y ait en aucune langue. A-t-il une piqûre au doigt, il souffre un martyre sans égal. Et ne croyez pas qu'il joue une comédie: il parle ainsi de bonne foi, tant l'habitude a de puissance. A force de se tendre de tous les côtés, il s'est allongé et élargi, mais aux dépens de l'étoffe première, qui craque et se rompt à tout moment.

Narcisse n'est pas seulement ainsi; il est malade d'exagération au troisième degré. Il s'est trouvé un jour à un incendie, où il a aidé à porter de l'eau; il sait que Napoléon en a fait autant, et il se croit un petit Napoléon. Une femme de lettres, amoureuse de lui, l'a menacé d'un coup de couteau, et comme Margarita Cogni a failli en donner un à lord Byron, il se croit un petit Byron. Ces deux personnages, qu'il résume, l'inquiètent et le tourmentent beaucoup; mais comme il a été, d'autre part, assez bien vu d'une baronne, et qu'il lui a écrit des impertinences en se brouillant avec elle, il se croit aussi Crébillon fils. Comment arranger tout ce monde ensemble? il est tantôt l'un, tantôt l'autre, selon le moment et l'occasion. Aujourd'hui il a une vieille redingote, boutonnée jusqu'au menton, et son chapeau lui tombe sur les yeux; demain il porte un gilet rose, et vous frappe les jambes, en causant, avec une canne grosse comme une paille; le surlendemain, il va au théâtre, où il garde

son manteau, et, appuyé sur une colonne, il promène autour de lui des regards mornes et désenchantés; c'est à le croire fou de le rencontrer souvent. Pour faire de lui un portrait ressemblant, il faudrait peindre Dorat méditant sur les ruines de Palmyre, ou Napoléon avec des culottes vert tendre et un casque de cuir bouilli *.

Il est arrivé un grand malheur à Évariste, qui fait des romans presque lisibles, et dont le style, nourri de barbarismes, en impose. Les journaux le traitent bien; on l'invite à dîner, et il gagne par an une somme assez ronde. Mais il a écrit en 1825, dans la préface d'un de ses livres, qu'un homme de génie devait être l'expression de son siècle. Depuis ce jour, il n'a ni repos ni trêve qu'il ne découvre l'esprit de son siècle, afin d'en être l'expression; il cherche les mœurs du temps pour les peindre, et ne peut réussir à les trouver sont-elles à la Chaussée-d'Antin, au faubourg Saint-Germain, dans les boutiques des marchands, ou dans les salons des ministres, au Marais, au quartier latin, à la place Maubert? Ne seraient-elles pas au corps de garde, au Jockey-Club ou à Tortoni? La lanterne en main, comme Diogène, il va et vient, et, chemin faisant, dit Walter Scott n'est qu'un drôle, et que, que pour lui, il a plus d'influence sur notre siècle que Voltaire sur le sien. Mais ce damné siècle ne veut pas

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Byron, partant pour la Grèce, portait un casque de cuir bouilli. (Note de l'auteur.)

répondre; et au lieu de se contenter de peindre ce qu'il voit et de constater les nuances, Évariste veut saisir un fil qui puisse tout réunir et tout concentrer; son ambition est d'être le criterium, le nec plus ultrà de l'époque, et d'en posséder seul une clef unique. En attendant, il avoue, en rougissant, qu'on lui paye ses livres vingt mille écus, que ses créanciers le supplient à genoux de leur emprunter quelque argent, que, du reste, les femmes faciles l'ennuient, mais qu'il a fait une folie, une vraie folie, et, que voulez-vous! il a été entraîné, et il a acheté, en passant à Saint-Cloud, une maison de campagne et une forêt.

Le peintre Vincent est un autre homme; un chagrin mortel le dévore: il est profondément méconnu; les journaux le maltraitent, le public n'est qu'une brute, ses confrères sont envieux, sa servante elle-même est son ennemie. Il a pourtant exposé un paysage représentant trois femmes du temps de Louis XIII, passant en gondole dans le parc de Versailles; son cadre avait quatre pouces en hauteur et plus de trois pieds de large, et le gouvernement ne l'a pas acheté. On lui a commandé, il est vrai, un tableau pour une église de province, et ce tableau, fait en conscience, a reçu quelques éloges; mais qu'a-t-on loué? Précisément ce qui n'a aucun mérite, des pieds, des mains, de vils contours! La pensée profonde de l'artiste n'a pas même été entrevue; car ce n'est rien que de regarder une toile, et de dire « Voilà qui est bien dessiné. » Un écolier

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