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en serait juge. Le beau, le sublime, ce n'est pas le tableau, c'est ce que le peintre pensait en le faisant, c'est l'idée philosophique qui l'a guidé, c'est l'incalculable suite de méditations theosophistiques qui l'ont amené, décidé et contraint à faire un nez retroussé plutôt qu'un nez aquilin, et un rideau amarante plutôt qu'un cramoisi. Voilà la grande question dans les arts; mais nous vivons dans la barbarie. Un seul journaliste a saisi la chose, entre mille; un seul a touché la corde sensible; et il a dit, dans son feuilleton, que la descente de croix du peintre Vincent était le Requiem de Mozart, combiné avec les Lettres d'Euler et la Vie de saint Polycarpe.

Vous connaissez, monsieur, le chanteur Fioretto; il a une jolie voix dont les accents iraient au cœur, s'il la laissait sortir tranquillement des larges poumons dont la nature l'a pourvu; il nous fait venir les larmes aux yeux quand il exprime un sentiment passionné, mais, par malheur, il se passionne toujours, et, pour dire en musique à sa maîtresse qu'il se trouve bien aise, il pousse des cris comme si on l'égorgeait. La signora Miagolante, qui chante avec lui ordinairement, a été prise de la même fièvre, qui paraît être épidémique. Elle imite la Malibran, et on dirait à tout moment qu'elle va enfin lui ressembler; elle trépigne, s'avance, s'arrache les cheveux, pose la main sur son cœur, et file une note: la souris est gentille, mais la montagne était trop grosse.

Singulière maladie! Paul, qui a le talent d'un romancier, ne fait que des mélodrames les uns après les autres; et Pierre, qui n'a réussi qu'au théâtre, écrit des livres on lirait le premier avec plaisir, et on applaudirait le second; on siffle l'un et on n'achète pas l'autre.

Quel est ce visage au coin de ce triste feu? A qui ce front pâle et ces mains fluettes? Que cherchent ces yeux mélancoliques qui semblent éviter les miens? Est-ce vous que je vois, pauvre Julie? Qu'y a-t-il donc? qui vous agite ainsi? Vous êtes jeune, belle et riche, et votre amant vous est fidèle; votre esprit, votre cœur, votre rang dans le monde, l'estime qu'on y professe pour vous, tout vous rend la vie aisée et riante; que viennent faire les larmes dans cette chambre, où nul jaloux ne vous surveille, où le bonheur s'enferme sans témoins? Avez-vous perdu un parent? Est-ce quelque affaire qui vous inquiète? Vos amours sont-ils menacés? N'aimez-vous plus? n'êtes-vous plus aimée? Mais non; le mal vient de vous seule, et il ne faut accuser personne. Comment se fait-il qu'avec tant d'esprit vous soyez prise d'une manie si funeste? Est-ce bien vous qui, d'un sentiment vrai, faites une exagération ridicule et le malheur de ceux qui vous entourent? Est-ce vous qui changez l'amour en frénésie, les querelles passagères en scènes à la Kotzebue, les billets doux en lettres à la Werther, et qui parlez de vous empoisonner quand votre amant est un jour sans venir? Quelle abominable mode

est-ce là, et de quoi s'avise-t-on aujourd'hui! Croyezvous donc qu'ils peignent rien d'humain, ces livres absurdes dont on nous inonde, et qui, je le sais, irritent vos nerfs malades? Les romanciers du jour vous répètent que les vraies passions sont en guerre avec la société, et que, sans cesse faussées et contrariées, elles ne mènent qu'au désespoir. Voilà le thème qu'on brode sur tous les tons. Pauvre femme! le monde est si peu en guerre avec ce qu'on appelle les vraies passions, que sans lui elles n'existeraient pas. C'est lui qui les excite et les crée; ce sont les obstacles qui les échauffent, c'est le danger qui les rend vivaces, c'est l'impossibilité de les satisfaire qui les immortalise quelquefois. La nature n'a fait que des désirs, c'est la société qui fait des passions; et, sous prétexte d'en appeler à la nature, ces passions déjà si ardentes, on veut encore les outrer et les prendre pour levier, afin de renverser les bases de la société ! Quelle fureur et quelle folie! ne saurait-il avoir rien de bon, qu'on n'en fasse une caricature? Vous riez du phébus amoureux de la cour de Louis XIV, et vous vous indignez des frivoles intrigues de la Régence! Que Dieu me pardonne, j'aime mieux entendre appeler l'amour un goût, comme sous Louis XV, et voir ma maîtresse fraîche et joyeuse avec une rose sur l'oreille, que de parler de vraie passion, comme aujourd'hui, et de vivre de larmes, d'angoisses et de menaces de mort. Si une femme vous trouve joli garçon, et qu'elle vous paraisse bien tournée, ne saurait-on s'ar

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ranger ensemble sans tant de grands mots et d'horribles fadaises? et s'il n'est question ni d'éternel dévouement, ni de s'arracher les cheveux, ni de se brûler la cervelle, s'en aime-t-on moins, je vous en prie? Pardieu! la reine de Navarre ferait une belle grimace aujourd'hui, et je voudrais voir ce que dirait Brantôme. Est-il réglé de toute éternité que femme qui se rend ne se rend pas sans phrases? Eh bien donc, faites-en de raisonnables, de galantes, de folles, si vous voulez, mais faites-les humaines du moins. Voilà de beaux codes d'amour, qu'une pluie de romans où on ne voit que des amoureux phthisiques et des héroïnes échevelées. L'Amour est sain, madame, sachez-le; c'est un bel enfant rebondi, fiis d'une mère jeune et robuste; l'antique Vénus n'a eu de sa vie ni attaque de spleen ni toux de poitrine. Mais je vous blesse, vous détournez la tête, vous regardez la pendule: il n'est pas tard encore, votre amant va venir; mais s'il ne vient pas, n'avalez pas d'opium ce soir, croyez-m'en; avalez-moi une aile de perdrix et un verre de vin de Madère.

Salut au plus exagéré de tous! Salut à l'homme qui veut être simple, et qui a l'affectation de la simplicité! Il va faire une visite, et avant de sonner, il a regardé si son jabot passe, si sa cravate n'est pas en désordre, car il tient, par-dessus toute chose, à n'avoir rien d'extraordinaire dans sa toilette. Il sonne doucement; on ouvre, il est entré; mais il a prié qu'on n'annonçât pas. Il traverse le cercle à pas mesurés, comme s'il réglait

une distance pour un duel, il salue et s'assoit; une légère contraction de ses lèvres annonce l'effort qu'il vient de faire. Content de lui, il ne dit rien; cependant sa voisine l'interroge; il s'incline à demi, sourit du bout des lèvres, et lâche un mot sec comme la pierre ponce; charmant convive! La conversation, peu à peu, s'échauffe et devient générale. Il s'agit d'une pièce nouvelle, sur laquelle il n'a point d'avis, d'un bal où il n'a point dansé, et d'une femme qu'il ne trouve point jolie. On parle d'autre chose; on parle d'un mort, c'est un de ses amis qu'on a enterré. Notre silencieux prend la parole; on écoute, on s'arrête; il ne paraît pas ému, mais il pourrait l'être; il était lié d'enfance avec le défunt « Cela ne m'étonne pas, dit-il, qu'il soit mort; M. Dupuytren a scié son crâne, et on lui a trouvé un quart de pinte d'eau dans la tête. » Voyez un peu quelle simplicité!

Irons-nous plus loin? tenterons-nous d'esquisser le portrait de l'exagéré politique? Non, monsieur; nous n'avons, pour aujourd'hui, que la prétention d'effleurer quelques ridicules, et il y a autre chose dès que la politique s'en mêle. Nous en parlerons quelque jour; ce chapitre mérite qu'on le traite à part. Tenons-nous-en à nos ébauches et saisissons cette occasion de citer un beau vers de M. Delavigne :

Le ridicule cesse où commence le crime.

Nous récapitulons maintenant et concluons : c'est

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